11/05/2017
22:43:33
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[Antegrad/Armée Démocratique du Gondo] Pour quelques otages de plus.

Port-en-Truite s'était réveillée ce matin-là comme depuis trois jours sous une brume moite et silencieuse. L’absence de vent avait en fait permis à la pollution atmosphérique de s’accumuler dans l’air, une situation bien trop familière pour la plupart des habitants, qui attendaient maintenant que le vent marin se lève, et ne chasse pour de bon ce voile gris jaune. L'Armée Démocratique pouvait faire beaucoup de chose, mais pas chasser la pollution. Pas encore.

Faute de vent, tout ce que la mer avait charriée c’était des antériniens, et on avait justement préparé les lieux à leur arrivée. Le port de la ville avait ainsi été nettoyé, réhabilité avec une efficacité méthodique. C’était peut-être la première fois que l’Armée Démocratique recevait des représentants étrangers sur son territoire, ou plutôt, qu’elle le faisait de façon officielle. On voulait donc faire ça bien. À leur arrivée, les représentants diplomatiques antériens purent ainsi être frappés par l'ordre qui régnait ici, bien différent des habituelles scènes de chaos que certains médias avaient systématiquement assimilés aux territoires rebelles du Gondo. L'odeur d'huile et de mazout était certes toujours présente, mais elle se mêlait désormais à celle, plus douce, de bois neuf et de peinture fraîche.

Au bout de ce quai se trouvait la petite délégation d’hommes et femmes envoyés pour accueillir les étrangers. Officiels civils en uniformes à col haut, militaires de l’Armée Démocratique, les deux facettes du mouvement se trouvaient représentées et discutaient joyeusement. Au centre du dispositif se trouvait un homme de taille moyenne et au visage calme bien que marqué par les rides d'une vie passée entre université et révolution, le commissaire André Mubaku incarnait parfaitement ce que l'Armée Démocratique pouvait donner de mieux. Un technocrate intelligent, pragmatique et animé d’excellents sentiments pour son pays et sa population. Cet un ancien économiste, autrefois professeur respecté à Sainte-Loublance, avait longtemps critiqué sans effet la corruption rampante et l'abandon des régions périphériques du Gondo. Il avait rejoint l'AD non par dogmatisme ou par attrait romantique de la lutte armée, mais parce qu’il le jugeait franchement nécessaire pour son pays. C’est que l’Armée Démocratique promettait de tout changer. Une idée qui évoquait la méfiance mais qui avait au moins le mérite de proposer une alternative à la lente spoliation des richesses nationales par ses oligarques. Quant au socialisme, communisme, communalisme, ils représentaient des systèmes qui avaient trouvé de vrais succès dans certains pays étrangers. Le libéralisme de marché n’avait pas tout à fait respecté ses promesses, il était peut-être temps qu’il laisse sa place à d’autres méthodes.

Depuis, il s’était avéré que les ambitions affichées de l’Armée Démocratique étaient au moins partiellement sincères, et qu’il ne s’agissait à priori pas de remplacer une caste d’oligarque par une autre. Participant à la réorganisation économique des territoires "libérés", Mubaku avait constaté avec plaisir que la révolution – s’il n’approuvait pas nécessairement sa violence – offrait comme prévu un excellent terrain d’expérimentation, et donnait des résultats plutôt satisfaisant dans certains secteurs.

Il fut le premier à saluer la délégation antérinienne. Leur souriant d’un air mesuré.

"Bienvenue à Port-en-Truite. Nous espérons que ce que vous verrez ici vous permettra de mieux comprendre les intentions de l'Armée Démocratique."

Les Antériens furent ensuite invités à prendre place à bord d'un convoi officiel, composé de véhicules rénovés arborant discrètement les couleurs du mouvement communaliste. Le trajet à travers la ville fut lent, conçu pour informer les visiteurs. Derrière les vitres, Port-en-Truite défilait avec une étonnante normalité. Les rues étaient propres, parcourues d’équipes de travailleurs municipaux, vêtus de tenues simples mais uniformes, et de civils vaquant à leurs occupations.

Ici et là, des affiches aux couleurs rouges et noires, claires et minimalistes, rappelaient sobrement les acquis récents du pouvoir communaliste : les écoles rouvertes, la distribution alimentaire régulière, l'accès universel à des soins médicaux élémentaires. On s’éloignait des affiches de type eurycommunistes ou clovanienne par la sobriété du dispositif qui fonctionnait moins sur la base de slogans et d’emphases que d’une énonciation claire de faits et de réalisation accomplies ou à venir.

Cette apparence de normalité, cependant, pouvait tout à fait être une pure construction de propagande, et il était impossible, sans tâter le terrain, de déterminer ce qui ici tenait de la construction ou du succès bien réel.

Le cortège finit par atteindre un bâtiment administratif situé au cœur de la ville, à côté d'une place récemment réhabilitée en espace public. Les délégués antériens furent conduits à l'intérieur avec la même courtoisie calme et froide qui les avait accueillis au port. Mubaku ouvrit lui-même la porte de la grande salle de réunion. Une pièce simple mais élégante, dont le mobilier datait des années 70 et la décoration de la révolution. Sur la grande table en bois, des documents soigneusement préparés attendaient les visiteurs, à côté de verres d’eau.

"Messieurs", commença Mubaku, "vous êtes aujourd'hui les témoins d'une étape importante. Port-en-Truite est en train de devenir le premier jalon d'une démocratie réelle, juste et populaire."

Il semblait sincèrement y croire, au moins jusqu’à un certain stade.

"Concernant vos soldats", poursuivit-il, "soyez assurés qu'ils seront rendus à votre pays rapidement, contre des gages nous préservant de toute intervention de votre part aux côtés de nos ennemis. Nous souhaitons la paix avec votre pays, et espérons ainsi qu’aucun passif ne viendra entacher nos relations lorsque nous aurons enfin chassé les ploutocrates occupant le pouvoir." Il inclina la tête sur le côté. "Quant au matériel militaire que nous avons saisi, il demeurera ici jusqu'à ce que le conflit soit entièrement résolu. Non par esprit de provocation, mais simplement parce que la paix que nous construisons ici, dans cette ville, est encore fragile, vulnérable aux menaces extérieures. Si nos gouvernements se rapproche il ne devrait pas y avoir d'objection à une restitution ultérieure, quand la paix sera assurée."

"Il faudrait qu’Antegrad puisse voir Port-en-Truite par elle-même. Entendre ses habitants, observer nos comités en pleine action, visiter nos ateliers coopératifs et nos dispensaires populaires. Cette ville n'est pas parfaite, loin s'en faut, mais elle prend la forme de ce que nous essayons de bâtir au Gondo : une société équitable, organisée, et démocratique. Le pouvoir que nous construisons est propre à devenir l’allié de toute l’Afarée : nous croyons sincèrement à la cause de l’indépendance du continent. C’est bien pour ça que nous combattons. Je suis sûr qu’Antegrad peut le comprendre."

Il se rassit lentement, laissant le silence s'installer dans la pièce.
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