
Pierre Lore, Ministre des Affaires Étrangères.
Alors que le Royaume de Teyla avait une politique de transparence totalement publique et vis-à-vis des oppositions, le ministère des Affaires Étrangères s'était contenté d'un communiqué public court et bref annonçant la rencontre. Le communiqué évoquait une rencontre dans "un esprit de dialogue conjoint afin de préserver la paix." Une formule qui ne devait pas contrarier les Loduariens, de plus cette formule permettait de donner une "bonne" image au dirigeant loduarien. En outre, la présence du Secrétaire général arrivait dans un contexte très tendu entre les deux nations, après plusieurs années d'hostilités mutuelles, ayant atteint leur paroxysme avec le blocus de la Manche-Blanche à la flotte loduarienne, par l'Organisation des Nations Démocratiques. Bien que ce fût dans le cadre de l'Organisation des Nations Démocratiques, le Royaume de Teyla avait participé à ce blocus.
La liste de griefs était longue pour les deux nations. Toutefois, dans une optique de conciliation et dans l'espoir de ne pas voir apparaître la guerre en Eurysie de l'Ouest, une situation qui permettait le développement économique de cette zone géographique et en faisait la première zone économique du continent, le Royaume de Teyla avait fait, encore une fois, un geste envers la Loduarie Communiste, tout en haussant le ton contre cette dernière dans les missives, avoua intérieurement Pierre Lore. À son arrivée au ministère des Affaires étrangères, il y a deux ans, il avait trouvé le ton des missives teylaises adressées à la Loduarie, écrite par son prédécesseur, trop laxiste envers le manque de respect qu'avait entrepris la Loduarie Communiste. Il avait à cœur que cette situation ne pouvait durer, quitte à remettre en cause la légitimité du Secrétaire général.
Au regard du changement de ton sur la dernière missive, il espérait sincèrement que le message fût compris. Il ne s'attendait pas à un changement dans la méthode diplomatique utilisée par les Loduariens, mais il s'attendait à un respect mutuel entre les deux interlocuteurs. Pierre Lore attendait à une dizaine de kilomètres de la ville de Villedor, loin de l'agitation urbaine typiquement teylaise et des regards indiscrets ou encore des manifestants voulant perturber la rencontre. C'était une vieille bâtisse en bois, témoin silencieuse des décennies précédentes, qui allait accueillir la rencontre. Le vent froid de l'hiver balayait les alentours, rendant l'attente immobile devant la bâtisse de la délégation étrangère très désagréable pour Pierre Lore. Il était réfugié dans d'immenses couches pour combattre ce froid glacial et cette neige qui commençait à tomber, laissant apparaître un fin manteau de neige au sol. Pierre n'offrit aucune main à Lorenzo, mais uniquement des mots.
- Votre Excellence, bienvenue au Royaume de Teyla. Peut-être que les archives font défaut, mais je n'ai trouvé aucune archive de votre venue sur le sol teylais, est-ce le cas ? Interrogea-t-il pour faire la conversation.
Après quelques banalités, les deux hommes entrèrent dans la bâtisse qui était bien gardée, avec un service d'ordre loin d'être discret. Une fois à l’intérieur, Pierre Lore retira ses gants et les posa sur une petite table de bois près de l’entrée. En enlevant son écharpe, il reprit :
- Cette vieille baraque a plus d’histoire qu’elle ne semble le laisser croire, vous savez. Pendant de longues années, elle a servi de relais aux marchands voyageant entre Villedor et le nord du Royaume de Teyla. Une auberge de jeunesse, mais pour les marchands et les négociants. C'est ici, de manière assez ironique, que les fortunes passèrent du nord au sud ou inversement et même du nord à la Loduarie, de la Loduarie au Royaume. Maintenant, c'est plutôt un lieu où les diplomates discutent de l'avenir de leur propre nation et des liens qui lient ou défont les nations. Nous sommes, seulement, la continuité des comportements sociaux que nous observons après tout, dit-il avec un sourire.
Pierre Lore s'enfonça plus profondément dans la bâtisse, avançant d’un pas mesuré dans le couloir étroit menant à la pièce où allait se tenir la rencontre. À chaque pas, le parquet ancien grinçait sous son poids, ajoutant une touche presque théâtrale à son arrivée. Lorsqu'il poussa la lourde porte en bois, les deux hommes pouvaient apercevoir une pièce sobre. Seule la cheminée donnait un éclat de lumière à la pièce et offrait la chaleur aux étrangers passant par là. Ici, aucun garde ni dispositif de surveillance évident, aucune oreille indiscrète cachée dans l’ombre. Seuls deux hommes, venus discuter de l’avenir commun de leurs nations et, peut-être, de celui de toute l’Eurysie de l’Ouest. Sur un meuble, collé à l'une des fenêtres, on retrouvait des cendriers témoins de longues négociations, discussions.
À côté, un présentoir en argent accueillait des boissons chaudes, à savoir du café brûlant fumant, du thé tout aussi chaud. Il y avait aussi des alcools pour les esprits les plus courageux face à une rencontre qui s'annonçait tendue au premier abord. La lumière venant de la cheminée faisait danser les ombres sur les murs, donnant un air de théâtre ou d'école à la pièce, alors que l'air était de plus en plus chargé en tension.
Adossé à un mur, par-dessus un meuble ancien, Lorenzo pouvait apercevoir l'épée qu'il avait forgée de ses mains et offerte à Angel Rojas, lorsque ce dernier était venu en terre loduarienne. Un subtil message de la part d'Angel, permettant à Lorenzo de comprendre qu'Angel n'avait pas oublié les mots qui s'étaient dits ce jour-là. Un symbole encore plus important, quand on connaît l'honneur qu'accordent les Teylais à la parole, l'art oratoire, aux contrats et aux traités. Bien que cela était évident, elle informait discrètement Lorenzo qu'en Angel allait être mis au courant des mots et des promesses ou rancœurs dévoilés à l'aube d'une parole trop haute, dans cette pièce, dans cette bâtisse.
Outre cet objet, la pièce n'était pas remplie au-delà du nécessaire. Il n'y avait pas de table par ailleurs. Démontrant le goût des Teylais de casser les traditions. Mais cela montrait avant tout que le cadre, selon les officiels teylais, était qu'une discussion informelle où l'on n'allait pas prendre les décisions essentielles avant le véritable sommet. La Loduarie Communiste risquait d'avoir un avis différent, mais Pierre Lore espérait bien convaincre ses voisins communistes que, pour le bon déroulement, les décisions allaient devoir se prendre à plusieurs. Les Teylais avaient fait le choix curieux de placer uniquement des fauteuils, il y avait bien des meubles permettant de déposer les documents sur lesquels chacune des parties avait ses arguments. Là aussi, Pierre Lore espérait que cette configuration allait permettre une certaine fluidité dans la conversation. Ne pas pouvoir lire ses fiches agréablement permettait d'assurer l'écoute des paroles de son interlocuteur, se disait-il intérieurement sans trop de conviction.
Pierre Lore assis dans l'un des fauteuils accolés à la cheminée prit la parole et déclara sur un ton neutre :
- Que cette rencontre soit fructueuse pour la paix. Permettez que nous entrions dans le vif du sujet, s'il vous convient. Vous savez, vous avez un entêtement à croire que nous ne sommes pas sincères. Je ne connais pas les raisons. Est-ce parce que nous faisons partie de l'Organisation des Nations Démocratiques ou bien que nous avons conduit des actions hostiles contre la Loduarie Communiste suite aux vôtres ? Mais nous avons toujours été honnêtes avec vous. Nous avons toujours cherché à vous parler de manière respectueuse, mais vous sembliez toujours fuir les négociations ou seulement les discussions informelles.
Nous savons que si un conflit se déclenche en Eurysie de l'Ouest, ce sera une catastrophe pour nos deux nations, si elles sont impliquées. Nos démarches de paix ont toujours été sincères, seulement qu'à l'époque vous ne voyiez pas sur le long terme l'erreur stratégique que vous étiez en train de faire. Je vous reconnais que vous êtes seul contre sept nations, enfin pas exactement avec l'Union Internationale du Communisme et du Socialisme. Mais de notre point de vue, il est de votre responsabilité seule, la situation actuelle. En outre, vous avez engagé des démarches hostiles envers le Royaume de Teyla sans même réfléchir aux conséquences. Actuellement, votre nation ne peut résister à un affrontement militaire contre le Royaume de Teyla ou l'Organisation des Nations Démocratiques. Cela tombe bien, ce n'est pas notre volonté.
Mais que l'on soit clair, le Royaume de Teyla n'acceptera aucune agression armée ou tout simplement hostile contre la République d'Antares, qui n'a émis aucune action hostile envers la Loduarie Communiste. Vos discours télévisés sont dangereux et renforcent les tensions alors que c'est bien le contraire que nous voulons. Bien que cela ne fut pas répété, vous vous êtes engagés dans des actions que vous n'auriez pas vous-même acceptées. Vous n'auriez pas accepté qu'une quelconque nation contrôle des navires marchands loduariens, comme vous n'auriez pas accepté que des navires militaires suivent des cargaisons loduariens. Je fais référence au cargo teylais. Il y a une hypocrisie de votre part, qui amène toujours à des actes hostiles, armés, qui doivent cesser.
Pour en revenir à la situation géopolitique, la Loduarie Communiste, vous vous êtes isolé vous-même. C'est un geste d'ouverture extrême que la proposition d'un sommet permettant de discuter de cela et de convenir de solutions permettant d'assurer la paix et un dialogue constant. Comme nous vous l'avons signifié dans la missive, il me semble, l'objectif étant la répétition du sommet lors d'une crise majeure en Eurysie de l'Ouest.