08/07/2016
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L'Étoile du Baishan

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L'Étoile du Baïshan


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我的心为你跳 - 姚木生


    Septembre 2006

    Musheng Yao venait de finir la chanson qui clôturait cette finale de l’Étoile du Baishan. Émission populaire du pays, elle consistait en un concours de chant où les participants, alors inconnus du public, chantaient et étaient jugés par un jury qui finissait par les coacher. Musheng avait choisi la grande Lao Shao pour mentor, et tous les deux avaient composé cette chanson pour cette occasion, en espérant qu’elle séduise les télespectateurs qui avaient la décision finale. Ce soir, les habitants du pays qui regardaient cette émission avaient le pouvoir de départager les deux finalistes, Musheng Yao et Guixin Li. Si Guixin avait su marquer avec sa chanson rock et son dynamisme, Musheng avait réussi à émouvoir le plateau avec une chanson romantique. Il savait aussi qu’il était le favori. Lui et Lao étaient confiants quant aux résultats du vote.

    Ranyi Sui, le présentateur phare de l’émission, prit la parole une fois la prestation de Musheng terminée.
    « Quelle formidable prestation. Mesdames et messieurs, un tonnerre d’applaudissement pour Musheng Yao !»
    Le public n’attendit pas la fin de la phrase pour soulever une vague d’applaudissements, la plus bruyante de la soirée. Cela sembla durer des heures tant les spectateurs désirait féliciter celui pour qui, pour eux, était déjà l’Étoile du Baishan. Sui tenta de reprendre la parole, mais il dut s’y reprendre plusieurs fois avant de dire :
    « Vous avez déjà tout un fan club, Musheng. Dîtes-moi, vous avez chanté une chanson écrite pour cette finale. Elle raconte l’amour d’un homme pour sa femme. Quelle a été votre source d’inspiration ? »
    Le finaliste prit le micro, les joues un peu rougies par la question. Musheng était encore jeune, et n’avait pas l’habitude d’étaler sa vie sentimentale devant autant de monde.
    « C’est un hommage que je voulais rendre à ma compagne, Ling.
    — Ling, qui nous regarde à chaque épisode depuis le premier rang. Dit le présentateur en montrant la petite baishanaise qui s’émouvait de voir son mari en final. Rejoignez-nous, Ling ! »
    La femme monta sur la scène pour rejoindre Musheng. Les deux amoureux se prirent timidement dans les bras, sous le public qui applaudissait à nouveau.
    « Dîtes-moi, Ling. C’est un très beau message d’amour. J’imagine que cela doit vous toucher particulièrement ? »
    Ranyi Sui tendit son micro à Ling qui rougit encore plus fort que son mari. Elle se contenta d’un « Oui, très. » vite étouffé par un rire de gêne et d’émotions. Elle se réfugia sur l’épaule de Musheng.
    « Vous êtes très touchante, comme votre mari. Dit le présentateur. Au dernier couplet de votre chanson, vous évoquez une possible paternité. Pardonnez-moi d’être un peu intrusif, mais est-ce votre projet à tous les deux ? »
    Les deux amoureux rirent ensemble. On pouvait sentir un mélange de gène et de timidité dans leurs regards. Musheng s’empressa de répondre :
    « Nous avons déjà une fille de huit mois, Lün. »
    Le présentateur exagéra sa surprise à l’annonce de Musheng, ce qui fit rire les spectateurs. À la télévision, le montage ajouta des effets pour souligner cette surprise de manière amusante.
    « Oh, vous êtes un cachotier, Musheng ! Félicitations à vous deux, et on embrasse la petite Lün qui doit sans doute nous regarder. Sans plus attendre, nous allons donner les résultats de cette finale. Guixin, rejoignez-nous ! »
    Guixin, l’autre concurrent, rejoint le petit groupe. Lui aussi, sa femme était venue le soutenir. Mais il n’était pas la vedette de la soirée, alors Ranyi Sui ne l’avait pas faite monter. On apporta une enveloppe scellée que le présentateur commença à ouvrir. Il déplia le papier et le referma dans un mouvement très rapide. Dans une nouvelle mimique exagérée, il feignit la surprise, la bouche grande ouverte.
    « Vous ne devinerez jamais ! Dit-il au spectateur dans le but de les faire attendre. »
    Il recommença son numéro en ouvrant puis refermant le papier. L’un des coachs, amusé par la situation, finit tout de même par l’arrêter :
    « Dîtes-nous, Ranyi ! »
    Ranyi Sui finit par dire aux spectateurs :
    « Avec 76% des voix, vous avez décidé d’élire pour Étoile du Baishan… MUSHENG YAO ! »
    Les voix rugirent dans le public, des confettis tombèrent du plafond et une musique épique de victoire retentit. Ling et Musheng tombèrent dans les bras l’un de l’autre, rejoints dans cette étreinte collective par le présentateur Ranyi Sui qui ne se souciait pas de savoir s’ils souhaitaient partager ce moment avec lui. Guixin, lui, quitta la scène : plus personne ne se souciait de sa présence, même les caméras avaient cessé les plans larges sur lequel il apparaissait.
    « Bravo Musheng, notre nouvelle étoile du Baishan !»
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Image du concert

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为了胜利 - 姚木生


    1er Septembre 2015

    « Attends ! »
    Ling attrapa Musheng par la veste d'un geste délicat pour le retenir. Elle passa sa main sur le font de son mari pour ranger une mèche de cheveux qui avait décidé de faire son chemin à l'écart du reste de sa coiffure. Mais la mèche rebelle ne se laissa pas mettre dans le rang aussi facilement, alors Ling passa ses doigts sur sa langue pour les humidifier. Musheng l'arrêta en soupirant.
    « Arrête... Ça va aller. »
    Il roula des yeux sous le regard amusé de leur fille, Lün. Si cela faisait rire la petite de neuf ans, Musheng était intérieurement agacé par les manies de sa femme qui semblait être plus stressée que lui. Et pour cause, Musheng devait faire une prestation dans la soirée, pour la célébration de la fête nationale du Baïshan.

    Quelques mois auparavant, Musheng avait eu un étrange appel. Il avait cru à une blague lorsque son agente lui avait dit qu'il s'agissait du président lui-même, mais lorsqu'il avait pris le téléphone, il avait reconnu la voix du principal homme politique du pays.
    « Monsieur Yao, nous aimerions que vous écriviez et interprétiez une chanson inédite lors de la célébration de la fête nationale, en septembre prochain. »
    Septembre, ça n'avait laissé que très peu de temps pour Musheng afin de composer une chanson, mais il avait fini par accepter malgré les contraintes données par le parti. Bien que le chanteur était une personnalité publique, il ne partageait pas les idées du communisme baishanais. Bien sûr, pour éviter la censure, il ne s'était jamais exprimé sur ce sujet, et se contentait de chanter sans évoquer une quelconque opinion. Mais l'idée de devoir, pour la fête nationale, chanter pour le parti et vanter les bienfaits du communisme le dérangeait. S'il avait fini par accepter, c'était parce que son agence avait insisté, et parce qu'il savait qu'il avait le vent en poupe en ce moment.
    Depuis sa victoire à l'Étoile du Baishan en 2006, Musheng était devenu le chanteur le plus suivi du pays. Grâce aux gains remportés dans l'émission, il avait pu enregistrer son premier album soutenu par Lao Shao, la chanteuse émérite qui l'avait coaché. Le succès du disque lui avait même valu quelques récompenses. L'année suivante de sa participation à l'émission, le public n'avait pas trouvé à leur goût son successeur au titre d'Étoile du Baïshan, si bien que Musheng garda pour surnom ce titre qui lui allait si bien. L'émission Étoile du Baïshan, après cette finale peu appréciée avait cherché un moyen de redorer son image, et avait donc proposer un rôle de coach à Musheng, qui avait accepté. Ainsi, depuis 2008, le chanteur coachait dans l'émission qui portait son surnom, ce qui fit de lui la vedette de la série. Chaque année, de plus en plus de monde suivait l'Étoile du Baïshan non pour découvrir de nouveaux talents, mais pour suivre leur artiste favori. Si l'on devait nommer une star du Baishan, c'était Musheng Yao qui ressortait le plus souvent. Musheng Yao, l'Étoile du Baishan.
    Alors, naturellement, pour les 35 ans de la République Populaire du Baishan, le président Po s'était tourné vers lui pour interpréter une chanson à la gloire du pays.

    La porte de la limousine s'ouvrit. Le parti avait mis les moyens pour recevoir la star. Avant de sortir, il embrassa sa fille sur le front, et adressa un sourire à Ling. Un sourire discret et légèrement fuyant, tout en arrangeant lui-même cette mèche rebelle qui se balançait sur son front.
    Dehors, des journalistes de tous les organismes de presse se lancèrent à sa poursuite. Musheng se contenta de petits signes de main et de quelques sourires charmeurs. La plupart des gens savaient qu'il chanterait dans la soirée, mais ne savait pas quelle serait la chanson. L'Étoile du Baïshan fut conduit jusqu'à un char de parade, une sorte de petit nuage surplombé d'une étoile géante qui symbolisait le communisme. La taille gigantesque du char impressionna Musheng, qui y monta par une petite échelle. Il se sentait un peu illégitime de se tenir devant un tel symbole qui ne représentait pas vraiment ses idées politiques. Musheng rêvait de liberté, pouvoir chanter tout ce qu'il veut, mais devait se conformer à un État qui censurait certaines idées.

    Le défilé commença aux environs de quatorze heures. Les musiques de parade interprétées par l'orchestre national résonnaient dans toute la Place de la Révolution, celle-là-même où, disait-on, s'était achevé le Sacrifice de Hongmu. Les pas rythmés des militaires accompagnaient les cuivres et les flûtes. Plus tard, des véhicules militaires et des tanks impressionnants progresseraient sur leurs sillons. Vers 16 heures, les festivités se déplaceraient sur la plage de Haijing, où depuis le port, des canons tireraient 35 coups en direction de l'eau. Des danses et des chants auraient lieu au temple de Haijing juste après.
    À 18 heures commencerait le discours du président Po. Puis, juste après, le fameux concert de Musheng Yao.

    18h22, c'était bientôt à lui. Le président venait de finir son allocution. Il monta sur la scène décorée aux couleurs du parti et prit le micro.
    « Bonsoir à tous ! »
    Des cris de joies s'élevèrent dans tout Haijing. Musheng le savait, beaucoup attendaient ce moment.
    « Ce soir, à la demande de notre cher président respecté Dongfang Po, je vais vous interpréter une chanson inédite. Weile Shengli, "Pour la Victoire". »
    Un coup de percussion suivi d'une mélodie à la flûte marqua le début de la chanson. La représentation de Musheng Yao fut une réussite dans le pays.
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    25 janvier 2016

    — Tu peux pas nous faire ça, Musheng. On compte sur toi pour la saison prochaine.
    — J'aimerais me concentrer sur ma vie de famille, profiter un peu de ma fille. Entre mes tournées, les émissions, les plateaux télévisés, je ne l'ai pas vu grandir.
    — Musheng... Tu viens de finir ta tournée, tu vas avoir plein de temps pour toi maintenant. Tu ne vas pas lâcher l'émission maintenant ?
    — Justement, c'est le meilleur moment pour me libérer. Je n'ai plus de concert à donner, je peux prendre plus de temps pour Lün et me reposer un peu.
    — Te reposer ? Tu es encore plein d'énergie. T'as même pas un seul cheveux blanc !... Attends, je sais. Tu n'as qu'à emmener Lün avec toi sur l'Étoile du Baïshan. Les spectateurs vont adorer un coach qui vient avec sa petite fille. Elle pourra donner un avis d'enfant, ce sera attendrissant. Et toi, tu passeras plus de temps avec elle, ça va marcher du tonnerre !
    — Hm...
    — Quoi "hm" ?
    — Non. Je ne veux pas. Je ne veux pas qu'elle devienne une vedette. Elle est encore jeune, elle n'a pas à subir toute cette pression.
    — Musheeeng... Tu peux pas nous faire ça ! On n'a personne pour te remplacer ! Les gens regardent l'émission pour toi ! Que vont-ils penser ? Imagine leur déception ! Tu vas pas faire ça aux baïshanais ?
    — Vous n'avez qu'à prendre Ming-Aï Ri, elle a gagné la saison dernière, les spectateurs l'aiment bien.
    — Mais ils l'aiment parce que c'était toi son coach ! Tu crois qu'elle aurait gagné sinon ?
    — Oui, c'est une fille talentueuse. Je me répète : je ne ferai pas cette saison. On en reparle l'année prochaine, mais aujourd'hui, j'aimerais faire une pause.
    Le chanteur baïshanais se leva. La discussion était terminée pour lui. Mais le producteur de l'émission lui attrapa le bras.
    — Attends, Musheng. Si tu veux plus d'argent, on peut en parler. On fera venir d'autres sponsors, on peut te mettre encore plus en avant dans l'émission. Tu peux devenir la star ultime, avec toutes les caméras sur toi !
    — J'ai déjà toutes les caméras sur moi ! C'est pour ça que je pars. Bonne fin de journée.
    Musheng écarta le bras de son interlocuteur et quitta le bureau.

    Depuis sa représentation lors de la fête nationale, la carrière de Musheng s'était encore plus agitée. La chanson écrite pour l'occasion avait été un succès dans le pays, et le chanteur l'avait donc intégrée à son nouvel album. Puis s'en était suivi plusieurs concerts et une tournée dans tout le pays qui s'était achevée récemment. Musheng Yao avait multiplié les interviews, les prises de paroles publiques et les sollicitations aux quatre coins du Baïshan. Avec, en plus de cela, la dernière saison de l'Étoile du Baïshan qui s'était terminée en novembre, il avait eu un hiver bien occupé et très peu de temps à accorder à sa fille, Lün. Aujourd'hui, le chanteur en avait assez de cette célébrité qu'il subissait. Bien sûr, il aimait chanter, faire le show et voir les spectateurs ravis. Mais cette sur-sollicitation le fatiguait. Il ne pouvait plus se rendre quelque-part sans être reconnu et sans que l'on vienne l'embêter une nouvelle fois. Il ne pouvait même plus profiter d'un simple après-midi au parc avec sa fille sans que les jeunes filles accourent vers lui en criant. C'était trop.

    Le chanteur agita le bras. Un taxi s'arrêta devant lui, et il monta à l'arrière. Le chauffeur ajusta le rétroviseur et quitta le trottoir.
    — Oh, mais vous êtes Musheng Yao !
    — Oui, oui, c'est moi. Dit le chanteur agacé. Vous pouvez me conduire au 5 rue de la Pagode de Liangzhou ?
    — Euh, oui, oui, tout de suite. Vous savez, ma fille est fan de vous ! Elle va être tellement contente quand je lui dirai que j'ai conduit pour vous.
    — C'est bien.
    — Elle a même été à votre concert en octobre dernier. Elle a adoré. Elle connaît presque toutes vos chansons par cœur.
    — Trop cool.
    Musheng n'écoutait pas vraiment le conducteur. Ce dernier ne voyait visiblement pas que la vedette ne s'intéressait pas à sa vie et préférait répondre à ses messages sur son téléphone.

Jinhai Lu a écrit :Eh, salut Mush' ! Comment tu vas aujourd'hui ? Ça te dit d'aller boire un verre tous les deux au Feng Zhi Sheng ?Musheng Yao a écrit :Carrément ! Quand ça ?Jinhai Lu a écrit :T'es dispo là tout de suite ?
    — Elle a même un poster de vous dans sa ch...
    — Vous pouvez me conduire au Feng Zhi Sheng plutôt ?
    — Euh... oui, bien sûr !
    Le taximan força le passage pour se rabattre sur la fil de gauche dans l'optique de faire demi-tour au prochain carrefour.

    — Attendez, monsieur Yao !
    Le conducteur venait d'ouvrir sa fenêtre pour alpaguer le chanteur.
    — Je peux prendre une photo avec vous ! Ma fille ne me croira jamais sinon.
    Musheng roula des yeux en soupirant et se posa à l'extérieur de la voiture, près de la fenêtre, pour être sur le selfie que voulait faire le chauffeur. Il fit une pause, grand sourire et pouce en l'air. Puis quand la photo fut prise, il effaça son sourire et partit sous les remerciements de l'homme.
    — Merci infiniment, Mush... monsieur Yao ! Elle va être trop contente, vous êtes trop sympa ! Zài jiàn ! Zài jiàn !
    Musheng entra dans le café, le Feng Zhi Sheng. Il y venait suffisamment souvent pour que le propriétaire lui réserve une table à l'écart, pour ne pas être dérangé. Là, il y trouva son ami, Jinhai Lu.

    Jinhai avait à peu près le même âge que lui. Les deux amis entretenaient une relation particulière de confidents. Jinhai était un compositeur, et il avait plusieurs fois composé pour Musheng. C'était d'ailleurs de cette façon qu'il s'était rencontré, il y a maintenant six ans. Et depuis toutes ces années, les deux amis se rencontraient souvent dans ce café, là où ils pouvaient discuter dans la plus grande des discrétion. Jinhai et Musheng étaient bien plus que de simples amis, ils étaient, l'un pour l'autre, les piliers principaux sur lesquels se reposaient quand quelque chose n'allait pas. En somme, des partenaires de vie.
    — Tu devrais te prendre un chauffeur personnel. Ça t'éviterait de devoir poser pour des selfies toute la journée. Remarqua Jinhai.
    — C'est insupportable.
    Les deux amis s'installèrent et commandèrent.
    — Tu as l'air fatigué. Lui dit Jihnai.
    — Oui. J'ai l'impression d'avoir soixante-dix ans. Je viens de refuser la prochaine saison de l'Étoile du Baïshan.
    — Ah ouais ?
    — J'ai besoin de faire une pause. Quand j'aurai fini notre single, je couperai toute activité médiatique.
    — Tu fais bien. Tu m'inquiètes parfois, à en faire autant. Prends plus de temps avec ta fille, si tu veux, on l'emmènera à deux au parc de Taifeng ! Et comment le prend ta femme, Ling ?
    Musheng soupira.
    — Pourquoi tu me parles de Ling ?... Elle va encore râler et s'inquiéter de la situation, comme si on n'avait pas l'argent pour vivre le reste de nos vies.
    La serveuse du café vint apporter la commande.
    — Allez, buvons à notre single !
    Les deux amis trinquèrent. Ils reposèrent leur verre en se fixant l'un l'autre, avec un sourire étrange et se regard que Musheng n'avait plus vue dans son couple depuis bien des années. Oui, Musheng et Jinhai étaient bien plus que de simples amis.
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    15 février 2016
    Dans les studios BSTV de Haijing


    Musheng se frotta les mains sur son pantalon. Elles étaient moites. L'artiste stressait, rarement il n'avait ressenti une telle anxiété avant une interview. Et pourtant, la vedette du Baishan en avait vécu beaucoup. Mais aujourd'hui, l'entrevue portait sur son nouveau single, une chanson qui pour lui était particulière.
    心知 (Xīn Zhī) signifiait « le cœur sait », c'est ainsi qu'il avait décidé de nommer ce morceau. Il s'agissait d'une ballade sentimentale mêlant les accords de guitare aux doux chants des flûtes et de guzheng. Chaque note était aussi merveilleuse que le clapotis des gouttes de pluie sur le Tianjing. Et pour cause : c'était Jinhai qui l'avait composée. Quant aux paroles, elles avaient la douceur de ces moments passés au café Feng Zhi Sheng et de ces caresses retenues.
    — Monsieur Yao !
    La journaliste vedette de l'actualité, Lin Meiyu, tendit sa main vers le chanteur. Les deux personnalités se connaissaient bien : ce n'était pas la première interview qu'ils faisaient ensemble, et la fille de Lin était une de ses fans.
    — Nous allons pouvoir commencer.
    Lin Meiyu conduisit Musheng en direction du plateau des interview. Les maquilleurs vinrent poudrer les visages des deux vedettes, et on leur signala qu'ils étaient à l'antenne.

    — Bonjour à tous, vous connaissez tous notre invité de ce soir, vous avez attendu avec grande impatience son nouveau titre. On peut, sans se tromper, dire qu'il est la vedette préférée de notre pays. Mesdames, messieurs, nous accueillons ce soir Musheng Yao, l'Étoile du Baishan. Bonsoir Musheng.
    — Bonsoir Lin.
    — Hier, 14 février, journée de l'amour dans le monde, vous avez sorti votre nouveau single. Une chanson douce et sentimentale que vous avez baptisée « le Cœur Sait ». Ma première question est simple : qu'est-ce que le cœur sait ?
    La tournure de cette question fit sourire le chanteur.
    — Pour ça, il faut écouter la chanson ! Plaisanta-t-il avant de répondre plus sérieusement. Le Coeur Sait est une chanson qui parle d'amour. Mais un amour universel, libre, qui n'a pas vraiment besoin de mot pour exister, et qu'on n'ose pas toujours déclarer.
    — On sent que c'est une chanson très personnelle. Tu l'as écrite pour quelqu'un en particulier ?
    La question gêna Musheng, qui répondit avec une certaine timidité.
    — Euh, oui... La personne se reconnaîtra, je pense.
    Lin comprit qu'il ne souhaitait pas s'exprimer davantage sur cette personne, alors elle continua.
    — Certains auditeurs y ont vu une forme d'amour un peu moins... traditionnelle, disons-le comme ça. Était-ce vraiment l'objectif ?
    — Je pense effectivement que l'amour n'a pas besoin d'être rangé dans des cases. L'amour est comme un oiseau libre, qui n'a ni norme et qui est de toutes les couleurs. L'amour entre deux âmes qui se soutiennent devrait pouvoir exister sans jugement et sans limite, peu importe leurs origines ou leurs genres.
    — C'est un message assez inattendu, t...
    — J'ai passé une bonne partie de ma carrière à chanter pour les autres, notamment depuis septembre avec mon titre Pour la Victoire qui a servi d'hymne pour la fête nationale, aujourd'hui, je ressentais le besoin de chanter quelque chose de plus personnelle.
    À la réaction de Lin Meiyu, Musheng comprit qu'il s'était un peu emporter. L'animatrice se frottait le cou, un peu gênée par les propos du chanteur.
    — C'est une chanson très engagée. Dit-elle. Est-ce un tournant pour ta carrière ?
    — Je... Peut-être. La sortie de cette chanson est l'occasion de faire une pause dans ma carrière.
    — Une pause qui ne pourrait être plus méritée. Des bruits circulent sur le fait que tu aurais renoncé à ta place de jury dans l'émission l'Étoile du Baishan. Tu nous le confirmes ?
    — C'est juste. Répondit simplement Musheng.
    — Merci pour cette interview, Musheng. Nous te souhaitons un grand succès. Ton album Tous Ensemble est encore disponible à l'achat et sur toutes les plateformes. Merci d'avoir été avec nous.
    — Merci à vous.

    L'antenne venait de se couper. Musheng avait déserté le plateau et Lin Meiyu venait de le rejoindre. Son regard traduisait une certaine compassion. Elle fit une petite révérence de remerciement au chanteur avant de lui confier :
    — Tu n'aurais pas dû autant t'emporter. Fais attention à toi.

    Le taxi roulait à toute allure sur le boulevard Sui Zijian. La grande artère à trois voix était bien trop large pour la quantité de véhicule qui y passaient, mais cela permettait d'éviter les embouteillages. Musheng, lui, se sentait tout aussi vide. Il savait qu'il n'aurait plus besoin de faire d'apparition publique pendant un moment, et il redoutait les réactions face à son interview. Avec les doigts tremblants, il sortit son téléphone et ouvrit l'application Haïou à l'icône de mouette. Le réseau social était celui qui permettait à chacun de s'exprimer aussi librement que le permettait le Parti. Autant qu'une mouette emprisonné dans du mazout, pensait-il souvent. Les réactions à sa prise de parole étaient déjà nombreuses, et son cœur se serra en lisant les plus vives d'entre elles.

« Extrêmement choqué par les propos de Yao. Ma fille adore ses chansons, mais elle n'écoutera plus celle-là. »
« L'homosexualité de Musheng Yao ? Moi, je n'y crois pas. Je pense qu'il trompe juste sa femme. »
« La propagande occidentale a franchi la Muraille du Dragon... »

    Le chanteur éteint son portable et tamponna de sa manche les perles salées qui commençaient à couler de ses yeux. Il ressentait une profonde injustice, et l'impression de n'avoir aucune issue dans sa vie. Et ce soir, il devrait sans doute confronter sa femme, Ling.

    Le silence était pesant. L'on ne pouvait qu'entendre les baguettes choquer les assiettes. Ling avait fait garder la petite Lün chez ses parents. C'était sans doute mieux ainsi. Musheng et elle ne s'adressaient aucun regard, les yeux étaient tous rivés vers le bas, sur la nourriture amère.
    — Tu m'en veux ? Demanda Musheng.
    Ling touilla son assiette avec ses baguettes, sans rien porter à sa bouche.
    — Non. Dit-elle dans un soupir. Comme tu le dis si bien dans ta chanson "la lumière ne choisit pas sa direction".
    Musheng eut du mal à retenir les larmes qui lui salaient les yeux. Malgré la dureté de l'épreuve par laquelle ils passaient, Ling écoutait toujours ses chansons avec la même minutie. L'artiste culpabilisait de lui faire vivre une situation qu'elle n'avait pas choisie. Un blanc s'installa dans la pièce. Personne ne mangea. Ils n'avaient pas vraiment faim. Puis, la voix pleine d'émotion de Ling brisa à nouveau le silence.
    — Pourquoi tu ne m'as rien dit plus tôt ?
    — Je... je ne sais pas. Se contenta-t-il de répondre.
    La réalité, c'est qu'il n'avait jamais su trouver les mots pour lui dire. Par la lâcheté, il avait choisi de le sous-entendre en chanson. C'était comme ça qu'il avait l'habitude de s'exprimer. Mais aujourd'hui, il avait révélé son message, et ses conséquences ne faisaient que commencer.
    — On est marié depuis plus de dix ans. Pourquoi tu ne m'as rien dit ?... J'aurais tout accepté de toi, j'aurais préféré te perdre plutôt que tu te forces à m'aimer, j'aurais voulu être là pour te soutenir malgré tout. Parce que malgré tout, moi, je t'aime, et je n'aurais jamais voulu te voir autant souffrir.
    Musheng essuya ses joues, et après un moment de silence, dit :
    — Je ne comprends pas. Comment fais-tu pour continuer de m'aimer après tout ça ?
    Ling répondit alors :
    — Je ne sais pas, mais mon cœur, lui, le sait.
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« Salut Jinhai, t'es dispo pour un verre ?
J'en peux plus de cette situation et de toute cette pression,
j'ai envie d'y mettre fin. Tu as vu ce qu'il s'est passé aujourd'hui,
ma carrière est foutue, ma vie est finie. Je ne peux plus avancer ;
je ne veux plus avancer.
Jinhai, dis-moi que tu es disponible, j'ai besoin de ton aide ; j'ai
besoin de toi.
Musheng
  »


    17 février 2016
    Plus tôt dans la journée,


    Ling était partie travailler. Même si l'ambiance familiale restait lourde, le couple tentait de garder la face et ne laissait pas transparaître publiquement la scission qu'ils vivaient, surtout auprès de leur fille Lün, qui peinait à comprendre l'affaire médiatique que subissait son père. Aujourd'hui, il était seul, et c'est ce dont il avait besoin. Il s'était plongé dans de la lecture, chose qu'il n'avait pas faite depuis des années. En ce jour, pas de musique, aucun regard sur les cris de mouettes de Haïou. Juste lui, et un cocon réparateur.
    Mais une sonnerie de téléphone vint crier dans ses oreilles, l'interrompant dans son ouvrage. Il jeta un œil au numéro qui s'affichait. Appel masqué. Il reposa le téléphone et reprit sa lecture. Mais la sonnerie retentit de nouveau, et comme il se dit que c'était finalement peut-être important, il décrocha.
    — Allô ?
    — Bonjour, monsieur Yao. Je suis Wei La, chargée de l'harmonisation culturelle auprès du Secrétariat de l'Art et de la Culture. Je vous appelle concernant votre dernier titre, Xin Zhi, et les dernières déclarations que vous avez faites à ce sujet.
    Ça, il fallait s'en douter. Musheng hésita à raccrocher au nez de la secrétaire, mais il savait que cela ne ferait qu'envenimer les choses.
    — Je vous écoute. Se contenta-t-il de marmonner.
    — Au vu de votre carrière et de votre notoriété, le Secrétariat souhaite vous rappeler que vos paroles sont sujettes à une grande audience. Mesurer les propos et respecter les valeurs de tradition du Baishan sont les bases d'une société ordonnée et correctement instruite. Ainsi, vous comprendrez que votre morceau ne peut être rendu disponible dans l'état actuel. Nous aimerions vous proposer de le réécrire.
    — Le réécrire ?
    Ce n'était pas dans les intentions de Musheng.
    — Monsieur Yao, nous comprenons que vos paroles lors de votre entretien télévisée étaient maladroites. L'enjeu de faire connaître votre nouveau single vous a sans doute submergé d'un stress que vous ne pouviez maîtriser. Le Secrétariat souhaite vous signifier qu'il vous adresse son soutien concernant cette erreur.
    — Madame, il ne s'agit pas d'une erreur. Assuma le chanteur.
    — Monsieur Yao, je pense m'être mal faite comprendre. Il s'agit d'une erreur. Le Secrétariat de l'Art et de la Culture, sous l'appui du Gouvernement, aimerait que vous fassiez une prise de parole publique pour vous excuser de la perturbation causée par vos propos maladroits. Sans quoi, le Gouvernement devra prendre certaines mesures correctives pour s'assurer de l'éducation de votre fille.
    — Pardon ? S'énerva l'artiste.
    — Sans rectification de votre part, le Secrétariat de l'Art et de la Culture notifiera le Secrétariat de la Jeunesse de l'éducation imparfaite que vous donnez à votre fille, et procédera à des mesures correctives. Mais nous sommes bien conscients que vos propos étaient mal exprimés et que vous saurez rectifier le tir vous-mêmes. Nous vous remercions pour votre compréhension et portons une grande attention à la suite de votre carrière musicale. Bonne soirée, Monsieur Yao.
    L'appel fut coupé. Le coeur de Musheng se serra, de nouveau vide. Il se plongea dans son lit, oubliant la lecture qu'il avait tantôt commencée.

    — Lün, Lün !
    Laya était la meilleure amie de Lün. Les deux filles venaient de quitter l'école. Comme beaucoup d'enfants de son âge, Laya avait eu un téléphone, donné par ses parents. Elle montra l'écran à son amie.
    — Regarde, ton père a commencé un live.
    Les deux amies regardèrent.
    « Bonjour tout le monde. Dit Musheng d'un ton neutre insensible. J'ai beaucoup lu vos réactions sur la dernière interview que j'ai donnée et sur le morceau sorti il y a trois jours. Il semblerait qu'il y ait eu un malentendu, et j'en prends toute la responsabilité. Cette chanson a été écrite pour ma femme Ling, je n'ai pas souhaité le notifier par pudeur, j'ai créé un quiproquo que je vous prie de bien vouloir excuser. L'amour libre et sans frontière est celui que je vis avec elle depuis plus de dix ans. Je n'ai jamais voulu choquer ni porter atteintes aux valeurs traditionnelles et véritables. Je vous prie de bien vouloir m'excuser. Excusez-moi, je vous en conjure. Je suis horriblement désolé pour toutes les perturbations que j'ai créées. Je vous souhaite une soirée paisible. »
    — C'était bizarre ! Réagit Laya.
    Lün, quant à elle, ne releva pas le regard. Elle était consciente que son père traversait une période agitée, sans réellement en connaître les dessous. Elle avait de la peine pour lui, et entendre les critiques des autres autour d'elle l'impactait.
    — Il avait les yeux un peu rouges. Tu crois qu'il a pleuré ?
    — Je sais pas. Répondit-elle sèchement.
    Un groupe de garçons passa à côté d'elles au même moment. L'un deux s'écria vers Lün.
    — Et, c'est toi la fille de Musheng ! Ton père c'est un gros nul, mon père dit qu'il couche avec des hommes !
    C'en était trop pour la petite baishanaise. Elle fit tomber son cartable de ses épaules, s'avança d'un air menaçant et poussa violemment le garçon. Il tomba. Ses amis commencèrent à crier en direction de Lün. Laya l'attrapa pour la retenir.
    — Lün, calme-toi. Laisse-les.
    Lün repoussa son amie et s'écarta.
    — Laisse-moi tranquille, toi aussi !
    Puis elle partit en courant, sans même récupérer son sac.

    Musheng porta le verre à sa bouche. Le cocktail au litchi lui apportait une douceur sucrée réconfortante. Une touche de miel au milieu d'un océan d'épices. Jinhai, lui, écoutait avec compassion les déboires de son ami. Il vivait dans l'ombre quand Musheng était dans la lumière, et il n'aurait jamais voulu connaître ce que Musheng pouvait endurer actuellement. L'Étoile du Baishan n'était pas une position favorable : quand elle illuminait, tout le monde l'admirait ; quand sa lumière se ternissait, le monde l'accusait. Seul Jinhai, fidèle satellite, continuait de lui renvoyer sa lumière, agissant comme le seul phare dans cette pénombre insaisissable.
    — Et comment va ta fille ? Demanda-t-il.
    — Oh, Lün va bien. Je ne pense pas que tout ça l'impacte beaucoup. Elle va à l'école, elle a ses amies. Elle a de la chance de vivre en dehors de toute cette histoire, j'envierais presque son innocence.
    — Tant mieux. Se réjouit Jinhai. Tu voulais me parler de quelque chose ?
    — Oui. Je veux mettre un terme à tout ça. Et j'ai besoin de ton aide.

    Il était déjà tard quand Musheng rentra du bar. Ling et Lün étaient parties se coucher. Comme le chanteur n'avait pas mangé grand chose, il ouvrit quelques tiroirs pour trouver un morceau de gâteau qui pourrait lui remplir un peu l'estomac. Puis fatigué, il prit le chemin de sa chambre. Il s'arrêta un instant devant la porte de Lün. Elle était close, mais il entendait sa fille. Elle pleurait.
    Musheng sentit un frisson d'émotion lui parcourir le corps. Lui, qui n'avait pas pensé sa fille aussi sensible. Il entrouvrit la porte.
    — Lün ?
    Entre deux sanglots, la fille appela :
    — Papa...
    Son cœur se brisa et il eut du mal à retenir l'émotion qui lui montait au visage. Il s'avança et s'assit sur le rebord du lit d'enfant, et aussitôt, la petite Lün plangea dans ses bras. Les deux âmes restèrent ainsi un moment, mêlant leur tristesse dans un moment de tendresse. Et entre les sanglots de sa fille, dans la tête de Musheng résonnaient les mots qu'il avait eu plus tôt avec Jinhai :

    « Et j'ai besoin de ton aide.
    — Bien sûr, tu peux compter sur moi. Tu pourras toujours compter sur moi. »
3809
    30 mars 2016

    Le café avait ouvert en novembre dernier. Cela faisait un mois que Jinhai et Musheng l'avaient découvert. Et depuis, il avait remplacé le Feng Zhi Sheng. La Maison du Jashuria était bien plus calme, et là aussi, ils avaient leur petit coin à l'écart des autres clients, leur permettant de parler sans être dérangés. Les boissons proposées leur amenaient des nouvelles saveurs, les emportaient dans un voyage gustatif, les enveloppaient dans une bulle d'ailleurs, douce trêve exotique dans ce pays dans lequel ils ne se reconnaissaient plus. Jinhai avait pris un soda dont il ne savait pas vraiment lire la marque, quant à Musheng, il avait pris un thé devenu sa nouvelle boisson habituelle. La petite table à laquelle ils s'étaient assis leur donnait un rapprochement presque intime. En fond, une chanson jashurienne douce donner un charme au lieu. Une légère teinte romantique, dirait-on même. Présence, c'était le titre de cette chanson.
    — Je devrais apprendre cette langue. Dit Musheng. Je pourrais en faire une reprise.
    — Et pourquoi ne pas faire une version en mandarin ? Lui suggéra Jinhai.
    Musheng détourna légèrement les yeux, comme un rejet de cette langue devenue synonyme du Baïshan.
    — Si c'est toi qui recompose l'instru, pourquoi pas. Dit-il finalement.
    Les deux amis sirotèrent un instant leur boisson, jusqu'à la fin de la chanson. Puis Jinhai sortit un document de sa poche.
    — J'ai tout ce qu'il te faut.
    Musheng attrapa ce que lui tendait Jinhai. Il ressentait une légère culpabilité. Celle d'en demander autant à son ami, ou peut-être celle de cacher de nouveaux secrets. Lui-même ne savait pas vraiment. Il enfouit le document dans son sac. Jinhai lui attrapa l'autre main et lui intima, comme un cri de victoire :
    — Musheng, c'est bientôt terminé.


    — Il y avait une lettre pour toi. Je l'ai laissé sur la table à manger. Lui indiqua Ling.
    Musheng se dirigea vers la table et aperçut une enveloppe. Il s'en saisit et l'ouvrit, tandis que sa femme quittait la pièce en direction de la chambre. Depuis plusieurs semaines, ils ne dormaient plus ensemble. Musheng se contentait du canapé dans le salon, une situation qui lui convenait parfaitement. Ling, elle, il le savait, le vivait mal. Musheng était bien conscient que cela ne pouvait pas devenir permanente. Ne serait-ce que pour Lün. S'il pensait au début qu'elle ne percevait pas les tensions de cette situation, l'enfant était devenue beaucoup plus perturbée ces derniers temps. Elle pleurait, cauchemardait et s'isolait. Cela ne pouvait pas durer, il le savait.
Musheng extirpa le papier contenu dans l'enveloppe. Une lettre de son producteur.

« Musheng,

J'espère que tu te portes bien.
Cela fait plus d'un mois que nous sommes sans nouvelles de ta part. J'ai eu un rendez-vous plutôt tendu avec la production de l'Étoile du Baïshan qui ne souhaite pas te remplacer. Nos sponsors sont tout aussi inquiets de cette situation, et plusieurs d'entre eux ont déjà mis fin à nos contrats.
Cette situation plus que compliquée ne peut pas durer. C'est pour cette raison que j'ai décidé de mettre fin à notre collaboration. Notre production ne peut garder un effectif qui ne donne aucun signe de vie, et nous préférons miser sur de nouveaux talents, plus sérieux et engagés dans notre vie citoyenne. Cette décision prend effet immédiatement sous couvert de la loi n°472b du 12 novembre 2006 sur l'abandon de post des travailleurs qui stipule qu'un travailleur abandonnant son post sans nouvelle peut être démis de ces fonctions au bout d'un mois.
Cette décision ne m'enchante guère, mais elle est impérative pour la survie de notre production et dans notre devoir d'exemplarité.
Prends soin de toi,

Lu Tafei
 »

    Musheng déchira la lettre en petits morceaux, rempli de rage. Il venait d'être une nouvelle fois abandonné par le système à qui il avait tant donné. Et avec ça, les droits sur toutes les œuvres de sa carrière. L'artiste baishanais se servit un verre d'alcool qu'il sirota en essayant de se calmer. Puis, il s'allongea sur la canapé qui lui servait de lit. C'en était trop.
    L'Étoile du Baïshan attrapa sa boîte de médicaments : des antidépresseurs qu'il prenait depuis qu'il avait cessé toute activité publique. Ça le détendait, il en avait besoin. Il en prit un, puis il fixa un moment la boîte. Il se rappela alors ce que lui avait dit Jinhai. Une larme coula sur ses joues.
    Il avait raison : c'était bientôt terminé.
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