
El Águila, capitale de l'État Fédéré du Nido Gilito, fait figure d'exception en Costa Sueñoleja, pays gangrené depuis bien longtemps -plus d'un siècle- par le crime et la pauvreté. Ici, les bidonvilles gigantesques et les bâtisses délabrées où s'entassent les pauvres au milieu de la drogue et des armes qui pullulent plus à l'ouest laissent place à de fiers gratte-ciels, des hôtels luxueux, des universités prestigieuses, des casinos, théâtres ou opéras fastueux et, bien sûr, l'internationalement reconnu Grand Institut d'Étude Psychiatrique et Neuropathologique d'El Águila, autoproclamé meilleur établissement de soins neurologiques d'Aleucie, près duquel se trouve la Mairie d'El Águila où doit se tenir la rencontre entre les Ministres des Affaires Étrangères de la República Federal de Costa Sueñoleja et du Royaume de Teyla, messieurs Tomás Cohete et Pierre Lore. En effet, El Águila, apparaissant aux yeux du monde comme une ville riche et moderne où se réunissent les élites des quatre coins du globe grâce à une fiscalité avantageuse et à des investissements nationaux élevés, est la vitrine idéale pour la Costa Sueñoleja, l’irréfutable preuve de la réussite économique, sociale et culturelle de son gouvernement de même que l'incontestable démenti de sa prétendue corruption et de son soi-disant autoritarisme. Rien d'étonnant donc à en faire le lieu de prédilection des rencontres diplomatiques avec les délégations étrangères qui souhaiteraient se risquer à s'intéresser au "Paradis des corrompus" mais n'auraient pas le cœur assez accroché pour admirer une populace crasseuse et désespérée abandonnée à la violence et à la débauche par ses protecteurs. Mais de tous les pores de la Costa Sueñoleja ne suintent que le crime et la corruption et El Águila ne démord pas à cette règle d'or. Seulement, ici, la misère se cache derrière de beaux costumes et de belles paroles.
Il était quatorze heure, le 10 Avril, lorsque la délégation Teylaise, après s'être posée à l'aéroport Eusebio Villareal et avoir traversée toutes la ville en limousine pour apprécier le paysage de cité moderne et florissante qu'elle renvoie, suivie sur tout le chemin par un cortège de niveau présidentiel constitué des meilleurs éléments des services de sécurité locaux dans leurs plus beaux habits d’apparat, arriva à la Mairie d'El Águila, grandiose et majestueuse bâtisse héritée du siècle passée, à l'entrée de laquelle elle fut accueillie en grande pompe par monsieur Cohete, sa délégation et une foule de paparazzis.
Bienvenue Excellences, bienvenue en Costa Sueñoleja ! Vous avez fait bon voyage ? Oui ? Parfait ! Mais suivez moi je vous prie.
Alors qu'ils progressaient dans les couloirs, Tomás Cohete fit à son homologue un bref historique des lieux, un bâtiment planifiés au début du siècle dernier mais dont la construction a été suspendue une bonne quinzaine d'années à cause de la guerre civile, le Nido Gilito, bien que moins touché par les combats, ayant figuré parmi les États loyalistes au gouvernement fédéral (quel qu'il soit d'ailleurs, celui-ci ayant constamment évolué au cours du conflit) et ayant donc du s'enquérir d'un impôt à ce dernier en la forme d'or, de victuailles et d'hommes. Tout ceci repoussa donc la construction de l'édifice à l'après guerre et son inauguration à l'année 1928, six ans seulement après le conflit, témoin de la rapidité considérable avec laquelle l'économie de la Costa Sueñoleja a été capable de se redresser au sortir de onze années de combats acharnés. Un redressement économique bien sûr totalement fictionnel comme en témoigne la crise économique et sociale d'après-guerre qui se prolonge indirectement jusqu'à aujourd'hui.
Bien évidemment, tout ceci n'a rien à voir avec la discussion du jour à savoir l'impérialisme Akaltien. En effet, l'Union (et, depuis peu, Empire) des Cités d'Akaltie a toujours fait montre d'évidentes velléités impérialistes et expansionnistes à l'encontre de ses voisins, parfois éloignés comme le prouve sa vassalisation de la Principauté de Porto-Caravelo, son soutien aux séparatistes Rachistes du Scintillant ou sa colonisation de la Nouvelle-Kintan en plein cœur de l'Eurysie, et ce depuis bien longtemps : la Costa Sueñoleja avait déjà fait les frais cet impérialisme il y'a plus de deux-cent ans lorsque les cités qui formeront plusieurs décennies plus tard l'Akaltie se sont associées pour l'envahir en soutien à des insurgés indigénistes locaux menant finalement à la séparation de la désormais nommée Bande de Lahunkal qui coupe encore aujourd'hui le territoire métropolitain de la Costa Sueñoleja, limitant grandement le transport interne au pays, et sera, à termes, l'une des causes directes de la fin de plus d'un siècle d'opérations de colonisation du pourtour de la mer de l'Occizyan.
Au détour d'un couloir, les deux hommes et leurs personnels arrivèrent finalement au cœur du bâtiment devant une grande porte en bois richement ornée que Tomás Cohete s'empressa d'ouvrir dans un geste magistral donnant une dimension théâtrale à la scène (un observateur avisé reconnaîtra ici aisément le vestige des deux années de théâtre que monsieur Cohete a effectué à l'école primaire) avant d'inviter son homologue à entrer dans une salle fastueuse habituellement réservée aux réunions du conseil municipal et à s’asseoir auprès d'une magnifique table en bois de l'époque monarchique. Une fois tout le monde bien installé, des domestiques entrèrent à leur suite, apportant avec eux de nombreux mets et boissons à l'intention des convives.
Désirez vous quelque chose, monsieur Lore ? Rhum ? Tequilla ? Cigare ? Ou juste de l'eau peut-être ? Enfin bref, je vous propose de commencer immédiatement cette rencontre. Qu'en pensez vous ?
Vous aviez donc contacté dernièrement mon pays, la Costa Sueñoleja, afin que nous puissions entamer un dialogue au sujet des velléités impérialistes et expansionnistes de notre voisin, l'Union des Cités d'Akaltie. Je ne crois pas avoir besoin de vous réexpliquer en détail la position de mon gouvernement vis à vis de l'Akaltie, vous aurez aisément compris par le biais de ma précédente missive que nos relations avec ce pays sont particulièrement tendues depuis plusieurs siècles et que nous craignons encore aujourd'hui une nouvelle agression de leur part. C'est pourquoi j'ai accepté sans hésiter de vous rencontrer afin de réfléchir ensemble aux moyens que nous pourrions collectivement mettre en place pour contenir l'agressivité des autorités Akaltiennes. Cependant, j'aimerai, si cela ne vous dérange pas bien sûr, vous poser une question : lors de votre première prise de contact, vous aviez évoqué des "informations confidentielles sur les volontés Akaltiennes" qui prouveraient que l'Akaltie ambitionnerait de s'attaquer à une autre nation. Je voudrai en savoir un peu plus sur ce regain d'impérialisme mais aussi sur les raisons qui vous pousse à vous y intéresser alors que le Royaume de Teyla ne parait à première vue pas le pays le plus à même de s'attirer l'hostilité des Akaltiens si ce n'est par le biais de sa colonie de la Nouvelle-Kintan installée depuis près d'un siècle et demi. De même, j'avoue ne pas avoir eu particulièrement connaissance d'une montée récente de l'impérialisme Akaltien depuis l'affaire Etznabiste fin 2014 et souhaiterai donc, dans un premier temps, mieux appréhender les motivations qui vous animaient lorsque vous avez contacté mon ministère.