15/04/2016
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Sourate 49, verset 10. [Banairah - Azur]

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Réception de la délégation de la République de Banairah à la Porte Splendide, siège du Diwan, Agatharchidès


Bab al-Mashriq - la Porte Splendide

24 novembre 2015. Ou plutôt le 11 Safar 1437, conformément au calendrier hégirien. Le soleil baignait les marches du monument de Bâb al-Mashriq, la "Porte Splendide", reflétant le marbre et le grès rouge. Les bruits du centre-ville faisaient un fond sonore ténu ; le passage du vent, agitant quelques palmes dans le jardin intérieur du Fort Rouge, répandait le silence et le calme.

Le siège du Diwan, abrité dans cette aile orientale connexe à la porte monumentale du XVIIème siècle, se trouvait dans le prolongement du complexe politico-historique. Le Fort, qui hébergeait aussi le Palais du Sérail, régulièrement restauré et paré de nouvelles créations architecturales par les sultans successifs, était le siège du pouvoir. Des siècles avaient passé, émaillés de guerres, de révolutions, de désordres, sans que la force minérale du palais soit ébranlée. C'était toujours là, dans ce palais dit de la Porte Splendide, que siégeait le Diwan, présidé par le Grand Vizir.

On y recevait, en ce mois de Safar 1437, l'auguste délégation de la puissance voisine, la Jumhuriyya de Banairah. La République bédouine, qui était devenu un leader continental sur le commerce, la puissance militaire ou la scène diplomatique, était un partenaire incontournable pour le Califat constitutionnel d'Azur. Surtout, c'était le pays musulman le plus puissant du monde, un pilier de toute politique durable aux yeux de Jamal al-Dîn al-Afaghani, le ministre des Affaires étrangères.

Chaussant son turban blanc habituel, vêtu de sa robe de savant de l'islam, Afaghani avait fait organiser une réception digne du rang de ses invités. Des échanges de cadeaux avaient précédé la venue des représentants du Khasser ; on avait profité ensemble des meilleures feuilles de thé noir du Banairah, et d'arbres ornementaux en pots. Les Arabes, qu'ils soient au nord ou au sud de la frontière, avaient le goût des jardins et de la culture des plantes. C'était l'occasion, d'ailleurs, de faire visiter aux Banairais le remarquable Institut de Botanique de l'Azur, où se perpétuait une tradition de recherche horticole et agronomique, et la mise au point de nouvelles technologies d'hydraulique depuis l'ère médiévale. Comme Banairah, l'Azur était caractérisé par un climat subtropical aride, poussant les populations locales à tirer le meilleur parti de leur terroir ; c'est ce qui avait créé, au fur et à mesure des millénaires, une civilisation et des cultures luxuriantes, raffinées, uniques au monde. Les nomades, caravaniers et commerçants passaient à l'époque d'un désert à l'autre, enjambant les montagnes, cheminant le long des oasis et des vallées temporaires. L'islam et la langue arabe s'étaient diffusés ainsi dans les deux pays ; et si bien d'autres peuples, comme les cavaliers turco-mongols ou les cultivateurs perso-iraniens, avaient aussi élu domicile dans cette partie du monde, cela n'avait eu d'autre effet que d'enrichir la diversité culturelle d'un monde uni par des croyances et une histoire profondément enracinés.

La proximité entre Banairah et l'Azur appelait donc à un rapprochement. C'était d'autant plus vital aux yeux de Jamal al-Dîn al-Afaghani que plutôt que de regarder le passé de façon nostalgique, c'était bien pour préparer l'avenir que des partenariats devenaient nécessaires. Les questions commerciales appelaient à un nouvel accord global, harmonisant les flux de gaz, de pétrole, de produits alimentaires et industriels entre les deux pays. Sur le volet diplomatique, l'Azur voulait trouver l'amitié du Khasser et de la République Banairaise, et en particulier jeter les bases sinon d'un nouvel ordre afaréen, du moins d'une refonte et d'une réorientation du Forum de Coopération d'Afarée du Nord. L'Azur voulait réaffirmer la souveraineté des états afaréens face aux mentalités coloniales, encore ancrées dans une série de possessions ultramarines impériales qui émaillaient le pourtout du continent. Enfin, Afaghani voulait protéger les acquis de l'Azur en signant avec Banairah des accords de coopération sur les volets maritimes, scientifiques et technologiques, en proposant par exemple à la grande nation arabe de rejoindre le Traité du Pavillon septentrional, qui visait à créer une coopération Sud-Sud sur les sujets de pointe.

Tous ces points allongeaient un programme de discussions déjà chargé. C'est donc en toute sérénité qu'Afaghani accueillit ses invités dans un bureau richement décoré, au sommet de la Porte, d'où l'on voyait l'ombre de la ville, le reflet du lac, et la silhouette des montagnes. On servit du thé dans de la vaisselle en argent, accompagné de dattes, d'agrumes, et de préparations eurysiennes. Afaghani proposa à ses hôtes de s'asseoir dans les fauteuils, et il prit la parole sur le sujet le plus important à ses yeux.


Excellences,

Je vous remercie de votre présence. C'est pour moi un plaisir de vous accueillir ici, à Agatharchidès, dans notre capitale califale. Je vous en prie, n'hésitez pas à vous servir de ce qu'il vous plaira. Si Dieu le veut, nous pourrons avoir ici l'échange tant attendu que nous appelons de nos voeux. Excellences, j'aimerais commencer notre échange sur un premier point, qui est pour Son Altesse Sémillante le Khalife l'élément le plus essentiel dans notre relation bilatérale. Je veux parler de l'accès aux lieux saints de l'islam, qui se trouvent à Makka et à Taba, et où se trouve la pierre de la Kaaba et la ville de naissance du Prophète. Depuis des siècles, la question de l'accès des musulmans au lieu du pèlerinage se pose. Bien sûr, la république de Banairah a fait preuve d'une conduite exemplaire ces dernières années, mais il serait bon et judicieux, d'après nous, d'officialiser le libre accès des musulmans aux lieux saints et de réfléchir aux infrastructures de transport adéquates, dans l'intérêt de la communauté musulmane toute entière. Un accord international sur cette question nous semble pertinent, notamment pour stipuler la liberté d'accès, les règlements de sécurité, et faciliter l'accès au Hajj par les croyants les plus modestes. Enfin, ce serait l'occasion d'établir entre les autorités religieuses de nos deux pays un dialogue, visant à échanger sur des points de fîqh. Cet accord religieux serait une avancée importante pour proclamer notre solidarité mutuelle. Car le Coran n'indique-t-il point : « Les croyants ne sont que des frères. Etablissez la concorde entre vos frères, et craignez Allah, afin qu’on vous fasse miséricorde » (Sourate 49, verset 10) ?

Si vous l'agréez, ce sujet pourrait faire l'objet d'une première discussion pour un texte commun. Nous avons ensuite d'autres propositions, plus prosaïques, sur les coopérations économiques, commerciales et maritimes que nous pourrions mettre en oeuvre.
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Cette rencontre était particulièrement attendue par l'exécutif banairais pour son importance : le Califat constitutionnel, en tant que voisin et nation sœur, constituerait un allié fiable et utile. L'Azur, de par sa position géographique, renforcerait l'influence du Banairah dans la région et ouvrirait des possibilités de raccourcissement du temps de trajet des marchandises à destination du sud de l'Afarée en traversant le pays par voie ferroviaire ou routière. Un rapprochement avec le Califat pourrait également augmenter les revenus du pays grâce au commerce frontalier et ajouter un membre de confiance au FCAN qui avait besoin d'un nouvel élan politique. Quant aux éventuels conflits d'intérêt, ceux-ci pourraient concerner l'accès aux ressources maritimes - stocks de pêche, ressources du plancher océanique - par exemple, mais pourraient être traités pacifiquement par une gestion concertée des zones partagées.
Siriam Amza, la ministre des Affaires Extérieures, avait donc un agenda chargé : il s'agissait de rattraper le temps perdu des dernières décennies en posant les bases d'une coopération religieuse et économique. La formalisation de l'accès aux Lieux Saints aux croyants azuréens semblait être de prime importance pour le Califat, et permettrait d'instaurer une relation donnant-donnant attirant les bonnes faveurs de l'exécutif azuréen. Un tel travail pourrait d’ailleurs être repris en faveur des autres pays musulmans de la région et accroîtrait le soft power de la République qui aurait un argument de poids dans les négociations d’éventuels désaccords avec les bénéficiaires des dispositions. Au-delà de son poids diplomatique conséquent, ce programme aurait pour conséquence une augmentation significative des flux « touristiques » et pourrait donc rapporter gros à l’économie tertiaire nationale. Restait tout de même à prévoir des mesures de sécurité à même de garantir sa pérennité sur le long terme : l’Azur étant 3 fois plus peuplé que le Banairah, on estimait le nombre de visites à plusieurs millions, étant donné du pourcentage de musulmans pratiquants et de la facilitation de l’accès aux lieux saints. Un tel afflux nécessiterait des infrastructures aux tailles appropriées et créerait un appel d’air dans le secteur hôtelier, et donc des pressions sur les ressources locales : eau, électricité, ou même surface constructible. Bien-sûr, la visite d’Azuréens n’était pas une nouveauté et les localités concernées par leur venue s’étaient organisées en ce sens depuis bien longtemps, mais le Khasser craignait un emballement en cas de mauvaise gestion. La signature d’un accord avec l’Azur serait donc suivi de plans d’urbanisme et de gestion des transports prévisionnels laissés à la charge des communes de Makka et Taba, mais aussi des localités proches pouvant servir de point de relai.

Après un échange de politesses avec leurs confrères azuréens, la délégation banairaise menée par la Ministre des Affaires Extérieures approuva l’ordre du jour proposé :


« La Jumhuriyya comprend et partage le souhait de Son Altesse. En tant que nation voisine de culture et de foi communes, le Banairah est ouvert au dialogue à ce sujet. Cela fait bien des années que la République Directe facilite l’entrée des pèlerins azuréens, et instaurer des règles de sécurité fiables liant les administrations de part et d’autre de la frontière est indispensable pour l’augmentation du nombre de visiteurs. Comme vous le suggérez, des lignes de transports transfrontaliers seront également à prévoir, et pourraient par ailleurs être pensées en lien avec d’autres utilisations touristiques ou commerciales afin d’optimiser les coûts. Avez-vous des premières propositions pour cette normalisation ? »
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Bab al-Mashrîq, la "Porte Splendide" du complexe palatial azuréen, se découpait derrière les fenêtres, imposante, entourée de jardins et, derrière la muraille, des immeubles de la ville. Jamal al-Dîn al-Afaghani et son homologue banairaise, Siriam Amza, conversaient tranquillement. Abordant le sujet de l'accès aux lieux saints de Makka et Taba, le Ministre azuréen tendit une pochette rigide reliée dans laquelle se trouvait un texte écrit en écriture arabe.
Excellence,

Je vous remercie que vous compreniez notre besoin d'aborder ce point, qui n'est certes que le premier point de l'ordre du jour que nous aimerions aborder avec vous. Pour faciliter la progression de nos discussions, nous avons ici avancé une première proposition pour un accord entre nous visant à apporter des précisions sur les modalités d'accès aux lieux saints de l'Islam par les pèlerins, qu'ils viennent d'Azur ou d'ailleurs. En résumé, nous proposons que ce texte garantisse la liberté d'accès la plus étendue, sans restriction à l'égard d'aucun groupe de musulmans, ni interdiction possible en-dehors des préoccupations normales de sécurité et d'hygiène. Nous proposons de normaliser la question de la gouvernance des Lieux Saints, en confirmant le système de la Sharafat et y adjoignant les dispositions modernes qui permettront à la fois aux autorités banairaises d'administrer la question et aux pays musulmans d'appuyer les autorités en apportant conseils et financements aux travaux d'entretien nécessaires. Excellence, cette proposition est une idée que l'Azur formule pour que le pèlerinage soit réalisable par tous les musulmans, conformément aux impératifs religieux, dans les meilleures conditions. A notre sens, cette proposition renforce les intérêts du Banairah en organisant l'appui qu'il pourra solliciter auprès des pays frères, comme l'Azur, et je l'espère les autres pays musulmans prêts à signer cette disposition. Pour en résumer la teneur, il s'agit de confier la gestion des bâtiments et des sites religieux d'importance première (Kaaba, Masjid an-Nabawi) et secondaire (Masjid Quba, Grotte de Hira, Masjid al-Qiblatain) situés à Makka et Taba à un Sharîf, chef de l'institution de la Sharafat, qui serait chargé d'assurer la mission de protection des Lieux Saints contre tout désordre ; ce Sharîf serait une personne dont l'ascendance muhammadienne a été reconnue, proposée par la République de Banairah, et élue à cette fonction par un Conseil des Lieux Saints composé d'un délégué par pays dont la religion d'Etat est l'islam (Banairah, Azur, Churayn, Aykhanides, Althaj à ce stade). Ce fonctionnement permettrait d'assurer que tous travaillent en bonne intelligence avec le Gardien des Lieux Saints, qui devra se conformer aux principes de libre accès et exercer, au nom de tous les Etats musulmans, la mission hautement honorifique qui est la sienne. Celui-ci n'aurait d'autorité que sur le périmètre des sites religieux et devrait bien sûr travailler de façon étroitement liée avec les autorités séculières du Banairah. Dans ce système, c'est à la Sharafat de mettre en oeuvre les travaux d'entretien et, comme vous l'avez mentionné, les travaux de raccordement aux lignes de transports. En ce sens, le budget de la Sharafat serait abondé par tous les Etats musulmans, ce qui permettrait une réduction des coûts pour le Banairah, et une répartition plus équitable de l'effort financier. Je pense, Excellence, qu'un tel système faciliterait le travail de chacun, et répondrait aux besoins des croyants de voir le pèlerinage stabilisé, sécurisé, et durablement pérennisé. Dans cette optique, ce texte devrait être signé par tous les Etats musulmans qui manifestent le souhait de s'associer à cette noble entreprise de facilitation du pèlerinage.

Proposition de Traité sur l'administration des Lieux Saints de l'Islam1. Les Lieux Saints de l'Islam sont la propriété inaliénable de la communauté des croyants dans son ensemble ; "Allah a institué la kaaba, la Maison sacrée, comme un lieu de rassemblement pour les gens" (Sourate V, verset 97).

2. La gestion des Lieux Saints est confiée à un Sharîf qui exerce sa mission au nom de la Oumma (communauté des croyants). Celui-ci doit garantir la sécurité des pèlerins et l'accessibilité des Lieux Saints.

3. Le Shârif est désigné parmi les Descendants du Prophète. Il est proposé par l'Etat de Banairah au Conseil des Lieux Saints qui en ratifie le mandat. Son autorité ne saurait être que strictement limitée à ses prérogatives de gestion administrative.

4. Le Conseil des Lieux Saints rassemble les délégués des Etats qui reconnaissent l'islam comme religion nationale. Chaque Etat membre du Conseil doit contribuer matériellement aux dépenses requises par le Sharîf pour l'entretien et la rénovation des sites sacrés et des bâtiments afférents.

5. En cas de difficulté, pour des raisons sécuritaires ou pour des raisons d'hygiène, à garantir l'accès aux pèlerins vers les Lieux Saints, le Conseil des Lieux Saints doit faciliter l'adoption de mesures temporaires par le Sharîf et la République de Banairah, de sorte que la liberté du pèlerinage doit restaurée dans les meilleures conditions.

Sur la base de ce protocole, auquel il faudrait associer d'autres Etats musulmans comme l'Empire de Churaynn, le Beylicat Aykhanide ou encore le Tamurt N'Althajj, nous pourrions mettre en oeuvre des investissements pour la connexion des réseaux autoroutiers et ferroviaires banairais et azuréens, ainsi que pour la création de nouveaux complexes d'hébergement à destination des pèlerins. Cela rendrait le Hajj d'autant plus facile aux musulmans que cela pourrait faciliter les échanges entre nos deux pays dans d'autres domaines ; nous avons en ce sens des propositions supplémentaires à faire, en matière de libre-échange des marchandises, et de libre circulation des personnes.

Enfin, j'anticipe légèrement sur la suite de nos discussions pour vous informer de notre souhait d'aborder également avec vous la possibilité d'établir un accord de coopération maritime et un accord de sécurité, et de dialoguer sur les questions stratégiques, notamment sur un point d'actualité saillant qui nous préoccupe, à savoir les activités militaires de la République de Poëtoscovie à la Cité du Désert.
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