15/03/2017
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Les Empereurs d'Eberstadt

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Les Empereurs d'Eberstadt
ou
Journal du dernier Valinoréen

Leve Imperatore ket Eberchtat
ile
Diesam ur ultime Valinorem


Liséré Officiel Valinoréen tel que d'usage entre 1858 et 2016


Le monde avait explosé1. Enfin, c'est ce qu'il avait cru jusqu'ici ; parce que — visiblement — il était bien vivant, et presque entier. Peut être était-ce le paradis ? L'on ne lui avait jamais dit qu'il était à la semblance d'un chambre d'hôpital. C'est que s'en était définitivement une, et pas n'importe laquelle semblait lui dire la large fenêtre de bonne facture donnant sur une sorte de jardin tel qu'on n'en voit qu'aux abords des palais ou grandes résidences de quelque important personnage. Valandil se leva. Tout compte fait, il ne se leva pas, il en était incapable. Du moins, cela semblait lui demander un effort inhabituel qu'il n'avait jamais soupçonné qu'il eu eu à fournir. Il resta donc couché, la tête pleine des événements de la veille au soir. En fait, ces événements-ci dataient d'un peu moins de trois mois mais il ne le savait pas encore. Le jeune homme pris donc son mal en patience. Pas pour longtememps, il ne devait pas s'être écoulé deux minutes après son réveil que des Hommes vêtus de longues robes blanches entrairent — il comprendrait plus tard que c'était des médecins, et qu'ils portaient par conséquent des blouses.

C'est quand ils se mirent à parler allemand à voix basse qu'il compris que quelque chose clochait. Dieu soit loué ; ou quelque autre formule moins pieuses pour l'athée qu'il était, il parlait allemand. Ces immaculés visiteurs en semblaient parfaitement informés, car l'un d'eux lui adressa la parole. Il avait toujours cru qu'il parlais allemand, mais la moitié des mots de son interlocuteurs lui étaient tout à fait inintelligibles ; semblant tomber droits dans un trou au centre de son cerveau embrouillé — autant de drogues que de faiblesse. De ce qu'il saisit, l'homme lui demandait s'il était réveillé. Ce à quoi la réponse était évidente, même s'il y répondit sans une pensée. Forts de cette confirmation, l'un des Hommes se dirigea précipitemment hors de la salle afin d'appeler quelque responsable. Les autres lui posèrent question après question, avec une chaleureuse solennité dont seul les peuples germaniques ont le secret. Voyants qu'il peinait, il ajustèrent leur verbe, le faisant plus lent et court.

Mais lui répondait par automatisme, son intellect étant aux prises avec toute autres choses. Ils venaient de l'informer. Il était dans ce lit depuis longtemps. Le tremblement, le vacarme, l'explosion — tout lui revenait par bribes aux contours nuageux au-delà desquels rien n'était certain. Le scrutin, la fuite2, les communistes, l'Illirée — ce mot goûtait âprement dans sa bouche —, la Loduarie, &c. Tout lui fut révélé. Et de là, il n'eu plus rien à dire. Sa poitrine était écrasée par le poids d'une resposabilité qui n'était plus la sienne. Si son chef était alléger d'une couronne, il n'en paraissait que plus lourd. Enfin, il eu un mot pour Irimey. Elle entre tous devait avoir survécu. Elle le devait. Le silence des médecins lui porta un coup fatal. Il ne parla plus. Ses hôtes le laissèrent seul après quelques tentatives infructueuses de lui faire prononcer autre chose que des gémissements mêlés d'imprécations. Et il fut pratiquement seul pour les quelques jours qui suivirent. Il y eu tout le temps de se lamenter. Et quand il ne peurait pas, il mirait son visage à demi brulé dans une glasse disposée là à cet effet. Quand on lui apporta son déjeuner au cinquième matin qu'il connaissait depuis son réveil, il répondit à la question muette du soignant.

"Je suis prêt."
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Le soleil dessinait de ses rayons à travers la poussière suspendue dans l'air de la cour. Le bâtiment d'en face, d'une couleur crème tirant sur le blanc, s'en retrouvait éclairé de manière inégale ; les ombres laissant toute fois la part belle aux infinies nuances de cette lumière matinale. L'on ne voyait pas le pied de cet édifice, la vue obérée par le rebord sculpté de la fenêtre. L'air humide mais chaud d'une pluie estivale complétait le tableau dûment encadré par les contours de pierre de ce trou béant sur l'extérieur. Des oiseaux — probablement des corneilles — volletaient partout autour du faîte de la large bâtisse, croassant et se chamaillant dans de larges spirales ascendantes. Des plumes sables tombaient doucement de temps à autres, échappées du ramage de quelques uns de ces bélligérant ailés. L'une d'entre elle chuta lentement vers le plat de pierre de la fenêtre, avant de s'y poser dans un ultime zigzag. Valandil la ramassa ; son extremité était torve, comme brisée par quelque coup de bec ou de griffes dans les hautes sphères de l'espace aérien. Un peu de sang perlais là où elle était il y a peu ratachée à son hôte. Valandil la jeta, et referma la fenêtre.

Sa chambre avait été quelque peu aménagée par ses hôtes, maquillant avec peine les mur aseptisés de cette case de l'hôpital impérial d'Eberstadt. Le lit de draps et de fer avait été troqué pour un subtitut en bois un peu plus confortable, sans pour autant en perdre ses propriétés pratiques. Un semblant de bureau avait également été aménagé à la demande de Valandil, il s'y assit sans mégagement ; offrant un répis longuement mendié par ses membres inférieurs. Quelques documents trouvaient ici leur gîte, ainsi disposés à l'attention du malade pour le garder informé du monde qui l'entourait. Un nécessaire à écrire se trouvait au même lieu, la plume rédigeant des rapports sur ce qu'il savait ou avait su de sa patrie de rouge teinte. Il ne saurait dire si ces longs textes avaient une véritable utilités pour le gouvernement raskenois et ses services de renseignement extérieurs. Peut être lui donnaient-ils ce semblant de travail pour lui faire ressentir une quelconque utilité dans son exil. Mais une véritable utilité, il ne doutait pas qu'il en obtiendrait une à terme. Il venait de faire une offre de service à la centrale diplomatique raskenoise pour les conseiller sur leurs rapports avec la nouvelle Illirée. Et ce n'est pas tout, il cherchait également à se réinvestir dans les affaires de l'UEE. Après tout, avant d'être empereur il était diplomate.
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Ambiance

Valandil tournait en rond dans sa chambre, entre un bureau en pagaille et un lit fait de manière toute négligée. Les murs étaient couverts d'un papier peint tentant vainement de faire oublier à son locataire que son appartement jouxtait tout juste un hôpital, là où il avait passé en vérité le plus clair de son temps les mois derniers. Les traitements de pointe de la machine médicale raskenoise avaient fonctionné à merveille, remettant sur pied le moribond sans couronne. Mais si les soins prodigués avaient appaisé les symptômes physiques de ce monde qui lui avait explosé à la face, son esprit en conservait des traces ; comme brumeuses et cinglantes à la fois. Le visage à demi brûlé du souverain rendait bien compte d'un état psychologique inquiétant, le faisant osciller de la consience politique la plus aigüe aux divagations hallucinées les plus indistinctes. Veille et sommeil se miraient comme les jumeaux d'un intellect aux prises avec la définition même du réel et du fantasme, les dictionnaires à la semblance de briques de caractères informes n'ajoutaient que des termes superficiels sur ce qu'il était persuadé de savoir plus profond. À quoi bon ces bouts de papiers sans but où son esprit malade superposait des syncrétismes langagiers curieux aux orthographes intangibles et figées. Ce qu'il lisait était-il de l'allemand, langue de son asile, ou son illiréen natal ? Impossible de démêler ces lettres défilantes et toutes entrelacées.

Des multiples pages qu'il avait adressé aux services de renseignement raskenois, il n'avait aucune stricte idée de combien avaient été rédigées dans ses heures de lucidité intellectuelles — donnant à voir des informations claires et exactes ; et lesquelles avaient été mouillées de la brume qui le prenait parfois, abandonnant les inventaires stratégiques pour des traités fantasmés qui mêlaient langues et alphabets dans des phrases sans cohérence, certaines semblants laissées sans fin tandis que l'éclair passait. Sauraient-ils tirer la vérité stratégique aux nuages gris et cotonneux de ses divagations ? Cela n'avait aucune importance, il s'en fichait presque parfois. Qu'est-ce que ces pauvres technocrates avides de pétrole pourraient faire pour ôter une teinture cramoisie qui semblait avoir taché tout un pays sans résistance. Le sans-couronne s'assit brusquement à son bureau, cessant momentanément de déambuler dans la pièce close à l'anathème de la civilisation. Il saisit sa plume et griffonna quelque chose à la suite d'un texte inégal où les blancs se succédaient aux phrases superposées les unes aux autres. "La véritable nature des relations de pouvoir à Valinore nio basalege si pros leve rapports de force du poblat union buo sur qui dira le Juste en poésie et in–" Il releva subitement le poignet, comme consultant une montre qui n'était visible que pour lui. Il sursauta puis bondit de son siège, laissant là le peu de mot qu'il avait inscrit sur le document ; il reviendrait sûrement à la ligne la prochaine fois sans les considérer, si ce n'est que pour écrire directement par-dessus.

Il était resté figé debout longtemps, les yeux scrutant la porte comme s'il entendait y pratiquer un trou par le regard. Il s'avança soudain. Sa main se posa sur la poignée — il la baissa d'un geste vif. Le mécanisme butta de manière sonore contre le verrou de fer ; elle était fermée. Il hocha lentement la tête, le visage figé dans une expression à la neutralité terrifiante. Semblant oublier ce qui venait de se produire, le souverain déchu repris ses errances circulaires dans l'espace restreint de sa chambre d'appartement dûment prêtée par son homologue raskenois. Quand il reprenait toute la consistance de son intellect il venait à songer sombrement à sa condition qui ne semblait pas s'atténuer avec le temps. Pis encore, elle allait s'aggravant ; autant qu'il pouvait en juger, il était tout à fait rationnel et conscient le jour de son long palabre avec Stanislas, et même les jours après. Une plage de temps de plus d'un mois où il ne s'était pas perdu dans les brumes mathématiques d'une mer rugissant dans sa tête. Il avait su tenir la conversation à un chef d'Etat, et avait soutenu des offres de services sans sourciller devant lui. Mais cela semblait être il y a si longtemps qu'il en était maintenant réduit à poser le théorème phantomatique de son existence dans un monde si différent de ce qu'il pensait être la vérité. Pis, il avait su modeler cette vérité, arrachant la couronne d'un empire contre les statistiques maudites d'une politique politicienne. Mais il devait se réveiller. Il le devait. C'est un devoir qui lui était maintenant échu, au nom des morts de l'effondrement de son monde.

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