
CIVILISATION I Vie Publique
Posté le : 12 mars 2025 à 20:40:07
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Ce fragment d’histoire résonnait dans l’esprit de Kaito. « Pourquoi cette hospitalité m’étonne-t-elle? » s’était-il demandé. Il avait grandi dans un Fujiwa où les notions de respect et d’entraide étaient centrales. Pourtant, il réalisa que son esprit avait été teinté de préjugés. Des éclats d’images entraperçus dans de rares reportages télévisés formaient une mosaïque floue. Des hommes en djellabas, des femmes voilées. Des discours timides qualifiant l’Islam de religion rigide, trop éloignée des mœurs fujiwans. Cette année-là, poussé par un mélange d’enthousiasme et de curiosité intellectuelle, Kaito rejoint le club Exploration de son université. Leur modeste mission, celle de s’aventurer en Azur, une terre qu’il ne connaissait qu’à travers les murmures des atlas. Quand il embarqua dans ce périple, il ignorait encore que sa vie s’apprêtait à prendre un tournant inattendu.
1991 - Le soleil de l’Azur était aveuglant, écrasant, indifférent aux certitudes. Les journées se prolongeaient dans une chaleur suffocante, faisant fondre non seulement les vêtements de Kaito mais aussi ses opinions préconçues. Son groupe d’étudiants avait amené des tentes et des lits de camp qui semblaient impressionnants sur le papier, mais qui s’avéraient dérisoirement inefficaces sous ce climat impitoyable. Rapidement, l’équipe se retrouva à demander asile dans des foyers locaux, où ils furent accueillis les bras ouverts. Kaito se souvint particulièrement d’une journée où tout changea. Il était perdu dans ses pensées dans une petite maison en torchis, lorsque le maître des lieux s’approcha avec un plateau contenant des dattes et du lait. « C'est l’heure du ftour », dit-il simplement. Intrigué, Kaito observe la famille rompre leur jeûne avec lenteur et gratitude, un soupçon de sourire aux lèvres malgré l’épuisement. L’instant portait un poids qu’il peinait d’abord à saisir. Ce repas était en train de renouer avec une humanité collective.
Cette hospitalité désarmante piqua profondément sa curiosité. Pourquoi ce don permanent? C’est dans l’Islam que Kaito trouva une partie de la réponse. « L’Islam n’est pas une froide loi divine. C’est une manière d’aimer les autres comme soi-même. », dira plus tard Kaito.
1992/1998 - De retour au Fujiwa, Shimoyama Kaito n’était plus le même homme. Ce que l’Azur lui avait révélé, il ne pouvait l’oublier. De fil en aiguille, il se mit à étudier la religion musulmane. Le Coran, entre autres, le captivait par sa poésie et la profondeur de ses enseignements. Ses premières prières, hésitantes et maladroites, étaient chargées de modestie. Mais au fur et à mesure, il y trouva une paix qu’il n’avait jamais connue auparavant. À 27 ans, après plusieurs années de réflexion et de recherches, il décida de se convertir à l’Islam. Bien que ce choix fût profondément enraciné en lui, il s’accompagna d’une série de défis auxquels il ne s’était pas préparé. Ses parents, pétris de bienveillance mais nourris par des décennies d’incompréhensions culturelles, eurent du mal à accepter son cheminement. « Pourquoi suivre une religion étrangère? » lui demanda un jour son père, l’air légèrement inquiet. Dans les rues de Sokshō, les regards changeaient dès qu’il portait un kufi. Certains murmurèrent discrètement ; d’autres regardaient ostensiblement ailleurs. Comment présenter le véritable visage de sa foi dans cette atmosphère saturée de stéréotypes?
C’est de ces douleurs que naquit la mission de Kaito, un objectif qui guiderait le reste de sa vie. Il voulait devenir un pont entre deux mondes - celui de sa culture natale et celui qu’il avait choisi. Pour cela, il fallait avant tout éveiller la curiosité des Fujiwans envers une religion qu’ils percevaient encore comme énigmatique. Kaito débuta en proposant des présentations dans des établissements scolaires. À Sokshō, les premières conférences s’adressaient à des salles modestes, composées de quelques dizaines d'élèves. Mais rapidement, son aura douce et passionnée toucha une corde sensible. Shimoyama Kaito devint progressivement un nom connu dans les cercles éducatifs, notamment grâce à l’écho des visites guidées menées à la grande mosquée de Sokshō.
Un moment marquant survint lorsqu’un élève d'un lycée de Tomocho leva timidement la main après l’un de ses discours. « Monsieur, est-ce que l’Islam dit que les hommes et les femmes sont égaux devant Dieu? » demanda-t-il. Avec un sourire patient, Kaito répondit: « Oui, ils le sont. Si vous priez côte à côte avec quelqu’un durant la salât, la seule chose qui compte est votre foi, pas votre statut ou votre apparence. » Ce fut comme si une brume se dissipait dans la salle, laissant place à une compréhension nouvelle. Même sans chercher à convertir, Kaito voyait dans ces échanges une manière de réduire les préjugés qui, bien trop souvent, ferment les esprits. Il ne s’agissait pas de demander aux Fujiwans d’embrasser l’Islam, mais plutôt de dénouer les fils noués par l’ignorance.
2016 - Aujourd’hui, à 45 ans, Kaito est fier du chemin parcouru, même s’il sait que beaucoup reste à accomplir. Le nombre de musulmans au Fujiwa continue de croître, mais les discriminations subsistent. Trop souvent, l’Islam reste perçu comme une menace, un concept étranger incompatible avec les valeurs fujiwanes. Cependant, Kaito voit les choses différemment. « L’Islam et le Fujiwa se ressemblent plus que nous le pensons. Tous deux valorisent la modestie, l’hospitalité, et surtout cette idée du collectif. », sourit-il. Pour illustrer ses propos, il aime rappeler une anecdote récente. Lors d’une visite d’un groupe d’étudiants envoyés en Azur, un lycéen lui confia: « Je pensais que l’Islam était… effrayant. Mais c’est simplement un mode de vie. En fin de compte, nous avons beaucoup en commun. »
Kaito vit dans l’espoir que ces petites graines de compréhension germeront dans les années à venir. Comme il le répète souvent: « L’ignorance donne naissance aux préjugés, et les préjugés aux discriminations. Le jour où Fujiwans et musulmans marcheront côte à côte consciemment, ce sera notre victoire. ». Le pont invisible qu’il a commencé à construire n’est peut-être pas encore achevé, mais ses fondations sont solides. Ses années au service de cette cause lui ont appris que parfois, les plus grandes révolutions commencent par un simple acte de partage – une datte et un verre de lait offerts sous le soleil brûlant d’Azur.
