07/07/2016
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Récit - "Le paradis terrestre" - La quête de Marina Moretti

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"Le Paradis terrestre"
Comment Marina Moretti tente de créer la cité idéale
Par Gina Di Grassi (2015)


"A défaut d'être une ville peuplée, il n'y a plus belle cité qu'Adria dans tout le monde fortunéen. Aucune d'entre elle ne brille autant par la magnificence de ses rues, par ses monuments, fruits du prodige de ses gens. Il n'est aucune avenue sans université ou sans bibliothèque, sans lieu de discussion animé et enflammé. Les velsniens sont des animaux politiques, certes, mais les adriens s'adonnent à cet exercice sans profusion de sang et sans violence. Ils participent à de grands consistoires où les hommes et femmes éduqués donnent à tour de rôle leur avis et leur conseil au directoire de la cité. Et parmi tous ces gens, Marina Moretti était le sommet de cette culture politique. Aucun et aucune n'était plus sage dans sa pensée, plus parcimonieuse dans ses mots, plus bonne par ses mœurs."



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Les fréquentes réflexions que j'ai faites sur toutes les choses de la Terre, m'ont portée moi, Gina Di Grassi, fille de Matteo , à écrire les actions des grands personnages de notre monde. Il n'est pas fait insulte envers qui que ce soit lorsque j'écris, et chaque nom que je mentionne est digne des honneurs, chacun est traité avec l'égalité et la critique sur ce vers quoi mon regard se pose. Mais moi qui suis née avec une éducation construite, et qui ai été élevée dans l'étude du beau et du grand, et qui ait été instruite dans les choses de la société et des sciences, je ne puis tromper mon lecteur en essayant de cacher l'admiration que je puis avoir pour cette personne, dont je sais qu'elle partage des points communs avec moi-même. Je suis envieuse, parfois, de m'apercevoir que parmi toutes les femmes du monde fortunéen, Marina Moretti est actuellement la plus brillante, la plus ingénieuse et la plus belle. Le lecteur me pardonnera s'il lui plaît, la liberté que je prends de parler ainsi des avantages que cette personne a reçue de Dame Fortune, ou qu'elle a acquis par le temps, car même votre narratrice est jalouse et admiratrice. Que cela soit dit à toutes les petites filles et jeunes femmes qui auraient la curiosité de lire ces mots: je pense que tout le monde brille par certaines choses, et il ne fait nul doute que l'endroit où est née Moretti a beaucoup joué dans ce qu'elle fit plus tard de plus admirable. Et c'est là le premier point par lequel il nous faudrait commencer notre récit.

Tous mes lecteurs, à défaut de l'éventualité où ces mots quitteraient le monde fortunéen, connaissent sans nul doute la cité d'Adria. J'ai coutume de dire qu'on ne peut connaître l'étendue du génie du peuple des enfants de Dame Fortune si nous peinons à nous saisir de l'écrin d'Adria, de sa qualité, de sa magnificence. A défaut d'être une ville peuplée, il n'y a plus belle cité qu'Adria dans tout le monde fortunéen. Aucune d'entre elle ne brille autant par la magnificence de ses rues, par ses monuments, fruits du prodige de ses gens. Il n'est aucune avenue sans université ou sans bibliothèque, sans lieu de discussion animé et enflammé. Les velsniens sont des animaux politiques, certes, mais les adriens s'adonnent à cet exercice sans profusion de sang et sans violence. Ils participent à de grands consistoires où les hommes et femmes éduqués donnent à tour de rôle leur avis et leur conseil au directoire de la cité. Et parmi tous ces gens, Marina Moretti était le sommet de cette culture politique. Aucun et aucune n'était plus sage dans sa pensée, plus parcimonieuse dans ses mots, plus bonne par ses mœurs. Mais asseyons nous quelques instants, et prenons place dans cette cité, avant d'en venir à sa citoyenne la plus illustre. Ce que je loue, ce n'est pas simplement la beauté de la pierre, qui certes, est bien présente à Adria.

La solidité d'une cité se mesure autrement que par la qualité de ses constructions, et je dis à toi, lecteur, qu'une ville avec de beaux atours, mais dont la pensée est vide, n'est qu'une vitrine fantomatique et dénuée du moindre avenir. Si les monuments et les grands lieux de représentation sont le bois de l'écrin, c'est son peuple qui en constitue le velours, et celui d'Adria est d'un cuir très doux. De toutes les cités, aucune ne prend autant de soin que celle-ci a pourvoir à toutes ces gens une éducation, à la fois publique et gratuite. Si bien qu'il est des mendiants de cette ville dont on peut dire sans aucun doute qu'ils sont bien plus habiles aux lettres que toute une partie de notre peuple. Le corps civique d'Adria est non seulement éduqué, mais il participe à la vie politique de la cité, peut-être même davantage qu'à Velsna, et sans y infuser la colère et le mécontentement, sans se laisser dicter la conduite d'émeutes violentes. Tout est pensé, tout est discuté, tout est voté par le Directoire des universités d'Adria, accueillant en son sein l'élite de la ville, non dictée par l'opulence de ses membres, mais par leur place au sein d'une hiérarchie universitaire où les pairs se reconnaissent entre eux par l'ampleur de leur contribution au monde des arts, des lettres et des sciences. La beauté d'une coté, c'est la cohérence de son corps civique, de son degré d'acceptation du système dans lequel il vit. Là où Velsna est belle, mais dont on aperçoit rapidement des défauts, Adria est sans conteste la fille de Fortuna qui se rapproche le plus de l’équilibre parfait en ce sens.

Toutefois, je ne dis pas que c'est là la perfection et le fin de toute recherche en ce sens. Aucun système n'est parfait, et cet endroit ressemble à une "République réservée aux lettrés". Si tout le monde y est éduqué, peu en réalité ont un pouvoir de décision réel si ils ne sont pas en lien avec le système éducatif adrian. Et en ayant parcouru ses rues, j'ai eu l'impression de percevoir parfois, une pointe de résignation dans le regard de ces habitants, dont certains voudraient bien qu'un gouvernement, si respectueux soit-il, prenne ses décisions autre part que dans les couloirs du Bureau de la première doyenne. Ces dernières décennies ont vu la cité, comme beaucoup d'autres filles de Fortuna à l'exception de Velsna, péricliter, ou du moins s'endormir paisiblement dans le paysage politique eurysien. Il est évident que mêmes avec des financements de mécènes venant de toute la Dodécapole, qu'Adria n'est peut-être plus un centre de savoir et d'étude aussi important, là où d'autres établissements sont eux, financés par des états-nations modernes. Adria n'est pas pauvre, Adria n'est pas en proie aux mêmes difficultés qui ont poussé Volterra, dans les bras de la tyrannie, par exemple. Mais il est vrai que le XXème a vu la cité être repoussée dans l'ombre, pas parce qu'elle est moins brillante qu'auparavant, mais parce qu'il y a désormais d'autres lumières qui lui ont fait donner pale figure en comparaison. C'est dans cette cité qu'est née Marina Moretti, et comme ces lignes, elle est une citoyenne qui a prit conscience de ces problèmes, et qui a fait tout ce qui était dans ses moyens pour inverser cette tendance. Or, mes lecteurs ne savent que trop bien quel plaisir j'ai à décrire des personnages qui tentent d'aller à contresens de l'Histoire.

La première doyenne est bien née, indéniablement, et même davantage que moi, dont le sénateur mon père Matteo Di Grassi provient d'un milieu à la prospérité toute modeste en comparaison de la lignée illustre de Marina Moretti. Les velsniens qui me liront connaissent peut-être déjà le grand père paternel de cette citoyenne, Alfonso Moretti, ingénieur hydrologue, dont la science de l'aménagement a déjà été dispensée plusieurs décennies en arrière sous nos latitudes, lui qui a longtemps veillé à ce que les canaux de Velsna ne subissent pas l'ensablement. Il est de l'ordre de la reproduction sociale que sa petite fille suive le même chemin, et qu'elle le surpasse même par les travaux qu'elle a entreprit par la suite et qui ont redonné à sa cité une partie de sa grandeur. Marina Moretti, qui prend le m^me chemin, gravit rapidement l'échelle sociale de la cité, par des travaux toujours plus utiles et ambitieux. On dit d'elle qu'elle est bourreau de travail, et qu'elle ne s'arrête jamais quand grands travaux il y a. Elle est mince de corps, dors peu et se nourrit frugalement, d'autant plus lorsqu'elle a le sentiment du devoir inachevé. Et son accession à la chaire universitaire de première doyenne de la cité l'a bien fait maigrir.

Que dire d'Adria, avant et après sa venue à la tête du Directoire scientifique de la cité ? Mes premiers mots donnent l'indice d'une cité qui, a perdu son envergure sans toutefois perdre sa prospérité. Malheureusement, il est des choses du cheminement de l'Histoire que même les plus grands génies de ce monde ne peuvent repousser. Marina Moretti, pas plus qu'un autre à sa place, ne peut, je pense, rendre sa place d'antan à Adria dans la grande épopée de l'Homme. Adria n'est plus le joyau du monde il est vrai, mais elle peut encore aspirer à être celui des filles de Fortuna dans le nord. Velsna a la puissance et la richesse, qu'à cela ne tienne, Adria aura le reste. C'est là l'ambition que cette matrone passée dans les arts universitaires s'est fixée, facilitée par la disparition du peuple de la Mer du Pharois, qui faisaient peser une domination sans partage sur les eaux et les océans.

Aussitôt elle a prit ses aises dans son siège que la cité s'en est retrouvée bouleversée par une stature nouvelle. Et d'entrée, elle eu à faire un choix devant déterminer l'orientation qu'elle entendait donner à sa prospérité: la bâtir en opposition à l'hégémon de la Dodécapole, à l'instar de son excellence le prince des bitcoin, Salvatore Lograno. Tout bâtir dans l’hostilité, car c'est comme cela qu'on rassemble tout ce qu'il y a de la lie de la Terre, à l'encontre d'une cible claire et qui attire l'inimitié. Ou il avait cette deuxième voix, qui était de prendre en compte les réalités géopolitiques du monde, et bâtisse sa puissance à l'abri des regards, sans attirer la moindre des attentions, sans grand discours pompeux et éloquent, mais en travaillant à la sueur de son front, comme pour raccrocher un wagon qui se serait détaché il y a bien longtemps. Ainsi était et est toujours la vision de la Première doyenne, son excellence Marina Moretti: ne jamais laisser transparaître de préférence ou inimitié pour Velsna, tout comme ne jamais prendre part aux éternels atermoiement au sein de la Dodécapole. Que Volterra et Apamée se battent, que l'hégémon fasse son travail pourvu qu'Adria reste dans son coin de la pièce, à amasser lentement et sûrement sa puissance. Le temps des troubles quelque part était l'opportunité de construire autre part, et la première doyenne le comprit bien assez tôt.

Alors même que Velsna sombrait dans la guerre civile, et que Moretti eu prit sa place, par un hasard du destin dans les mêmes instants que le tyran de Volterra, celle-ci entreprit une politique de grands travaux, dans ce qui avait été parmi ses projets maintes fois refusés auparavant. En 2014 commençait le creusement du canal d'Adria, qui devait traverser toute la longitude de la bande de terre qui était le territoire d'Adria, et qui constituait le seul point d'accès à la péninsule d'Albe. En bâtissant un tel ouvrage, on comprit ainsi les rentes de douane que l'on pourrait y faire, par le raccourcissement soudain du trajet des navires qui n'auraient à contourner la péninsule. Un an plus tard, l'ouvrage est achevé, et déjà, Adria voit sa fortune grandir à nouveau. Incontestablement c'est là l’œuvre d'une femme qui a réussit à replacer sa cité sur un carte, ce qui avait toujours été son désir. Mais le mandat de Marina Morelli n'est pas que celui des prouesses techniques et d’ingénierie, il est aussi celui des retrouvailles entre les élites scientifiques et savantes du monde fortunéen et la cité. Car la neutralité apparente de cette dernière paie dans les relations qu'elle entretient et la prospérité qu'elle en tire dans certains domaines. Les accords de recherche et d'échange de personnel scientifique se sont ainsi multiplier depuis deux ans avec le reste des cités de la Dodécaopole et Velsna, dont les élites reviennent massivement placer l'argent de leur mécénat pour l'éducation de leurs propres enfants.

Je n'oserais qualifier Adria de paradis terrestre: cela, aucun endroit sur Terre ne le mérite. J'ai pointé ses défauts, j'ai souligné la méchanceté potentielle du système qu'elle porte en elle: ses défauts et ses qualités. Mais je puis dire que de toutes les cités de la Dodécapole, celle-ci est de celles qui joue ses cartes de la plus intelligente des façons, et que la paix dans ce monde fortunéen si instable se doit de continuer pour que la ville des sages puisse se développer. Le monde fortunéen a besoin de lumières éclatantes, et je sais que beaucoup grandissent et s'épanouissent en ces murs.
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