Atlas historique.
Posté le : 19 avr. 2025 à 18:54:04
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Blog historique - Par Julien Lacombe

Depuis l'année mille six cent vingt et un, la Couronne Teylaise, à travers les décrets de pureté, tente de dominer et dompter les autochtones de la Colonie de Grâce à travers l'argument moral et le servage. En outre, les décrets introduits par la Couronne Teylaise, sans consultation des seigneurs du dehors, nobles anoblis pour service rendu à la Couronne et ayant un statut moins prestigieux que les nobles de la métropole, l'interdiction du métissage entre les Teylais et les autochtones, l'interdiction de l'utilisation de la langue locale, la seule langue reconnue étant le français, l'effacement de la culture amérindienne par l'interdiction des religions amérindiennes et la destruction de nombreux artefacts considérés comme païens ou subversifs. Ces décrets surviennent après plusieurs révoltes et actes de résistance de la population locale avant les années mille six cent vingt et un. À titre de comparaison, la Colonie de Bradis ne fut sous le joug d'aucun traité de pureté pendant toute la période de colonisation du Royaume de Teyla. La Couronne Teylaise était effrayée par l'idée de perdre la Colonie de Grâce quand elle était confiante sur le fait de pouvoir maintenir le calme dans la vieille colonie, Bradis.
Ces décrets de pureté furent renforcés en mille six cent trente-trois. Le Royaume de Teyla était en pleine tourmente et interrogation sur l'état de son armée et sa capacité à maintenir une présence menaçante tant dans les colonies qu'en Eurysie, alors que la rivalité avec le Duché de Gallouèse commençait à se faire voir au grand jour, bien qu'il s'agisse d'un long processus. Outre ces considérations, la Couronne observe la Grande République de Velsna alors que cette dernière observe d'un mauvais œil le Royaume de Teyla, depuis son alliance avec la rivale historique de la Grande République, Zélandia, depuis l'année mille cinq cent quatre-vingt-quinze. Cela oblige le Royaume de Teyla à maintenir une force armée terrestre convenable et pouvant enfoncer le territoire de la Grande République en cas de conflit armé. Elle donne le pouvoir aux seigneurs du dehors de puiser dans les fonds donnés par la Couronne, qui seront en grande partie détournés par les seigneurs du dehors, pour engager des mercenaires afin d'assurer la protection des colonies et la sécurité quotidienne.
Le renforcement des décrets de pureté a des conséquences majeures. En outre, pour attirer les mercenaires dans les colonies teylaises, la Couronne exempte les compagnies de mercenaires et les hommes des règles des décrets de pureté. Ainsi, ils peuvent parler les langues locales, ne sont pas interdits de métissage. Cette décision de la Couronne a eu pour conséquence de permettre à la population, même autochtone, de s’identifier parfois davantage aux mercenaires qu’aux soldats réguliers de la Couronne. Ces derniers étaient vus comme les véritables agents de l'oppression, tandis que les mercenaires, souvent plus proches du peuple par leur langage, leurs mœurs plus souples, et occasionnellement même leurs origines mêlées, apparaissaient comme plus ouverts auprès de la population. Malgré le renouvellement des populations, la mémoire collective n'oublia jamais l'époque de l'avant-colonisation et sûrement de la mise en œuvre des décrets de pureté.
Outre ces facteurs à prendre en compte pour comprendre l'événement du massacre de Fort-de-Grâce, à l'époque les colons n'étaient pas représentés dans des parlements locaux comme c'était le cas en métropole. À l'époque, au Royaume de Teyla, et malgré le renforcement de la centralisation de l'État autour du Roi, le Parlement local rendait la justice et était une forme de représentation, très primitive et non démocratique, de la population locale et de la culture locale. Les colonies n'avaient pas droit à ce droit. Les seigneurs du dehors étaient des sortes de gouverneurs régionaux, avec des pouvoirs importants et devant répondre à la Couronne Teylaise. Lorsqu'un événement de nature à toucher toute la colonie se passait ou était sur le point de se produire, les seigneurs du dehors se réunissaient sous la Chambre des Hommes Libres de la Colonie de Grâce ou Lermandie selon la colonie touchée par le problème. Si le problème touchait plusieurs colonies, alors elles se réunissaient sous la Chambre des Territoires du Dehors.
Alors que depuis plusieurs décennies, les seigneurs du dehors de la Colonie de Grâce devenaient de plus en plus hostiles à l'interdiction du métissage, le 15 avril 1702, la Chambre des Hommes Libres de la Colonie de Grâce adopta un texte, non contraignant, affirmant l'opposition des seigneurs du dehors à certaines dispositions des décrets de pureté, contraires aux valeurs religieuses du Royaume de Teyla, dont l'interdiction du métissage. En parallèle, les marchands, confrontés à un marché parallèle et illégal de plus en plus important, commencèrent à se ranger derrière la Couronne, alors que cette dernière multipliait les mesures dans l'espoir de réduire ses réseaux parallèles construits et maintenus par les mercenaires et des soldats de Sa Majesté corrompus. La société se crispa autour de tous ses enjeux majeurs. La société secrète "Les Hommes Libres" organisa plusieurs mouvements de contestation face à l'acharnement de la Couronne Teylaise dans sa politique. En outre, au mois de juillet 1702, quelques mois après le vote de la Chambre des Hommes Libres de la Colonie de Grâce, plusieurs émeutes éclatèrent dans les villes principales de la Colonie. Les maisons de deux seigneurs du dehors, réputés comme favorables aux politiques menées par la Couronne Teylaise, furent saccagées et pillées. Les meubles, les tableaux furent pillés. L'un des deux seigneurs du dehors remit sa démission à Sa Majesté quarante-huit heures plus tard. Le temps réel était plus long, mais l'annonce fut faite dans les colonies quarante-huit heures après les émeutes.
Dans le même temps, plusieurs effigies de ces seigneurs du dehors furent maltraitées par les émeutiers. Certains les brûlaient, d'autres les pendaient à ce qu'ils trouvaient dans les rues : arbre, bâtiment public et autres endroits. Au mois de février de l'année mille sept cent trois, un pamphlet anonyme circula clandestinement dans plusieurs ports et villes de la Colonie de Grâce. Ce pamphlet intitulé "Les cris du dehors" n'atteignit jamais la Colonie de Bradis, étant donné que cette dernière évoluait dans un contexte bien différent. Ce pamphlet dénonçait les politiques coloniales et brutales de la Couronne Teylaise et du Royaume de Teyla. Le pamphlet ne visait pas uniquement la Couronne, mais le Royaume de Teyla en tant que nation, même si le concept de nation n'était pas celui de nos jours, à l'époque. Ce papier, écrit de manière artisanale, imprimé illégalement car interdit par la Couronne Teylaise et lu dans les tavernes tard le soir, remettait en cause la légitimité de la Couronne Teylaise à gouverner ces terres. Il évoquait pour la première fois le détachement du territoire du Royaume de Teyla et donc l'indépendance. Un papier qui irrita même les seigneurs du dehors, qui, même les plus réticents sur les politiques et les décrets de pureté, voulaient rester attachés à la Couronne pour les avantages qu'elle offrait. Plusieurs historiens attribu l'origine du pamphlet à Hugo Verlène mais cette thèse ne fait pas consensus.
Voulant rétablir l'ordre, alors que la situation était sur le point de dégénérer, les seigneurs du dehors de Grâce, réunis en Chambre des Hommes Libres, décidèrent de faire appel à la Couronne et à la Colonie de Bradis afin que l'ordre soit rétabli. Le général Thomas Orage débarqua dans le port de Fort-de-Grâce avec une troupe de trois mille hommes. Une présence en nombre, dans les villes de la Colonie, qui resta jusqu'à la guerre de neuf ans. En outre, à partir de cet instant, le Royaume de Teyla renforça sa présence dans la colonie pour permettre la continuité des combats dans des conditions favorables. Bien que les soldats de la Couronne Teylaise pussent travailler pour compléter leurs revenus militaires, quand ils n'étaient pas en service, les décrets de pureté s'appliquaient à eux et, depuis les événements de mille sept cent deux, les décrets de pureté, uniquement sur l'interdiction du métissage, s'appliquaient aux compagnies de mercenaires et leurs hommes. Une décision qui renforça l'injustice auprès de toutes les classes de la société, sauf les marchands qui restèrent fidèles à Sa Majesté par pur intérêt personnel.
Le massacre de Fort-de-Grâce intervient dans ce contexte toujours plus tendu. Le soldat du 44ème régiment de Sa Majesté, Hugues Capou, montait la garde sur le port civil de Fort-de-Grâce. Alors qu'il soupçonnait un homme de trafic illégal, toujours fortement puni par les autorités teylaises, Hugues Capou décida d'arrêter l'homme. Pendant l'arrestation, une foule, selon certaines sources alcoolisée, vint à la hauteur d'une troupe royale, sur le port à quelques mètres de Hugues Capou. La foule prit à partie la troupe de soldats. En outre, les rapports rapportent une foule ayant insinué qu'aucun homme d'honneur ne faisait partie du 44ème régiment, que le seigneur du dehors de Fort-de-Grâce était corrompu. Alors qu'un homme fit un mouvement interprété par les soldats comme une attaque pour saisir l'arme d'un des soldats, interprété comme une bousculade par les témoins civils au procès, la situation s'envenima. Face à la situation, Hugues Capou décida de saisir son arme à feu et tira en l’air pour disperser la foule. Mais ce geste, loin de calmer les esprits, jeta de l’huile sur le feu. Un pavé fut lancé et atterrit sur l'épaule d'un autre soldat. Ce geste fit réagir la troupe de soldats immédiatement. Elle se saisit de ses armes, mit en joue et tira sans sommation dans la foule rassemblée. L'incident s'étira entre cinq à dix minutes selon les divers témoignages.
Rien qu'avec ces tirs, la troupe fit trois morts dont un adolescent et deux blessés. À partir de cet instant, la foule se dispersa et un mouvement de panique fut enclenché. Les personnes de la foule avertirent les habitants de la ville que les troupes teylaises étaient là pour tuer les habitants et arrêtaient quiconque s'opposerait à la Couronne. Très rapidement, les combats s'étendirent. Les soldats du 44ème, retranchés dans la douane, appelèrent des renforts à coups de clairons. Une compagnie d'hommes en garnison répondit présente et, arme au poing, descendit vers le port. Toutefois, dans les rues des marchands, la compagnie tomba dans une embuscade improvisée, suite à la propagation des rumeurs de la foule du port. Les attaquants, désorganisés, jetèrent ce qu'ils pouvaient sur les soldats afin de les bloquer, tandis que d'autres habitants armés de fusils, d'explosifs improvisés, de bouteilles et autres armes précaires visaient la troupe d'une dizaine de soldats.
Les combats s'étendent rapidement dans la ville. Les habitants tentent tant bien que mal d'ériger des barricades pour bloquer les troupes de soldats dans des rues étroites ou les grands axes de la ville. Mais les tentatives sont quasiment à chaque fois vaines et n'entravent pas les actions des troupes de la Couronne Teylaise. Outre les troupes Teylaises, les mercenaires employés par le seigneur du Dehors de Fort-de-Grâce interviennent tous en faveur de la Couronne Teylaise, répondant à leur engagement financier. Ces mercenaires, ayant une discipline plus souple que les soldats teylais et souvent à cheval, arrivent à maintenir la présence et la tenue des grandes places publiques et du bâtiment de l'administration coloniale de Grâce. Dans les faubourgs du nord-ouest, la résistance est plus forte que dans le reste de la ville, due à une présence métisse plus importante. Tant les soldats de Sa Majesté que les mercenaires ont du mal à maintenir leurs positions dans ces faubourgs qui sont un véritable piège. Une vingtaine de soldats sont blessés et deux fois moins sont tués dans ces faubourgs, soit cinquante pour cent des pertes totales de l'armée teylaise durant cette journée de combat.
Les villages environnants sonnent la révolte aussi face à l'incident du port. Portés par des messages à cheval mais aussi par des habitants fuyant la ville, la nouvelle se répand à une vitesse grandissante et les récits ne sont pas toujours fidèles aux événements qui se sont passés. La rumeur d’un massacre orchestré par les troupes de Sa Majesté traverse les campagnes avec une force inédite. Dans l'un des villages, le bâtiment des percepteurs d'impôts et de taxes est pris d'assaut par une troupe d'anciens soldats de Sa Majesté, vivant dans la misère. Les anciens soldats pillent la bâtisse et finiront sur la potence après un procès bâclé dans lequel les accusés n'auront droit à aucun avocat face à leur agissement considéré comme inacceptable. À la Nouvelle-Manticore, les portraits du Seigneur du Dehors de la "région" sont saccagés et brûlés. Plusieurs effigies sont frappées par la foule qui se dispersera quelques heures plus tard après l'arrivée de la troupe teylaise.
Le général Thomas Orage entre dans la ville le lendemain de ces combats avec une troupe de mille hommes et six canons. La résistance en face était quasi nulle. Elle fut meurtrie par les longs combats de la journée précédente et permit à Orage de se targuer d'une victoire prestigieuse, alors que cette dernière fut facile, à toute évidence. Le bilan du Massacre de Fort-de-Grâce fait état de trois morts, dont un adolescent. Toutefois, le bilan étendu aux combats est plus élevé. En outre, dix-neuf soldats de Sa Majesté sont tués dans les combats et cinquante-cinq sont blessés avec des blessures plus ou moins graves. Le soldat Capou meurt d'une infection suite à une blessure due à une balle ayant atteint sa jambe. Du côté des civils, on dénombre entre quarante et soixante morts et cent à cent vingt blessés. Pour calmer les ardeurs de la foule et permettre un retour au calme afin d'éviter que les combats recommencent plus tard, Thomas Orage fait arrêter les soldats étant présents sur le port, tous sans distinction.
Ces événements ont amené à plusieurs procès, distingués en deux catégories par les historiens. La première catégorie réunit un unique procès, celui des soldats teylais présents sur le port. La seconde catégorie réunit les procès concernant les différentes insurrections et les actes menés durant ces insurrections. Au total, les historiens dénombrent plus de trente procès, un nombre relativement bas. Les procès de la deuxième catégorie furent expédiés rapidement, afin d'envoyer un message de fermeté à la population. Quant au procès sur le Massacre du port de Fort-de-Grâce, l'attente fut d'un mois, laissant le temps aux autorités de préparer les esprits et de manipuler le procès. En outre, le jury fut choisi à l'avance par la Couronne Teylaise, de manière discrète. Plusieurs échanges entre hauts dirigeants de la Colonie et de Manticore témoignent de cette manipulation. La Couronne cherchait à rester fidèle à ses soldats et à les acquitter, pensant qu'ils avaient agi de la bonne façon. Dans une lettre de l'époque, le Seigneur du Dehors, Benoît Bouchard, écrit dans une lettre destinée à la Couronne : "Le maintien de l'ordre moral et politique passe par l'acquittement des soldats de Sa Majesté, qui ont servi avec loyauté la Couronne toute leur vie."
Le procès des soldats présents sur le port de Fort-de-Grâce s’ouvrit dans la salle austère du Palais de Justice de Fort-de-Grâce. Trente-deux soldats de Sa Majesté furent assignés à comparaître, bien que les actes d'accusation aient été collectifs, évitant ainsi de personnaliser les responsabilités. Le chef d’accusation principal portait sur l'usage disproportionné de la force contre des civils non armés. Les soldats furent défendus par John Valet, un avocat ayant pris des positions pro-loyalistes publiquement. Le procureur, non choisi par la Couronne, choisit de prendre comme argument la responsabilité individuelle, que la légitime défense ne peut s'appliquer dans ce cas et que la réponse des soldats n'était pas adaptée à la situation. Tandis que John Valet tenta de transformer le procès en un procès collectif dans lequel des hommes ont fait corps pour se défendre les uns les autres, mettant en avant la morale de l'armée sur celle du peuple, et que les comportements de la foule étaient menaçants pour les soldats. "Les soldats ont répondu aux ordres", déclara John Valet, dans une note racontant le procès. Or, en réalité, aucun ordre clair n’avait été donné ce jour-là, comme le montra un rapport confidentiel du général Orage qui laissa la responsabilité des actions à mener à ses hommes. Les ordres portaient sur les objectifs du déploiement des soldats de Sa Majesté mais pas sur les moyens pour y arriver.
Sans grande surprise, le jury prononça l'acquittement, ce qui provoqua rancœur et colère dans la population locale. Plusieurs émeutes éclatèrent à la suite de ce jugement. Ce procès reste encore dans les mémoires à Samiens tant le retentissement de celui-ci est grand. Les deux camps utilisèrent cet événement à des fins de propagande, bien que les Loyalistes se fissent plus discrets. Les Graciens commencèrent à appeler cet événement "Massacre de Fort-de-Grâce" après plusieurs affiches de propagande représentant des soldats de Sa Majesté exécutant en pleine rue, à côté du port, des citoyens non armés dont des enfants.
Plus généralement, le massacre de Fort-de-Grâce aboutit quelques semaines plus tard, notamment après le procès, à la proclamation de l'indépendance envers la Couronne Teylaise, en pleine guerre de neuf ans pour le Royaume de Teyla et nombre de nations du globe. De plus en plus de colons et d'autochtones commencèrent à se méfier de la Couronne Teylaise et de ses soldats. Cet événement permit de clarifier les frontières entre les loyalistes et les indépendantistes. En outre, les loyalistes, après cet événement, prirent, pour la plupart, leurs distances avec la Couronne Teylaise, réclamant que justice soit faite. Étienne Marchand, loyaliste convaincu, resta toutefois radical dans ses positions, estimant que la Couronne Teylaise avait eu raison d'agir ainsi. En outre, les soupçons de manipulation du procès datèrent du premier jour du procès. Ce massacre ne fut que l'un des facteurs déclencheurs de la guerre d'indépendance.
