Cette politique, que l’on pourrait qualifier de pandorienne, devenait de plus en plus la norme au sein de la fédération de Stérus. Alors que les organisations internationales souffraient d’une réputation dégradée auprès de la population, le gouvernement semblait tirer parti de ce ressentiment pour multiplier les interactions diplomatiques bilatérales. Le consul, attaché à des relations interétatiques basées sur l’individualisme et la proximité, défendait depuis longtemps l’idée que la prolifération des organisations internationales réduisait en réalité les interactions directes entre les États. Selon lui, elles empêchaient la création de liens solides entre les nations.Cependant, Pandoro savait que cette politique ne suffirait pas indéfiniment. Face aux tensions croissantes à travers le monde, la fédération devait impérativement se forger des alliances fortes et stables. Le royaume de Teyla, partenaire historique de Stérus, en était un bon exemple, tout comme le récent rapprochement entre Stérus et le Lofoten.Le salon avait pour but de mettre en avant les avancées industrielles de la fédération et de sceller de futurs accords majeurs. Ainsi, les entreprises allaient chercher à conclure des contrats avec l’Empire du Nord. Le consul comptait dérouler le tapis rouge à la délégation nordienne, tout comme aux autres invités. L’objectif était de prouver que l’industrie, l’économie et l’armée stérusiennes n’étaient pas en compétition avec l’Empire du Nord, mais que la fédération le considérait comme un partenaire essentiel à son propre développement. Le consul voulait démontrer que les deux États avaient intérêt à avancer parallèlement sans se heurter sur les marchés. Il était persuadé que si ces deux puissances majeures d’Aleucie approfondissaient leur coopération, l’ensemble du continent en ressortirait renforcé.
D’autant plus que l’Empire du Nord avait récemment subi un revers diplomatique avec l’ASEA. Il avait été exclu du sommet exceptionnel sur l’Oskallie, contrairement aux autres grandes puissances membres de l’organisation. Bien sûr, Stérus n’y avait pas non plus été convié, mais pour des raisons politiques qui, encore aujourd’hui, n’avaient pas porté leurs fruits. Le consul voulait rappeler à l’Empire que son importance en Aleucie était inaliénable et qu’il n’avait pas besoin de l’ASEA pour en être convaincu.Toutefois, la fédération souhaitait également entretenir de bonnes relations avec l’ASEA, ce qui passait inévitablement par un engagement auprès de l’Empire du Nord, qui en était membre. Le travail du consul, depuis plusieurs mois, relevait donc d’une diplomatie chirurgicale, visant à redessiner les relations internationales de Stérus. Il était persuadé que le Lofoten, l’Empire du Nord et la fédération de Stérus pouvaient ensemble former un trio moteur, combinant puissance économique et force militaire en Aleucie.
Nous sommes donc le 8 janvier 2016, aux alentours de 8h du matin, en plein cœur de la capitale stérusienne. Tandis que le salon finalise ses préparatifs pour sa première journée d’ouverture, la délégation stérusienne arrive au point de rencontre. De son côté, la délégation nordienne avait atterri discrètement quelques dizaines de minutes plus tôt. Le consul tenait à ce que la rencontre débute dans l’enceinte du salon de l’industrie, qui devait être le centre névralgique de cette entrevue. Malgré l’absence de sa majesté l’Empereur, il était essentiel que ce soit le consul lui-même qui dirige cette rencontre.Le programme était simple : les deux représentants commenceraient par visiter les fleurons de l’industrie stérusienne, notamment les énergies fossiles, l’industrie du luxe, le secteur maritime et les technologies aérospatiales. Ensuite, ils se rendraient dans le salon privé du bâtiment, où ils auraient l’occasion de se rafraîchir, de se restaurer et de mener des discussions plus formelles. Enfin, après ces négociations, ils clôtureraient la visite sur une note plus culturelle, en explorant les spécialités gastronomiques stérusiennes, afin de terminer la rencontre dans une ambiance plus détendue et amicale.
La délégation nordienne arriva alors face au consul après un court trajet dans la capitale.
Monsieur le ministre, mesdames et messieurs les membres du gouvernement de l’Empire du Nord, je vous souhaite la bienvenue au sein de la fédération de Stérus. C’est un honneur de vous accueillir aujourd’hui pour cette rencontre. Je souhaite également transmettre personnellement toutes mes amitiés à votre Empereur, ainsi que nos félicitations les plus sincères pour les heureux événements qui marquent sa vie familiale.
Pour commencer cette rencontre en bonne et due forme, je vous propose de rencontrer directement les personnalités qui joueront un rôle capital, si je puis dire, dans la suite de nos échanges.
Tout d’abord, vous n’êtes pas sans savoir que la fédération de Stérus possède une firme transnationale, l’ANTS, spécialisée dans l’extraction, l’exploitation et le raffinage du pétrole, du gaz et d’autres ressources fossiles. Cette entreprise est actuellement présente dans une dizaine de pays et sur quatre continents. Dirigée par Miranda Céprus, elle s’est imposée en quelques décennies comme un acteur majeur du système économique stérusien. Grâce à ses capacités de production et à la diversité de ses services et produits, elle représente un atout stratégique pour les entreprises étrangères souhaitant coopérer avec elle.
Nous avons, par exemple, vu en Lermandie une collaboration fructueuse entre la société BEPAL et l’ANTS dans l’exploitation des ressources et la construction de plateformes pétrolières. Bien que ce contrat soit aujourd’hui caduc, il demeure un excellent exemple du type de coopération que nous pourrions développer. Je ne connais pas en détail les entreprises nordiennes, mais si vous le souhaitez, l’ANTS pourrait tout à fait s’inscrire dans une coopération plus approfondie avec vos acteurs économiques.De même, nous avons d’autres entreprises d’envergure, comme CAXTA, qui évolue dans le secteur du luxe et jouit d’une reconnaissance internationale, notamment auprès de la famille royale teylaise. Cette marque incarne non seulement l’excellence de l’artisanat stérusien, mais aussi son rayonnement jusqu’en Eurysie.Je ne vais pas détailler l’ensemble des secteurs dans lesquels la fédération est largement investie, mais je tenais à vous présenter également notre industrie maritime.
Nous savons que l’Empire du Nord a récemment annoncé son intention de reconstruire ou, du moins, de renforcer ses capacités militaires dans les années à venir. Nous connaissons et reconnaissons bien entendu l’expertise nordienne en la matière, et nous ne la remettons nullement en question. Cependant, il est important de souligner que la fédération de Stérus a su se tailler une place de choix dans ce domaine. C’est pourquoi, et de manière tout à fait officielle, je tiens à vous faire savoir que si l’Empire du Nord recherche des partenaires prêts à lui fournir des bâtiments de combat, la fédération y est tout à fait disposée.Si nos deux nations s’engagent dans un partenariat plus étendu que celui qui existe actuellement, nous pourrions également envisager des ventes à des coûts plus avantageux que ceux du marché. Notre priorité reste en effet d’améliorer sans cesse la qualité de nos productions et de proposer des solutions compétitives et adaptées aux besoins de nos partenaires.
La rencontre, bien que débutée sur des sujets concrets, allait à présent se poursuivre de manière plus confidentielle et personnelle dans le salon privé. Après avoir passé une bonne partie de la matinée à parcourir les allées du salon, l’heure était venue d’aborder les discussions diplomatiques plus en profondeur.Le consul invita alors l’ensemble de la délégation à entrer dans la salle. Celle-ci dégageait une atmosphère particulièrement chaleureuse, avec une grande cheminée rappelant les chalets des montagnes du Bernium. Sur la table, une sélection de spiritueux stérusiens et de spécialités culinaires locales était disposée à la guise des convives. Fidèle à ses habitudes, le consul prit un verre, à peine rempli, et s’installa à la place qu’il s’était attribuée. Il attendit ensuite que chacun des convives prenne place.Une fois tout le monde installé, la moitié des accompagnateurs fut invitée à quitter la salle, afin de permettre aux deux délégations de discuter en toute confidentialité des affaires diplomatiques.
Très bien, nous voici à présent au moment où nous allons entamer des discussions légèrement plus officielles, mais pour autant pas moins détendues.La priorité de la fédération, à l’heure actuelle, est de trouver en l’Empire du Nord un futur partenaire de premier plan. Pour être totalement transparent avec vous, la coopération directe avec l’ASEA ne nous intéresse plus. En revanche, la coopération avec ses membres, elle, nous importe toujours. Nous ne souhaitons plus nous impliquer dans les affaires de l’ASEA, tout comme nous ne voulons plus que cette organisation s’immisce dans les nôtres.Nous estimons donc que la meilleure façon d’éviter tout conflit d’intérêts, sans pour autant nous détourner l’un de l’autre, est de privilégier le bilatéralisme et les accords au cas par cas. Votre invitation à ce salon en est un exemple concret. Nous souhaitons que les liens commerciaux entre nos deux nations retrouvent le niveau qui était le leur lorsque nous faisions partie de l’ASEA.Les droits de douane constituent pour nous une entrave au développement des entreprises. C’est pourquoi nous aimerions discuter avec l’Empire du Nord de la mise en place d’un accord de libre-échange entre nos frontières. Un accord qui garantirait la libre circulation des marchandises à des coûts réduits.Bien sûr, nous comprenons que certaines de nos propositions puissent ne pas correspondre exactement à votre vision. Si tel est le cas, nous sommes disposés à en discuter et à envisager un libre-échange sectorisé.Évidemment, nous avons d’autres sujets à aborder, mais avant cela, nous souhaitons avant tout vous écouter. Nous vous laissons donc exprimer votre avis et vos propres volontés.