15/04/2016
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Sommet bilatéral de Bascra [Poëtoscovie - Azur]

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Visite d'Etat en Azur
de Son Excellence M. Piotr Vassia, Ministre des Affaires étrangères, en vue d'un sommet bilatéral entre
la République de Poëtoscovie
&
le Califat Constitutionnel d'Azur

Iwan de la Mosquée de Bascra

A son arrivée à Agatharchidès par l'avion officiel de la République de Poëtoscovie, Piotr Vassia, qui avait accepté l'invitation du Califat constitutionnel d'Azur pour une rencontre bilatérale, fut accueilli par une réception haute en couleurs. Sonnant l'hymne national poëtoscovien, le comité d'accueil déroula un tapis rouge sur le tarmac, entouré d'une garde officielle. Un vent léger venant du désert balayait une rangée de drapeaux indolents, arborant l'éclair bleu de la République poétique, aux côtés de l'étoile blanche du Califat. Le Porte-parole du Diwan, Mahmud al-Marrakshi, introduisit ses hôtes en serrant longuemment la main aux différents membres de la délégation poëtoscovienne. Le chemin avait été long, aussi on ne tarda pas à laisser les invités gagner les voitures qui s'élancèrent sur l'autoroute baignée de soleil.

Ils furent amenés à la petite ville de Bascra, un joyau niché dans une vallée sèche au nord de la métropole d'Agatharchidès. Ce lieu calme, à l'écart du dynamisme des grandes villes, ferait une vitrine parfaite pour montrer l'Azur aux Poëtoscoviens. La grande mosquée de Bascra, qui datait du XVIIème siècle, avait été apprêtée pour la réception sur demande du Diwan ; on avait disposé, dans les ailes servant aux activités régulières, le nécessaire pour que les réunions puissent avoir lieu. De petits jardins ceinturés de passages, et la vue sur la grande cour carrée et le remarquable
iwan – une arche brisée en forme de portail, décorée de motifs bleus et mauves glacés dans la céramique – rendait le cadre de la rencontre agréable aux hôtes de l'Azur. Prévenant, le Ministre des Affaires étrangères azuréen, le désormais célèbre Jamal al-Dîn al-Afaghani, avait ordonné que soient mis à disposition des visiteurs tout le raffinement du luxe de la région. Thé noir servi dans de la vaisselle d'argent, fruits du verger disposés dans des couverts ornementés, logements munis de tapis, de coussins brodés et de draps de soie ; salle de réception, enfin, où l'on s'assirait sur le sol duveteux de tapis tressés, en prenant dès que voulu une collation quelconque. A l'ombre du soleil brûlant, on profiterait de la fraîcheur naturelle de l'endroit pour aborder l'ensemble des points spécifiques qui devaient l'être.

Afaghani s'assura que le confort de ses hôtes était parfait, jetant des ordres implacables au moindre écart, à la nuée de servants qui s'affairait au service de la délégation. Il ne tolérerait aucun impair. En tant que Ministre des Affaires étrangères, il était personnellement impliqué dans la réussite de la rencontre, qui aurait des répercussions autant sur la relation entre l'Azur et la Poëtoscovie que sur son propre destin politique ; le diplomate était en lice pour la course au vizirat, et peut-être, s'il récoltait assez de soutiens et démontrait son talent, deviendrait-il bientôt le chef du gouvernement de l'Azur. Il était donc primordial que le sommet azuro-poëtoscovien fût un succès. Jamal al-Dîn avait déployé des efforts en ce sens. Depuis plusieurs années, il affûtait son analyse du rapport de forces international pour élaborer une stratégie de long-terme pour le Califat. Son objectif était de propulser l'Azur au premier rang des nations influentes, et il considérait que la carte maîtresse que le pays avait en sa possession était son indépendance et son potentiel diplomatique. Afaghani était un homme imprégné de sciences et de philosophie. Réformateur, certains le qualifiaient d'
homme des Lumières, en raison de son optimisme et de sa croyance, assez inhabituelle et extraordinaire, dans le progrès de la civilisation humaine. Cet homme d'Etat, qui répétait à l'envi qu'il considérait que la coopération devait prévaloir, avait de hauts projets pour le monde. Il imaginait un ordre mondial alternatif, basé non plus sur les rapports de force mesurés par la dimension des canons et des bombes, mais sur le respect de valeurs universelles, qui découlaient selon lui de la spiritualité musulmane et des sagesses apportées par les religions du Livre. Respect de la dignité humaine, recherche de la paix et du dialogue en toute situation, refus des méthodes violentes, de l'arbitraire et de l'unilatéralisme étaient des éléments centraux dans sa pensée.

Afaghani avait constaté, d'une manière distante, que la Poëtoscovie avait mené des initiatives originales et courageuses en ce sens. La question d'un Tribunal international, voulu par les autorités de la République Poétique comme moyen de règlement pacifique et équitable des crimes internationaux, était l'une des iniatives les plus abouties pour créer des arènes où les Etats du monde, plutôt que de se menacer, de s'invectiver et de se coaliser pour s'infliger des dommages, apporteraient leurs divergences et les résoudraient par l'argumentation. Dans un contexte où peu d'Etats manifestaient de l'intérêt pour ces méthodes nouvelles, l'existence de la Poëtoscovie et son originalité justifiaient que les deux pays se rencontrent pour coordonner leurs efforts vers cet objectif commun.

Toutefois, aussi pacifiste qu'il pouvait l'être, Jamal al-Dîn n'en était pas moins un diplomate profondément pragmatique. Il savait bien que, si la plume est plus forte que l'épée, la première est de peu de secours en l'absence de la deuxième. Là encore, la Poëtoscovie se démarquait du reste du monde. Certes, les Poétoscoviens disposaient de forces armées compétentes, que ce soit par une armée de terre mécanisée importante, des moyens aériens indiscutables ou une force navale conséquente ; mais là n'était pas le coeur de leur force. Ce qui faisait indiscutablement la force réelle de l'Etat de Poëtoscovie, c'était son
soft power. Par ce terme, on englobait la capacité à influer, à peser dans les événements mondiaux. L'importance de la Poëtoscovie sur les terrains politiques et culturels était indéniable. L'industrie culturelle poëtoscovienne était d'ailleurs la première au monde, et conférait un levier essentiel à Hernani-Centre, en lui permettant de diffuser ses idées dans le monde entier. C'était assurément un moyen efficace de protéger son indépendance, mais c'était aussi, pour l'Azur, un potentiel unique pour faire avancer des valeurs et des intérêts communs.

C'est donc dans ce contexte que Jamal al-Dîn proposait à Piotr Vassia de s'asseoir face à lui, à l'ombre du soleil, alors que deux tasses fumantes venaient d'être servies devant eux. Deux questions centrales, deux points importants, qui n'étaient que les deux premières questions que l'Azur voulait aborder avec la Poëtoscovie, avant d'aller plus loin sur d'autres sujets.

Excellence,

Que la Paix, la Miséricorde et la Bénédiction de Dieu soient sur vous.

Je vous remercie encore, au nom de Son Altesse Sémillante le Khalife, d'avoir fait le déplacement jusqu'ici. J'espère que le voyage n'a pas été trop pénible, et que vos Excellences ne trouveront pas trop d'inconfort lors de leur séjour ici, à Bascra. J'ai personnellement choisi ce lieu pour sa tranquillité, propice à la réflexion et aux échanges mûris. Excellences, je vous en prie, laissez-moi briser la langue de bois, et vous dire sans ambage l'honneur et le plaisir que vous me faites, à moi ainsi qu'à l'ensemble de la nation azuréenne, d'avoir accepté notre invitation !

Monsieur le Ministre, cher Piotr,

Ainsi que nous avons pu nous en entretenir lors de l'échange précédent de messages, cette invitation est importante à nos yeux pour avancer sur des sujets qui nous tiennent à coeur. Il s'agit, pour le résumer, d'abord de l'oeuvre multilatérale et universelle que nous pourrions faire ensemble, et qui touche par exemple à comment nous pourrions généraliser le principe du Tribunal international afin de le rendre opérationnel. Ensuite, il s'agit du potentiel que nous aurions de créer un partenariat bilatéral sur les sujets d'influence et de défense.

Cher homologue, soyez assurés que l'Azur tiens à ce que cette rencontre produise des effets concrets et précis. Nous espérons par exemple signer des accords avec vous, et nous avons des textes prêts à vous être soumis. Ceux-ci visent par exemple à renforcer notre coopération sur le volet maritime, en reconnaissant le principe des eaux territoriales et en définissant l'usage que nous prétendons en faire. Il y a également des partenariats économiques et stratégiques à trouver.

Mais au préalable de tout cela, Excellence, il me semble nécessaire de commencer par un échange au sujet de nos perspectives respectives. Quelle est la motivation profonde de chacun d'entre nous ? Comment voyons-nous cette relation bilatérale et comment s'inscrirait-elle dans la toile globale de nos coopérations internationales ? Quelles en seraient les contours et les limites ? De quelles préoccupations devrions nous être, l'un et l'autre, au courant, afin de mieux agir et mieux coopérer ensemble ?

Laissez-moi, cher Piotr, vous proposer de commencer cet échange spécifique en éclaircissant le point de vue du Diwan, au nom duquel je me trouve face à vous aujourd'hui. Je ne passerais pas par quatre chemins, la langue de bois n'étant pas souhaitable entre nous dans ce contexte.

D'abord, sur notre motivation. Comme vous pourrez l'apprendre davantage, l'Azur est une nation musulmane, un Etat islamique ; nous sommes un Califat. Les enseignements et les valeurs du Coran sont notre axiome philosophique central. La préservation des intérêts de notre Etat y est associée. Cela implique que nous ne supportons aucune remise en question de notre modèle dans nos frontières ; c'est un premier point. Nous n'avons pas d'autre idéologie que la croyance en Dieu ; nous n'adhérerons jamais à une vision idéologique du monde. De ce fait, nous travaillons avec tout le monde, de façon impartiale, ouverte, et dans la franchise la plus totale. Vous nous verrez par exemple interagir aussi bien avec le Grand-Kah qu'avec l'Alguarena, qui sont pourtant rivaux entre eux, sans nous laisser absorber dans le camp de l'un ou de l'autre. Nous chérissons notre indépendance. De ce fait, et bien que nous sachions que vous appartenez à l'UICS, je me dois d'être très clair sur une chose ; nous ne sommes pas les amis, ni les ennemis, du communisme ; nous ne tolérerons jamais toute tentative de subvertir notre population par cette idéologie. Cependant, nous sommes ouverts à la coopération la plus amicale avec tout Etat, même s'il se définit comme communiste ; ce qui compte, c'est la nature de notre partenariat. Vous nous verrez ainsi tresser des liens de profonde amitié avec un pays comme Caribeña, et, je l'espère, avec vous. Mais les intentions malines ne sauraient être de mises entre nous.

La Révélation Muhammadienne et l'islam visent, d'un point de vue anthropologique, à remettre le monde humain en ordre. Le Prophète n'a rien fait d'autre que de répandre, auprès de ses semblables humains, la volonté de Dieu qui est une volonté d'amour universel pour l'Humanité. On ne compte pas les versets et les Hâdiths qui démontrent que Dieu, Certes Omniscient, ne désire que le Salut pour l'Humanité toute entière, tenant compte des spécificités propres de chacun, qui sont telles qu'Il les a Créées. Hommes, femmes, musulmans, chrétiens, juifs, tous et toutes sont appelées à réaliser le Bien dont Il est le Meilleur Connaisseur ; à nous, humains sur la Terre, d'accomplir sa volonté. L'Azur ne prétend certes pas imposer quoi que ce soit ! Mais nous prétendons que les notions de Bien et d'Amour suprêmes, qui existent en islam, sont rejointes par des conceptions similaires dans les autres civilisations humaines, et que par un effort mutuel les uns envers les autres, nous arriverons à réaliser ce Bien auquel Dieu nous appelle, d'une façon concrète et respectueuse de nos identités respectives. C'est ce qui fonde le désir de l'Azur d'établir des coopérations internationales tous azimuts, et d'aller vers un ordre mondial multilatéral, coopératif, ordonné sur des principes universels, de façon analogue à la politique internationale de votre pays, la Poëtoscovie.

Comment voyons-nous la relation bilatérale qui s'inscrirait dans cette édifice de pensée ? A cela, cher homologue, je dis que l'Azur est d'abord pragmatique. Et là je quitte la philosophie pour revenir à la politique réelle. Car si de hautes idées nous sommes imprégnés, nous savons que beaucoup de nos interlocuteurs ne le sont pas. Il en va ainsi d'une série de pays qui défendent des intérêts particuliers contre le reste du monde. Nous ne les jugeons pas pour cela ; ce n'est pas à nous de le faire. Nous le constatons simplement. Nous constatons que des menaces existent contre notre propre Etat, et que dans une série d'endroits, des politiques injustes, oppressives et hostiles sont pratiquées. Au regard de notre inspiration profonde, et de notre propre nécessité à vivre tranquillement, nous voulons nous en défendre. Vous, la Poëtoscovie, disposez d'une arme culturelle redoutable pour mener à bien des actions de sécurisation de vos intérêts. C'est une chose bien admirable. Ce que l'Azur désire, et pense profitable à nos deux nations, c'est que cette arme culturelle puisse, de façon ponctuelle et concertée, être utilisée en commun. Nous avons des idées concrètes que nous pourrons aborder ensemble plus tard à ce sujet. Mais le principe que nous nous apprêtons à proposer est simple : il vise à mener des opérations communes pour sauvegarder nos intérêts respectifs, et nous protéger de la politique hostile d'Etats qui ne partagent pas nos croyances dans un progrès vers le Bien universel.

Quelles seraient les contours et les limites de la relation que nous proposons de créer ? Certes il me faut tout de suite dégager le mot d'alliance, impropre selon nous à qualifier le partenariat que nous désirons. L'Azur est et restera indépendant, et nous sommes convaincus que c'est pour le mieux. Nous ne recherchons pas d'alliance, mais des partenariats ponctuels, précis, et à chaque fois motivés par un intérêt réciproque réel. Jamais nous n'envisagerions de devenir les alliés automatiques d'un pays qui, pour des raisons que nous ne connaitrions pas, choisirai de s'aventurer dans des dangers où nous ne souhaitons pas aller. Indépendance réciproque, et cependant attention portée à l'intérêt mutuel, toujours replacé dans son contexte par un dialogue argumenté ; telle est la façon dont nous envisageons la relation bilatérale.

De quelles préoccupations devrions-nous être au courant pour mieux agir ensemble ? Sur ce dernier point, j'ai les réponses en ce qui concerne l'Azur, mais aussi des questions concernant la Poëtoscovie, à vous présenter.

L'Azur veut sécuriser et empuissanter son continent, l'Afarée, face à l'intrusion d'acteurs d'outre-mer. Nous identifions en particulier le danger de la diffusion d'idéologies hégémoniques et la présence de forces impérialistes dans de nombreux points de notre continent. Dans ce contexte il faudra aborder les manoeuvres militaires poëtoscoviennes sur le territoire de la Cité du Désert, qui se déroulent à nos frontières et doivent impérativement faire l'objet d'une transparence totale envers nous, sous peine de constituer une épine majeure dans nos bonnes relations ; vous comprendrez bien qu'on ne peut pas fermer les yeux sur des opérations militaires qui se déroulent sous vos fenêtres sans en connaître les objectifs précis, les moyens disponibles, et les limites qu'elles se donnent. L'Azur ne souffre aucune remise en question de ce besoin tout à fait légitime de s'assurer que ses frontières sont en sécurité face à d'éventuels agresseurs. C'est contre eux que nous dirigeons notre action internationale, d'une main de fer dans un gant de velours. Vous verrez bientôt cette politique prendre une ampleur plus grande. Par ailleurs, l'Azur veut diversifier ses partenariats. Certains acteurs se prévalent de leur puissance momentanée pour nous refuser des doléances pourtant légitimes que nous aurions envers eux ; ce n'est pas acceptable. Pour soulever le roc d'un obstacle, nous cherchons des leviers alternatifs. J'imagine que c'est aussi votre pensée.

Car à présent j'en viens aux questions que nous voulons éclaircir avec vous, en préalable à une discussion sur des textes d'accords de coopération. Quelles sont les préoccupations de la Poëtoscovie ?

Depuis Agatharchidès, il me semble en discerner quelques-unes, mais du fait de la distance, elles sont peut-être confuses ou imprécises. J'ai l'impression, en réalité, que la Poëtoscovie est un Etat profondément isolé, et cela malgré sa force économique et politique indiscutable. C'est un étonnement pour nous. Nous avons observé, au moins à deux reprises, des tentatives d'humiliation et d'intimidation à votre endroit, de la part de la Vélésie par exemple, avec une maltraitance imposée à vos diplomates, au mépris de toute norme international et de tout honneur. Nous avons vu, également, certains pays contester vos droits dans votre propre territoire, et s'alarmer, avec un degré de mauvaise foi que j'ai du mal à jauger, d'intentions belliqueuses de la Poëtoscovie – façon détournée de s'en prendre à vous. Ces intuitions se vérifient-elles ?

Bien sûr, je dois vous dire que nous ne sommes pas à votre place, et, vous le comprendrez bien, que notre priorité soit de développer nos propres partenariats – c'est pourquoi nous n'avons pas réagi vigoureusement pour prendre votre défense, vu votre isolement, qui nous empêche d'avoir une quelconque efficace sur vos problématiques dont nous sommes lointains. Néanmoins, à titre personnel, je vous confie ma sollicitude. Et mon intuition que ces désagréments peuvent rendre notre coopération bilatérale, en réalité, tout à fait utile et à nous deux profitable.
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Plus qu'une chance pour la Poëtoscovie d'avoir été invitée par une telle puissance et avec une telle maitrise de la diplomatie, c'était une forme de reconnaissance : celle d'un État qui se complaisait dans l'isolation dans laquelle il avait été jeté après trop d'effets sur la scène internationale et, il faut le dire, quelques échecs. Toutefois, il voyait avec beaucoup de bienveillance toute initiative, telle que celle opérée par l'Azur, de mettre en lien différentes autorités dans un objectif commun déterminé. Si la Poëtoscovie avait, depuis peu, reconnu qu'il lui fallait accroître sa puissance militaire à un degré autrement plus important que ce qu'elle n'avait connu, il n'en demeurait pas moins que les expériences diplomatiques restaient incontestablement les solutions favorites de la république littéraire. Sur ce point, substrat de toute négociation, l'Azur et la Poëtoscovie semblaient ne faire qu'un, tant leurs conceptions du monde, quoique différentes à bien des aspects, se voulaient vouées à s'entendre.

Le vol jusqu'à l'Afarée s'était bien déroulé, sinon excellemment, et quelle ne fut pas la surprise de Piotr Vassia, le ministre des Relations Internationales de la République de Poëtoscovie, en constatant avec une fascination hors de toute mesure que la réception qui lui était accordée, à lui, jeune diplomate, dépassait tout ce qu'il avait pu croire. Même en lisant des montagnes de rapports, des centaines de livres, quelques comptes-rendus de réunion, il lui apparaissait que le luxe dans lequel s'affichaient les Azuréens était en partie mythologique, et s'entretenait du fait qu'on le pensait réel. Aujourd'hui, pour la première fois de sa vie et comme une révélation, il succombait au charme d'un territoire, d'une culture, d'une vie qu'il n'avait jamais eu l'occasion de connaître, mais dont chaque fragment qu'il apercevait lui faisait se demander comment diable cela aurait pu être mieux.

On lui fit rencontre, très vite et toujours avec ce grand calme propre à la diplomatie la plus experte, de toute une série de personnalités auxquelles il serra les mains, par dizaines, comme un seigneur dont l'importance est grandie par une forme d'euphorie collective et illusoire. Oh, et puis on avait joué l'hymne poëtoscovien, mais d'une façon ! Sans doute les anges pleuraient-ils qu'il existe finalement une musique divine ailleurs que dans le ciel, non pas que les Orphées Impériaux jouaient moins bien que cet orchestre qui faisait face au ministre, ou qu'il jouait avec plus de sensibilité, de rage, d'Amour peut-être : les Azuréens maîtrisaient, lui semblait-il, cet art de s'approprier les sons d'une manière afaréenne indissociable de la perfection.

Pour se montrer à la hauteur de l'homme avec qui il conversait, et sans doute parce qu'il était sans doute aussi un peu autiste, Piotr Vassia se figurait en esprit un carnet où il notait l'ensemble de ce que lui disait Jamal al-Dîn, afin de pouvoir y répondre. Son homologue afaréen maniait l'art de la subtilité d'une façon exquise, tant que même les intérêts étrangers semblaient délicieux à ouïr. Pleinement à l'aise, Piotr Vassia prit alors quelques instants pour réfléchir lorsque son interlocuteur eut achevé le discours qu'il avait sans doute appris par cœur, du moins connaissait parfaitement les grandes lignes et avait travaillé leur formulation afin de faire paraitre ce qui ne l'était pas le plus naturel au monde.

Cet exercice, propre aux diplomates expérimentés, plaisant aux diplomates expérimentés et incompréhensible pour tout autre individu extérieur à cette fonction, même le politique le plus talentueux qui soit – à compter que l'on puisse être un politique talentueux sans être diplomate –, créait entre les deux hommes une forme de sympathie, si bien que sans détour le représentant poëtoscovien put lui exprimer le fond de sa pensée.


Excellence,

C'est à nous que revient l'honneur d'avoir été invités par ce que la scène internationale compte de plus raffiné en termes de diplomatie. N'ayez nulle crainte, la Poëtosovie compte certains aspects fort difficiles à apprécier et tout ce que j'ai pu voir chez vous m'a paru d'une beauté tout à fait renversante.

Laissez-moi d'abord vous dire combien le fait que nous nous rencontrions m'importe, et combien l'importance que j'y attache promet à ce sommet des conséquences nombreuses et heureuses.

Je vous avoue demeurer stupéfait qu'une puissance telle que la vôtre éprouve un quelconque intérêt pour cette organisation internationale sur laquelle un bon nombre d'États ont craché avant même de la connaître. Vous me direz sans doute que le multilatéralisme doit toujours être la voie pour éviter la désescalade, et vous avez raison. Aussi, si l'Azur le veut, le pays peut-il s'investir au TI dès qu'il le souhaite, comme tout autre État. Je pense que le fait que vous vous preniez au jeu enverrait un signal fort au reste de la communauté internationale. L'Azur, État faisant consensus, ouvrirait la voie à la diplomatie, la vraie, qui prône la concertation entre les entités juridiques et l'établissement d'un droit international.

En outre, la Poëtoscovie sera très attentive à chacune de vos propositions. L'influence et la défense que vous évoquez figurent parmi les chantiers clefs de la puissance littéraire, et ce serait avec grande joie que nous mettrons nos compétences au service de nos idées. Vous m'avez parlé de texte, me semble-t-il, et en tant que Poëtoscovien convaincu, je sais que rien n'a d'effet sans texte associé. Je serais alors véritablement intéressé par ces derniers, qui représentent, pour toute la diplomatie poëtoscovienne, une opportunité de s'ouvrir sur le monde d'une façon inédite.

Dans le même esprit, nous sommes tout à fait ouverts au fait de définir ensemble ce que l'on peut attendre d'un État d'un point de vue maritime et ce qui constitue un excès de sa part. Il ne vous aura pas échappé que certains États ont des tendances impérialistes qui n'ont strictement rien de compatible avec la vision du monde que nous semblons avoir en commun et au cœur de laquelle demeure la souveraineté nationale.

Vous m’avez ensuite posé quelques questions très franchement, et j'y répondrai avec la même assurance, car je ne doute pas du bénéfice que nous saurons en tirer. La Poëtoscovie est actuellement très déstabilisée. Il suffirait de quelques délibérations d'États étrangers pour faire enfermer le chef de l'État, Sébastien Tesson. Je me permets de vous rappeler que je suis le dernier ministre n'étant pas lovecraftien et que j'essaie tant bien que mal de composer notamment avec une politique se voulant de plus en plus militariste. Voilà donc la stratégie de la Poëtoscovie en termes de politique internationale pour les années à venir. Nous avons toujours privilégié le dialogue, même avec certains acteurs violents, comme la Vélèsie qui a finalement fini par exécuter le personnel d'ambassade poëtoscovien présent sur son sol voilà quelques années. Les capacités d'influence de la Poëtoscovie, lesquelles résultent d'un soft power que nous privilégions sur tout autre moyen de pression, ainsi que du fait de services de renseignements forts, nous ont permis de sortir de multiples crises. Toutefois, la Poëtoscovie entre maintenant en concurrence avec des États tels que le Jashuria. Devant la menace militaire et économique que présente ce dernier, en plus de la Vélèsie et de Sterus avec lequel la situation avait été très tendue – à la suite des menaces à caractère militaire qui avaient été déployées –, l'ancien président de la République, Jolan Sandro, avait décidé de donner à la Poëtoscovie un arsenal balistique purement dissuasif. Cela est fait, et nous n'avons pas l'intention d'investir davantage dans quelque domaine militaire que ce soit. En revanche, le renseignement est l'arme dont nous usons le plus, et je puis vous garantir que c'est là un moyen de s'assurer de la stabilité souterraine de tout un continent lorsqu'il est utilisé avec l'éthique qui est la nôtre.

Je ne vois alors pas véritablement ce que la Poëtoscovie aurait à gagner en termes d'influence face à l'Azur, ni ce que l'Azur aurait à gagner de la part de la Poëtoscovie en termes militaires. Il me parait alors clair que si l'un doit aider l'autre, nous devons prendre appui sur nos atouts respectifs afin d'établir un partenariat, si c'est ce que vous souhaitez, qui rendent nos puissances complémentaires et nous assurent une stabilité face aux menaces extérieures.

Dans cet esprit, la Poëtoscovie intervient notamment chez vos voisins de la Cité du Désert chez lesquels nous avons installé une base permettant le ravitaillement de nos appareils en échange d'une sécurisation de la zone. Des groupes terroristes y étant implantés, la force poëtoscovienne s'est alors mise au service de l'Humanité ainsi que de l'ordre multilatéral et coopératif dont vous parlez. Je suis heureux de trouver en vous l'interlocuteur qui souhaite, quoiqu'avec bien moins de casseroles, adopter une politique internationale similaire à la nôtre à bien des égards, et plus particulièrement dans le fond, ce qui est une grande partie de la politique –  bien que le reste compte également, ne me faites pas dire ce que je n'ai jamais dit.

Vous m'avez assez longuement, je dois dire, expliqué votre religion et votre mode de fonctionnement quant au choix de vos interlocuteurs internationaux. Je ne suis pas musulman, ni même croyant d'aucune sorte ; je ne suis pas communiste non plus, socialiste si l'on considère que le Parti Zolien s'y inscrit, mais je comprends l'essentiel de votre discours, le reste m'étant inaccessible du fait de mon ignorance quant à la théologie qui, pourtant, et je le sais, est si importante chez vous. Je souhaitais simplement vous dire que je comprenais ce choix de conserver un dialogue avec l'ensemble des acteurs internationaux, et c'est peut-être là la véritable force diplomatique dont vous disposez. Je dois vous avouer être fasciné par cela, et il ne fait nul doute que la Poëtoscovie marchera alors dans vos pas, quoiqu'elle l'ait déjà commencé depuis que j'ai émis une décision allant en ce sens. N'est-il pas drôle que la politique internationale que je souhaite mener, et que j'ai théorisée, soit exactement celle que vous me présentez ? À titre personnel, je le présente comme prologue d'une amitié entre nos deux nations.

Vous savez, Monsieur, le renseignement n'est rien d'autre que la vérité. On n'en révèle jamais que des fragments pour que ça conserve de intérêt pour nous, mais la pure vérité, dans sa globalité, est un élément nécessaire à l'exercice de la justice. Or la Poëtoscovie a toujours montré son vœu de justice. La Poëtoscovie est donc prête, comme vous me le demandez, à mettre sa puissance culturelle au service du bien commun, de manière ponctuelle et concertée, comme de manière permanente dans les régions en ayant besoin et le souhaitant.

Vous me parlez, pour cela, de partenariat. Vous ne semblez pas aimer le mot alliance, car celui-ci vous affiche proche d'un pays, et donc nuirait à votre volonté de neutralité sur la scène internationale. Je comprends tout cela. Je me montrerai moi-même exigeant, car je refuse également le terme de partenariat. Pourquoi ? C'est tout simple. Ce mot, pourtant anodin, désigne en vérité une coopération sous un angle commercial, économique, si bien que l'on ne distingue plus un État d'une entreprise. Pourrions-nous user du terme "association", "coopération", "solidarité interétatique" ou de toute autre façon qui vous conviendra, mais par pitié, laissons aux sociétés privées le loisir d'avoir leur vocabulaire et donnons à la diplomatie le lexique qu'elle mérite.

Pour en revenir aux opérations de la Poëtoscovie sur le territoire de la Cité du Désert, j'ordonnerai que vos autorités soient mises au courant de toute évolution de l'implication poëtoscovienne au même degré avec lequel nous renseignons la Cité elle-même. J'espère que cela vous convient, mais c'est ce que j'ai cru comprendre de votre requête, et je pense y répondre de la manière que vous le souhaitez. N'hésitez pas à me faire comprendre si ce n'était pas exactement cela que vous souhaitiez.

HRPLe fait que les autorités azuréennes puissent prendre connaissance de tout ce dont la Princesse est au courant, soit principalement l'infiltration d'un groupe terroriste par la SEP, prend effet immédiatement. Les autres joueurs doivent toutefois faire comme s'il ne savait rien, car rien ne change pour eux.
Par ailleurs, vous me demandez les majeures préoccupations de la Poëtoscovie. Je dois vous avouer que nous sommes en ce moment particulièrement attentifs à toute action menée par le Jashuria qui s'est quelques fois montré hostile envers nous. La Poëtoscovie n'a jamais rien eu contre lui, à part dans certains articles satiriques, mais le Jashuria nous a, à de multiples reprises, menacé d'intervenir si nous ne retirions pas certains éléments de notre base navale au Chandekolza. Cette situation nous est inacceptable, car la Poëtoscovie est un État souverain, et jamais nous ne céderons aux caprices impérialistes d'une puissance souhaitant conserver son emprise géographique sur ce qu'elle considère être "son" continent.

D'autre part, nous sommes particulièrement attentifs à toute action impliquant l'UICS, volcan actuellement endormi, mais qui pourrait bien jouer un rôle géopolitique dans les années à venir. Je sais que cela ne vous concerne pas vraiment, mais vous m'avez posé la question, alors je vous réponds. Je m'étais également demandé s'il ne serait pas judicieux pour la Poëtoscovie de demander à rejoindre l'OND, et cette réflexion est toujours en cours, mais je crains que la République Littéraire ne rentre dans les cases voulues. Cela serait tout de même un pas important dans la stabilité du monde, car sous tutelle de l'OND, les actions de la Poëtoscovie en faveur du multilatéralisme gagneraient en crédibilité.

Enfin, Monsieur, vos intuitions ne sauraient que se confirmer. Vous parlez de certains États, que j'ai cités, et il semble que nous partageons la vision de ces événements. Toutefois, il faut garder à l'esprit que l'humiliation sera un jour dépassée par le droit, et que des puissances qui, aujourd'hui, se moquent des codes propres à la bonne diplomatie devront demain se justifier de tels agissements.

HRPJe sais qu'il ne faut pas faire de lien avec le HRP, mais bon, celui-ci est évident. L'ambiance générale sur le serveur Discord impacte évidemment le rapport entretenu entre les États et la Poëtoscovie. Quand certains disent "la méchante poëtoscovie", "Moi perso j'ai arrêté d'essayer de comprendre, et je me lâche sur la Poëtoscovie", "Quelque part la Poëtoscovie c'est un peu le Carnavale du Nazum mais sans le charisme propre à l'original", "La Poëtoscovie ✨" (ironiquement), "Poetoscovie t'es pas obligé de répondre", "Oui enfin ... est ce que vous avez vraiment envie d'avoir la Poetoscovie comme alliée ?", "la poetscovie ferait tout pour avoir des alliés", "Tout se passerait admirablement bien pour la Poetoscovie si elle ne passait pas son temps à faire n'importe quoi..", "Le Jashuria sautera sur l'occasion si jamais la Poetoscovie fait des dingueries en Everia ... tu vas être content XD", "ne surestime pas la stratégie globale de la Poetoscovie svp", "La Poetoscovie c'est un cas à part :sueur~1:".
Je sais que tout ça c'est pas méchant, la plupart sont d'excellents joueurs que j'admire, et puis c'est aussi le résultat de mon RP. Je veux pas faire la victime, les joueurs disent ce qu'ils veulent. Velsna le résume très bien : "le joueur de la Poetoscovie, je pense, est plus épanouit dans son coin ". Effectivement, et c'est un peu pour ça que dernièrement je RP plutôt seul, mais c'est pas méchant, je gène personne et personne me gène. Je pense que c'était important de le préciser, sachant que tu parles de "multilatéralisme", or en ce moment j'ai tendance à pas jouer le multilatéralisme que je prône pour ces raisons. C'est aussi pour ça que je postule pas à l'OND et que j'arrête de RP avec d'autres pays que ma NJ2. Voilà :)

C'est donc avec grande joie que nous acceptons votre sollicitude.

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Jamal al-Dîn al-Afaghani et ses conseillers écoutèrent Piotr Viassa dérouler le discours de la Poëtoscovie avec intérêt, tout en s'assurant d'un oeil qu'aucun inconfort n'était susceptible de gêner la conversation. Le jeune ministre décrivait le point de vue d'un pays dont la culture particulière transparaissait comme le sable brille sous la mer. C'était non seulement une manière de voir, mais aussi une manière d'exprimer les choses, certes étrange quelque peu, en tous cas inhabituelle. La Poétoscovie, dans les îles lointaines baignées d'eaux froides, était une nation qui avait pourtant, sur certains points rares mais remarquables, mis en place les prémisses d'un raisonnement analogue à celui de l'Azur. C'était aussi vrai dans la volonté de structurer son approche de la diplomatie que dans la ferme intention d'assurer sa propre sécurité par le développement d'armes dévastatrices, dont les missiles supersoniques seraient un pilier incontournable. En feuilletant ses notes, Afaghani écoutait se mettre en place un argumentaire détaillé et sincère.
Excellence, cher collègue, d'abord je vous remercie d'avoir abordé ces sujets de front d'une manière aussi sincère et transparente. C'est là la marque indiscutable d'une démarche cohérente d'être venu ici jusqu'à nous, en même temps qu'une caractéristique qu'il me semble percevoir de votre culture nationale du Nord, imprégnée de romantisme, de quête de la vérité et de volonté de sublime. Loin d'être quelque chose de risible ou d'inquiétant, c'est au contraire une marque de votre spécificité culturelle qui nous enchante. Vive la différence entre les peuples, vive la diversité des cultures, n'est-ce pas ! Car, je vous l'expliquerai peut-être davantage, vous êtes indéniablement slave.

Que cette déclaration vous surprenne, c'est possible, mais avant d'aller plus loin, je vous prie de me laisser revenir sur certains éléments que vous avez mentionné. Vous avez pointé notre convergence, et c'est désormais indiscutablement un combat commun entre nous, sur le multilatéralisme, l'adoption de codes et de procédures diplomatiques construites sur une approche intelligible, systématique et constructive des relations internationales, ce que nous appelons rapidement le multilatéralisme, et qui n'est rien d'autre que la bonne volonté mise en pratique dans les échanges entre Etats. De fait, vous avez donné l'exemple de l'initiative poétoscovienne qui est la vôtre quand au Tribunal International. En premier lieu, ce doit être à mon sens un motif de fierté pour votre pays que d'avoir initié cette proposition. Vous constatez qu'elle a jusqu'ici échoué à agréger d'autres bonnes volontés, et c'est malheureusement factuel. Cela tient, si vous admettez que j'émette cette idée, à mon avis à un trop grand optimisme qui a été le vôtre lors du lancement de ce projet. La Poëtoscovie a misé, plutôt que vérifié, sur une bienveillance et un intérêt spontané pour ce bon sens diplomatique de la part des autres Etats, ce qui, n'ayant en fait pas été concrétisé, a provoqué l'isolement de cette initiative et sa catatonie actuelle.

Certes, le Tribunal International est aujourd'hui loin d'être à la hauteur des espoirs que vous y investissiez, et il n'est pas en mesure de remplir le rôle que nous aimerions le voir jouer en raison de la faible implication d'un nombre suffisant d'Etats dans son fonctionnement. Fonctionnement qui, si je ne m'abuse, a été déjà en grande partie rédigé et théorisé par la Poëtoscovie ; ce qui renforce la difficulté, pour un Etat extérieur, à s'impliquer dans ces structures préexistantes...

Loin de vous faire un procès, cher Piotr, je ne fais que constater la bonne volonté et le travail qui ont été les vôtres, tout en trouvant une explication plausible aux faibles résultats que nous trouvons aujourd'hui. Surtout, que l'opinion poétoscovienne n'en accuse aucune blessure à l'orgueil ! Au contraire, votre expérience a été essentielle pour mettre en lumière ce qui n'apparaissait pas clairement il y a quelques temps : le manque de volonté pour organiser le multilatéralisme mondial de la part de nos contemporains. Votre expérience a démontré cette réalité et c'est forts de cet enseignement que je vous propose donc la main tendue de l'Azur pour avancer à nouveau vers cet objectif.

Selon nous, le projet de Tribunal International est à reprendre en le repensant. Il faudrait pour cela lancer un chantier adéquat. Pensez-vous que cela serait conforme à votre vision ? Dans la nôtre, peut-être que le nom de Tribunal International n'est pas le plus indiqué, ou bien que ce qui existe aujourd'hui sous le nom de "Tribunal International" n'est pas réellement en mesure d'être l'enceinte d'arbitrage international que nous souhaiterions voir exister. Mais c'est là un débat qui ne peut que commencer et, plutôt que de m'avancer sur les changements possibles à réaliser dans le projet de Tribunal International pour le rendre plus opérationnel, je me contenterais de sonder votre avis en la matière. La Poëtoscovie serait-elle d'accord pour rouvrir le dossier de ce projet et accueillir des propositions extérieures ? Au contraire, y a-t-il une marge de manoeuvre pour améliorer l'existant sans le retoucher, par exemple en distinguant le Tribunal International d'une éventuelle "Cour Internationale d'Arbitrage" (bien sûr, le nom n'est qu'hypothétique) qui existerait en parallèle pour traiter d'autres sujets non couverts par le T.I. ?

Afaghani fit une pause dans cette longue réponse pour laisser le Ministre des Affaires étrangères de la République Poétique apporter son point de vue. Entre eux, les interprètes passaient de l'arabe au français, langue officielle des invités de l'Azur.
J'aimerais également revenir sur les points que vous avez mentionnés en matière d'amitié réciproque ; non pas d'alliance, ni de partenariat, mais alors bel et bien de coopération, car si cela vous agrée, tel est bien le terme que nous envisageons pour qualifier la relation qui nous unit et que nous voulons développer. D'abord pour vous remercier d'avoir abordé les choses d'une façon aussi claire et factuelle. Au nom du Diwan, je ne peux que plussoyer aux impératifs stratégiques qui sont mis en oeuvre par votre pays ; l'appui sur votre puissance culturelle d'une part, qui aujourd'hui vous dote de capacités incomparables en matière d'influence et de surveillance de dangers potentiels ; le développement d'armes balistiques expressément destinées à dissuader toute agression. Quand, depuis chez nous, on regarde vers vos îles entourées de glaces, ceinturant le Pôle, on ne peut que comprendre la situation dans laquelle vous vous trouvez.

Car vous l'avez décrit vous même, cher homologue ; la Poëtoscovie se trouve dans une situation de profond isolement. Cet isolement n'est certes pas total, car votre culture, votre littérature, et certaines de vos actualités sont bien en vue sur la scène internationale, pour le meilleur comme certes pour le pire, étant donné la volonté explicite de certains Etats de marginaliser votre pays sur la scène mondiale. Mais c'est un isolement tout de même, comme le montre l'absence de toute réaction significative face aux sordides exactions des Vélésiens, qu'ils soient maudits pour leurs crimes. Soyez assuré, Excellence, que je n'avais pas connaissance de ces faits avant que vous les apportiez ici. Cette ignorance de notre part n'est pardonnable que dans la mesure où elle illustre le manque de percée de la Poëtoscovie hors de sa solitude nordique.

Vous savez, quand j'étais jeune diplomate, j'ai eu l'occasion de lire et d'entendre des choses sur la nature de l'âme slave, son complexe d'assiégement, son tempérament sauvage, marginalisé par l'Occident autant que par l'Orient, et sa volonté de se réfugier, face à des nations qui la rejettent régulièrement, dans la grande Nature dont elle tire une force unique au monde. Ce trait caractéristique produit autant un goût unique pour l'art, manifesté par la magnificence des Tsars et la lumineuse obscurité des artistes russophones, qu'une tendance presque atavique à l'isolement diplomatique. Certes, nous ne sommes plus exactement à l'époque où, isolés de tout secours, les cosaques devaient survivre dans leur empire immense en repoussant devant eux nomades et rivaux géopolitiques. Néanmoins, l'image d'une Poëtoscovie poussée dans ses retranchements par des impérialismes régionaux me reste à l'esprit.

Que pouvons-nous apporter face à cela ?

Votre question est légitime. Ma réponse serait : peu de choses, et beaucoup de choses, peut-être. Peu de choses d'abord car je me dois de poser aussi certains doutes avec vous. Notre conversation est tranquille, nous sommes entre amis, alors parlons sans crainte. Peu de choses, oui, car loin de m'aveugler sur la réalité du monde, j'ai conscience, en tant que Ministre des Affaires étrangères de ce pays, d'avoir en responsabilité un Etat et une doctrine particulièrement fragiles. Malgré son luxe et son goût pour l'apparat, l'Azur est un pays parmi les moins avancés de la planète. Nos forces militaires et scientifiques, même si nous travaillons d'arrache-pied à les consolider, sont réduites en comparaison de nos voisins. De plus, notre religion nous installe dans un rapport compliqué avec certaines puissances qui rejettent et désapprouvent certaines de nos opinions morales.

Et en même temps, vous avez raison de pointer le potentiel d'une coopération de sécurité entre nous. Je dis bien de sécurité, car c'est bien un accord de sécurité que j'ai en tête pour mettre nos forces en commun dans ce que vous avez bien justement nommé des opérations de vérité. De fait, nous avons développé jusqu'ici une industrie militaire, certes modeste, mais fonctionnelle, qui pourrait par exemple contractualiser avec vous, notamment dans la perspective d'accroître votre nombre de têtes balistiques afin de renforcer la dissuasion poétoscovienne.

Mais c'est encore et toujours dans la diplomatie que nos meilleures cartes sont à aller chercher. Et je veux pour cela signifier que l'Azur souhaite mettre sur la table des accords concrets entre nous. Premièrement sur le volet maritime, avec comme vous le savez peut-être une série d'éléments pour reconnaître mutuellement le principe d'eaux territoriales et de frontières maritimes, harmoniser nos pratiques de pêche, établir un cadre réglementaire favorable pour la navigation et gérer les écosystèmes marins de manière durable. Voici une première proposition ; n'hésitez-pas à nous faire tout retour que vous jugeriez nécessaire.

Proposition d'accord de coopération maritime Azur-PoëtoscoviePréambule

Le Califat constitutionnel d’Azur et la République de Poëtoscovie, confirmant leur lien d'amitié mutuelle, constatent le besoin d’établir par le présent accord leur coopération maritime afin de sauvegarder leur intérêts mutuels et d’assurer la sécurité juridique des navires en mer. Le présent accord vise à consacrer la notion de « zone maritime souveraine » et à encadrer la coopération entre les deux Etats pour conforter la croissance et les retombées positives découlant d'un usage réglementé de l'espace maritime. Cet accord a vocation à s'inscrire de manière cohérente avec les autres dispositifs internationaux touchant aux questions maritimes.

Article 1 : de la reconnaissance de la zone maritime souveraine

Article 1.1 : du principe de la zone maritime souveraine
Les Etats partie au présent accord reconnaissent mutuellement leurs droits souverains réciproques sur leur zone maritime souveraine, définie comme le segment de territoire maritime situé entre le prolongement de leurs frontières terrestres et la ligne parallèle à la façade maritime établie à trois cents kilomètres (300 km) du continent. Cette zone est définie par les cartes maritimes fournies en annexe au présent traité.

Article 1.2 : du droit applicable
Les deux parties du présent accord considèrent que la zone maritime souveraine fait partie intégrante du territoire et que le droit qui s’y applique est le droit national du pays souverain. Les seules restrictions aux activités conformes à ce droit dans cette zone ne peuvent être admises que par le présent accord.

Article 1.3 : de la haute mer
Les territoires maritimes échappant à la définition de l'article 1.1 appartiennent à la "haute mer" ; ils ne sauraient être accaparés par aucun Etat. Seules les dispositions relatives à la liberté de navigation sont susceptibles de s'y appliquer.

Article 2 : de la liberté de navigation
Article 2.1 : du principe de libre circulation
Les navires civils portant pavillon de l’un des Etats parties à l’accord ont la totale liberté de circuler dans les eaux considérées comme souveraines de l’autre partie. Cette liberté de circulation ne peut être restreinte que pour des raisons exceptionnelles motivées par une décision de justice.

Article 2.2 : du principe de libre ancrage
Les navires civils portant pavillon de l’un des Etats parties à l’accord ont la totale liberté de circuler dans les ports de l’autre partie et de s’y amarrer sans considération de durée, dans le respect de la règlementation maritime locale. Cette liberté d’ancrage ne peut être restreinte que pour des raisons exceptionnelles liées à une décision des autorités sanitaires afin de mettre en place une quarantaine contre les épidémies.

Article 2.3 : de la lutte contre la contrebande
Dans le cadre de la lutte contre la contrebande, les dispositions de l’article précédent peuvent être suspendues pour un contrôle par la garde maritime motivé par une décision de justice. Cette décision de justice doit être communiquée au préalable aux autorités judiciaires de l’autre partie, au cas où le navire arraisonné serait enregistré dans ce pays.

Article 2.4 : de la circulation des navires de guerre
La circulation des navires de guerre est autorisée en mer sauf dans la zone maritime souveraine de chaque partie, sauf autorisation préalable. Avant de pénétrer dans la zone souveraine de l’autre Etat, un navire de guerre doit s’assurer que cet accès ne lui est pas défendu.

Article 3 : de la pêche

Article 3.1 : des licences de pêche
L’Azur et la Poëtoscovie conviennent d’autoriser les navires de pêche de l’autre partie à circuler dans les eaux qu’ils considèrent relever de leur souveraineté. Seuls sont autorisés à se livrer à la pêche halieutique les navires disposant d’une licence octroyée par le ministère de la mer de l’Etat souverain.

Article 3.2 : de la définition des licences de pêche
Une licence de pêche est octroyée individuellement pour chaque navire et précise le tonnage maximum prélevable dans les eaux souveraines du pays émetteur, pour chaque espèce de poisson. Ce tonnage maximum doit être défini en lien avec le ou les autres pays selon les dispositions des articles suivants.

Article 3.3 : de la gestion des ressources halieutiques
Afin d’éviter la surexploitation de la ressource halieutique préjudiciable à l’ensemble des Etats ouverts sur la mer, les Etats parties au présent accord s’engagent à coopérer pour se transmettre l’ensemble des données océanographiques afin de suivre l’évolution des bancs de poisson, la qualité chimique des eaux, et l’état général de la faune et de la flore sous-marine.

Article 4 : de la conservation des écosystèmes marins

Article 4.1 : de la coopération entre instituts d’océanographies
Les autorités scientifiques dédiées au suivi des écosystèmes marins des deux pays s’engagent à collaborer et à transmettre leurs découvertes et données sans conditions.

Article 4.2 : de l’exploitation des ressources géologiques sous-marines
Etant constaté que les forages pétroliers, gaziers, et les autres activités d’extraction des ressources géologiques sous-marines engendrent des dégâts irréversibles sur la biodiversité et préjudiciables aux populations humaines riveraines, les parties signataires s'engagent à informer les Etats frontaliers des projets d'extraction sous-marine qu'elles envisagent au cas où sont avérés des risques.

Article 4.3 : des aires marines protégées
Les parties s'engagent à ne pas mener d'activités dans les aires de conservation marine. Ces régions sont à définir de manière consensuelle entre les parties. (Joindre une carte des aires de conservation marine le cas échéant).

Article 5 : de l’application de l’accord
Le présent accord entre en fonction à partir de la signature par les deux parties. Il pourra être révisé par concertation commune. La non-application d’un des articles de l’accord par l’une des parties rend l’ensemble de l’accord caduc. Il appartient seulement aux autorités judiciaires de caractériser un non-respect d’une des clauses de l’accord. L’Azur et la Poëtoscovie formulent ensemble le souhait que le présent accord soit respecté ou révisé s’il y a lieu de le faire, dans un esprit de coopération bienveillante et de considération pour les intérêts mutuels de l’autre partie.

Deuxièmement, il serait intéressant de commencer à concrétiser cette idée d'un accord de sécurité entre nous, qui toucherait aux points suivants qu'il reste à rédiger ;

1. Possibilité pour l'Azur de solliciter les usines culturelles et l'influence poëtoscovienne pour des opérations clandestines à l'étranger conformes à l'intérêt mutuel, et vice-versa de façon équivalente.
2. Proposition : accès des forces navales azuréennes aux bases poëtoscoviennes, et accès des forces navales poëtoscoviennes aux bases azuréennes.
3. Proposition : harmonisation du déploiement sécuritaire poétoscovien à la Cité du Désert par un partage d'informations et, le cas échéant, la possibilité de solliciter l'appui de forces de sécurité azuréenne sur le terrain dans le cadre de la souveraineté de la Cité du Désert.
4. Proposition : mise en place d'une cellule de contact permanente sur les questions stratégiques, afin de se concerter pour éviter toute problématique similaire à la crise des missiles poétoscoviens au Chandekolza. (L'Azur, en effet, souhaite que toute confrontation entre la Poëtoscovie et la nation amie de Jashuria n'aie plus jamais lieu).

Troisièmement, je vous propose, dans la continuité de l'harmonisation de nos repères stratégiques, de considérer notre point de vue quant au Jashuria, pays qui a donc démontré un antagonisme à votre égard. En tant qu'Azuréen, je regrette cette situation car nous entretenons de bonnes relations avec Agartha. Néanmoins nous ne pouvons ignorer ce passif relationnel entre vos deux Etats. C'est pourquoi l'une de nos propositions serait d'organiser une médiation entre la Poëtoscovie et le Jashuria, qui passerait par des concessions mutuelles. Nous proposons, mais c'est sujet à débat et validation de votre part avant d'aller plus loin, que la Poëtoscovie rejoigne le Traité de coopération scientifique qui unit l'Azur à l'Icamie et au Jashuria (Traité du Pavillon Septentrional). Cela permettrait de faire de la Poëtoscovie un partenaire diplomatique du Jashuria, dans le cadre d'un programme d'échanges universitaires et de rapprochement interculturel sur les questions scientifiques. Pour que le Jashuria l'accepte, il est vraisemblable que des concessions soient à donner de votre côté, avec par exemple une promesse écrite de ne plus déployer de troupes au Nazum sans l'avis du Jashuria. Mais je vous prie de m'indiquer votre sentiment à ce sujet au préalable, et je ne peux rien promettre dans l'absolu, sauf la bonne volonté de l'Azur pour effectuer cette médiation que nous jugeons nécessaire.
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"Slave" ?! Véritablement ? Personne n'avait jamais parlé de la Poëtoscovie en ces termes. Non pas que cela dérangeait Piotr, mais seulement une telle comparaison l'intriguait d'une force inimaginable et lui donnait envie d'en connaitre davantage sur ses hôtes. Il lui semblait que les Azuréens étaient tous de cette même composition intellectuelle : celle qui promeut la sincérité dans la réflexion, celle qui parle comme elle pense. Quand bien même parfois cela pouvait manquer de pertinence chez certains individus, ici cet art était si bien maîtrisé que l'on avait la splendide impression que tout mot était une pensée couchée sur l'air.

Le ministre des Relations Internationales écouta les responsables azuréens leur parler de culture, de multilatéralisme, du Tribunal International…

Excellence,

Vous parlez d'un possible investissement de l'Azur dans le Tribunal International. Je pense que cela ne pourrait être que positif et ne saurait que renforcer le multilatéralisme que nous promouvons. En effet, vous le dites si bien, il est important de montrer que le droit international reste l'une des priorités de certains États, même minoritaires. Cet investissement pousserait peut-être même certains autres États à s'appuyer sur des juridictions internationales, renforçant les possibles entraides géopolitiques et évitant de reproduire le schéma du mutisme globalisé auquel s'était livré la communauté internationale lors de l'exécution du personnel diplomatique poëtoscovien en Vélèsie.

Vous parlez ensuite d'une "Cour internationale d'arbitrage". Peut-être serait-il plus judicieux de faire évoluer le Tribunal International en ce sens. Créez simplement un espace de dialogue avec l'ensemble des acteurs du Tribunal International [HRP : dans la section du TI] où vous proposez les modifications à l'ancien traité. Vous les laisserez chacun se prononcer et débattre durant un temps relativement important, comme deux mois, puis nous pourrons considérer cela comme fait.

En vérité, je vois un véritable problème dans le fait de faire, détruire, reconstruire, défaire, refaire, anéantir, bâtir… Prenez l'exemple des groupes nationalistes : tant mieux pour nous, nous ne sommes ni l'un ni l'autre leurs alliés, mais constatons ensemble que la multiplicité d'institutions servant le même objectif les empêche d'avancer ensemble et dans la même direction. Le nombre d'États s'inscrivant comme favorables au respect du droit international étant encore plus faible, peut-être serait-il judicieux de s'en remettre aux institutions préexistantes afin de les faire évoluer. J'entends que le Tribunal International est un échec et je partage même ce constat. Toutefois, cette initiative, qui n'est pas poëtoscovienne mais bien internationale et qui fut réalisée par des experts sur le monde entier indépendamment de toute autorité poëtoscovienne, ne doit pas tomber à l'eau : il s'agit d'un repère, d'une forme de boussole internationale à laquelle s'accrochent encore quelques pays. Pourquoi pas davantage ? Sans doute le fait que le TI nécessite l'aval du gouvernement de l'État où ont eu lieu les crimes rend-il l'élaboration de dossiers trop complexes, car tout État ne s'incriminera pas lui-même. Cependant, nous avons tout de même plusieurs procès en cours et la condamnation des responsables du massacre au Diambée s'est bien faite par le Tribunal International. Certains peuvent se targuer d'avoir capturé des combattants : le TI a jugé les ministres qui les envoyaient commettre ces atrocités.

C'est donc pour tout cela que je pense sincèrement qu'il serait bénéfique au monde de renforcer cette boussole des matériaux dont vous faisiez état, en lui attribuant par exemple des compétences nouvelles. Sachez que la Poëtoscovie vous soutiendra toujours dans cette entreprise, car il est indéniable que nos objectifs sur ces points sont les mêmes.

Piotr Vassia écouta la suite des propositions de son homologue, lequel avait préparé minutieusement une quantité pharaonique de textes. Toutefois, la dernière tirade du représentant azuréen laissait perplexe le ministre poëtoscovien. Peut-être le sujet du Jashuria était-il trop sensible pour être abordé ici, mais Piotr prit ce sourire immuable qu'ont les ambassadeurs auprès de leurs alliés, même en cas de désaccord, pour répondre le plus hypocritement du monde quelques notions abstraites. En vérité, personne n'y croyait jamais, mais c'était là l'objectif, et l'allié comprenait ainsi qu'il était allé trop loin. Certes, l'Azur et la Poëtoscovie n'avaient rien d'alliés : l'un refusait ce qualificatif et se plaçait davantage comme une forme de négociateur, l'autre avait du mal à faire confiance à quiconque venait lui parler d'une quelconque supériorité jashurienne légitimant que ce pas fasse sa loi sur l'ensemble du continent nazumi.
Prenons le temps de parler en détail de vos propositions. La première, tout d'abord, celle sur l'eau, me semble parfaite. Sachez seulement que la Poëtoscovie opère de nombreux contrôles sur ses eaux, mais de manière indifférenciée entre les navires étrangers et ceux enregistrés en Poëtoscovie. De ce que j'ai compris, cela ne posera aucun problème, car il s'agit d'une stricte application de la législation poëtoscovienne. Si, parallèlement, il venait à en être de même en Azur, nous le comprendrions évidemment.

J'apprécie par ailleurs le fait que vous souligniez la souveraineté de chaque État sur ce territoire maritime et cela à de multiples reprises. Vous n’êtes pas sans savoir la pression est mise sur la Poëtoscovie dès que nous effectuons des essais balistiques sur nos propres eaux, y compris du Jashuria dont vous semblez être si proche. J'espère sincèrement que la signature d'un tel acte de droit entre nos deux pays continuera de renforcer cette légitimité – quoique déjà acquise – dans ce domaine.

Il s'agirait donc d'un grand oui de notre part concernant cette proposition d'accord de coopération maritime si l'Azur possédait plus de 60 km de côtes. Toutefois, il n'en est rien, et comprenez qu'il soit pour le moins étrange de comparer nos rives et les vôtres alors que la Poëtoscovie est une péninsule à elle seule et compte dans son territoire une autre île ainsi qu'un dernier territoire presque entièrement entouré d'eau. Comprenez que cet accord nous serait entièrement défavorable, car, mis à part la reconnaissance de notre ZEE, élément dont nous savons nous passer comme nous l'avons toujours fait, la Poëtoscovie n'a strictement rien à y gagner.

Par ailleurs, concernant un supposé accord de coopération militaire entre la Poëtoscovie et l'Azur, pourrions-nous connaître le nombre de bases à l'étranger dont dispose le pouvoir asuréen ? Je suppose qu'il en possède de nombreuses, car il aurait été véritablement osé de nous faire signer tout cela alors que nos puissances respectives dans les domaines concernés n'ont rien de comparable. Excusez-moi, mais en termes de territoire maritime, d'investissement culturel, de renseignements ou même de base militaire, aucun partenariat de nous serait favorable. Enfin bref, je ne m'étendrai pas à ce sujet, car je suis certain que vous avez bien conscience de tout cela et que vous l'aviez même avant mon arrivée.

Enfin, concernant le Jashuria, je ne puis que vous assurer que le premier pas doit impérativement provenir d'Agartha. La Poëtoscovie n'a jamais outrepassé ses droits, bien au contraire : elle a agi de manière souveraine et conformément au droit international établi, notamment avec la Chandekolza. Nous sommes tout à fait favorables au fait qu'il puisse y avoir une médiation entre le Jashuria et la Poëtoscovie et vous avez toute notre confiance en cela. Afin de faciliter ce rapprochement, la Poëtoscovie serait ouverte à une possible signature du traité de coopération scientifique qui unit l'Azur à l'Icamie et au Jashuria. Comprenez bien que, de notre côté, nous n'en avons pas besoin sur le plan culturel, que nous avons déjà de nombreux partenariats à l'international et que différents établissements poëtoscoviens, grâce à la fondation Poëtky Mir, permettent de remplir ce rôle. Si nous venions à signer ce traité, cela serait avant tout pour montrer la bonne foi de la Poëtoscovie en matière de coopération internationale tout en soulignant son intérêt quant à la cessation de toute hostilité entre le Jashuria et la Poëtoscovie, tant diplomatiquement que militairement, car nous prenons les menaces venues d'Agartha très au sérieux. La Poëtoscovie est prête à faire des concessions. Toutefois, nous maintenons qu'il ne faudrait pas rêver. Il est hors de question de considérer que la Jashuria a la mainmise sur l'ensemble des actions au Nazum. La Poëtoscovie est tout à fait dans son droit, tant qu'elle ne contrevient pas aux législations continentales en vigueur ou aux accords passés entre plusieurs États, de déplacer ses troupes comme elle l'entend. Le pouvoir de la puissance jashurienne n'a pas à s'imposer aux autres États. Si elle souhaitait véritablement la paix et la stabilité, sans doute miserait-elle davantage sur la diplomatie et le multilatéralisme plutôt que de menacer ceux qui auraient été heureux de construire avec elle un Nazum plus sûr.

Piotr Vassia chercha quelques instants dans le dossier qu'il avait avec lui. Il en sortit de nombreux documents, comme des ébauches de traités. Il y avait également des feuilles au format A3, repliées en deux, refermées comme solidement par des princes étranges. Sur ces feuilles, on pouvait voir quelques noms de figures mythologiques du Nord, ornées de tampons "secret défense". Le ministre sortit de l'une de ces pochettes où l'on pouvait lire "Azur" en grosses lettres noires une forme d'acte de loi, mais traversé obliquement de l'inscription grise "ébauche". Durant ces quelques secondes de silence, tous les diplomates présents se turent, comme sachant qu'il valait mieux ne rien risquer avant que le représentant poëtoscovie eût fini de s'exprimer.
Voilà des documents qui seront davantage à notre goût. Certes, ils restent bien évidemment des ébauches sur lesquelles je vous invite à travailler, mais il n'en demeure pas moins qu'ils conservent un réalisme et un sérieux que nous apprécions tout particulièrement. Tenez, j'ai bien fait d'en faire des copies. Prenez-en un, tout est traduit en français, en anglais et en arabe.
Le ministre poëtoscovien tendit à ses homologues le document, où l'on pouvait lire sous chaque ligne la traduction associée. Jamal al-Dîn le prit, peu assuré, comme s'il imaginait entrer en possession d'une bombe dont il ne connaissait encore rien. On pouvait le savoir, en connaissant bien l'homme, mais ses traits demeuraient inchangés ; sans doute aurait-il fait un excellent joueur de poker.
Il me semble, comme vous pouvez le constater, que cela semble bien plus équitable comme accord. Qu'en pensez-vous ?

Voir l'accord proposé

Traité de Bascra

***

ACCORD BILATÉRAL

entre

LE CLIFAT CONSTITUTIONNEL D'AZUR

et

LA RÉPUBLIQUE DE POËTOSCOVIE

Préambule

Le Califat constitutionnel d’Azur et la République de Poëtoscovie, confirmant leur lien d'amitié mutuelle, constatent le besoin d’établir par le présent accord leur coopération afin de sauvegarder leurs intérêts mutuels sur de multiples sujets. Le présent accord vise à consacrer les notions chères aux yeux des deux États et à encadrer la coopération entre eux pour conforter la croissance et les retombées positives découlant d'une coopération réglementée par le présent traité. Cet accord a vocation à s'inscrire de manière cohérente avec les autres dispositifs internationaux touchant aux questions diplomatiques, commerciales, culturelles, maritimes, militaires et autres.

Article premier – De la coopération diplomatique

Article 1.1 – Les ministères poëtoscoviens et azuréens chargés des affaires étrangères s'engagent à placer le dialogue et la diplomatie à travers leurs échanges.

Article 1.2 – Les ministères poëtoscovien et azuréen chargés des affaires étrangères s'engagent à favoriser le multilatéralisme dans chacune de leurs décisions.

Article 1.3 – Les ministères poëtoscovien et azuréen chargés des affaires étrangères s'engagent à tout mettre en œuvre afin de soutenir publiquement l'autre partie en cas de violation de son territoire ou d'agissements contraires à l'éthique diplomatique.

Article 1.4 – L'inviolabilité est considérée par le présent traité comme l'impossibilité, pour tout État autre que celui déclarant les individus et biens qui y sont soumis, de procéder à des interpellations, arrestations, contrôles, fouilles, jugements, comparutions, condamnations ou toute autre procédure semblable.

Article 1.5 – Les ministères poëtoscovien et azuréen chargés des affaires étrangères s'engagent à considérer les appartements, véhicules et personnes déclarées comme relevant d'une mission diplomatique ou consulaire sous inviolabilité.

Article 1.6 – Les ministères poëtoscovien et azuréen chargés des affaires étrangères s'engagent à faire se rétracter tout personnel en mission diplomatique ou consulaire étant sur le territoire de l'autre partie et à sa demande.

Article deuxième – De la coopération commerciale

Article 2.1 – Les autorités azuréennes et poëtoscoviennes compétentes s'engagent à faciliter le commerce entre les deux parties.

Article 2.2 – Les autorités azuréennes et poëtoscoviennes compétentes s'engagent à assurer des conditions de commerce favorables à l'établissement de liens commerciaux forts entre les deux parties.

Article 2.3 – Les autorités azuréennes et poëtoscoviennes compétentes s'engagent à s'informer réciproquement de tout risque sanitaire causé par la vente ou, de manière générale, par le commerce entre les deux parties de certains produits.

Article troisième – De la coopération culturelle

Article 3.1 – Les autorités azuréennes et poëtoscoviennes compétentes s'engagent à promouvoir les échanges universitaires avec l'autre partie.

Article 3.2 – Les autorités azuréennes et poëtoscoviennes compétentes s'engagent à accepter les visas des universitaires en échange avec l'autre partie dans les conditions évoquées à l'article 3.1 du présent traité.

Article 3.3 – Les autorités azuréennes et poëtoscoviennes compétentes s'engagent à assurer la sécurité sur leur territoire des universitaires en échange avec l'autre partie dans les conditions évoquées à l'article 3.1 du présent traité.

Article quatrième – De la coopération militaire

Article 4.1 – Les ministères azuréens et poëtoscoviens chargés des affaires militaires s'engagent à garder un contact entre eux.

Article 4.2 – Les ministres azuréens et poëtoscoviens chargés des affaires militaires s'engagent à privilégier la coopération lorsque cela est rendu possible.

Article 4.3 – Lorsque la coopération telle qu'évoquée à l'article ci-avant est impossible, les ministres azuréens et poëtoscoviens chargés des affaires militaires doivent tout mettre en œuvre afin d'éviter à l'autre un maximum de pertes, humaines ou matérielles, civiles ou militaires.

Article 4.4 – Les ministres azuréens et poëtoscoviens chargés des affaires militaires autorisent chacun des appareils aériens et maritimes militaires à traverser l'espace aérien ou maritime de l'autre partie à condition de l'en avoir informé au minimum cinq jours à l'avance.

Article 4.5 – Les ministres azuréens et poëtoscoviens chargés des affaires militaires autorisent chacun des appareils aériens et maritimes à faire escale et/ou à se ravitailler sur le territoire de l'autre partie à condition de l'en avoir informé au minimum cinq jours à l'avance.

Article 4.6 – Les ministres azuréens et poëtoscoviens chargés des affaires militaires peuvent refuser, et ponctuellement, aux appareils aériens et maritimes

toute entrée dans le territoire aérien ou maritime ainsi que toute escale ou ravitaillement tels que prévus aux articles 4.4 et 4.5 du présent traité. Les raisons d'un tel refus doivent impérativement être notifiées avec celui-ci.

Article cinquième – De la coopération des services de renseignement

Article 5.1 – Les services de renseignements azuréens et poëtoscoviens s'engagent à garder un canal de dialogue ouvert et à privilégier l'entraide dans leurs opérations respectives dès que cela leur est rendu possible.

Article 5.2 – Les services de renseignements azuréens et poëtoscoviens doivent tout mettre en œuvre, lorsqu'ils le peuvent, pour parvenir à la libération d'otages de l'autre partie.

Article 5.3 – Les services de renseignements azuréens et poëtoscoviens s'engagent à tout mettre en œuvre dans l'objectif de prévenir toute tentative de terrorisme qui aurait lieu sur le territoire de l'autre partie, sur son propre territoire lorsque l'autre partie est impactée, ou sur tout autre territoire lorsque cela pourrait aider les services de renseignements de l'autre partie.

Article 5.6 – Les services de renseignements azuréens et poëtoscoviens s'engagent à tout mettre en œuvre afin de permettre l'arrestation d'individus recherchés de la nationalité de l'autre partie et par l'État de l'autre partie dans le cas où ce même individu se trouverait sur le territoire de n'importe laquelle des deux parties.

Article sixième – De la coopération maritime

Article 6.1 – Les deux États parties du présent traité reconnaissent, sous le titre de zone économique exclusive, tout territoire maritime à moins de 350 kilomètres des côtes de l'autre partie comme s'inscrivant en tant que territoire maritime où s'exercent les droits souverains de l'autre partie.

Article 6.2 – Au titre de l'article 6.1 du présent traité, l'ensemble des activités économiques ayant lieu dans cette zone économique exclusive est soumis à la législation de l'État en vigueur, y compris concernant l'extraction de ressources naturelles.

Article 6.3 – Les territoires maritimes échappant à la définition de l'article 1.1 appartiennent à la "haute mer" ; ils ne sauraient être accaparés par aucun État. Seules les dispositions relatives à la liberté de navigation sont susceptibles de s'y appliquer.

Article septième – De l'application, de la révision ou de l'annulation du présent traité

Article 7.1 – Le présent accord entre en fonction à partir de la signature par les deux parties.

Article 7.2 – Le présent traité pourra être révisé par concertation commune.

Article 7.3 – La non-application d’un des articles de l’accord par l’une des parties rend l’ensemble de l’accord caduc. Il appartient seulement aux autorités judiciaires de caractériser un non-respect d’une des clauses de l’accord.

Article 7.4 – L’Azur et la Poëtoscovie formulent ensemble le souhait que le présent accord soit respecté ou révisé s’il y a lieu de le faire, dans un esprit de coopération bienveillante ainsi que de considération pour les intérêts mutuels de l’autre partie.
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Jamal al-Dîn al-Afaghani et ses équipes consultèrent la nouvelle proposition en silence. Puis ils la déposèrent sur le côté. Gardant un visage amène, et ouvert à la conversation, le Ministre des Affaires étrangères azuréen reprit la parole. Les interprètes, casques audio sur les oreilles, se penchèrent pour reprendre le travail de traduction. Effectivement, Afaghani était un excellent joueur de poker, auquel il jouait sans mise, cela étant défendu par l'islam.
Cher Piotr, merci pour cette belle proposition qui a été, de toute évidence, mûrement réfléchie pour être aussi équitable que possible. Je me permets de te tutoyer, espérant que notre proximité désormais rende cette facilité de la conversation propice. Tu as abordé plusieurs points au préalable ; la question du Tribunal international, la question des eaux territoriales, la question des capacités militaires ; puis du Jashuria ; et enfin, à partir de tes arguments, tu nous fais cette proposition d'accord, préférable à tes yeux. Je ne passerai pas par quatre chemin ; ton accord, rédigé avec prudence, n'est absolument pas un problème pour nous. Nous pourrions tout à fait le signer. Cependant j'ai des suggestions de forme pour l'améliorer, et le rendre plus opérationnel, car sa prudence le rend excessivement théorique à mon sens. Mais nous avons tout le temps d'en discuter.

Premièrement, je vais donc reprendre la conversation sur le thème du Tribunal International. Si j'ai bien compris tes propos, la République de Poëtoscovie entrevoit que la façon dont il pourrait être promu à de nouveaux acteurs et amélioré dans ses dispositions est par l'ajout d'un canal de dialogue dans les structures pré-existantes. Cela implique que le processus que nous appelons, Azuréens et Poëtoscoviens, de nos voeux serait une simple remise à niveau, par la discussion, du Tribunal ; or je crois au contraire qu'il faudrait procéder par une méthode plus consistante et surtout plus pro-active, afin de concrétiser un espace international d'arbitrage, qui est l'horizon que nous partageons. Si j'en juge par sa Convention, le Tribunal International est à ce jour voué à juger les individus suspects d'infractions graves et limitées aux définitions données : crimes internationaux, crimes de guerre, tueries de masse, etc. Il est tout à fait louable que le T.I. aie cet objectif et il a pour cela le soutien de l'Azur. Néanmoins, j'attire votre attention sur le fait que la convention a été entièrement rédigée par la Poëtoscovie, et que les autres Etats ne peuvent y apporter de modification afin d'adapter la situation à leur point de vue, ce qui en pratique se traduit par l'éloignement de ces Etats du Tribunal, qu'ils rejettent. Cela est d'autant plus dommage que la procédure de jugement prévue par la Convention au titre II est des plus simple ; l'ensemble des Etats vote pour établir la décision suite à une instruction du dossier par le T.I. C'est un fonctionnement extrêmement flexible.

A ce jour, le Tribunal International existe uniquement donc pour des crimes individuels. Il ne remplit pas le rôle d'un arbitre qui pourrait trancher des litiges entre Etats, tels qu'il s'en produit à intervalles réguliers, par exemple aujourd'hui avec un différend frontalier (sur des revendications maritimes conflictuelles justement : de l'intérêt d'adopter un règlement international sur la question...?) entre Karty et la Manche Silice. Le Tribunal International ne saurait en l'état être saisi de la question puisque sa Convention ne le prévoit pas. Les pays concernés pourraient être dubitatifs également quant à la procédure de décision qui trancherait entre eux, car par simple vote, une simple coalition menée par leur adversaire pourrait rendre le jugement faussé. A ce jour, il nous apparaît donc que deux points limitent la capacité du Tribunal International à arbitrer plus largement les litiges afin de les inscrire dans une pratique pacifique et multilatérale des relations internationales. (1) Le périmètre défini par la Convention au titre III est trop réduit ; pour devenir l'enceinte d'un arbitrage multilatéral, sa compétence devrait être étendue à d'autres thèmes, par exemple au droit de la mer, et dans ce cas, il doit stipuler sur quel droit il se base ; (2) La procédure de jugement est insuffisante pour rendre les jugements crédibles ; un simple vote à la majorité d'Etats (lesquels ? les signataires de la Convention ?) ne garantit pas suffisamment la sincérité des jugements.

Sur ce point, nous l'Azur, avons des recommandations à formuler pour réécrire la Convention, que ce soit en terme de disposition que surtout de méthode d'écriture : il nous apparaît essentiel, en effet, d'associer davantage d'Etats à la réécriture éventuelle de la Convention, dans la mesure où cela permettrait de les inclure davantage au processus et à la vie de cette institution.

Néanmoins, vous avez signifié votre préoccupation quant à la possibilité que ce qui ait été construit jusqu'ici soit "détruit" par une nouvelle réécriture, et c'est un argument que je comprend naturellement. Aussi j'ai avancé l'hypothèse que le Tribunal International soit conservé dans ses formes actuelles, et que les travaux d'écriture s'attachent à créer une autre institution, non pas concurrente mais complémentaire, selon une méthode différente plus horizontale. C'est l'hypothèse de la "Cour Internationale d'Arbitrage", ou quelque soit son nom.

Ainsi cher Piotr, je te propose de choisir entre deux options pour continuer à travailler ensemble sur ce sujet du multilatéralisme et du droit international qui nous tient à coeur. Première option : la réécriture de la Convention du Tribunal International par une nouvelle méthode impliquant le plus grand nombre d'Etats volontaires possible. Deuxième option : le maintient du T.I. et le lancement d'un nouveau chantier institutionnel complémentaire.

Je passe maintenant aux sujets suivants que tu as évoqué. Deuxièmement, donc, au sujet de la coopération maritime ; tu as conclu ton propos en disant que "la Poëtoscovie n'a strictement rien à y gagner". Laisse-moi tout d'abord répondre aux craintes et aux doutes que tu as soulevés. D'abord sur la taille des eaux nationales azuréennes, qui sont effectivement réduites en comparaison d'une série d'acteurs, mais pas négligeables ; il y a non seulement la côte du continent, mais encore plusieurs îles disséminées dans le Golfe du Diambée, dont nous effectuons en ce moment la cartographie. Je serais en mesure de te fournir une carte officielle dans quelques temps, après ce travail. Ensuite sur la possibilité de nous passer d'une reconnaissance mutuelle de nos frontières maritimes respectives ; je suis surpris que la Poëtoscovie ne voie pas l'intérêt, premièrement, d'obtenir le soutien du Califat sur cette question, surtout dans la mesure où votre souveraineté pourrait être contestée par d'autres Etats, scénario dans lequel notre appui pour soutenir votre légitimité vous sera précieux ; et deuxièmement, en prolongement de tout ce que nous avons dit en matière de droit international, comment parvenir à créer du droit international, et par exemple notamment un droit de la mer, si même entre nous un accord est impossible ?

Non, cher Piotr, il me semble au contraire que notre proposition d'accord de reconnaissance mutuelle est bien dans l'intérêt de la Poëtoscovie. Ce qui est stipulé prévoit d'ailleurs la liberté de navigation et un encadrement de l'exploitation des ressources marines, dans l'intérêt collectif de l'Humanité.

Troisièmement, tu as mentionné la question d'un accord de coopération militaire. Je serais plus sobre déjà sur cet intitulé, préférant celui d'accord de sécurité, liant les notions militaires et des services secrets. Mais je comprend par tes mots que l'intérêt d'un partenariat à ce sujet ne recueille pas ton approbation, apparemment du fait d'une différence entre les capacités de nos deux Etats sur la question. Permets-moi, cher Piotr, de rectifier en cela certaines des informations erronées que je perçois implicitement derrière ton raisonnement, en te rappelant certains faits sur la puissance de l'Azur. Je dois le faire d'une manière certes un peu bravache, mais c'est bien nécessaire lorsque l'on s'entend dire qu'en substance, le Califat n'est pas un interlocuteur sérieux sur ces questions de défense.

Cette rectification, je la place d'abord sur le terrain afaréen, où la Poëtoscovie opère dans des questions de sécurité locale à la Cité du Désert. Ce pays, qui est notre voisin, partage une longue frontière terrestre avec l'Azur. Pour continuer à y opérer de façon efficace, la Poëtoscovie, qui est un pays lointain, a besoin du bon concours des pays de la région, qu'il s'agisse du Banairah, notre frère, du Faravan, notre voisin et ami, ou de l'Azur, très attentif au bien-être des populations musulmanes et afaréennes. Notre puissance y est aussi immatérielle, par le rôle diplomatique, culturel et politique que nous jouons dans la région. Si la Poëtoscovie mène aujourd'hui des opérations à la Cité du Désert, c'est parce qu'elle a cette puissance de son côté, et des amis à Agatharchidès. Cette rectification, je l'amène ensuite sur le volet strictement militaire. L'Azur ne prétend ni avoir ni chercher à posséder des bases militaires à l'étranger. Nous ne sommes pas un Etat impérialiste, et nous ne souhaitons d'aucune manière remettre en cause la sécurité de nos partenaires. En revanche nous disposons d'incontestables moyens de réduire en cendres nos adversaires où qu'ils se trouvent. Ces moyens déjà existants sont appelés à se renforcer par l'acquisition prochaine de matériels d'une puissance technologique absolue, et sur lesquels je vais conserver une discrétion bien diplomatique.

Fermons là cette parenthèse quelque peu pénible, parce que trop mâtinée d'orgueil, que j'ai ouverte afin de dissiper vos craintes quant à l'opportunité d'un partenariat avec nous. Au début de notre discussion vous avez mentionné cet intérêt possible, et je crois qu'il existe vraiment, que ce soit pour travailler ensemble à une résolution des problèmes à la Cité du Désert, ou pour mener ensemble des opérations de justice et de vérité, par exemple contre la maudite nation de Vélèsie qui a commis à votre encontre des crimes trop odieux.

Quatrième point de notre discussion, j'arrive au dossier de la relation entre la Poëtoscovie et le Jashuria. Je ne doute pas que la République de Poëtoscovie se considère dans son bon droit et j'adhère à votre conviction qu'il faut prendre Agartha au sérieux sur ces sujets, notamment sur ce dossier récurrent et épineux du Chandekolza qui empoisonne souvent l'actualité internationale. Bien sûr, l'Azur est toujours disposé à jouer un rôle de médiateur. La question du traité de coopération scientifique n'étant pas un vrai enjeu pour vous, je la retire sans aucun problème, l'Azur n'ira pas plus loin sur cette idée. Pour moi, cher Piotr, l'enjeu est de rétablir positivement les relations entre la Poëtoscovie et le Jashuria de sorte que les conflits, désaccords et désagréments ne se produisent plus, et pour cela il faut des concessions réciproques. C'est pourquoi j'envisage que l'Azur soit le facilitateur d'un deal entre vos deux pays, sur la base d'une proposition réaliste. Cette proposition, j'envisage à présent qu'elle puisse être la suivante : retrait des missiles poëtoscoviens du Chandekolza, en échange d'une inclusion de la Poëtoscovie aux cercles des Accords de Sokchô, ou bien de la dimension ferroviaire de ces accords, étant donné le projet de Grand Ruban Doré porté par les Etats du Suvanardvipâ [le nom donné par les Azuréens à la partie Sud du Nazum, riche et densément peuplée, où se trouvent le Jashuria, le Wanmiri, le Negara Strana...]. Raccorder la Poëtoscovie au Jashuria par le train pourrait être en effet un beau projet entre vos deux pays et l'opportunité d'une réconciliation durable ! Pour mettre en oeuvre cette proposition et faciliter ce scénario, l'Azur est à votre disposition en tant que médiateur.

J'en arrive au cinquième et dernier point de l'ordre du jour, celui de l'accord que vous nous proposez...

Comme je vous l'ai dit, aucun point ne nous pose particulièrement problème, mais nous souhaiterions en remanier la forme, afin qu'elle réponde mieux à l'utilisation que nous nous voyons faire de ce texte.

  • L'article 1, qui établit dans des termes assez génériques les bonnes manières de la diplomatie, n'est pas assez opérationnel et concret pour figurer à un traité diplomatique ; en revanche il aurait toute sa place dans une convention bilatérale, qui aurait pour objectif de cadrer le mode de la relation. Et dans ce cas, il serait souhaitable que cette convention puisse être signée par tous les Etats possibles, afin que tous s'engagent à des modes de relation similaires les uns avec les autres ; cela créerait un argument juridique pour activer d'ailleurs un arbitrage international si l'un des signataires contrevenait à cette convention en malmenant les diplomates d'un pays invité. Contre-attaquer face à vos massacreurs d'émissaires en mettant en avant ce projet de convention serait une belle réponse, et une avancée pour que de tels déshonneurs ne se reproduisent plus.

  • L'article 2 pourrait être étoffé et aller jusqu'à la précision des produits échangés, faisant l'objet d'une facilitation pour le commerce, par une baisse des tarifs de douane. Ils pourraient être, de notre part vers vous : les produits de la sidérurgie et de la chimie ; et de votre part vers nous : les produits agricoles et alimentaires, les composants électroniques.

  • L'article 3 a notre total soutien.

  • Les articles 4 et 5 sont à faire valider en y incorporant les éléments que nous avons abordé. L'Azur serait disposé à les signer dans la mesure où vous nous feriez parvenir une connaissance plus précise de vos intentions en la matière, ainsi qu'en précisant les limites que se fixe la Poëtoscovie à la Cité du Désert, que ce soit en actions envisagées ou en terme de calendrier, la mission poëtoscovienne étant certes ponctuelle. Nous, en Azur, espérons que les clauses de coopération des services secrets puissent inclure un paramètre de confidentialité et de discrétion au sujet des actions menées et des sujets évoqués, et dans l'idéal, que ces points ne soient pas fixés dans le marbre d'un traité diplomatique, mais plutôt listés dans un mémo confidentiel.

  • L'article 6 devrait selon nous inclure les points que nous avons initialement proposés au sujet des questions de pêche, de liberté de navigation, d'exploitation des ressources, et nous n'envisageons pas que la zone souveraine d'un Etat aille au-delà de 300 kilomètres depuis la côte (et non 350), car cela pose un risque trop grand que des revendications de pays riverains se chevauchent en haute mer. Evidemment nous sommes ouverts à la discussion sur ces points, et nous pourrions consentir à un allègement de ces demandes si des progrès sont effectués sur d'autres points.

  • L'article 7 a notre total soutien.
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Piotr Vassia prit une grande inspiration. Les négociations devenaient véritablement intéressantes. Bien évidemment, les deux États avaient de nombreuses choses à se dire, pour faire valoir leurs intérêts individuels, mais ce qui touchait le ministre poëtoscovien était avant tout la volonté de l'Azur d'agir pour l'ensemble de l'Humanité. C'était là tout un art, bien singulier, mais il semblait à Piort que les deux hommes se faisant face s'y plaisaient. Fait inhabituel  : le tutoiement. En Poëtoscovie, cela n'était absolument pas de coutume, puisque le tutoiement était réservé aux enfants et aux couples. Même entre amis, il était d'usage de se vouvoyer, à la manière des romans sibériens d'autres fois dont la Poëtoscovie avait conservé la splendeur et la mélancolie. Toutefois, cette initiative prise par son homologue afaréen donnait à la rencontre une véritable saveur d'exotisme, et, à sortir de sa zone de confort, Piotr accomplissait la mission que lui avait confiée toute une nation.
Mon ami,

J'ai bien compris que nous avions deux propositions quant à l'avenir du Tribunal International. J'aimerais cependant préciser quelques notions sur lesquelles il semblerait que tu aies mal été informé. La convention fondatrice du Tribuna International a été élaborée par un comité exceptionnel neutre et regroupant des spécialistes en droit international public du monde entier. La Poëtoscovie n'a pas été plus présente autour de la table que n'importe quel acteur. Je sais pertinemment que cela ne change pas grand-chose de manière effective, mais il est important, je le crois, de rappeler la vérité lorsque cela se veut nécessaire. Toutefois, je comprends qu'il puisse s'agir de l'un des facteurs de l'impopularité –  il faut le dire – du Tribunal.

Néanmoins, il semble que les outils développés marchent et permettent, bien que cela soit long, l'obtention de résultats sur lesquels le multilatéralisme n'est aucunement remis en cause. Il serait véritablement dommage de délaisser toute cette progression qui commence à peine à porter ses fruits, d'autant plus que j'ai cru comprendre que le travail effectué ne te posait pas de problème, mais que tu souhaiterais le compléter. La remarque est donc toute bête, mais pourrait, je le crois, nous donner le discours à adopter  : pourquoi donc ne pas écrire un second traité, en plus de la convention, qui complèterait le premier sans pour autant signifier son abrogation  ? Ainsi, nous conserverions le cadre déjà installé, mais nous le compléterons suivant vos souhaits.

Par ailleurs, tu me l'as parfaitement fait remarquer, le Tribunal International souffre d'une image dégradée du fait de sa proximité supposée avec le régime poëtoscovien. Cela passe tout d'abord par la géographie, car actuellement le TI est provisoirement installé à Hernani-centre. J'aimerais sincèrement qu'à terme il soit basé à Azur. Pourquoi ce choix, me diras-tu  ? Il y a en vérité de nombreuses raisons à cela. Tout d'abord, le continent afaréen se veut acteur émergeant sur la scène mondiale. Lui fournir les outils de commandement nécessaires à la réalisation de ce projet doit figurer parmi les objectifs de la communauté internationale. En outre, l'Azur est un pays consensuel qui ne trouve pas de véritable ennemi. Ainsi, y baser le Tribunal International serait comme le dire en terrain neutre. Enfin, je tiens à te dire que c'est la coordinatrice du Tribunal Internation lui-même qui m'a fait cette proposition, que je ne fais que relayer, car la Poëtoscovie n'a aucun pouvoir sur cette institution internationale.

Concernant l'écriture d'un second traité, la Poëtoscovie se gardera bien d'instruire l'Azur d'une quelconque manière de procéder. Diplomatiquement, c'est au contraire à nous d'apprendre de vos talents afin d'arriver, nous aussi, à un degré de multilatéralisme possible. En effet, tout passe par la confiance en matière de diplomatie, or la Poëtoscovie en manque cruellement, là où l'Azur en regorge.

Concernant les cartes maritimes maintenant, je dois t'avouer les attendre avec impatience. Comprends bien qu'il m'est impossible de signer un décret sur la libre extraction des ressources halieutiques si je n'ai pas un comparatif de nos deux zones économiques exclusives. Toutefois, car nous nous connaissons bien, peut-être pouvons-nous tout de même élaborer cet acte dont vous parlez et l'inclure au Traité de Bascra que je vous proposais, selon les vœux que tu m'indiques au nom de ton honorable nation.

Ensuite, mon cher ami, il semble que vous ayez mal lu la proposition de traité que je vous ai tendue. Ce n'est pas que je considère le Califat comme un interlocuteur indigne de notre confiance ou que je doute de vos moyens  : l'un comme l'autre est faux. Seulement, il était de mon devoir de rappeler que les services de renseignement poëtoscoviens figurent parmi les plus efficaces au monde, et que je serai heureux que ta nation comme la mienne puissent en profiter. En effet, tu parles de "sécurité" pour englober le militaire et les services de renseignement. J'aime tout autant les séparer, comme dans le texte que je t'ai donné et où il m'a semblé considérer l'Azur comme une puissance à l'influence sérieuse. Peut-être n'est-ce pas à la hauteur de tes attentes ou inconforme à ta volonté, auquel cas je vous proposerais de revoir ce traité afin que nous puissions nous mettre d'accord ensemble, point par point, sur la nature précise de notre amitié.

Concernant le volet de la dissuasion militaire, dont j'ai compris que tu souhaitais que nous soyons brefs, sache que la Poëtoscovie s'est également munie de missiles balistiques de dernière génération. Je puis te le dire, car je le sais et que le Jashuria ne cesse d'en parler, mais j'attire également ton attention sur la confidentialité qui doit résider dans nos échanges.

Concernant le partenariat scientifique, la Poëtoscovie s'y dit favorable au contraire, mais simplement pas pour des raisons culturelles, mais bien diplomatiques. Je te remercie pour les efforts que tu produis afin de réconcilier le Jashuria et la Poëtoscovie, et je t'assure vouloir faire tout pour que les tensions inutiles entre nous cessent. Par ailleurs, nous avons de fortes raisons de penser que le Jashuria n'en restera pas là concernant le Chandekolza. Avez-vous des informations par rapport à cela  ? Si l'Azur souhaite être médiateur entre les puissances nazumies, je n'y vois aucun problème. Toutefois, les missiles au Chandekolza sont sur un sol appartenant à la Poëtoscovie, dans une base militaire dont elle a la possession. Je crains qu'un projet ferroviaire ne suffise pas à convaincre monsieur le Président de la République, Sébastien Tesson, de se retirer. Bien au contraire, cela risque juste de lui donner envie d'en envoyer davantage… Je tâcherai de m'occuper de cela et vous remercie si cette situation demeure parmi les préoccupations de la politique internationale adoptée par l'Azur.

Enfin, concernant notre accord bilatéral, je te laisse le soin de nous proposer un traité, un accord, une convention – tout nom nous correspondrait – selon tes volontés afin que nous puissions en discuter ensemble. Sache en tout cas que j'entends vos remarques, les comprends et je suis enthousiaste à l'idée de voir nos deux nations main dans la main.
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