Le soleil se lève sur la zone la plus méconnue de Transernikse. L’île Kuruko est un royaume dirigé par Ramhu XVIII. Arrivé au pouvoir en 1967 à seulement 28 ans, il impose, comme son père, un régime particulièrement souple et prompt aux avancées sociales et économiques du XXᵉ puis du XXIᵉ siècle. C’est notamment pour sa politique très alignée sur celle de la Fédération de Stérus que le royaume est souvent mis à part dans les négociations et délibérations qui concernent l’ensemble de l’Union.
Durant la période de grande crise et l’arrêt des relations diplomatiques entre Stérus et Transernikse, le père de Ramhu était très souvent invité par les différents consuls à venir se prélasser au palais d’été pour les vacances et visites. Chose qui était profondément rejetée par les membres du Conseil de l’Union.
Ainsi, en cette belle matinée, Ana-Tai se lève calmement pour rejoindre son job étudiant au bar à cocktails de la plage des Sables Blancs, l’une des plus belles plages du pays. En cette période de l’année, les touristes ne sont pas les plus nombreux ; pour autant, c’est quand même le début de la saison et donc le début de l’arrivée massive des touristes. En raison du relatif isolement de l’île, la grande majorité des touristes sont souvent des Sterusiens, plus précisément des Barbéens et des Catlomiens. Mais en réalité, beaucoup d’autres riches habitants de Transernikse, venant du Nazum ou d’Afarée, aiment venir se prélasser sur les différents yachts qui se trouvent au large de l’île sur de magnifiques eaux bleu turquoise.
Lorsque Ana-Tai arrive à son bar, le ciel est déjà totalement bleu, le soleil est intense mais pas encore assez pour créer une sensation de chaleur trop intense. Les vents venus de la mer permettent également de rafraîchir les touristes tout en faisant virevolter les cheveux de chaque personne. Ana-Tai voit un premier client arriver vers elle. Il semble être du coin, il s’exprime parfaitement bien en Homaïen et semble même avoir un léger accent de la capitale Tamiho. Pourtant, Tamiho se trouve de l’autre côté de l’île, un endroit bien plus touristique et propice à la détente que cette région plus exposée aux vents. La présence du client rend perplexe Ana-Tai, qui décide alors directement de questionner l’individu.
Elle commence par lui demander s’il habite ici ou s’il est en vacances. Pendant ce temps, elle prend soin de soigneusement préparer le cocktail que lui a demandé le client. Comme à son habitude, elle lui sourit et fait de son mieux pour que son client ait l’impression d’être en face d’une personne amicale et sincère. Mais l’homme, lui, est plus renfermé ; il ne répond qu’à peine à ses questions et lui informe qu’en réalité, il est là pour travailler. Encore plus perturbée, Ana-Tai se dit alors qu’il fait sûrement partie de l’équipe de promoteurs immobiliers qui vient chercher des hôtels à racheter et à moderniser dans le coin.
Alors, voulant faire une petite blague et essayant de détendre l’atmosphère, Ana-Tai se permet une remarque :
— Dites, vous ne me virez pas, hein, si vous achetez le domaine ?
S’attendant simplement à ce que l’homme esquisse un sourire et renchérisse par une phrase légère, Ana-Tai le regarde. Mais rien ne vient. L’homme se contente de regarder autour de lui presque machinalement, comme si c’était là son seul et unique but. Après quelques secondes, Ana-Tai lui sert alors un bon cocktail à l’ananas et à la banane. L’homme se saisit alors du verre et offre à Ana-Tai les trois pièces qui lui sont dues. Il ne les lui donne pas, il les lui jette nonchalamment avant de se retourner vers la mer pour déguster son mélange.
Ana-Tai se dit que ce n’est sûrement qu’un touriste impoli et irrespectueux de plus et qu’il faut passer outre. Elle se retourne alors pour continuer de préparer les verres et les multiples bouteilles qui seront utilisées dans la journée. C’est quelque chose qu’elle déteste en réalité : ce métier, ou même simplement ces verres. Elle ne fait ça que parce qu’elle a besoin d’argent pour aider ses parents et essayer de financer ses études. Mais soyons clairs, sa présence ici est pour elle bien plus un fardeau qu’une réelle opportunité.
En continuant de s’occuper des verres, elle découvre par l’intermédiaire du miroir que l’homme a totalement disparu. D’abord, elle sursaute. Un frisson de peur traverse l’entièreté de son corps. Où est passé l’homme ? Comment a-t-il pu partir aussi vite et sans faire de bruit ? La jeune femme regarde partout sur la plage autour d’elle, mais personne n’est présent. Même sur le sable, il n’y a presque aucune trace de pas, si ce n’est quelques renfoncements irréguliers qui donnent l’impression que l’homme aurait volontairement falsifié ses traces.
Ana-Tai ressent alors un sentiment d’insécurité qu’elle n’avait jamais éprouvé auparavant. Cet homme était déjà, de base, particulièrement inquiétant rien que par sa façon de se comporter. Alors avec cet événement en plus...
Durant un court instant, Ana-Tai hésite à saisir le téléphone du mini-bar pour contacter la réception et leur donner toutes les informations. Mais au moment de saisir le téléphone, elle se dit que, finalement, cette inquiétude est totalement ridicule et que la réception risque de ne pas la prendre au sérieux, voire de juger qu’elle cherche à perturber son propre travail. D’autant que si son patron apprend qu’elle commence à se méfier des clients ou, pire, qu’elle les fait fuir, celui-ci risque de ne pas apprécier du tout et de lui infliger des sanctions.Elle repose alors le téléphone, remet son tablier en place, prend une profonde respiration et se persuade que ce n’est que le fruit de son imagination. Puis, comme auparavant, elle continue de ranger les verres et de sortir les bouteilles.Certaines d’entre elles sont particulièrement poussiéreuses. C’est même particulièrement bizarre que les bouteilles du jour soient si sales et peu entretenues. Ana-Tai n’a pas pour habitude de se poser autant de questions en à peine une heure de travail. Mais pour autant, là encore, les choses sont particulièrement troublantes. D’habitude, les bouteilles ne sont pas comme ça, elles ne sont même pas de la même marque et ne contiennent pas toutes les mêmes alcools.
Comment se fait-il qu’une vieille bouteille comme celle-ci soit ici ?
Ana-Tai décide de sortir l’ensemble des bouteilles l’une après l’autre. Une fois toutes les bouteilles retirées, elle découvre que sous le bac principal, un autre compartiment est caché. Il ne semble pas particulièrement profond, mais au moins assez pour y plonger une main jusqu’au poignet.La jeune femme retire le couvercle et reste médusée face à ce qui se présente à elle.Une M16 parfaitement bien montée, accompagnée de trois chargeurs et de boîtes de munitions.Ana-Tai est loin d’être une experte en armes de guerre, mais son père était militaire et elle sait reconnaître une M16 quand elle en voit une. Hésitant d’abord avec un Colt M4, elle décide d’examiner l’arme sous tous ses angles et se demande comment elle a bien pu arriver jusqu’ici.
Mais à peine quelques secondes après, un objet froid et métallique se pose sur sa nuque. Une voix, la même que celle de l’homme de tout à l’heure, lui dit, avec une froideur extrême, de lâcher cette arme et de se lever sans faire un seul bruit. Ana-Tai est tétanisée. Elle se pose mille questions à la fois. Comment l’homme a-t-il pu revenir aussi vite ? Était-il vraiment parti ou, au contraire, était-il resté là tout du long ? Il regarde la jeune femme avec incompréhension et a sûrement vu qu’elle s’apprêtait à appeler la réception. Peut-être que si elle l’avait fait, l’homme l’aurait attaquée, voire pire, tuée. En fin de compte, elle se dit que son ange gardien a bien su la protéger en lui conseillant de ne pas utiliser ce téléphone.
Elle décide de lever les bras en l’air tout doucement, toujours tétanisée par la peur, tout en lâchant l’arme peu à peu en se relevant. L’homme la pousse sur la côte, mais la maintient en joue à bout portant. Il saisit l’arme et l’examine. Ana n’a qu’une envie : partir en courant pendant qu’il a le dos tourné. Mais la plage est trop grande. Il n’aurait qu’à tirer pour l’abattre avant qu’elle ne puisse rejoindre le moindre accès. Et c’est justement là qu’une réflexion lui vient : Il y a sûrement des gens sur la plage, des gens qui ont vu ce qui s’est passé ou qui vont voir. Elle regarde, mais personne à l’horizon, ni dans un sens ni dans l’autre. Elle reste là, debout, à attendre face à un homme armé qui baisse la garde et examine une arme de guerre. L’homme se retourne vers la jeune fille et pousse un soupir. Il lève son arme dans sa direction, la charge et s’apprête à tirer. Ana-Tai, terrifiée, se met au sol et hurle en le suppliant de l’épargner.
L’homme ne change pas l’expression de son visage. Il se contente de la regarder et d’attendre, l’arme pointée sur elle. Puis, soudain, un bruit assourdissant d’explosion se fait entendre au loin. Au même moment, des coups de feu d’armes automatiques retentissent, suivis d’autres explosions. Il est même possible d’entendre des cris et des alarmes se déclencher. Ana-Tai comprend alors plus ou moins ce qui se passe, mais préfère se dire que c’est autre chose. Son intuition lui dit évidemment qu’il s’agit d’une attaque terroriste de grande ampleur. Mais si c’est le cas, elle sera parmi les victimes. Elle se dit que cela peut aussi être un coup d’État, et que dans ce cas, elle aurait plus de chances de s’en sortir. Ou encore, le mieux pour elle serait une prise d’otages : au moins, ils seraient obligés de les maintenir en vie le temps des négociations, ce qui lui laisserait le temps de trouver un moyen de s’échapper.
Mais à peine quelques secondes après la fin de ces réflexions, Ana-Tai est rappelée à la réalité par un coup de feu, cette fois tout proche. Elle ne réalise pas immédiatement ce qui vient de se passer. Mais en levant la tête, elle voit une femme, cinq mètres plus loin, allongée sur le sol dans une mare de sang. L’homme vient de l’abattre à vue, simplement parce qu’elle passait par là pour fuir les explosions et les coups de feu. L’homme se retourne vers Ana, qui est totalement sous le choc. Il l’attrape par le bras, la fait sortir du bar et la jette sur le sable. Il la regarde, recharge son arme et la dirige vers le crâne d’Ana-Tai.
Totalement choquée, elle hurle des prières et supplie son bourreau de la laisser en vie. L’homme sourit et tue Ana-Tai d’une balle placée pile entre les deux yeux. Il prend ensuite sa M16, recharge son arme comme si rien ne s’était passé et essuie les quelques gouttes de sang qui avaient atteint sa peau.
Comme s’il venait simplement de réaliser une tâche lambda, il se permet tout de même de s’agenouiller face à la femme et de refermer ses yeux, restés ouverts. L’homme qui vient de commettre l’impensable est totalement inconnu du grand public. Son nom de code, Calixte, est tatoué sur son cou. Initialement, ce n’était pas pour cela qu’il avait fait tatouer ce nom, mais avec le temps, ce surnom lui a été attribué.
Avec son arme à la main, Calixte retourne dans le bar à cocktails. Sous d’autres cartons pas encore déballés, il sort un sac contenant un gilet pare-balles et une tenue de combat. Il y voit également d’autres types d’armes : grenades, explosifs et un couteau. Il décide de laisser les explosifs ici, jugeant qu’ils ne feraient que l’encombrer. Une fois prêt, il communique via son talkie-walkie pour informer ses équipiers qu’il est opérationnel et qu’il commence sa mission.
En réalité, ce n’est pas un attentat qui est en train de se jouer, pas pour lui. Ici commence la révolution, du moins c’est ce qu’il laisse paraître en criant dans sa radio :
— La liberté commence aujourd’hui !
Il remonte alors la plage et aperçoit ce qu’il reste de l’hôtel : un amas de ruines et des corps jonchant le sol dans une marée de sang. Les coéquipiers de Calixte arrivent et lui demandent alors ce qu’il faut faire à présent.Calixte est l’équivalent d’un officier. C’est lui qui donne les ordres, lui qui applique la volonté de ses supérieurs sur le terrain. Il informe que la cible a été éliminée et qu’il faut à présent prendre les véhicules et attaquer la capitale.Il apprend au passage que, sur l’ensemble de l’île, partout, les autres escadrons de la mort se sont mis en marche et se hâtent de s’emparer du territoire. Mais il apprend également qu’un groupe militaire de la base stérusienne est actuellement en train de sécuriser l’entrée de la capitale et résiste aux troupes rebelles. L’armée transk est presque défaite, sauf également au niveau de la capitale, où ils combattent aux côtés des Stérusiens.