~ Un jeune loup, un renard et une vieille chèvre ~

Néanmoins, la tsarine n’avait en vrai pas besoin de davantage, car la progression fulgurante du cancer l’avait alité depuis déjà trois mois. Elle était allongée dans son lit à baldaquin, entourée par un petit groupe d’infirmiers et médecins soumis au plus strict secret. Officiellement, on n’avait rien dit sur la maladie de la souveraine, car cette dernière s’était obstinée à vouloir « maintenir la stabilité », craignant trop que les forces contre-révolutionnaires pourraient tenter de saisir l’occasion. Elle répondait aux doléances par écrit et recevait presque personne, ce qui ne changeait pas beaucoup de l’habituel, car elle était notoirement misanthrope.
Vladimir, le tsarévitch, neveu de la tsarine, se tenait dans un des salons adjacents, arrivant avec ses bottes de chasse et avec le manteau et la chapka encore blanchie par une neige que la faible température du « palais » n’avait pas permis de faire fondre. A part la chambre de la tsarine, presque aucune pièce n'était chauffée. Manque d’argent, ou mieux dit, esprit d’économie de la part de la tsarine qui frôlait l’avarice.
« Par tous les Saints, on se la gèle ici… » lâche Vlad à l’adresse de Konstantin Andreyevich, le commissaire aux Affaires extérieures, un des rares membres du Gouvernement qui avait eu l’honneur ou le malheur, tout cela dépendant du point de vue, d’être tenu au courant du véritable état de santé du souverain.
« Votre Altesse n’est peut-être pas habillée idéalement ? » fait remarquer Andreyevich, lançant un discret regard au bout du survêtement qui était apparent sous le manteau de Vladimir. « Ecoutez, vous me forcez à venir ici de toute urgence à quatre heures du matin. Il s’avère que je ne me promène pas en tout temps avec un costard trois-pièces. » « Certes. » réplique Andreyevich, cherchant visiblement à ne pas pousser l’affaire plus loin, Il avait des choses bien plus urgentes à discuter.
Le vieux commissaire marque une pause, plus par habitude, que sous l’effet d’une quelconque nervosité. Il avait vu trop de choses pour pouvoir être agité par des affaires issues du domaine de la politique et des complots de prince. Il dit alors.
« Vous savez que la santé de la tsarine est de plus en plus grave. Les médecins n’ont pas osé lui dire, vue ses réactions….virulentes. » « Vous pouvez dire brutales et insensées » intercède Vlad avant d’ajouter. « Cette bonne vieille femme n’a jamais été capable d’écouter quelqu’un d’autre. Elle serait capable de sauter d’un pont pour me contredire…pas que je lui souhaite ça…mais elle n’est pas censée suivre une nouvelle chimio ? » demande Vladimir. « Oui, mais elle refuse. » « Alors forcez là. » « Mais c’est la tsarine ! » « C’est surtout une vieille chèvre qui ne sait pas ce qui est bon pour elle. Je vous l’autorise. Ligotez-là, donnez-lui une bonne baffe et hopp, vous m’accrochez la vieille à la chimio. Je peux lui donner la baffe moi-même s’il faut. »
Le commissaire regarde le tsarévitch avec un regard presque horrifié. Des décennies de réflexes pavloviens d’obéissance aveugle au chef l’avait rendu incapable d’imaginer l’idée de pouvoir se révolter, même pour le « bien » du chef d’Etat. Vladimir faisait lui partie de cette génération qui avait appris à détester le Gouvernement dès leur naissance. Et ses relations avec sa tante étaient de notoriété publique mauvaises. La tsarine lui reprochait son caractère prompt aux réactions violentes ; lui, il considérait que sa tante n’avait pour seul vertu d’être sa seule parente encore en vie. Ils étaient des survivants des traques de l’Ancien régime, des reliquats, deux êtres trop coriaces pour périr. Visiblement, sa tante avait décidé de rester bornée jusqu’au bout. Cela insupporte Vladimir. Oh, il ne l’aimait pas, mais même quand vous détestez votre tante, vous voulez qu’elle reste en vie.
« Bon, je vois que l’idée vous semble trop scandaleuse…donc on fait quoi ? » lâche Vladimir, constatant qu’Andreyevich sauterait à travers une fenêtre du cinquième étage avant de désobéir à un ordre de son supérieur. Cette vieille génération gangrenée par la servilité était un véritable fléau dans ce pays. L’esprit d’initiative avait été trop réprimé et cela pendant trop longtemps.
« Nous risquons qu’elle meure et cela dans un délai très court. Il faut donc préparer le pays à son trépas. »
« Je suppose que vous ne pensez pas à un festival de feux d’artifice et un défilé de pom pom girls dans les rues de la capitale ? » Il constate le regard du commissaire et ajoute immédiatement. « C’est une blague, bien évidemment ». Andreyevich qui avait le sens d’humour d’un kartien était visiblement soulagé par la dernière remarque.
« Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires à une transition en douceur. La tsarine n’a hélas écrit aucun testament politique. » « Logique, cela nous faciliterait la vie et si elle abhorre quelque chose à part le saumon fumé, c’est simplifier la vie à ses congénères. Mais oui, je suis à votre entière disposition pour vous assister et le Gouvernement dans la préparation desdites mesures de transition…et promis, je viendrais en costard pour cela. » dit-il en soulevant légèrement son manteau. On pouvait voir les trois traits blancs verticaux typique de la marque occidentale qui était très en vogue chez les jeunes du pays.