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À la recherche de Mei

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À la recherche de Mei



    1er juillet 2015

    Mei venait de terminer ses examens de fin de collège. Cette période avait été stressante pour elle, ses parents lui avaient mis beaucoup de pression. Mais elle le savait, elle avait réussi. Elle avait bien révisé, et avait rempli toutes ses épreuves avec facilité. Bien qu’elle n’était pas première de classe, elle était bien classée et son professeur principal ne cessait de dire qu’elle était un exemple pour sa génération.
    Mais aujourd’hui, l’exemple de sa génération n’avait plus envie de travailler. Elle était enfin en vacances. Alors, pour ce premier jour, elle décida d’affronter la terrible chaleur estivale de Haijing. Elle marchait dans les rues de la vieille ville, décorée de ses lanternes rouges et où les joueurs de erhu faisaient résonner le son de leurs cordes. Les étalages remplis des mets les plus parfumés voyaient les passants progresser lentement, s’arrêtant bien souvent pour admirer les fruits qu’apportait la saison. Ça négociait beaucoup. Mei passait à travers les jambes et les hanches qui lui bloquaient le passage, sans prêter attention aux cris des commerçants qui annonçaient les prix, et les passants qui leurs répondaient bien souvent « Tai gui le !» ; c’est trop cher.
    Mei aimait cette ambiance, mais avec le soleil qui tapait, être au milieu de la foule n’était pas vraiment confortable. Les nombreuses ombrelles que portaient les baishanaises ne lui offraient pas l’abri tant espéré. Elle marcha alors en direction de la mer.

    Haijing, la capitale du Baishan, était connue dans la poésie pour être une belle ville côtière. Elle l’était sans doute beaucoup plus à l’époque où les bateaux ne venaient pas polluer les airs de leurs grosses fumées grises. Pourtant, Mei trouvait la mer toujours très jolie. Il fallait juste savoir où aller.
    Dans le sud de la ville se trouvait le port de commerce, d’où partaient les énormes bateaux conteneurs. C’est là que la mer était la plus moche. Pour trouver les jolis coins, il fallait remonter la digue vers le nord. La ville n’avait pas osé construire de port à proximité du temple de Haijing. Ainsi, tout autour du temple du dragon vert, la plage semblait propre, et il n’était pas rare de voir des gens s’y baigner.

    Mei s’avança dans l’eau. Elle avait remonté son pantalon au-dessus de ses genoux pour ne pas le tremper, mais les vagues qui roulaient vers le sable ne semblaient pas comprendre qu’elle souhaitait garder ses vêtements au sec. Certaines la tremper à mi-cuisse, ce qui la faisait crier en reculant.
    Le long de la plage de sable fin, la ville de Haijing dressait ses immeubles comme un mur. Les tours d’acier et de vitres reflétaient les rayons du soleil. Tout comme l’eau. L’été est très lumineux à Haijing. Tout au bout de la plage, un énorme édifice coloré faisait ressortir un dragon vert de son toit. Symbole de la ville, le temple du dragon vert accueillait déjà son lot de touristes. Le dragon vert était même devenu l’emblème du pays, on le retrouvait sur le drapeau national.

    Alors que la petite baishanaise avait les pieds dans l’eau, une Nai-Nai (une grand-mère), vint à sa rencontre. Elle était drapée d’une fine écharpe, portait des lunettes de soleil et une casquette sous son ombrelle. Si Mei n’avait pas l’habitude de croiser des Nai-Nai ainsi vêtues, elle aurait pu penser qu’elle était malade. Mais c’était bel et bien normal à Haijing, et la vieille dame l’interpela.
    — Eh, petite, tu vas attraper un coup de chaud comme ça ! Tu devrais te couvrir, tu vas avoir la peau foncée comme les Afaréens !
    Mei roula des yeux. Sa génération commençait enfin à s’ouvrir aux diversités du monde, mais la génération de cette grand-mère y était encore loin. Mei courut hors de l’eau, les goutelettes l’éclaboussèrent, ce qui lui apporta un peu de fraîcheur. Elle commença son retour, puis s’arrêta sur un banc qui faisait face à la mer. Le soleil entamait sa descente. Elle attendit que l’horizon rougisse encore un peu et sortit son téléphone pour prendre le paysage en photo. Elle s’empressa ensuite de la publier sur Kongque, le “instagram” baishanais :

Post de Mei sur Kongque
“终于放假了!”
“Enfin en vacances !”
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    Les rues de Haijing commençaient à s’obscurcir. Derrière les grands bâtiments de la capitale, le soleil jouait à cache-cache à une heure hâtive. Il faisait vite nuit sur la « Ville de la mer ». Heureusement pour Mei, la cité restait bien éclairé. Les lampadaires de le vieille ville laissait apparaître les devantures des restaurants typiques du pays et toutes les lanternes qui pendaient aux façades. Les effluves des légumes sautés au wok et de la sauce soja donnaient déjà faim à la jeune fille. Elle pouvait sentir son ventre gargouiller. Mais la petite baishanaise n’avait pas pris de monnaie avec elle. D’habitude, elle laissait quelques kuaï dans sa veste, mais les températures du moment l’avait dissuadée de la prendre. Ce n’est pas grave, se dit-elle, je vais me dépêcher de rentrer chez moi. Avec un peu de chance, Mā aura déjà fait des nouilles.

    Sur le chemin du retour, Mei fut intriguée par des bruits. L’on aurait dit une bagarre. Ce n’était pas habituel dans la grande ville qui essayait de soigner au mieux ses apparences. Surtout en pleine vieille ville, là où les touristes aimaient se balader. Des cris semblaient provenir du Pinminku de la vieille ville.
    Les Pinminku, c’étaient ces petits bidonvilles éclatés dans les grandes villes baishanaises. Comme elles se trouvaient en plein milieu des villes, le gouvernement avait batti des murs pour les cacher. Nul ne savait vraiment ce qui se passait dans les Pinminku, il n’y avait ni loi, ni policier pour protéger les lieux. Les Pinminku étaient reconnus pour être dangereux, et la population n’entrait jamais dans ces enceintes. Les habitants des bidonvilles sortaient très peu également, les entrées étant fortement surveillées par les forces de l’ordre pour que les touristes ou les curieux n’y pénètrent pas. De temps en temps, certaines violences avaient lieu aux sorties de ces Pinminku, mais elles étaient souvent repoussées par la police d’état. Cela semblait être le cas.
    — Veuillez vous écarter, nous allons faire usage de la force ! Criait une voix au mégaphone.
    Dis-donc, c’est que c’est sérieux... Pensa Mei.
    La fillette s’avança à travers la foule curieuse qui regardait les policiers user de leurs matraques. Un autre agent menaçait les personnes autour qui sortaient leurs téléphones pour immortaliser l’évènement.
    — Les photos sont interdites, s’il-vous-plaît. Répétait-il tantôt en mandarin, tantôt en anglais.
    Mei continua d’avancer pour passer de l’autre côté du conflit. C’est que l’adolescente avait envie de rentrer chez elle. Mais c’est à ce moment-là que les habitants du bidonville effectuèrent une percée dans ce mur militaire. L’on commença à crier autour tandis que les infiltrer tentaient de s’échapper dans la ville. Mei, qui voulut s’enfuir aussi, tomba sur les pavés. Les policiers parvinrent à encercler tout ce monde, aidés par un renfort qui débarquait.
    — Veuillez rentrer chez vous ! Criait le mégaphone aux résidents du Pinminku. Nous allons faire usage d’armes à feu !
    Au même moment, un tir retentit. Un agent avait tiré vers le ciel pour calmer les révoltés. Le cercle de police se refermait un peu plus vers l’entrée du Pinminku pour forcer les habitants à rentrer chez eux. Un policier releva sèchement Mei et la poussa vers le Pinminku.
    — Monsieur, j’habite pas là, laissez-moi rentrer chez moi !
    Le policier, masqué, était effrayant. Mei ne voyait pas son visage, mais elle devinait l’impassibilité du soldat.
    — Avancez ! Ordonna-t-il en la poussant vers l’entrée du bidonville.
    — Monsieur ! Dit-elle apeurée. Sortez-moi de là, j’habite pas ici !
    Le policier la repoussa à nouveau, sortit une matraque et asséna un coup.
    — Avance, on t’a dit.
    Mei cria de douleur. À côté d’elle, d’autres tentaient aussi de sortir du cercle. À la différence d’elle qu’ils habitaient le Pinminku. Comment pouvait-elle convaincre qu’elle n’y résidait pas ? Elle passerait forcément pour une menteuse qui veut s’enfuir.
    — Attendez ! Fit-elle. Je peux appeler mon père, il vous dir…
    — Avance !
    Le policier la repoussa à nouveau en la menaçant. Mei fut alors emportée dans la foule. Les gardes venaient enfin de repousser les habitants du bidonville dans l’enceinte, et ils fermèrent les grandes portes en prenant soin de les vérrouiller pour que personne n’en sorte.
    Mei était dedans.
    Elle se rua sur les portes en tapant du poing dessus.
    — Sortez-moi de là, je ne vis pas ici ! Au secours !
    Autour d’elle, les habitants du bidonville s’approchaient d’elle en cercle, ombres menaçantes dans cette obscurité. Il n’y avait pas de lumière dans l’enceinte, si ce n’est les quelques feux dans les poubelles servant de barbecue.
    — Au secours ! Cria-t-elle.
    Une main se posa sur son épaule. Une voix lui parvint dans les oreilles, elle était chevrotante, celle d’une vieille personne.
    — Je peux t’aider, gamine…
    Mei se tourna vers la grand-mère. Ses cheveux étaient sales et de grands trous dans sa chevelure accentuaient cet aspect peu soigné. Sa dentition, à l’image de ce qui recouvrait son crâne, renvoyait une odeur nauséabonde. Mei repoussa violemment la vieille dame.
    — Ne me touchez pas !
    Et la petite adolescente courut à travers les habitants du Pinminku pour les fuir. La petite baishanaise se retrouva dans un coin sombre, toute seule, cachée des autres habitants dangereux du bidonville. Elle s’accroupit, prit sa tête entre ses bras, et pleura. Elle se sentait toute seule.
    Finalement, la fillette sortit son téléphone. Son seul espoir était de pouvoir joindre son père. Par chance, elle captait le réseau national. Elle commença à chercher son père dans sa liste de contact, mais son téléphone glissa de ses mains. Un homme, sortit de l’ombre, venait de le lui arracher. Mei lui attrapa une cheville dans l’espoir qu’il tombe, mais l’homme donna un grand coup de talon vers l’arrière que la pauvre fille prit dans le nez. Elle retomba, son beau visage au nez cassé désormais dans la boue.
    — Mon téléphone ! Cria-t-elle en sanglotant. Je dois appeler mon père ! Je peux vous le redonner après, promis !
    Mais l’homme disparut dans le noir.
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    2 juillet 2015

    Mu Qing avait appelé toutes les amies de sa fille. Aucune d'elles ne l'avait hébergé pour la nuit ou ne savait où elle se trouvait. Il avait appelé l'école, essayé de la joindre pour une dixième fois sur son téléphone, mais aucune réponse. Il tombait directement sur sa messagerie. Elle qui était toujours accrochée à son appareil, cela semblait impossible qu'elle ne réponde pas. Mu Qing s'inquiétait énormément. Où est-ce que sa fille avait bien pu passer la nuit ? Surtout que, comme beaucoup d'habitant de Haijing, il avait eu vent de l'émeute de la veille. Sa femme, Jiuyin, tremblait presque d'inquiétude. Elle aussi avait passé des coups de fil toute la matinée pour savoir si Mei était chez des membres de la famille. Rien de concluant. Mu avait donc décidé de se rendre au commissariat. Il le savait : la police baishanaise n'était pas très compétente dans la recherche d'individus, les policiers cherchaient davantage à cacher les drames plutôt qu'à les résoudre, mais c'était son ultime espoir.

    Mu se retrouva donc devant un commissaire, peu commode. L'officier lui posait des questions tout en fumant ses cigarettes et prenant notes de sa déposition.
    — Quand l'avez-vous vue pour la dernière fois ?
    — Hier matin.
    — As-t-elle un petit-ami ?
    — Non, pas que je le sache.
    — Je ne peux pas vous aidez si vous n'avez pas les réponses à mes questions.
    — Non, elle n'en a pas.
    — Parce que souvent, les filles qui fuguent vont retrouver en cachette leur petit-ami. Elle vous le cache peut-être.
    Là était l'incompétence des policiers de Haijing. Pour eux, l'affaire était déjà close : elle se cachait chez son petit-ami.
    — Elle n'a pas de petit-ami. Insista Mu Qing.
    Le policier souffla. Un vent de fumée lui sortit de la bouche.
    — Est-ce qu'elle a l'habitude de sortir en ville ?
    — Oui, comme toutes les adolescentes de son âge.
    Le policier souffla à nouveau, exaspéré.
    — Monsieur. Si vous n'êtes pas capable de surveiller votre fille pour qu'elle ne fugue pas, i...
    — Vous sous-entendez que c'est de ma faute ? S'énerva le père.
    Le policier souffla sa fumée à la tête de Mu.
    — Haijing est une grande ville où il est facile de se perdre, même quand on y vit depuis vingt ans. C'est votre rôle de parent de savoir où va votre fille. Mais à votre façon de vous énerver, je comprends qu'elle ne souhaite pas rentrer chez elle.
    Le père serra des poings.
    — Vous voulez que je vous aide, oui ou non ? Demanda l'officier. Donnez-nous une photo d'elle.
    Une fois la photo imprimée et le dossier complété, le policier plaça le fichier en-dessous d'une pile plutôt épaisse.
    — Ce sera traité dans environ dix jours. Dit-il.
    — 10 jours ? Mais ma fille a le temps de mourir...
    — ... ou de revenir. Comprenez que vous n'êtes pas le seul à rechercher un proche.
    Le policier regarda autour de lui et s'approcha de l'homme, comme pour lui confier un secret.
    — Mais si vous voulez que l'affaire avance plus vite, vous pouvez prendre le service premium.
    — Le service premium ?
    L'officier se frotta les doigts d'une main pour lui indiquer qu'il attendait de Mu qu'il allonge quelques billets. Mu Qing, qui voulait retrouver sa fille le plus rapidement possible n'eut pas le choix que de sortir quelques kuaï. L'officier prit le dossier et le remonta dans la pile.
    — 5 jours. Dit-il.
    — 5 ?!
    Mu Qing ajouta quelques billets. L'officier remonta le dossier.
    — 3 jours.
    Mu posa le restant de son argent.
    — Nous traiterons ça dans les plus brefs délais. Dit l'homme en ricanant.
    Mu se leva et s'en alla. Il n'était pas ravi du service, ni d'avoir perdu un millier de kuaï, mais si cela pouvait faire retrouver sa fille plus vite, il ne le regretterait pas.
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    5 juillet 2015
    Prison de Heiyan


    Gao avait été mis en garde à vue la veille. Soupçonné d'être à l'origine de la disparition d'une fillette disparue quelques jours plutôt. L'enquête avait rapidement mis la main sur un des officiers qui avait malencontreusement poussé une fillette à l'intérieur d'un Pinminku. Pour ne pas faire de bruit sur son incompétence, la police de Haijing avait conclu qu'un kidnapping s'était produit. Cela était plausible : il était de notoriété nationale que les habitants des Pinminku étaient des bandits. Mais l'affaire ayant fait du bruit, le gouvernement avait demandé à la police de retrouver le coupable et la jeune fille.
    La police avait alors pénétré l'enceinte. Armée de matraques, ils s'étaient amusés à détruire quelques abris de fortunes et frapper quelques innocents qui tentaient d'échapper aux agressions. Gao, lui, avait voulu protéger son petit frère et avait désarmé un policier. Un autre était alors venu lui asséner un coup, et il avait été emporté au commissariat. C'est là qu'on l'avait interrogé une première fois sur la petite fille disparue. On lui avait montré une photo, une petite fille qu'il avait effectivement vue emprisonner dans l'enceinte du bidonville. Mais il n'avait pas osé parler davantage. Alors, les gardiens l'avaient remis en cellule.
    Dans la nuit, il avait été réveillé et placé dans un fourgon. Il ne savait pas où le véhicule l'emmenait, mais ce qu'il savait : c'est que ça ne présageait rien de bon.

    — Parle !
    Gao cracha à terre. Sa salive se mêlait au sang qui coulait dans sa bouche. Désormais, il n'y avait plus aucun doute : il était à Heiyan. La prison était soupçonnée d'être l'une des pires du pays. D'après certaines rumeurs, l'on y pratiquait la torture. Et Gao venait de découvrir que cela n'était pas qu'une rumeur. Les mains attachés dans son dos, il ne pouvait riposter. Il passa sa langue sur sa dentition qui comportait maintenant un nouveau trou.
    — J'en ai rien à cirer de votre gamine, foutez-moi en taule si ça vous arrange. Je n'ai rien fait, moi.
    — Toi, non. Mais tes potes, oui. Parle!
    Gao cracha sur les chaussures du policier. Ce dernier recula d'un pas, leva son pied pour essuyer la traces sur le menton du prisonnier. Puis il tira son pied en arrière pour prendre de l'élan avant de porter un coup dans le visage du garçon.
    — Ramène-le. Dit l'officier à l'un de ses collègues.
    Ce dernier sortit un instant, puis revint avec un jeune garçon d'une dizaine d'année. Gao reconnut son frère.
    — Wen !
    L'officier qui menait l'interrogatoire prit énergiquement le garçon et l'emmena en direction de Gao. Il prit la main du plus petit, et avec une pince, il arracha un de ses ongles. L'enfant hurla de douleur.
    — Arrêtez ! Cria Gao.
    — Parle !
    — D'accord, d'accord, je vais parler ! Relâchez-le !
    — Parle d'abord !
    Alors, Gao raconta :
    — Luo, mon ami, a trouvé la petite. Il lui a pris son téléphone pour le revendre, mais il s'en est fait que 200 kuaï. Alors, il a pris contact avec les dépeceurs. Il les a faits venir au Pinminku, les a aidés à l'abattre, et récupérés ses organes. Je vous ai tout dit, relâchez mon frère. Moi, je n'ai rien fait, je n'ai rien à voir avec cette histoire, pitié, épargnez-moi !
    Le gardien poussa l'enfant vers ses collègues et asséna un nouveau coup de pied dans la figure de Gao.
    — Ça, c'est pour la gamine.
    Puis il repartit avec le petit frère et ses collègues.

    — Chef, qu'est-ce qu'on fait du prisonnier ?
    — Foutez-le en taule.
    — Chef, on est d'accord que c'est pas lui le coupable, pourtant ?
    — Peu importe qui est le vrai coupable, on a arrêté un mec, ce sera lui notre coupable. On a fini notre travail, on fait notre rapport au Secrétariat de la Sécurité Nationale.
1872
    15 juillet 2015
    Palais présidentiel, Haijing


    La police avait mis du temps à écrire son rapport, et le Secrétariat de la Sécurité Nationale avait été long à l'étudier. Au final, le président Po venait de recevoir le dossier relatant le meurtre de la petite Mei par des habitants du Pinminku. Les dépeceurs de Haijing étaient une bande de mafieux revendant les organes de pauvres gens comme Mei sur des marchés noirs. Les cas n'étaient pas courants, mais on en dénombrait quelques uns. Les pauvres des bidonvilles étaient prêts à tout pour se faire quelques milliers de kuaï. La mort de la petite Mei était une tragédie pour le pays, bien qu'aucun détail n'avait été délivré à la population. Un Meurtre dans le Pinminku du Vieux Haijing, c'était les titres des journaux, ils ne savaient rien de plus.
    Le Président Po tapa sur son téléphone de bureau pour joindre sa secrétaire.
    — Faîtes-moi venir Monsieur Yun.

    Monsieur Yun était un homme froid et dur, mais avant tout un membre loyal du PCB. Ainsi, Dongfang Po n'avait eu aucune hésitation à le nommer Premier-Secrétaire au Secrétariat de la Sécurité Nationale. Huili Yun avait été le premier à prendre connaissance du dossier de la petite Mei et connaissait l'affaire encore mieux que Po. Le quadragénaire entra une heure plus tard dans le bureau du président. Il fit une révérence.
    — Nǐ hǎo, Monsieur Po.
    — L'affaire du meurtre de Mei Qing est un grave accident pour notre République.
    Yun approuva.
    — Il nous faut agir pour que cela ne se reproduise plus. Si d'autres enfants meurent, et même pire si l'on apprend qu'une mafia revend leurs organes, quelle sera notre réputation sur la scène internationale ?
    — Que comptez-vous faire, monsieur le président ?
    — J'aimerais qu'il n'y ait plus aucun bidonville dans la capitale.
    — Très bien. Comment voulez-vous que l'on procède ?
    — Vous avez carte blanche, Monsieur Yun. Assurez-vous juste que cela ne fasse aucune vague.
    — Entendu, Monsieur.
    Le Secrétaire fit une nouvelle référence et sortit du bureau. Il avait une mission à effectuer.
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🎶
    


    21 juillet 2015
    Pinminku de Haijing-Nord
    01h34


    Le pinminku de Haijing-Nord était situé dans le quartier le plus au nord de la ville. Un peu à l'abri des touristes, il bénéficiait d'une discrétion que ne trouvait pas celui du Vieux-Haijing. Toutefois, le bidonville du nord était connu pour être le plus peuplé et le plus grand, mais de ce fait, le plus surveillé.
    En cette nuit estivale, les températures restaient chaudes. Quelques enfants qui n'arrivaient pas à dormir couraient sur les maigres allées de terre. Ils étaient minces, sales et mal-nourris, comme la plupart des enfants qui naissaient dans ces bidonvilles. Les feux dans les poubelles continuaient d'éclairer autour d'eux. Quelques brochettes de viande dont on ne voulait pas savoir l'origine crépitaient encore dans certains woks et diffusaient leurs odeurs épicées. La nuit était calme.

    Mais le calme s'interrompit lorsque des bruits de moteurs s'arrêtèrent près des grandes portes donnant accès au Pinminku. Les portes s'ouvrirent, ce qui fit aboyer certains chiens présents dans le bidonville. Certains habitants se réveillèrent et purent voir des grands camions s'avancer. Les petites allées trop étroites pour y faire entrer d'aussi gros véhicules voyaient les abris qui les entouraient s'écraser et exploser. Petit à petit, les habitants se réveillaient soit par les bruits de moteurs, soit par les cris de leurs voisins qui voyaient leurs habitations pulvérisées.
    Puis soudain, des militaires sortir des véhicules. Ils attrapèrent les habitants qu'ils voyaient pour les emporter et les tasser dans les camions.
    — Allez, on rentre là-dedans !
    Les enfants criaient et pleuraient, les adultes tentaient de faire obstacle aux militaires. Mais ils étaient armés, et tous les opposants finissaient par capituler. Les camions furent ainsi remplis et plus personne ne restait dans les abris de fortune. Les militaires veillèrent bien à ce que tout le monde fût entassé dans les véhicules. Puis, ils quittèrent les lieux. Le bidonville venait d'être vidé de sa population.




    23 juillet 2015
    Pinminku du Vieux-Haijing
    02h13


    Cela faisait un moment qu'il n'avait pas plu sur Haijing. Les habitants du Pinminku du Vieux-Haijing peinaient à se ravitailler en eau, surtout depuis que les gardes du bidonville avaient verrouillé son accès après la révélation du meurtre de la petite Mei. Certaines personnes âgées étaient décédées de déshydratation. Mais cette nuit-là, les portes s'ouvrirent. La première fois en plus de deux semaines. Plusieurs véhicules militaires entrèrent, en écrasant une partie des installations. Des habitants sortirent en criant. Puis les véhicules s'arrêtèrent au milieu du bidonville.
    Un militaire sorti, il tira du fourgon un petit garçon. Ce dernier courut quand le militaire le libéra. Une femme, sa mère, le récupéra en pleurant.
    — Wen !
    Les militaires se tournèrent vers les habitants.
    — On cherche un certain Luo.
    Les habitants se regardèrent. Deux hommes s'avancèrent, ils s'appelaient tous les deux Luo. L'un d'eux était un jeune homme à l'allure sportive et aux vêtements déchirés. L'autre était un vieillard qui se tenait avec une béquille. Le militaire qui avait lâché le jeune Wen prit dans sa main un pistolet, un Browning de petit calibre et le pointa sur le plus jeune.
    — Celui-là, il est pour la petite Mei.
    Et il tira. Puis, sans ranger son arme, il visa le vieillard et tira à nouveau. Les deux hommes étaient à terre.
    Les militaires retournèrent dans leurs véhicules et commencèrent à se diriger vers la sortie, ne manquant pas d'écraser le plus possible les abris de fortune. Puis, avant de sortir de l'enceinte, ils s'arrêtèrent. Tous les militaires sortirent du véhicules et se répartirent la zone. Tous portaient des lance-flammes. Ils commencèrent ensemble à arroser les abris de feu. Les habitants commencèrent à crier. Ils voulurent s'enfuir, mais ils étaient entourés par ces cracheurs de feu. Certains militaires lancèrent des cocktails molotov en direction du centre où se trouvaient les habitants. L'on criait, pleurer, paniquait. Puis au bout de deux heures, les portes se rouvrirent pour laisser entrer les pompiers de la ville. Le feu avait évidemment réveillé les habitants en dehors de l'enceinte, il fallait bien faire semblant de l'éteindre. L'opération dura une nouvelle heure avant que le feu soit réellement éteint, et l'armée se contenta d'abattre les derniers survivants qui gisaient sur le sol, brûlés d'un membre ou asphyxiés. Le pinminku du Vieux-Haijing venait d'être épuré.
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