Posté le : 06 avr. 2025 à 16:47:03
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Antonelli et Sabbatini écoutèrent attentivement les propositions de leur interlocuteur puis se regardèrent avant d'échanger, entre eux, quelques mots principalement sur la notion de système de sécurité commun. Ils parlèrent dans leur dialecte local commun, ce qui rendait très compliqué la compréhension de ce bref et discret échange, même pour un locuteur de l'italien comme le roi Vittorio. Les deux hommes savaient que les questions de sécurité étaient les plus tendues, chaque changement dans ce domaine s'arrachait après de longues négociations à la Chambre des Députés et au Sénat mais aussi après de longues périodes de contestations dans la rue. Il ne faisait aucun doute que les différents groupuscules politiques et leurs alliés au Parlement s'opposeraient corps et âmes à l'entrée d'une nation étrangère dans l'organisation sécuritaire du pays, quitte à provoquer de nouvelles vagues de violences et d'attentats. Mais ce qui semblait inquiéter d'avantage encore Sabbatini et Antonelli était la perspective de la mafia. La paix relative qui existait entre l'échelon politique et les différentes familles mafieuses s'était organisé autour d'une recherche du statut-quo, un certain laissez-faire pour les activités économiques illégales en échange d'une atténuation de la violence. La trop grande intrusion d'un pays étranger dans les affaires internes pourrait mener à une remise en cause de cette paix fragile. Après quelques dizaines de secondes de discussions entre eux Antonelli s'écarta alors de Sabbatini, toussa un peu pour réadapter sa voix, puis répondit au roi à voix-haute, de nouveau en italien.
« Il est évident que la situation actuelle des frontières est une aberration. Le contexte compliqué de notre pays ne doit pas justifier les lourdeurs administratives et les difficultés personnelles que rencontrent celles et ceux qui essayent de visiter leurs proches de l'autre coté de la mer. Je suis favorable à une simplification de l'entrée sur nos territoires respectifs depuis ces derniers. Je pense qu'une simple procédure de contrôle de sécurité classique et une vérification d'identité devraient être les seules formalités mises en place entre nos nations. Les lourdes séances de paperasses n'ont jamais empêché un crime, par contre elles rajoutent une lourdeur insupportable sur les épaules des simples citoyens qui veulent fêter Noël en famille. » Sur ce sujet il savait qu'il pouvait avoir le soutien de l'ARD, la principale et plus influente association de défense des intérêts de la diaspora. Elle dénonce depuis des années les lourdeurs administratives absurdes que les Fiumigliens de l'étranger ou d'origine doivent faire face pour passer quelques jours chez leurs familles.
« En ce qui concerne la sécurité, » reprit-il après avoir bu une gorgée d'eau, sachant qu'ils s’apprêtait à se lancer sur un terrain dangereux,« vous comprendrez, très facilement je pense, que nous agissons sur ce sujet avec le plus grand calme et la plus grande attention possible. Nous avons un proverbe chez nous, "chi va piano va sano", celui qui va doucement va surement. C'est la position que nous avons sur cette question. La perspective d'une plus grande coopération entre nos forces de l'ordre respectives n'est pas inquiétante en soi, je pense même personnellement qu'elle est souhaitable. Mais Dieu sait qu'à la fois d'un point de vue politique ou social, il nous serait compliqué de justifier un rapprochement trop soudain. » Il réfléchit un peu, puis sans demander l'opinion de ces compères, s'attela à faire une contre-proposition. « Je pense que nous devrions tout d'abord nous en tenir à des mesures purement réglementaires : pas de débat au Parlement, une médiatisation moindre. La mise en place d'une ligne de correspondance entre les services de police siliquéens et fiumigliens et un partage des avis de recherche entre les postes frontières me semblent être des bons matériaux de début de coopération. Ensuite nous pourrons adapter, augmenter les échanges si tout se passe bien, jusqu'à ce que la coopération soit un état de fait durement contestable. Mais j’insiste sur le fait que cela doit se penser sur le long terme. Vous savez chez nous les gens veulent énormément le changement, ils manifestent pour qu'il arrive, font des attentats en son nom, mais quand vous le mettez devant eux ils prennent peur et manifestent contre. Donc très vite vous en arrivez à faire du changement mais doucement. » Sa dernière phrase le fit sourire un peu, ce qu'il ne faisait que rarement. Il s'agissait en réalité de la méthode qu'Antonelli avait pratiqué toute sa vie en politique, funambuler sur la ligne de l'acceptable pour la déplacer de plus en plus vers ses objectifs.