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Activités intérieures et vie quotidienne
Posté le : 13 avr. 2025 à 21:08:17
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Posté le : 23 avr. 2025 à 16:19:19
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21/05/2016
À l’inverse de toutes les rumeurs qui circulaient à ce sujet, l’opération s’est déroulée dans une organisation presque parfaite, les autorités némédiennes ayant mobilisé un dispositif de sécurité important et des équipes spéciales pour accompagner la famille des Loclenesques jusqu’à leur embarquement, dans des conditions de sécurité, en apportant une aide permanente à tous les moments du parcours jusqu’au départ. Les contrôles ont été effectués dans le calme, loin de toute violence, en préservant la dignité de tous. Les forces de sécurité se sont même portées à l’aide des familles pour transporter leurs bagages.
Les photographies publiées dans les réseaux sociaux montrent des militaires némédiens et des agents de sécurité, très loin d’une attitude froide et distante, portant main forte aux Loclenasques pour charger leurs valises, et prenant soin de réconforter les plus âgés et les enfants. Ces efforts, pourtant soutenus pour garantir la sécurité et la dignité des personnes concernées, ne masquent pas l’inquiétude des proches des Loclenasques déportés sur les incertitudes qui désormais pèsent sur les situations de leurs disparus. Les départs sont à chaque fois maîtrisés sur le terrain, mais avec un immense sentiment d’incompréhension et de frustration.
Le gouvernement némédien estime, une fois les tensions passées, que les Loclenasques pourront retourner dans leur pays d’accueil. Pour le moment des questions se posent sur les droits des ressortissants étrangers, sur la gestion de la crise par les autorités némédiennes.
Posté le : 25 avr. 2025 à 21:38:15
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28/05/2016
Les premiers chantiers auraient pourtant été lancés dans un cadre totalement inattendu. Les rumeurs annonçaient chaos, absentéisme, mauvaise organisation des communes némédiennes, lorsque, à l’arrivée des premiers matériaux, ces communes combinaient leurs compétences techniques et logistiques dans la mise en chantier des panneaux d’une part, mais aussi en prévoyant avec la population, d’autre part, une plus grande place pour les électeurs, longtemps laissés pour compte dans les orientations nationales. Les travaux s’effectuent dans le calme, avec plus de transparence et, il semble, d’appel au dialogue avec les habitants.
Les images diffusées sur les réseaux sociaux sont révélatrices d’une présence utile et enthousiaste à la fois de la part des ouvriers- ingénieurs némédiens et des villageois d’Olythos, dans le transport des panneaux solaires sur les collines et la construction des bassins de stockage d’eau. Très loin d’une démarche désinvolte et surplombante, les équipes techniques se sont souvent montrées à la tâche, partageant des repas et des conversations avec des villageois au sein d’un collectif d’actions modestes, mais résolues. À ce titre, ces efforts déployés dans la réparation des inégalités reçues pendant des décennies ne sauraient faire oublier la méfiance qui continue à régner dans une zone marquée par la pauvreté et l’abandon.
Les autorités némédiennes assurent que ces projets sont en bonne place parmi une série d’investissements structurants à envisager pour le sud du pays. Mais l’avenir d’Olythos demeure encore incertain, en raison des tensions sociales qui persistent et de la menace grasse de la contestation.
Bien que certains chantiers aient été ouverts et aient contribué à insuffler une dynamique, dans de nombreuses localités d’Olythos, l’atmosphère demeure lourde. S’il semble qu’ils aient suscité une acceptation, bienveillante mais timide des « projets », ils ne sauraient apaiser un sentiment d’injustice et de révolte encore bien prégnant chez les habitants. Si l’annonce d’infrastructures peut être un espoir, elle provoque aussi les attentes d’un changement tangible et durable, et non d’effets d’annonce destinés à faussement faire retomber la pression.
Certaines voix communautaires, devenues plus audibles, s’expriment désormais lors des rassemblement locales pour réclamer la prise en charge effective par la population de la planification des travaux. Les demandes de transparence dans la gestion des budgets, d’un contrôle indépendant des chantiers sont adressés, mais plus encore celles de garantir la priorité aux jeunes némédiens dans l’accès à tout emploi créé, au détriment d’une main d’œuvre tiers. Ces revendications trouvent surtout un écho dans cette jeunesse désenchantée, dont nombres d’éléments (au moins sur la forme) ne voient aujourd’hui pour sortie que l’exil ou la révolte.
Localement, les autorités peinent à maintenir un équilibre parmi les promesses politiques et la manière de gérer le concret. La presse locale fait état de déplacements répétés dans la région par plusieurs personnalités politiques, en silence sur la situation d’Olythos depuis trop longtemps, et qui, aujourd’hui, promettent de projets en matière d’éducation, de santé, ou de développement agricole. Les habitants, qui savent le poids de l’histoire et de l’oubli, ne sont pas facilement convaincus.
Tout cela reste donc en suspens, entre soulagement de signes du renouveau et crainte de retour rapide au statu quo. Maintenu, l’élan pourrait permettre à Olythos de devenir un modèle de réhabilitation territoriale, tandis qu’éteintes, les promesses ou les engagements risqueraient de rallumer les braises encore chaudes de la contestation, sans doute plus violemment que jamais.
À Olythos, dans la mémoire collective, se sont cumulées des décennies de promesses oubliées, de silences et de décisions centrales et uniformes, sans ancrage local. Si sur le terrain, les efforts visibles redonnent un fragile souffle à certaines communautés, ils restent perçus par beaucoup comme tardifs, voire tactiques, face à une opposition qui a gagné en organisation et en légitimité populaire.
Au café de la montagne, tout comme sur les places des bourgs, ce qui fait débat n’est plus tant la faisabilité technique des projets que leur pérennité, qui entretiendra les infrastructures ? Quels mécanismes de contrôle incombant aux habitants ? Pourquoi ne pas redouter que l’eau et l’énergie produites sous contrôle local deviennent l’objet des convoitis d’intérêts privés ou des grandes villes du nord ? Autant de questions qui alimentent de plus en plus une conscience politique, en particulier chez de jeunes diplômés revenus à la terre natale après avoir passé des années à Epidion. Ces préoccupations ou interrogations ne sont donc pas abstraites, et s’inspirent également de mobilisations citoyennes, qui, désormais, se fondent sur des chiffres précis ainsi qu’une volonté de transparence des projets plus affichée. Aux dires du ministère de la Transition Énergétique, les premiers chiffres disponibles font état de la mise en place de près de 18 000 panneaux solaires sur l’ensemble du territoire de l’Olythos dans les mois à venir (216 unités de production locale), chaque unité étant censée apporter son énergie à près de 200 foyers, ou plus de 42 000 habitants à moyen terme. Dans une région où l’an dernier, près de 65 % des villages avaient encore des coupures régulières d’électricité, il s’agirait là d’un pas significatif, en attente encore d’être confirmé.
Concernant l’accès à l’eau, neuf grands réservoirs de stockage sont en construction, accompagnés de 27 stations de pompage et de distribution, connectés à un système de collecte modernisé des eaux pluviales. Le coût global de ce dispositif est estimé à 480 millions de drakés, pris en charge à 68 % par l’État, le reste à charge des fonds de développement issus des villes du nord, notamment l’agglomération de Thyrénéa, qui alimentent déjà des tensions locales, beaucoup craignant que ces aides financières aillent un jour de pair avec un droit de regard ou d’exploitation sur les ressources locales.
Parallèlement, les associations locales estiment que 1 200 emplois temporaires sont créés sur les chantiers en cours, mais déplorent qu’à peine 40 % des postes soient attribués à des résidents d’Olythos. Une situation inacceptable dénoncée par nombre de collectifs de jeunes qui réclament, pour l’avenir, 75 % des emplois pour des locaux, et la mise en place d’une commission attribuant les travaux. À ce jour, selon la presse locale, trois entreprises sous-traitantes travaillent sur les infrastructures hydrauliques, et recrutent majoritairement des ouvriers en provenance d’autres régions.
Posté le : 26 avr. 2025 à 20:08:42
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31/05/2016
Les slogans sont des plus visibles : "Un travail pour une vie digne", "Le Drovolski a besoin de vous", "Construisez votre avenir", sont imprimés dans les gares, collés sur les murs des villages, fixés aux arrêts de bus, placardés dans les écoles et les bâtiments administratifs. L’intention est claire, donner une chance de partir aux plus démunis pour travailler et nourrir correctement leur famille.
D’ores et déjà, d’après certaines associations locales, plus de 100 000 personnes ont déjà réagi à l’appel en appelant directement les services de régularisation spécialisés, disponibles dans les préfectures et les agences administratives régionales. Dans certaines petites communes, les files d’attente pour obtenir des informations s’allongent, et des témoignages circulent sur des familles entières prêtes à envoyer au moins un ou plusieurs de leurs membres partir travailler au Drovolski.
Le dispositif est d'ailleurs bien huilé, des centres d’enregistrement provisoires se sont multipliés à travers toute la Némédie, où des agents sous des tentes blanches portant les slogans officiels remettent des fiches, exposent les "opportunités" et collectent les premières inscriptions. Dans plusieurs localités, notamment au sud et au centre du pays, ont déjà détourné des cars spécialement affrétés pour transporter les premiers contingents de volontaires aux centres de préparation, en vue de leur départ.
La joie, pour une fois, et peut-être de l’inquiétude. On n’a pas trop le choix de tout ce qu’il va vivre. Pour certains il est question d’un exil subi plutôt que choisi. Pour d’autres, c’est, disent-ils une "marchandisation des pauvres", alors que leurs conditions de travail sont évoquées dans des documents officiels de nombreux pages mais difficiles à lire. Mais sur le terrain c’est la misère et l’angoisse face au manque de travail qui grignote lentement les consciences et paraît peu à peu cela dit souvent comme un dernier appel pour bien des gens.
Pour répondre aux premières inquiétudes et aux critiques qui émergent, le gouvernement némédien se veut rassurant. Dans une déclaration mise à la disposition des radios nationales et reprise par la presse, les autorités affirment que " toutes les garanties ont été prises " pour que les travailleurs soient "convenablement traités" et "protégés" une fois arrivés au Drovolski. L’Etat a "scrupuleusement négocié" les clauses des contrats pour garantir des salaires réguliers, des logements décents et des conditions de travail "respectueuses de la dignité humaine".
L’Etat redouble les interventions sur la place publique pour faire de l’opération "une immense opportunité", tant pour les personnes concernées que pour l’économie nationale. Un haut responsable de la cellule a même déclaré hier : "C’est une chance historique de bâtir des ponts d’amitié avec nos partenaires, de lutter contre la pauvreté, et de permettre à chacun d’espérer en un avenir meilleur."
l’État a également précisé qu'il organisait l’ensemble des convois de départ : transports encadrés, procédures de visa accélérées, prise en charge administrative, sont les mesures promises. Dans certaines régions, le versement d’une prime de départ serait même envisagé comme une incitation à partir.
Voix fournies, des membres du gouvernement mettent en avant cette initiative comme une réponse potentielle à la surpopulation des campagnes, à l’occasion d’un manque de terres, de ressources et de boulot devenu un problème structurel. En ce sens, le départ d’une partie de la population active serait présenté comme une manière de "soulager" les campagnes, de "donner un coup de pouce" aux communes les plus engorgées, mais aussi en apportant des devises au pays par le canal des expatriés à travers l’envoi de leurs salaires.
Dans les rues, dans les écoles, dans les marchés, le débat fait rage. Si certains saluent l’idée d’un nouveau départ, d’autres murmurent que ce sont les pauvres qui sont sacrifiés pour sauver un modèle épuisé.
Posté le : 11 mai 2025 à 15:57:19
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14/07/2016
Ylia était soucieuse, dans une attente nerveuse, le temps semblait interminable comme une mer calme avant l’orage, elle avait entendu les rumeurs, elle avait lu entre les lignes et tous les jours passaient dans l’espoir que la déclaration tant attendue du roi viendrait enfin lever l’équivoque. Le Karty, les tensions, l’incertitude… tout cela pesait lourdement sur son cœur. Ce silence du roi lui semblait une arme, la Némédie reposait sur l’issue de cette parole dans un autre temps, dans un autre lieu. Chaque jour était un passé dans l’annonce d’un futur prévisible, ce silence pesait sur son cœur, sur son esprit et sur son âme dans l’attente d’un événement qu’elle espérait.
Et puis, en ce soir particulier où elle se trouvait seule, harassée de préoccupations passées et d’angoisses à venir, elle l’aperçut. Le roi Andronikos IV se montra à la télévision. Elle en tressaillit presque, une partie de son âme était suspendue entre inquiétude et élan. Son regard intense et tour à tour serein la déstabilisa profondément. Les pensées qu’elle s’efforçait de dissimuler aux autres mais aussi à elle-même trouvaient là simplement écho à ses mots.
Une introduction calme, mesurée.Ylia avait peut-être espéré un message de fermeté, mais elle percevait une tonalité plus mesurée que cela. "Notre monde apparaît de plus en plus secoué par des tensions", disait-il, avec une voix grave très présente dans son esprit. Elle aurait espéré entendre des menaces plus ouvrait à la lourdeur de l’armement, mais il parlait d’abord de paix, de sagesse, et de dialogue.
Mais la véritable surprise surgit dans le contexte du Karty. La tension semblait à la limite de l’explosion, mais le roi, en sage, avait une attitude allant vers la réserve, la souveraineté, le choix de la "détermination sereine". Cela créait en elle un sentiment double, à la fois rassuré à cause d’une paix préservée et inquiet plus gravement mêlé en elle, car elle savait que derrière cette tranquillité vibratoirement aimable se dissimulait une menace.
Le cœur de Ylia se pinça au mot "missile balistique de 2ème génération", puis au mot "Menandros". Ce n’était pas la guerre, affirmait-il, mais tout dans sa voix, dans ses mots, ne laissait rien deviner qui ne fasse croire que tout était prêt pour qui elle éclate si besoin. L’image du sous-marin, tranquille et mortel, lui vint à l’esprit et elle se sentit glacée.
Mais ce qui la gêna encore plus fut le fait qu’il avait verbalisé la protection du Karty pour les Némédiens de là-bas. "La main du roi ne vous oublie pas", avait-il dit. C’était une sorte de baume sur une plaie, comme une main pour la couvrir, qui tout à la fois la réconfortait et la précipitait vers un danger plus grand encore. Le roi ne disait pas seulement qu’il avait une bonne vue sur un terrain, mais qu’il y avait de son devoir à assurer chaque frère Némédien du pays, où qu’il soit, la déclaration ne pouvait que l’émouvoir, mais quelque chose de l’ombre de la guerre proche s’en mêlait.
Au terme de ce discours, un étrange sentiment paradoxal s’empara d'Ylia. La promesse de paix, de dialogue, de diplomatie, lui apportait la confiance. Mais le déploiement ostentatoire de cette force militaire, ce contrôle, si froid, de la situation et de ses forces, donnait lieu à une anxiété sourde. Elle avait cru que le roi serait celui qui saurait éteindre les tensions sans confrontation formelle, mais là, c’était un avertissement qui lui parvenait, très nuancé, mais très clair.
Elle se leva, les mains tremblantes tenant encore la télécommande. Le roi avait immédiatement parlé, avait rassuré et averti, et elle, dans son cœur, ne savait plus que penser. La guerre peut-elle encore être évitée, ou est-il trop tard ? Ce mélange d’apaisement et d’angoisse, à présent, elle le sentait très présent, comme une pesanteur sur la poitrine. Elle n’avait pas de réponse, mais la question, elle flottait, dans les airs, jusqu’où cette danse fragile ira-t-elle entre paix et guerre ?
Ylia demeura pétrifiée devant l’écran, la télécommande toujours crispée dans ses mains en proie à un tourbillon de pensées qui cherchaient un sens, une réponse et faisaient écho, dans sa tête, aux mots du roi, qui allaient et revenaient en échos toujours plus forts à chaque battement de cœur, à chaque pas, tambourinant la guerre, la paix, la menace invisible… Tout, ici, était encore suspendu dans ce qu’il croyait être un fragile équilibre, si fragile qu’elle ne saurait plus dire quel poids il lui faudrait accorder à cette guerre ou à cette paix.
Elle se leva, ses membres comme scellés, et marcha balbutiant vers la fenêtre. La nuit était tombée, silencieuse et opaque, comme si la terre elle-même retenait son souffle, elle porte son regard sur les rues désertes, sur les lumières tamisées qui fuyait dans l’obscurité des maisons , et cette solitude lui fit tout à coup comprendre. Comment les autres la vivaient-ils? Combien, comme elle, attendaient, hésitaient, dubitatifs, suspendus face à un avenir indécis.
Un frisson la traversa à la pensée du moment où le roi avait parlé des sous-marins, des croiseurs, de la suprématie maritime du pays et l’idée lui vint des navires de guerre qui passaient tout juste sous l’eau. Dans son esprit, la mer calme, à la surface à peine agitée contre les récifs, puis tout en bas, jusqu’à la profondeur où gisaient les machines de guerre sur le qui-vive, prêtes à sortir de l’ombre, convergeaient, se superposaient et s’emboîtaient en une image aberrante, terrifiante. Comment le roi pouvait-il parler de paix avec tant de tranquillité, alors même qu’il exposait une telle démonstration de force, le seul moyen de garantir la sécurité de la Némédie ?
Elle se retourna dans la chambre, les yeux allant se poser sur les objets familiers, se sentait étriquée dans sa propre vie, étrangère qu’elle était devenue à elle-même au fil des secondes. Les choses n’avaient plus de sens, tant la réalité de ce qu’elle vivait n’avait plus prise sur elle, s’effondrait, s’effritait sous ses pas. Le roi avait eu les mots choisis pour créer ce vide, ce vide qu’elle ne savait comment remplir.
Elle se dirigea vers son bureau, où un ancien ouvrage était déposé sur la table, un legs de la sagesse de l’ancêtre, un penseur de la Némédie qui avait cru en la diplomatie bien plus qu’à la guerre. Elle s’y était référée souvent, feuilletant les pages d’un texte et d’un discours qui avaient traversé les âges. Mais, à cet instant, elle ne pouvait plus se donner, même là, la tranquillité de l’esprit. Les idées et les philosophies qui l’avaient toujours nourrie, paraissaient, de ce jour, s’éloigner, comme toute ombre se dissipe à la lumière du jour.
Elle s’était laissée tomber dans un fauteuil, à bout de souffle, alors que la soirée continuait, silencieuse, et l’angoisse de l’inquiétant au cœur toujours plus serrée. Il y avait eu dans l’histoire de la Némédie des temps où l’on pensait que tout était possible. Des temps où la paix cependant semblait l’emporter sur l’illusion. Mais, cette fois, la réalité était bien d’un autre type.
Ylia avait toujours été persuadée qu’on pouvait bâtir un monde sans guerre, qu’il suffisait de la volonté des chefs et du peuple pour épargner les violences et les destructions. Mais voilà le roi qui se mettait à danser devant elle. Sa voix calme, calme et mesurée, était gravée dans son esprit ; elle ne savait plus à présent à quel point elle pouvait lui faire confiance. Que recelait derrière cette fermeté pondérée ? Quel était son véritable dessein ? La paix qu’il promettait était-elle vraie ou la force qu’il exhibait était-elle simplement le prélude sombre du prochain temps ?
Un carillon éloigné tinta, rompant le silence de la nuit. Ylia tressaillit, comme s’il lui revenait à l’esprit le réel. Elle se leva d’un coup, comme prise de la migraine de la fuite. Mais où aller ? Le pays était tendu, et elle savait bien qu’il n’y avait nulle part où se cacher, si ce n’est, se fondre dans les brumes anonymes du lointain, loin des pensées de guerre, loin de la précarité du bon temps.
Les minutes prenaient des allures d’heures. Ylia retourna à ses visions télévisées, espérant que le roi reviendrait, que ses propos préciseraient leurs mots, précaires. Mais il n’y avait plus de son. Que du silence. Du silence qui s’alourdissait au fil des heures. Elle savait maintenant que ce n’étaient plus la guerre ou la paix qu’elle attendait, mais le seul et unique avenir qui viendrait d’un instant à l’autre, insaisissable, incertain… Si elle pouvait être sûre d’une chose, c’est qu’elle ne pouvait plus rester immobile, aux aguets. Il lui fallait choisir, s’engager, en ce calme marin trouver son chemin avant que la tempête éclate.
Posté le : 25 mai 2025 à 23:04:43
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27/08/2016
Ce matin-là, aucune brise ne soulevait les feuilles. La chaleur pesait sur les billots comme sur le bitume, comme sur les visages. À Olythos, il n’y a qu’une dimension du temps qui s’épuise au fil des mois : il secoue et déterre un silence ancré au cœur de ses promesses scellées ; un silence fait de visages fatigués de se croiser dans les files devant les boulangeries où, au fond, la seule préoccupation est celle du montant du prix du pain. Démétra plongeait les doigts dans les poches vides de son manteau usé par une routine prise comme une habitude lui retirant toute espérance, elle n’était même plus en mesure de tenter de comptabiliser les jours. Ce qui lui importait principalement était l’accumulation d’absences : l’absence de réponse, l’absence de réforme, l’absence de pain à prix bon marché. Chaque matin, une fois encore elle ouvrait des yeux cernés sans parvenir à évanouir la question du combien de jours encore. Ce qui est encore une fois le cas aujourd’hui.
Tout le monde parlait de relance, dans les journaux, chez les hommes en cravate des bureaux d’Épidion, les plans étaient en cours : « résorption des inégalités », « investissements dans le Sud », « priorité au quotidien des Olythiens », mais ici les rues se fissuraient, les frigos vides, les enfants mangeaient moins, les commerces fermaient. Ce sont des mots qu’elle avait toujours, inlassablement, remportés, on les avait déjà entendus sous trois rois.
Assise sur le banc de ciment en face de son immeuble, elle regardait passer un groupe d’adolescents riant du cousine qui était « parti à Épidion pour trouver mieux », l’autre parlait de sa tante partie dans les pays d’Eurysie. Le « partir » revenait comme une sorte d’incantation. Démétra y pensait elle aussi, de plus en plus.
Son mari, lui, l’aurait fait. Avant l’accident. Avant la fermeture de l’usine. Avant l’effet du flottement des allocations dans la paperasse d’un État qui avait oublié à quoi servaient les pauvres. Elle, elle était restée, croyant encore à ce vieux discours de l’espoir qu’on se transmet depuis qu’on était en bas dans les marchés : ça va changer. Mais rien n’avait changé, pas en bas, pas ici.
L’épreuve la plus difficile n’était pas la faim, pas la peur du loyer, ni même l’eau froide, mais l’impression de parler dans le vide, de voter pour un silence, d’attendre des trains qui ne passent plus. Démétra réalisait qu’il s’agissait, peut-être, de la trahison : être effacée méthodiquement, chaque jour, comme si l’on était une donnée fictive d’une statistique.
Et ce matin-là, sans le souffle du vent, sans un bruit, elle avait le vertige. La possibilité d’un ailleurs. Mais pas comme une fuite. Comme un droit. Le droit de respirer sans compter les pièces, sans avoir peur de vieillir dans l’angoisse des coupures de courant. Le droit de donner autre chose que de la résignation à des enfants. Elle savait que la vie serait dure ailleurs, qu’ici elle n’était même plus vivante, mais éludait entre deux hausses de prix.
Elle observa la vieille carte de l’Afarée, pliée depuis tant d’années comme un élément inaccessible d’un jeu abandonné. Elle l’ouvrit, lentement. Elle était allée à Myrida. L’idée d’y retourner, même seule, même sous un ciel méconnu, prenait corps de manière affective.
Ce pays ne changera peut-être jamais, sa région Olythos, son amour de petite fille, son quartier, ses gens, ne serait peut-être que la tache que l’État évite de regarder. Elle pensa à ses parents qui naquirent et moururent ici sans avoir jamais entendu la fin des discours. Elle pensa à sa fille qui rêve déjà en langue étrangère, sur des vidéos d’internet.
Alors elle se lèva en sursaut. Le soleil tapait dur, mais elle avait froid. Pas un froid de corps, un froid d’âme, un froid de trop d’hivers passés à attendre, elle s’imaginait avancer vers la gare, son billet en mains, sans retour peut-être. Juste partir. Et ne dépendre plus. Et ne plus mendier. Et ne plus espérer des promesses d’un roi dont la couronne brillait trop loin pour refléter ici la misère.
Elle ne savait pas encore si elle en aurait le cœur. Mais pour la première fois, aujourd’hui, elle n’avait pas honte d’y penser.
Les jours suivants, elle continuera de vivre comme avant. Quelle ironie, faire le tour du quartier pour se rendre à la borne d’eau. Quelle ironie faire la queue pour recevoir un sachet de farine. Quelle ironie faire avec le visage de la voisine d’en face, celui du deuxième, un sourire fatigué. Elle était si habituée à vivre, elle s’était fondue dans des habitudes qu’elle croyait solides. Mais il y apparaissait déjà de trop de fragilités. Les rues n'étaient plus pour elle comme avant. Désormais, elle y lisait des signes. Ces murs écaillés devenaient des représentations mentales du vide, ces lampadaires cassés devenaient des points de rupture aussi, ces cris d’enfants des rappels d’urgence. Quelque chose en elle se mettait à trembler.
Le soir, elle sortait sur la table la carte de l’Afarée qu’elle posait comme un objet de révérence. Du doigt, elle traçait des itinéraires imaginaires. D’Olythos à Walemir capitale de l’Empire du Churaynn, disait encore-t-on, où du travail s’offrait. On disait beaucoup de choses, mais elle voulait vérifier cette fois-ci de ses yeux.
Des fois, sa fille, Léna, la regardait en silence. Elle avait douze ans. L’âge de ces questions qui heurtent sans le vouloir. Un jour, sans prévenir, Léna avait demandé :
"Maman, est-ce que tu vas m’abandonner ?"
Démétra avait senti son cœur se serrer. Elle avait déposé la carte, doucement. Elle avait pris la main de sa fille. Elle n’avait pas pleuré. Elle n’en avait plus le cœur. Mais elle avait murmuré :
"Jamais. Je t’emmènerai."
Ce jour-là, elle avait mal dormi. Des souvenirs lui revenaient en mémoire : des gares, des ports, des routes inconnues, des visages fermés, des postes-frontières. Et la peur de tout quitter : fuir ne consiste-t-il pas à trahir ? Et est-ce trahir que de rester, de ne rien faire, de laisser vivre là où l’espoir se fane comme la peinture des écoles ?
Elle pense à la génération de ses parents, qui a tout accepté, trop peut-être. Qui sait, ce qui aurait pu sans doute à l’égard d’eux, loyauté à la patrie serait-elle devenue malédiction ? Loin de leur volonté, cette fidélité à la patrie peut-être fallait-il la transgresser non par haine, mais par amour de la vie. Et si fuir l’immobilisme, était enfin agir.
Le lendemain, elle se départit de quelques objets. Pas grand-chose. Une vieille bague, un tabouret, quelques livres. Puis elle se rend chez Eleni, une amie d’enfance qui travaille à la billetterie d’une petite agence de transports. Elle n’ose pas prononcer tout de suite le but de sa quête. Elle demande d’abord :
"Tu crois que c’est possible, de recommencer ?"
Eleni ne s’empresse pas. Elle la fixe, intimement. Puis d’un souffle :
"Si tu n’as pas foi que c’est possible, alors c’est là, que ça s’arrête".
Démétra partait avec une date, une heure, une étiquette gribouillée au crayon. Faux, sans doute, le prix. Ou vrai. Allons savoir. Pas le billet pour aller vers le bonheur. Plutôt le billet pour aller vers un espace où rien n’est encore fixé. Un monde où, peut-être, on peut encore faire bouger quelque chose.
La veille du départ, elle ne dormit pas. Elle fit les paquets de Léna, un sac en toile. Elle la fit réveiller avant l’aube.
"On va où ? demanda la petite, la voix encore pâteuse."
"Tu verras"
Or quand elles sortirent d’Olythos, personne ne les retint. Personne ne les aperçut. Ou alors, personne ne voulut les voir.
Il leur était impossible de se retourner : elles traçaient leur silhouette à deux ombres ici et là, photographiées sur un vieux bitume fatigué, fort somnolent, sous un ciel sans souffle.
Et si au matin de ça, pour la première fois, vraiment pour la première fois, Démétra marchait sans honte ?
À la place avec une chose plus rare que la honte.
Une promesse.
Avec une chose plus rare que la honte. Une chose que l’on n’affirmait pas encore, qui ne portait pas alors de nom précis, mais qui battait, là, contre sa poitrine : une forme ténue de dignité retrouvée. Démétra avança sans rien dire, Léna à ses côtés, la petite main chaude dans la sienne. Il n’y avait pas de musique pour accompagner le départ, ni clairon de la victoire. Juste des pas, des sacs trop lourds, une route cabossée. Mais, aussi, une légèreté étrange, comme si chaque mètre arraché à Olythos rouvrait en elle une cellule d’air.
Le monde autour d’elles ne faisait pas spécialement de place pour le passage. Un camion les dépassa sans ralentir, soulevant de la poussière. Une vieille bicyclette croisa leur route sans un mot. Tout continuait comme avant, mais elles non. Elles ne continuaient pas. Elles commençaient.
Par moments, alors que l’on arrivait à la gare routière, la lumière de ce matin ne montrait qu’une pâle couleur. Le guichet s’ouvrirait bientôt. Des ombres dormaient sur des bancs ou au pied des piliers de ciment. Avec son lit entre les jambes, une femme dormait la tête sur son épaule. Un vieux fixait un papier, comme s’il tentait d’y lire l’avenir. Léna leur serra un peu plus fort la main.
"Tu crois qu’on va y arriver, demanda-t-elle."
Démétra aurait voulu répondre « oui » tout de suite. Mais elle apprenait à ne plus mentir, même pour défendre.
"Je ne sais pas. Mais on va essayer. Et on va le faire ensemble."
Léna hocha doucement la tête. Elle n’est pas tombée en larmes. Elle était déjà d’une génération qui devait savoir retenir ses pleurs avant d’écrire son nom sur un avenir incertain. Le bus arriva avec un bruit atténué du moteur. Il était bien plus vieux que ce qu’elle avait pensé. Peinture écaillée, pare-brise brisé. Mais il avançait. Et c’était déjà ça. Elles montèrent sans même se retourner, sans attendre un geste, un mot, un regret. Le chauffeur ne leur demanda rien, juste un regard pour leur billet puis un hochement de tête. Elles reculèrent jusqu’au fond.
Le bus démarra.
Démétra observait la ville qui s’éloignait par la vitre sale. Elle n’éprouvait ni triomphe, ni chagrin. Seulement ce calme nouveau. Celui du choix fait.
Et de ce calme se délira peu à peu une idée. Pas encore une certitude. Peut-être une piste. Mais peut-être aussi que revenir un jour ne serait pas une défaite. Mais un retour. Pas pour s’enfoncer dans l’ancien, mais pour témoigner qu’un autre monde existe et qu’on peut tout à fait l’atteindre, le construire. Mais pour l’heure fuir. Pour vivre. Plus tard… on verra. Léna, la tête contre elle, les yeux déjà fermés, s’endormait. Peu à peu, Démétra lui caressa les cheveux.
Ses pensées ,nul doute, : c’est comme ça qu’une vie commence.
Pas dans un Palais, pas dans une annonce, pas dans les promesses d’un gouvernement. Mais dans un bus usé, à l’aube, quand une femme sans rien décide que son souffle a encore du prix. Le soleil se levait maintenant. Un mince filet d’or traversait une vitre fendue. Sur le bitume, derrière elles, rien ne bougeait.
Mais devant, une route. Et cette chose plus rare que la honte : l’audace.
Posté le : 28 mai 2025 à 00:27:58
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Actualité non médiatisé
03/09/2016
Ils arrivent de tous les coins, dès les premières lueurs de l’aube, à pied, en camionnette, en tramway. Des femmes en foulards, des ouvriers en bleu de travail, des étudiants encore engourdis et même des retraités adossés à leur canne. La place d'Epidion, au cœur même de l’Epidion, ne parait à aucun endroit aussi mal nommée.
Des voix s’élèvent. Pas d’hymne, pas de slogans brandis. Non. Plutôt une simple question, la question : « Pourquoi ? »
Pourquoi le pèsent-il maintenant deux fois le prix qu’il était il y a trois ans ? Pourquoi les loyers flambent aujourd’hui alors que les salaires stagnent ? Pourquoi les déclarations des ministres sonnent-elles creux, alors que le marché de fruits, sur les hauteurs de la capitale, c’est devenu un luxe pour les familles ?
Au milieu du rassemblement, un homme brandit un ticket de caisse :
« Regardez. Deux fromages, un sachet de lentilles et une huile. 28 halegion. Je gagne 35 halegion par jour. C’est cela, la Némédie ? »
Dionyssis, tramiste de 48 ans, est présent pour la première fois dans ce type d’initiative de revendication. À ses côtés se trouve une jeune fille aux boucles brunes :
« On n’en peut plus. Ce n’est pas de la fainéantise. C’est de l’asphyxie. »
Des banderoles encerclent le dialogue :
« Nous ne sommes pas vos chiffres. »
« L’inflation nous tue plus sûrement que la guerre. »
« Où est l’or de nos montagnes ? »
Les manifestants, pacifistes, ne cassent rien. Ils exigent, ils interpellent. Pas de discours creux. Pas de « plan sur trois ans ». Ils veulent savoir où va l’argent, qui décide, et surtout pourquoi un bon pain devient un luxe pendant qu’on risque d’être constamment revu à la hausse sur le compte en banque.
À midi, le silence s’installe soudainement. Une femme d’une cinquantaine d’années se hisse sur une fontaine. Au-delà même de l’horizontalité, elle s’exprime avec force, sans micro, sans autorisation.
« On nous dit que tout est mondial, que c’est le pétrole, les marchés… Mais qui vit ici, qui souffre ici ? C’est nous ! Que le roi nous entende. Que les régions nous entendent. Nous n’avons plus peur. »
L’après-midi, le cortège prend le chemin du palais royal, à une heure de marche. Les forces de l’ordre régressent. Le gouvernement, secondé par un diplomate, observe. Il apparaît clairement que le peuple ne veut plus seulement survivre. Il veut vivre.
Et résonne encore et partout cette simple question, inscrite sur les murs, murmurée aux enfants :
« Pourquoi ? »
Le cortège s’avance, d’abord lentement voilà qu’il s’élance ainsi que mû par la même certitude intérieure. La ville, un instant suspendue, assiste à ce long fleuve d’hommes et de voix qui descend dans le territoire d’Epidion, semblable à cette ancienne puissante souveraineté populaire. Ils descendent par l’avenue des Tisserands, puis passent avec un mouvement d’épaules dans les larges escaliers de l’Agora-Centrale où les premiers petits magasins rencontrent le drame d’un rideau qu’on ferme sans disgrâce éclatante mais avec un immense respect. Les commerçants se tiennent sur leur seuil, l’un d’eux a encore levé la main, un autre présente au groupe une bouteille d’eau, un pain, un mouchoir, le dernier, un boulanger d’ailleurs aux mains encore empoudrées murmure : « Je vends mon pain maintenant deux fois plus cher qu’avant ; et encore ai-je perdu ! » Le ciel est pur, brûlant, mais nulle tête ne se baisse. Les femmes replient leurs foulards. Les hommes s’épongeant le front. Des enfants marchent par la main des parents, la pancarte timide tremblante au bout des bras : « Le futur n’a pas à coûter. »
Des chants font entendre leur voix. Pas des slogans politiques. Plutôt des morceaux de véracité :
« Un loyer, un repas, un avenir ! » – « L’Assemblée des Cités ne nous écoute pas, alors on parle fort ! » – « Pas de charité, nous voulons de la justice. »
Le matin, au passage des cortèges, la vieilles statues d'Halegion, le père de la Némédie, en rouge, a été drapé par quelques jeunes gens ; puisque, avec une douceur cruelle, ils l’ont habillé d’un mouchoir rouge et sur le piédestal aussi vert que la rancœur inscrite : « Trahi ».
Les forces de l’ordre, autorités de vrai, sont sur le passage, calottes enfoncées, mais matraques rangées. Il y a une hésitation dans chacun de leurs pas. Ce sont leurs visages, ceux de leurs voisins ou de leurs enfants, marchent du moins pas des casseurs professionnels, pas des vrais fous dans cette pagaille.
Un tambour improvisé, une vieille barrique, s’essaye. Le souffle naît. Peut-on parler d’une sorte de fierté. Pas de la rage. Pas encore. Plutôt de la dignité retrouvée, celle que l’on pensait disparue dans les tickets de rationnement, dans les factures, insolvables, dans les humiliations quotidiennes.
Aux alentours de seize heures, les pèlerins, à quelques mètres de la grande montée royale, se figent. La foule se ralentit. Devant eux, des jardins annexes du royaume, peuplés de plantes en fleurs, muets, sont, du moins semble-t-il, bien gardés. C’est à quinze minutes de là, derrière les murs clairs du Palais d’Еpidion que le roi Andronikos IV est avisé. Les téléobjectifs des journalistes sont braqués sur lui. Mais pour l’instant, ce sont les pas du peuple qui résonnent sourds, larges, marqués dans l’asphalte comme une empreinte vivante, dont les premiers échos ne résonnent plus que chez les enfants : un geste réflexe.
Le silence se tient comme un soldat. On s’arrête. On respire. Les visages sont graves. Ils savent que ce n’est plus une marche. C’était une marche. C’est un temps suspendu. Une frontière.
À moins de quinze minutes du Palais.
Et les rangs, une petite voix d’enfant d’enfant s’élève.
« Maman, pourquoi ils nous écoutent pas ? »
À travers les rangs, une onde de tension, si faible soit-elle, bien réelle, s’est faufilée, Amollissant les pas, aussi bien ceux des jeunes enfants que ceux de leurs parent, mais provoquant un arrêt net des membres, des bouches, des bras. Au sommet de la montée royale, en demi-cercle, une ligne dense, uniforme, bleu sombre. Casques sanglés, gilets pare-balles serrés, regards impénétrables. Cette fois-ci, les matraques sont sorties, tenues basses, mais visibles.
L’énoncé du haut-parleur crache, brouillé. On n’entend pas tout. Une information mal catégorisée, que l’on pourrait isoler en mots tels « sécurité », « maintien de l’ordre», « instruction royale ». Rien ne sonne comme une invitation. Plutôt du matériel de mesure.
Un homme dans la foule un instituteur, un poète lève les deux bras et s’avance à quelques mètres des policiers. Sans crier. Mais le ton sort. Il articule :
« Nous ne sommes pas des menaces. Nous sommes vos parents, vos enfants, vos voisins. Laissez-nous parler. Il faut qu’on nous entende. »
S’installe le silence. Puis une policière jeune, pas gradée, soufflé presque, comme pour elle-même :
« Nous ne pourrons pas vous laisser passer. »
Le mot tombe. Passer. La foule s’électrise. Mais ne bouge pas.
Un homme âgé, barbe blanche, béret sur le crâne, sort de la rangée. A la main, une lettre pliée, redevable d’un ruban rouge. Il la présente, à distance :
« Ceci est pour Sa Majesté. Dans un acte de non-violence. Juste par la parole. Demandez-la. C’est tout. »
Personne ne prend la lettre.
Un adolescent, chemise entrouverte, trace alors une ligne de craie sur l’asphalte, entre la foule et les policiers. Il ne dit rien. Juste cette ligne. Symbolique. Une frontière. Mais les deux bords restent nimbés de cette hésitation. Les regards se heurtent, des gardes clignent des yeux, mal à l’aise. Car eux aussi sont Némédiens. Ils perçoivent la rumeur, les mots sans feinte, les chants non haineux. Ils consciente l’épuisement de la chaleur prend maintes formes. Ils redoutent la confrontation. Les enfants, les pères les mains ouvertes.
Une femme d’une bonne trentaine d’années, sans précipitation, avance, parle à un capitaine :
« Nous n’avons point d’armes. Nous n’avons point de torches. Nous avons faim. Au moins qu’une délégation puisse passer. »
Le capitaine abaisse un instant les yeux, puis lentement secoue la tête.
« Nous avons ordre de tenir la limite. »
Les mots tombent, durs comme des pierres tombées dans un puits. Mais pas de cri, pas de pierre. Juste un frémissement. Des mains qui se prennent. Un chant qui monte, doux et ancien. C’est le chant des cueilleurs de safran, vieux de plusieurs siècles. Il ne parle ni d’argent, ni de guerre, ni de roi. Il parle de patience, de terre, et du prix de la vie.
Et les policiers, écoutent. État figé. Certains, malgré eux, baissent leur arme. Leurs épaules. Leurs yeux.
Il est presque dix-sept heures. La lumière rase et dorée décline sur les façades de la montée royale. Les manifestants ne sont ni partis, ni vaincus. Ils sont là. Debout. Inflexibles. Une voix se lève très haut :
« Alors qu’on nous entende d’ici. Que le Palais entende ce que la route ne saurait donner à entendre. »
Les manifestants, au calme imperturbable, réaffirmaient leur demande : qu’un entretien ait lieu. Pour ne pas menacer, pour ne pas exiger la capitulation, mais pour dire, simplement, la réalité. Celle d’un peuple qui n’en peut plus.
Mais alors que la lumière diminue et que les premières ombres allongent des corps déjà affaissés sur les pavés du perron royal, un mouvement discret, mais rigide, s’effectue du côté des confrères de la presse. Les caméras sont enrayées. Des journalistes, parmi eux quelques-uns venus de loin, de même que des journalistes d’Epidion, essaient de filmer la scène. Ils sont retenus, amicalement mais fermement, à distance. Dans les genoux est dressé un cordon. Les objectifs sont détournés, les micros couverts. Quelques voix s’élèvent :
« Laissez-nous montrer ce qui se passe ! »
« C’est l’histoire de tout un pays ! »
Mais la réponse des forces de l’ordre est sèche :
« Consigne de sécurité. Ordre de non-diffusion. »
Le contrôle des cartes de presse est opéré, des appareils sont mis sous séquestre. On dit qu’il ne faut laisser passer aucune image.
Ci-dessous, les manifestants sont conscients de cette marginalisation. Ils murmurent. L’un d’eux, un jeune homme, lève un téléphone, mais le signal est mauvais. Coupé ? Brouillé ?… Difficile de dire. Le silence semble semer des clés.
Pourtant, nul ne se disperse. Bien au contraire. Dans cette tentative de mise à l’écart, c’est comme si l’élan du groupe se restaurait. La chanson des cueilleurs de safran monte encore, une vieille dame l’accompagne maintenant dans un poème de la poétesse Anastéa Kalomera : « Ce pays n’est pas à vendre. Il est à nourrir. »
Elle renoue les négociations. Trois citoyens sont désignés : un tramiste, une étudiante, une médecin. Ils avancent, les mains nues, jusqu’au barrage. Mais le capitaine ne peut rien faire. Il hausse les épaules, presque gêné :
« Nous attendons les ordres du Palais, je ne peux pas décider. »
Et puis, d’un geste spontané, les trois délégués s’assoient à quelques mètres de la limite de la ligne de craie. Dos aux policiers. Face au peuple. L’un d’eux, la médecin, s’exprime, d’un ton calme : « Nous attendrons ici. Toute la nuit s’il le faut. Jusqu’où le roi entende. Ou que l’un de ses conseillers ait le courage de. Ce n’est pas une révolte. C’est un appel. »
Des bougies apparaissent, sorties de sacs, distribuées à la volée. Les premières flammes vacillent, timides, la lumière dorée du couchant éteint peu à peu. Les autres flammes humaines, aussi précaires qu’elles soient, sont tenaces, et sont elles-mêmes insufflées par une luminosité vacillante. Mais tandis que la tête de l’assemblée vacille, et que certaines voix se posent en un chant de l’ordinaire, les magistrats n’ont pas encore pris la parole.
Il est presque dix-neuf heures et la ville retient son souffle. D’Ephedra à Phaidonia, de Myrida jusqu’aux hauteurs d’Olythos, on parle de ce rassemblement, et certains rallument leur radio mais rien parle de ça tandis que d’aucuns tentent de faire canaliser clandestins des images : une photo d’un enfant dormant dans le creux de l’épaule maternelle, une pancarte sur les genoux, « Ne dormez pas pendant qu’on nous oublie. » Au Palais, nul mot officiel ne descend encore.
Alors que la nuit s’installe, les forces de l’ordre resserrent le dispositif. Les fourgons s’alignent le long de la place, les boucliers se haussent et les haut-parleurs tonnent. Une voix tautologique, sèche, mécanique, annonce que « c’est le dernier avertissement » : quiconque ne quitte pas les lieux sera interpellé.
Les manifestants, épuisés après des heures de slogans et de chants, hésitent. Certains lèvent les mains, d’autres échangent des regards d’incertitude. La tension monte, chaque pas en arrière rime avec défaite, chaque mot qui s’éternise comme prétexte à la récusation.
Peu à peu, une partie de la foule s’écarte. Ils s’en vont lentement, la tête baissée, sous le regard indifférent des casques noirs. Mais une centaine reste encore sur place. Plus jeunes, plus déterminés, ou simplement plus en colère. Ils sont plus solidaires et s’obstinent.
Les ordres tombent. Les escadrons avancent ; les cris fusent. Les derniers manifestants sont rapidement soudainement (ou tout à coup ?) encerclés. Certains sont plaqués au sol, d’autres traînés au loin. Les menottes claquent. Un jeune homme de dix-neuf ans hurle qu’il n’a rien commis. Une femme tente de filmer, son téléphone lui est arraché des mains. Dans le noir, les ruelles sentent la sueur, la frayeur et la poussière. Un quartier fatigué, éteint pour la nuit. Pourtant, personne ici n’a oublié.
Ce phénomène prend des proportions préoccupantes. Des manifestants pacifiques sont interpellés sans sommation, souvent avec une brutalité qui laisse impassibles les témoins. Battus à terre sur le trottoir, de coups de crosse, de matraque, de bottes, ils sont également traînés jusqu’à ces véhicules noirs, sans inscriptions, surgis de nulle part. Ni fourgons de police, ni ambulances. Juste ces silhouettes noires, satinées, muettes.
Où sont-ils emmenés ? Personne ne peut les retrouver. Ils ne réapparaissent plus. Les familles sont démunies : les commissariats de police dénient les interpellations, les hôpitaux disent ne pas les avoir vus, les avocats n’ont accès aux lieux de privation de liberté.
Posté le : 02 juin 2025 à 16:15:04
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Actualité non médiatisé
19/09/2016
Fût-ce dans l’orée du jour, lui aussi à l’épure pleine sur la mer, que l’avion royal, un modèle Pegasos 200-M, bimoteur blanc portant sur son fuselage le blason du royaume, fendit à ras les brumes maritimes et se posa rondement sur la piste de l’aéroport militaire de Korion, escorté comme il convenait, dans son dernier kilomètre, par deux chasseurs. L’appareil, à 8h00 précises, s’est posé sur le tarmac Est, sous un ciel hautement nuageux. Déployant son escalier, l’avion s’ouvrit lentement, dans le souffle occupé d’un vent au goût salé, et la silhouette du roi apparut, haute et droite, main gantée du côté du soleil, saluant brièvement la garde d’honneur en uniforme bleu d’ancre. À son départ, le roi fut accueilli par le porte parole de Korion à l'assemblée des cités, Thalios Euryklès, par le commandant de la base militaire, le colonel Dorian Melkis, avant que le ministre de l’Armée, Nikostratos Delios, par ailleurs arrivé la veille en inspection, ne fût à son tour là pour rendre les honneurs. On offrit au roi un bref café amer dans le pavillon de réception, tandis qu’une compagnie de la Garde navale, à l’extérieur, y se tenait pour rendre les honneurs, sabres au clair et étendards au vent.
Il était 8h25 lorsque le cortège royal s’ébranla au sein de la base, s’élançant sans trop de manière sur la chaussée étroite bordée de pins tordus et de genévriers bas. Dans la berline blindée, le roi, tout en restant silencieux, scrutait les collines de schiste qui montaient par gradins vers le nord.
La voiture s’immobilisa à 8h43 sur le parvis en granit. Le vent se leva, soufflant dans les plis de la grande bannière du pays hissée entre deux mâts d’acier noir.
Le moment était grave. L’ardoise qui pavait le parvis résonnait légèrement sous les pas en cuir du roi Andronikos IV, qui s’avançait d’un pas égal, précédé du maître de cérémonie militaire, et suivi de l’un des officiers de la Garde royale et de deux d’entre eux. Face à lui, par escouades nettes, la Brigade navale de Korion, en grande tenue de parade, se trouvait immobile, pareille à un mur, une muraille d’uniformes bleu d’ancre cachant les formes d’armures et piquetée d’épaulettes dorées et de gants blancs.
À 8h05, le roi s’arrêta devant la première escouade. Le tambour-major donna un bref coup de tambour, et l’on se mit au garde-à-vous :
"Présentez, armes !"
Le bruit du métalliques des fusils de cérémonie fut unique, droit, impeccable. Andronikos IV, du regard, scruta profondément les visages des jeunes marins.
…Andronikos IV progressa lentement le long de la ligne, la main gantée posée avec précaution sur le pommeau du sabre visible, le pas ferme mais sans hâte. Son regard inspectait chaque escouade avec une rigueur presque palpable. Ses yeux sombres, voilés par la réflexion, s’arrêtaient parfois sur chaque visage, y évaluant sans mot dire la tenue, la posture, la dignité de ceux qui s’étaient engagés pour la mer et le royaume : le regard qui se posait, bien connu des officiers, n’avait rien d’une pure formalité. C’était celui d’un homme qui toute sa vie durant exigeait lui-même ce silence sera la marque de l’excellence.
Sur le grand parvis, en arrière-plan, il se pressait jusque sur la bordure de la place des médias et notamment des journalistes némédiens et étrangers, isolés par une double côte de sécurité. Caméras, appareils photo, micros, ils s’efforçaient de saisir ce moment de cette matinée royale. Les visages étaient comme tendus et attentifs, tandis qu’au loin les drapeaux claquaient hauts dans l’air des ciels iodés, la bannière nationale continuant de battre dans les cieux comme une voile secouée par un vent d’histoire.
Tandis qu’il achevait la revue de la dernière escouade, Andronikos IV faisait demi-tour et prenait quelques pas vers le pupitre dressé pour l’occasion sur une estrade au noir sobre, aboutie du blason du royaume. Un micro discret y était fixé. Le silence absolu s’était installé, même les caméras avaient cessé de capter.
Le roi parlait d’une voix claire et grave, son timbre d’une solennité qui portait davantage que les enceintes militaires :
"Marins de Korion, défenseurs des flots de Némédie ; aujourd’hui est un jour de promesse. Nous bâtissons sur cette côte les veilleurs d’un temps nouveau : le KNA Alkyonès et le KNA Derketa ne sont pas simplement des navires, ce sont les mains tendues de notre souveraineté, les prolongements vivants de notre liberté maritime."
Il marqua brièvement un temps d’arrêt. Le vent, comme en écho, fit claquer les bannières.
"Vous êtes les garants du legs de nos aînés, et les pionniers du legs à nos enfants. La mer est dure, comme notre temps, pourtant le peuple némédien n’a pas peur de la dureté ni de la vague. Il la traverse. Il s’y lève." Son regard balaya une nouvelle fois les visages.
"Que Korion soit le phare d’une marine forte, honorable, elle sera juste. Que chaque âme présente ici se souvienne que dans les temps les plus incertains, ce n’est pas la seule force, ni la seule apparence, mais la loyauté, la maîtrise et le courage qui relèvent un royaume. Je vous en remercie."
Il salua, modestement, main droite à l’avant du front, et l’hymne royal fut chanté, lentement, par la musique militaire, au roulement des tambours et sous la lumière grise d’un ciel de guerre.
Il était 9h30.
À 9h30, au moment où l’hymne national achevait de vibrer sur ses derniers accords graves et où les tambours s’éteignaient dans le silence, le roi Andronikos IV garda un moment la bouleverse. Les traits, habituellement impassibles, de son visage ne semblaient pas avoir été détendus dans une austérité plus sombre encore. Puis, d’un pas veillant et mesuré, il quitta l’estrade, suivi des officiers royaux, du ministre Nikostratos Delios, pour rejoindre le bâtiment administratif contigu au parvis. Dans son grand bureau austère où un plan sommaire de l’ensemble naval avait été déplié sur une large table en bois sombre, la lampe de type industriel illuminant la pièce pendait à l’extrémité d’une chaîne d’acier noirci.
Le commandant Melkis, précis, montra au roi l’action du dessin des cales, des blocs d’assemblage, des docks à sec, des installations de tests subaquatiques.
Majesté, ceci est à 60 % de la construction des deux fleurons. L’Alkyonès, destroyer d’escorte de 3e génération, a reçu cette semaine son système de radars transphasiques. La veille, lundi dernier, la coque externe en composites absorbants de la corvette furtive Derketa a été soudée intégralement.
Le roi hocha lentement la tête, regardant le fond de la pièce, attendri. Puis :
"Conduisez-moi."
À 9h47, le cortège royal, réduit à quelques véhicules militaires légers et deux blindés de la Garde, partit lentement vers la zone sud de la base, celle des anciennes batteries côtières désaffectées. Les pins étaient remplacés, tantôt par la géométrie des hangars aux toits arrondi, tantôt par les murs épais des docks en béton armé. On passa une double herse de sécurité, puis le cortège s’engagea dans un étroit passage entre deux rangées de bâtiments techniques et s’immobilisa devant l’immense chantier couvert
À 9h58, Andronikos IV descendit de son véhicule blindé, cette fois avec des gants de couleur plus sombre, tandis qu’un casque de sécurité bleu marine était sobrement déposé sur son chef par un des officiers de la Garde technique. Un gilet, discret, aux armoiries royales, fut ajusté sur son manteau.
Nous fûmes donc admis dans l’énorme hall de la construction navale.
Le KNA Alkyonès se tenait là, sous des projecteurs humains pendus au plafond à trente mètres de hauteur, dans une lumière de hall où tourbillonnaient des particules de poussière métallique. On pouvait voir son flanc tribord en entier, bardé encore de plaques de blindage cependant ouvertes, de câbles à nu, d’hommes du chantier suspendus dans leurs nacelles armés d’outils d’ouvriers, autour de la boîte à outils et du ciment, servant à désencombrer le guichet d’entrée. La salle exhalait des odeurs d’acier chaud, d’huile et de peinture fraîche saturant l’air.
Le roi était sur une plate-forme, au beau milieu d’un grand silence. Puis, il parla, très simplement, devant le colonel Melkis :
"Que les hommes s’arrêtent deux minutes."
Le signal se répandit, mobiles et torches s’en allèrent. Le personnel, ouvrier, ingénieur, marin, se posa ou se suspendit dans le hall. Alors Andronikos IV, sans en dire pourquoi, se déplaça lentement jusqu’au bord de la plate-forme, et leva quelques instants ses yeux vers la proue. Entraînant sa voix dans l’acier de la nef :
"C’est le navire à naître. Traitez-le comme un fils. Il porte, sur la mer, le poids de notre liberté."
Puis, à 10h12, le cortège royal s’achemina vers l'autre Cale où reposait la silhouette plus énigmatique encore du KNA Derketa. Cette corvette furtive, moins volumineuse, plus basse sur l’eau, était couverte d’un habillage technique sombre, renforçant le camouflage partiel de la coque. Ses lignes acérées étaient perceptibles cependant, tels des contours sculptés pour l’invisibilité.
"C’est une bête de silence, lâcha le ministre Delios. Elle ne rugira que si l’on est sur le point de la provoquer."
Le roi ne répondit pas mais s’approcha lentement, posa une main gantée sur la rambarde, et resta planté là. Son regard se perdait dans des plans plus éloignés, comme s’il entrevoyait déjà les batailles à venir.
À 10h32, une ultime visite technique était conduite dans la salle de simulation du poste de commandement. Des écrans lumière, des cartes topographiques marines et des maquettes 3D clignotaient à intervalles réguliers, entourés d’une demi-douzaine d’officiers et de jeunes ingénieurs. Le roi, muet, scrutait chaque manœuvre de simulation, il ne posait alors que trois questions ; sur la résistance de son coque, sa portée radar, sa durée d’autonomie. À 10h45, le roi, saluant sans emphase les hommes et femmes présents, annonça qu’il voulait désormais voir les quais extérieurs.
À 10h50, le cortège royal sortit de la salle de simulation et engagèrent vers les quais extérieurs. Le vent s’était encore levé, s’immiscant entre les mâts d’acier et bruissant sur les câbles des navires en construction. Le roi Andronikos IV avançait toujours à un pas tranquille, comme s’étant lui-même promi la patience et la volonté de s’imprégner de chaque détail, de chaque texture ou de chaque atmosphère.
Sur le pont du KNA Alkyonès, la lumière du matin pénétrait par les immenses baies de la passerelle, exposant un agencement complexe d’écrans, de touches tactiles et de consoles lumineuses, conçus pour lui assurer la plus grande réactivité. Le roi, le colonel Melkis et le ministre Delios furent menés dans la salle de commandement où plusieurs officiers en tenue de travail l’attendaient afin de lui dévoiler les dernières évolutions techniques.
Les mains croisées derrière le dos, Andronikos IV s’était installé près des postes de commande du vaisseau. Il suivait des yeux l’activité sur les écrans, se préoccupant autant de la précision des radars que de la cartographie marine en temps réel ou des systèmes de défense active. Lorsque l’ingénieur en chef se pencha pour lui expliquer la modularité du système d’armes, véritable moyen de traiter à la fois les menaces classiques et les nouvelles formes de guerre électronique, le roi acquiesça en silence dans un silence grave, mais d’une profondeur significative.
Ensuite, on le conduit plus profond dans les entrailles du bâtiment vers les lieux de travail des officiers et des marins, les salles des machines, en partie en travaux, mais déjà pourvues de moteurs de 3eme génération, performants et peu gourmands en carburant. Les espaces de vie bien que soumis à la rigueur militaire n’oubliaient cependant pas l’ergonomie et le confort, là où la juxtaposition des espaces techniques bruts avec les autres avec un niveau de finitions très soignées ne cessait d’apporter des surprises.
Andronikos IV eut l’occasion d’écouter quelques explications d’un jeune lieutenant responsable d’une équipe d’ingénieurs, qui livra des témoignages sur la rigueur des entraînements, l’importance de la discipline ainsi que le défi que représentait la modernisation de la flotte en situation d’engagement dans un environnement précarisé.
Vers 11h40 la visite se poursuivit sur le pont supérieur, déjà proche de l’aspect que recevraient les enseignes de vaisseaux de guerre côtiers ainsi que ceux qui commandent en mer, là sous un ciel légèrement assombri, où sous l’effet peut-être de cette ambiance plus ou moins apaisante, mais surtout de l’élévation du roi, pour laquelle il évoluait avec aisance au milieu de l’armement, tous ces vaisseaux némédiens offraient au géographe royal une approche anticipatoire, où se tracerait l’avenir, celui du royaume, en adossant ces vaisseaux à celui-ci vers un futur en accord avec la sécurité et la souveraineté némédienne.
Dernière étape, la salle des communications, asile de hautes technologies, complémentaires à bon nombre d’artefacts matériels, pour que la communication entre interlocuteurs s’exerce tant dans l’hypersecret que dans la vitesse au cœur, enfin redevenu, à tous égards, un sanctuaire.
Peu avant la sortie, à 11h58 par plus ou moins cinq minutes, s’engagea la visite des lieux, et le roi, cette fois escorté de ses officiers, gagna la sortie où l’air marin du large lui cingla le visage. Il s’apprêtait à s’élever dans les airs pour voir la coque du chantier les ouvriers, les ingénieurs, et les marins peinaient, presque en son nom, à l’avenir de la marine némédienne.
Ce fut la première fois depuis son accession au trône qu’Il daigna répondre directement à des questions de journalistes. Jusqu’ici les rapports entre le souverain et les médias avaient été limités à des communiqués officiels, élaborés selon le bon vieux procédé royal et publiés par la maison, sans même un dialogue direct avec la presse.
La rencontre perpétrée ce jour-là, juste après la visite des chantiers navals, était donc exceptionnelle : installé dans une salle de petite taille, sobre mais élégante du palais, dans une ambiance à la fois solennelle et intimiste, le roi reçut une petite délégation de journalistes représentant les titres les plus prestigieux de la presse française.
À 14 heures précises, l’interview a commencé. Le roi Andronikos IV, comme à son habitude de stature imposante et de regard pénétrant, a répondu calmement et précisément à toutes les questions qui lui ont été posées sur sa vision de la marine, sur l’importance stratégique du Némédien dans la région et sur son souhait d’ouverture vers le monde sans rien abandonner de son identité nationale.
Posté le : 13 juin 2025 à 23:17:31
2016
Actualité non médiatisé
21/10/2016
On ne parle pas de miracle. Pas pour l’heure. Mais il y a moins de silence dans les rues. On entend de nouveau les enfants jouer devant les blocs. Les bonbonnes de gaz ne s’échangent plus à prix de honte. Un homme du quartier d’Athymis dit qu’il a recommencé à mettre « deux trois pièces de côté par semaine. Juste au cas où.
On a l’impression que même les bénévoles de la soupe populaire ne sont plus aussi pressés. « Les files sont plus courtes. On a le temps de discuter. De s’échanger des prénoms. Quel luxe on avait perdu », confie Iréné, serveuse trois hivers durant.
On murmure dans le centre d’Epidion qu’il va être question de reprise. Ici, ce mot détonne, trop lisse, trop lointain. Mais à Lymbrika, le souffle revient, puis le goût de vivre, et déjà ça compte.
C’est assez incroyable, en fait, personne ne se serait attendu à ce que cela dure : on croyait au mieux à une trêve, à une accalmie avant un prochain coup de martinet. Pourtant, voilà maintenant deux mois que les prix sont invariables. À Lymbrika on est prudent mais on commence à y croire.
« Moi j’ ai même recommencé à faire la lessive à la main. Avant je faisais attention à lid, pour faire cuire les lentilles, lance le souffle court », Lena, mère de quatre enfants, en étendant du linge à la cour. Ses mains bleuis mais son regard plus lucide.
Les regards changent. Ils ont toujours été baissés. Bannis. On se dit bonjour. On fait des plaisanteries à la caisse du kiosque. Le cafetier de la place Kallistratos a remis dehors ses trois tables, ses chaises et un vieil appareil radio qui pousse du son entre grésillements et crachotis.
Il y a parfois du bruit à s’en réjouir : le roi a semblé tenir parole. Il a juré que l’inflation disparaîtrait, coûte que coûte, et on commence à le voir se matérialiser. Lentement, certes, mais l’issue est visible. Ce n’est ni bardé d’effets d’annonce, ni tapageusement célébré, mais dans les cœurs fatigués des citoyens d’Olythos, quelque chose d’extraordinaire a lieu : un souffle de confiance revient.
Et avec elle, un sentiment de dignité.
Posté le : 18 juin 2025 à 20:27:43
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Actualité non médiatisé
6/11/2016
La plupart, à vrai dire, ne dit rien. Pas vraiment. Mais on entend dans la ville de Jayidan albaeida (130 000 habitants) des prénoms némédiens. On voit des gestes qu’on n’y faisait pas. Les enfants némédiens jouent entre les carcasses de voiture rouillés. Certains ont construit des murs à la main. D’autres occupent des bâtisses abandonnées. On doit en compter plus de 50 000.
Personne ne sait vraiment pourquoi ils sont ici. C’est la guerre. Il y a des milices qui rôdent. Les routes sont piégées. On manque de tout : de farine, d’essence, d’outils. On n’a pas d’avenir. Et pourtant, on vient.
« Moi, j’viens d’un quartier où y’a plus d’eau depuis février. Ici c’est sale, c’est dangereux, mais ça souffle, au moins. On respire », souffle Narek, dans la trentaine, gardant un feu de fortune.
« On dit qu’on peut prendre les baraques. Que si tu les occupes et que tu survives six mois, c’est pour toi. Va savoir si c’est vrai, mais moi j’y suis. »
Il y a parmi eux beaucoup d’anciens détenus. D’autres, des chômeurs qu’on a un peu refoulés. On ne l’ose dire, mais certains ont aperçu des camions aux premières heures, chargés d’hommes dans des haillons et d’uniformes jetés dans la poussière. C’était discret. Toujours discret.
« C’est tout comme une colonisation, à l’envers », murmure un vieux paysan azzymérien en voyant revenir les collines.
« Je comprends pas. Qui diable aurait l’idée de venir s’enterrer ici, en pleine guerre civile ? Et pourquoi eux, surtout eux ? »
Sur les marchés à ciel ouvert, les échanges recommencent. On troque des œufs contre du sel, des tuiles contre une bougie. Des cabanes se dressent là où on avait incendié des champs minés. Des chants s’élèvent, timides, aux alentours des citernes vides.
Ce n’est pas une invasion. Ce n’est pas un retour. Ce n’est même pas un projet. C’est un glissement humain, sous la surface des cartes.
Il se passe quelque chose qui pousse les Némédiens vers l’Azzymérie. On ne sait pas quoi. Il n’y a ni drapeau ni slogans. Mais cette terre rare et meurtrie, on recommence à l’entendre marcher. Personne ne comprend. C’est la guerre civile ici !
Le soir, dans Jayidan Albaeida, les étages oubliés semblent éclairés. On s’emploie à réparer des ampoules avec un fil dérobé, à clouer des volets cabossés, à partager un œuf à cinq. Des repas naissent pour l’occasion : un pain, une poignée de pois chiches et une boîte de conserve retrouvée dans un mur. La ville s’étoffe, mais à moitié. Tout est fait à pas feutrés.
« Personne n’est venu nous saluer. Personne ne nous a demandé de nous en aller non plus, bien sûr », lâche Samia, mère de quatre enfants, installée depuis deux mois dans un ancien dépôt de carburant.
Elle parle peu. C’est son fils, le plus jeune, qui s’acharne sur l’escalier avec quelques autres enfants, s’aventurant dans les bâtiments détruits comme dans une forêt. Ils reviennent entièrement couverts de poussière, tout fiers d’avoir rapporté des boulons, un gant, une roue de vélo.
Sans savoir, les Azzymeriens offrent des regards. Un trou, une angoisse, un dégoût ou une pauvreté. Certains vendent plus cher aux Némédiens. Certains ferment leur porte. Quand il y a plus rare, il y a la main qui arrive avec le seau d’eau ou le savon.
Mais circulent, au-delà des rations, au-delà des gestes, la peur
Des réunions ont eu lieu dans les quartiers nord, quelques coups de feu certains soirs au cours des nuits. Des tags sont apparus :
« ON ÉTAIT LÀ AVANT »
