15/03/2017
16:09:45
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[RP Interne] Activités intérieures en Translavya

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Le rêve s'efface :

Le rêve loduarien s'est effondré en Translavya. Mais il reste un espoir, non ? Non ?


C'est une fois de plus en coulisses que le destin de la Translavya allait se jouer. La tension à Anslav était intense depuis la mort du secrétaire Lorenzo. Bien que comme dans tout le monde socialiste, il avait aussi ses ennemis et ses détracteurs qui traînèrent un peu partout à la suite de sa mort, la population avait été globalement respectueuse envers la figure de proue loduarienne, bien que l'avis de la population était partagée quant à son rôle dans l'histoire : libérateur du prolétariat et de la misère infligée par les scientistes pour certains, dictateur impérialiste pour d'autres. Il n'était pas facile d'avoir un consensus clair sur la question de ce personnage. Néanmoins, à en croire les sondages et les résultats électoraux, beaucoup de Translaves avaient acceptés l'idée d'une société eurycommuniste telle que les Loduariens l'avaient souhaités pour eux, le peuple soumis à son maître occidental avait tenté d'embrasser la même vision idéologique que celui qui l'avait libéré (ou envahi, selon le point de vue). La propagande loduarienne avait visiblement fait des miracles et pour ainsi dire, la situation le permettait amplement : la prise des territoires méridionaux de l'ancienne RSF par la coalition onédienne et la mise en place d'un régime capitaliste et libéral à travers la République Translavique avait permis aux propagandistes étatiques et loduariens de convaincre la population de la nécessité de l'eurycommunisme comme contre-modèle à l'invasion libérale onédienne. Une gigantesque opération d'inversion accusatoire qui avait visé à faire oublier aux Translaves qui les avaient envahis en premier lieu. Cela avait bien servi à enraciner le régime dans le nord du pays mais désormais, celui-ci devait faire face à un gros problème, peut-être le problème le plus grave depuis la naissance du régime en 2014 : la disparition de son modèle, de son allié, de son protecteur politique et militaire. C'est simple : la Loduarie ne s'est pas simplement affaiblie et n'a pas simplement entamé un déclin lent et progressif, au point d'abandonner le théâtre des opérations en Eurysie de l'Est ; elle s'est tout bonnement effondrée, démontrant au monde l'inefficacité de son modèle politique sur son propre territoire. La DCT allait-elle être la suivante ? Serait-elle le prochain régime eurycommuniste à tomber ? La Loduarie était une puissance militaire, politique et économique importante sur la scène internationale mais cette impression de grandeur était finalement factice : la Loduarie n'était qu'un géant aux pieds d'argile. Mais la Translavie ? Elle n'a rien d'un géant mais tout d'une fondation en argile. La question était même double : même en imaginant par l'heureux des hasards que l'eurycommunisme fonctionne en DCT, il subsiste le problème du voisinage. C'est simple, la DCT a perdu son principal protecteur et sa force militaire actuelle ne lui permettrait guère de résister longtemps à une offensive onédienne. Bien sûr, la situation militaire n'est pas désespérée : l'armée sudiste dispose certes d'un léger avantage numérique mais l'Armée Populaire de Translavya écrase de tout son poids les troupes sudistes par leur supériorité matérielle du fait des approvisionnements loduariens d'antan qui permettent à la DCT de conserver une avance matérielle modeste sur son adversaire sudiste malgré la faiblesse de son économie et de son complexe militaro-industriel. Néanmoins, si on tient compte désormais que l'OND (ou au moins une partie d'entre elle) intervienne en faveur de la RT ou arme celle-ci, la DCT ne fera guère le poids longtemps.

Erik VonEcker, le secrétaire général, savait pertinemment que sa situation était fortement délicate. Sur son bureau, c'était presque trois piles de dossiers avec la mention "URGENCE" inscrite dessus qui lui faisait face et chaque fois qu'il entrait dans son maudit bureau, il ne pouvait que suer à grosses gouttes à l'idée de découvrir quelles horreurs, quelles ignominies, quelles manigances allaient-ils découvrir à travers ces dossiers. Il lisait quasiment en diagonale la plupart des paragraphes, cherchant à aller à l'essentiel, il savait qu'il avait un délai relativement court pour agir. La situation économique ? Déplorable. La situation militaire ? Médiocre. La situation politique ? Inquiétante. La situation à l'international ? Désespérée. Partout, il était en mauvaise posture. Entre une économie ayant encore du mal à redémarrer, les inefficiences bureaucratiques qui s'accumulent, la montée en puissance de l'économie de la RT (devenue la première puissance eurysienne en matière de PIB/habitant, au-dessus même de Velsna), la faiblesse évidente du complexe militaro-industriel, le manque d'innovation dans le tissu productif, l'armée en désordre à la suite du départ des instructeurs et des conseillers loduariens, le manque de réforme et d'organisation des forces armées ; rien que la situation domestique faisait peine à voir mais Erik VonEcker devait maintenant faire face aux conséquences de ses choix sur la scène politique : le CCA est furieux. Entre un PET dont la popularité chute jour après jours du fait de ses propres divisions internes, entre la montée en puissance des communalistes et des husakistes face à la perte de crédibilité des eurycommunistes et surtout le renforcement de la base électorale des sociaux-démocrates qui, fort du modèle de la RT, gagne en popularité. La tentation de l'union se fait de plus en plus tentante jour après jour pour ces sociaux-démocrates qui voient dans l'existence même de la DCT une insulte au peuple translave lui-même : le pays aurait plus à gagner en s'unissant dans un accord de compromis qu'en s'entêtant dans un modèle eurycommuniste dont le principal flambeau a prouvé son échec flagrant. Bien sûr, les sociaux-démocrates sont bien les seuls à penser ainsi : ni les communalistes, ni les husakistes et encore moins les eurycommunistes ne veulent entendre parler de cette réunification pour le moment, ce n'est ni le moment, ni le lieu. La situation géopolitique avait cependant de quoi faire oublier tous les problèmes du monde à VonEcker : la Loduarie a disparu, la RT gagne en puissance, l'OND n'a plus de garde-fou qui mobilise la majorité de ses forces militaires et politiques et surtout, la DCT a perdu son principal, pour ne pas dire son unique, allié. VonEcker sait aussi cependant une chose : la DCT ne peut survivre seule et bien que ça lui fasse mal de l'admettre, il sait que s'il souhaite que le modèle eurycommuniste survive malgré lui en DCT, il lui faut trouver un protecteur, un autre allié.

Soudain, un homme entra dans le bureau du Secrétaire général, visiblement un militaire vu son uniforme. VonEcker soupira de soulagement. Certes, il ne pouvait plus faire réellement confiance au PET, miné par les divisions internes omniprésentes, mais il pouvait faire confiance aux militaires : radicaux mais pragmatiques pour la plupart et souvent eurycommunistes jusqu'à l'os. Le militaire se présenta :

"Camarade Secrétaire, je me présente : général-major Honza Gorny, je suis en charge du renseignement militaire.
- Enchanté, camarade général. Je crois avoir vu votre nom défiler sur certains de mes dossiers.
- C'est exact, camarade Secrétaire.
Le Secrétaire fit signe au général de s'asseoir, ce qu'il fit promptement.
- Eh bien, camarade général, puis-je connaître l'objet de votre visite ?
- Je crois que nous savons tous les deux pourquoi je suis ici, camarade Secrétaire. Vous le savez tout comme moi que la situation actuelle est dramatique. Nos ennemis gagnent en puissance chaque jour alors que nous stagnons et nos alliés loduariens ne peuvent plus assurer notre protection.
- Certes mais que voulez-vous faire dans ce cas, camarade général ? Nous avons les moyens de nous défendre contre la RT mais pas contre leurs alliés onédiens. Le seul moyen pour notre nation de survivre serait de trouver quelqu'un d'autre...un autre-
- Un autre protecteur.
- Exact. Je crois que vous avez compris la situation dans laquelle le pays se trouve.
Le Secrétaire enleva ses lunettes et regarda le général d'un air vif, l'invitant par son regard à lui parler avec franchise Camarade général, j'ai toujours apprécié le soutien de l'armée lors des moments de crise, ce sont des hommes comme vous qui nous ont débarrassés de la vermine scientiste. Vous connaissez la situation autant que moi. J'ai besoin de vos précieux conseils.
Le général Gorny prit un instant pour réfléchir avant de regarder à son tour le secrétaire.
- La situation est dramatique mais pas désespérée si vous voulez mon avis.
- Développez.
- Certes, la Loduarie a disparu mais ce n'est pas le seul pays socialiste sur Terre. Cependant, il faut avouer que nos choix sont...limités. Si on s'en tient à des alliés idéologiquement alignés sur l'eurycommunisme loduarien, le seul allié eurysien auquel on aurait droit serait l'Illirée.
- Ce n'est pas une option souhaitable.
- C'est vrai : leur nation est militairement faible, ils sont éloignés et il me semble que nous n'entretenons pas de relations régulières avec eux. En bref, vous l'aurez compris, camarade Secrétaire, ce n'est pas chez nos alliés "naturels" que nous devrions nous tourner. Mais vers les libertaires.
- Je me doutais que vous arriveriez à cette conclusion.
- Vous y êtes arrivé aussi ?
- Oui mais j'avais besoin que quelqu'un d'autre me le fasse entendre.
- C'est un choix cornélien mais compréhensible auquel on fait face : les libertaires seraient d'accord à l'idée de nous protéger, je n'en doute pas mais disons que ce ne sera pas sans conséquences.
- Je ne vois que deux choix qui s'offrent à nous : l'Estalie et le Grand Kah.
- Et c'est là où les ennuis commencent. Le Grand Kah est un choix souhaitable, bien que risqué : le risque d'ingérence communaliste est réel et surtout, bien que j'ai entendu qu'ils aient déployés des hommes en Estalie, c'est une force symbolique. Je ne connais pas les tenants et les aboutissants de la politique militaire kah-tanaise mais leur capacité de projection jusqu'à notre pays peut être...difficile en cas d'intervention onédienne.
- En somme, l'option kah-tanaise est une voie d'incertitude, nous n'avons aucune garantie que leur éloignement ne soit pas un problème et puis je crains que cela ne provoque l'entrisme de leur part. De l'autre, on a l'Estalie.
- J'y viens justement : les Estaliens ont tout intérêt à nous défendre. On est un partenaire économique important pour eux, on est leur principale voie d'accès à la mer pour leur commerce et entre nous, on doit certainement être une des seules nations à leur être amicale dans la région. Depuis la Kartvélie, qui fait confiance aux Estaliens ?
- Pas grand-monde, je suppose. Le problème, camarade général, c'est qu'accepter la protection des Estaliens, malgré leur proximité et leur souhait réel de nous défendre, c'est faire entrer le loup dans la bergerie.
- J'en suis conscient, camarade secrétaire, en tant que chef du renseignement militaire. Bien que je n'ai pas formellement de preuves, je crois comprendre que les Estaliens influencent déjà fortement notre politique interne avec leurs propres services de renseignements. Cependant, il y a quelque chose qui m'interpelle à leur sujet : est-ce qu'accepter leur protection militaire et politique changera leur attitude envers nous ?
- C'est une idée intéressante, développez ?
- Je crois que si les Estaliens veulent à tout prix nous influencer, c'est surtout pour des intérêts économiques en premier lieu, je ne crois pas les Estaliens suffisamment bêtes pour nous poignarder dans le dos. Si nous acceptons de les laisser nous protéger, ils auront ce qu'ils veulent : un moyen de protéger eux-mêmes leurs intérêts économiques chez nous. Je crois que l'attitude ambivalente estalienne réside davantage dans la protection de leurs intérêts qu'une quête salvatrice idéologique à notre encontre.
"

VonEcker tergiverse en écoutant le général. Il ne sait pas si ce que le militaire en face de lui dit vrai, si son analyse est effectivement correcte ou si elle est biaisée par quelque chose de plus profond. Néanmoins, le raisonnement se tient et puis avait-il véritablement le choix ? Il savait la DCT incapable de résister aux opérations du SRR dans tous les cas : plus le temps avance, plus les tentacules de la méduse estalienne s'étendaient dans la société translave pour en saisir le contrôle. C'est un désir de contrôle, certes, mais ce désir n'est pas sans justifications tout de même. Le secrétaire se remémore de la Conférence d'Anslav, il y a deux ans, et essaie de connecter le raisonnement de son général avec l'attitude de la délégation estalienne durant la conférence. Il se souvient de cette altercation entre le général Francis, en charge des troupes loduariennes en Translavya, et l'ambassadeur estalien Milov Vidik. Les Estaliens n'avaient pas très bien pris ce coup d'arrêt des Loduariens et en y réfléchissant, VonEcker se demande si la pomme de la discorde n'a pas été consumée ce jour-là : VonEcker connaissait désormais la sensation d'être dépendant de quelqu'un pour quelque chose qui lui appartient. Il savait que les Estaliens n'avaient pas investis en Translavya par gaité de cœur mais aussi pour des objectifs économiques et commerciaux concrets. Une diplomatie froide et pragmatique de fait, auquel il n'avait rien personnellement mais qui l'avait prit au piège. Maintenant, il semble comprendre le raisonnement du général : dire non aux Estaliens, c'est faire signe au SRR de les renverser définitivement. Si VonEcker veut conserver l'eurycommunisme en DCT, il doit contenter les demandes du camp husakiste en premier lieu car bien qu'il se méfie par expérience des communalistes, l'Anarchisme Renouvelé est une variable...inconnue. Une anomalie dont il ne connaît ni le comportement, ni la direction empruntée et croyez-moi, l'Homme a peur ce qu'il ne connaît pas. Les husakistes lui procurent personnellement plus de peur que les communalistes, dont les méthodes sont aujourd'hui bien connues. Cette peur allait-il le forcer à céder ? Certainement.

"Camarade général...Il se leva d'un air solennelBien que j'ai des réticences à ce que je vais vous dire, je pense que le risque en vaut la chandelle.
- Que voulez-vous dire ?
- Je vais contacter Vidik dans les plus brefs délais.
- On dirait que vous avez décidé de vous tourner vers Mistohir.
- Je dois obtenir des garanties de l'Estalie. Vous l'avez dit vous-même : ils cherchent à protéger leurs intérêts. Je leur donnerais une telle protection, tant qu'ils protègeront notre patrie.
- Je ne peux dire si je suis d'accord ou non avec votre décision, camarade secrétaire, je ne suis pas un politique. J'espère seulement que vous savez ce que vous faites.
"

Le général prit alors congé, laissant VonEcker seul, assis à son bureau, scrutant le téléphone fixe. Dans cet instant de silence, qui semblait durer une éternité, l'hésitation planait en lui. Cette hésitation fut brutalement arrêtée par un bruit à l'extérieur. Un son inaudible, d'une multitude de voix différentes, qui semblaient venir de l'extérieur. "Merde, une autre manifestation", les manifestations depuis la mort de Lorenzo à Anslav étaient devenues étrangement fréquentes. Les dires du général se confirmaient petit à petit : ces manifestations étaient husakistes pour la plupart, organisées par la FDA bien souvent et bien que VonEcker n'y prêta guère attention au départ, leur nombre avait singulièrement grossi en moins de deux mois. Tout le PET était en panique et immobilisé et le Secrétaire n'avait ni la volonté, ni la force de réprimer la manifestation par la force, de peur de mettre le feu aux poudres. Il devait temporiser. C'est décidé : je vais appeler ce foutu Estalien, en espérant qu'il ne me cuisine pas trop.
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Tic-Tac Tic-Tac :

Alors, camarades, comme ça, on revient vers nous ?
Anslav,
Dans la nuit du 18 au 19 Juin 2016,
Ambassade de la Fédération des Peuples Estaliens en Démocratie Communiste de Translavya.


La soirée était étonnamment calme à Anslav aujourd'hui. La capitale de la DCT était secouée depuis près de deux mois maintenant par des vagues de manifestations issues des rangs communalistes et husakistes qui demandaient du changement. Un changement de régime, un changement de politique, un changement tout court. Loin d'être sourd à ces revendications, le Secrétaire savait aussi à quel point ces dites revendications étaient difficiles à concéder. Tout d'abord, il savait pertinemment qu'accepter les demandes des manifestations ferait office de trahison au sein du PET. Bien que les grands discours imposent une solidarité inconditionnelle entre toutes les branches idéologiques de la gauche socialiste en DCT, aussi différentes soient-elles, la réalité est bien moins rose que le discours officiel laisse transparaître. Dans les faits, si la façade officielle présente un bloc socialiste uni au sein du Comité Central des Administrés entre le PET, le CCT et la FDA (les trois gros partis du CCA), la réalité est que chaque parti a tendance à se tirer dans les pattes chacun avec les autres pour faire avancer ses pions. Le factionnalisme gagne du terrain jour après jour et les mauvaises nouvelles politiques s'accumulent. En effet, bien que le CCT et la FDA soient en théorie en opposition l'un contre l'autre et se font mutuellement la course aux petits chevaux pour acquérir de nouveaux partisans dans chaque coopérative, chaque entreprise et chaque université du pays, il semble depuis début Juin que les deux partis se soient implicitement alliés pour faire tomber le PET. Les raisons de cette alliance stratégique libertaire étaient évidentes : le PET était le gros parti de la DCT, celui qui avait le plus profondément enraciné ses tentacules autour de l'appareil bureaucratique et qui détenait le soutien des forces armées et de l'administration. C'était donc le parti ennemi numéro un à faire tomber, c'était l'establishment aux yeux des libertaires et que l'establishment soit eurycommuniste ou pas, les libertaires ont la fâcheuse habitude de s'y opposer et de le faire tomber. Autrefois, bien que la FDA et la CCT avaient tendance à lui mettre des bâtons dans les roues en politique, il savait que ces broutilles politiques n'inquièteraient jamais l'enracinement eurycommuniste autour de l'appareil étatique, tout simplement parce qu'il savait pertinemment qu'en cas de Coup d'Etat, de violences civiles ou de blocages politiques, la Loduarie et ses services de renseignements auraient pu le soutenir pour régler le problème. Or, VonEcker le savait et les libertaires le savaient aussi, la garantie loduarienne avait expirée, plus rien ne protégeait désormais les eurycommunistes de la chute alors que leur popularité chutait dans les sondages. Il fallait réagir car le Secrétaire ne savait pas si demain, en se levant, il serait en capacité de tenir face aux libertaires qui commencent progressivement à retourner la société civile contre le PET.

Mais comment pouvait-il réagir ? Négocier directement avec les partis de l'opposition ? Il aurait pu, mais il aurait été discrédité par le PET. C'est la mort politique assurée, la division interne du PET ne le permettait plus. Il fallait autre chose. VonEcker devait se poser les bonnes questions : qui tirait les ficelles de ce mouvement ? Qui était le marionnettiste ? Le CCT ? La FDA ? Ou quelqu'un d'autre ? La discussion qu'il avait pu avoir avec Gorny lui avait ouvert les yeux : les Estaliens. C'est eux qui tiraient les ficelles, il en avait la certitude, bien qu'il manquait de preuves pour l'attester. La réputation de ces vipères d'Eurysie Centrale les précédaient visiblement, et les desservaient peut-être, mais il devait admettre que la situation lui donnait un léger goût de déjà-vu. Comment la Kartvélie est-elle devenue husakiste déjà ? C'en était assez pour lui. Il devait négocier avec l'Estalie en premier lieu, tenter de calmer l'Hydre Anarchiste d'Eurysie, au moins temporairement, afin de ressaisir le contrôle. Il avait donc sommairement appelé l'ambassadeur estalien, Milov Vidik, afin de lui demander de se réunir à l'ambassade. VonEcker savait qu'en faisant ça, il aurait non seulement la légitimité politique de le faire (évitant ainsi un discrédit politique au sein de son parti, il ne faisait que discuter avec un pays étranger) et il avait l'intime conviction que toutes les manigances libertaires, que ce soit des communalistes ou des husakistes, devaient le mener à passer à la table des négociations, inévitablement. Il entra ainsi dans l'ambassade et après une brève vérification de la sécurité, il fut amené dans le bureau de l'ambassadeur. Milov se leva de sa chaise avec un grand sourire :

"Camarade Secrétaire, content de vous voir ! Je vous en prie, asseyez-vous ! L'ambassadeur prit sur son bureau ce qui semblait une bouteille de Whisky, il remplit un verre. Un verre ?
- Non merci, je ne bois pas.
- Comme vous voudrez.
"


L'atmosphère était lourde, intense mais le Secrétaire translave savait pertinemment qu'il était en terrain hostile, que la négociation était déséquilibrée. Il n'avait pas le pouvoir de faire pencher la balance en sa faveur, il devait concéder. Cependant, il devait offrir le moins possible, il était hors de question de devenir un pantin estalien, bien entendu. Mais il devait donner juste assez pour contenter l'appétit des vipères estaliennes. C'était un curieux et délicat jeu d'équilibre qui allait se jouer dorénavant.

"Vous savez pourquoi je suis là, monsieur l'ambassadeur.
- Oh, je crois que j'ai ma petite idée.
- La situation de notre nation est difficile, vous le savez bien : la crise politique bloque le gouvernement, la situation économique stagne et la perte de la Loduarie est une catastrophe sur le plan géopolitique.
- J'en ai bien conscience, camarade. Mais je suppose que vous avez analysé et re-analysé la situation un bon millier de fois. Et je suppose aussi que votre analyse vous a conduit ici. Alors soyez sincère.
- La DCT est en mauvaise posture et elle ne peut combattre seule. Il me faut un allié fiable et solide. Un allié sur lequel on peut compter en tout temps. La Loduarie jouait ce rôle, il y a peu, mais sa disparition m'oblige à reconsidérer notre politique internationale.
- Faute de la puissance loduarienne, vous essayez donc de trouver un substitut chez l'Estalie.
- Dis comme ça, ce n'est pas très flatteur mais oui, c'est exact.
"

L'ambassadeur estalien but son verre avec tranquillité avant de le poser sur la table et se pencher vers celle-ci. Si la posture de l'ambassadeur était jusqu'à là nonchalante dans le meilleur des cas, il devenait soudainement plus intimidant aux yeux du secrétaire. Une odeur se dégageait de cet homme, une odeur de cynisme presque assumé, qu'il pouvait percevoir dans le regard désormais froid et calculateur de son homologue.

"Allons à l'essentiel, monsieur VonEcker. L'Estalie se porte garante de la flamme révolutionnaire, dans la limite de ses moyens actuels limités mais grandissants, au moins en Eurysie. Vous êtes évidemment nos frères d'armes et notre nation ne voit la politique locale que dans une logique de confrontation, pour l'instant indirecte, avec le néolibéralisme délibéré de nos adversaires onédiens. Alors si la DCT le demande, oui, Mistohir se portera à votre secours.
- Je vous remerci-
- Je n'ai pas fini, monsieur le Secrétaire. Sachez néanmoins que l'Estalie ne peut intervenir ou forcer son armé et sa population à accepter une protection envers vous sans que cela ne nous soient pas bénéfiques aussi. Nous défendons la Révolution...mais pour que celle-ci triomphe, elle doit en avoir les moyens.
"

Bordel, voilà pourquoi il n'aimait pas discuter avec les Estaliens : ces libertaires avaient le Malin en eux, ils étaient en capacité de vous porter de grands discours idéalistes sur la protection d'un pseudo-idéal révolutionnaire avant d'emboîter le pas avec un pragmatisme politique et économique froid comme l'acier et dur comme du granite. C'était typiquement le double-discours husakiste qu'il détestait pardessus tout, dont la FDA en faisait déjà la démonstration à domicile, souvent avec amateurisme. Il n'était pas rare que les députés de la FDA tentent de copier maladroitement la rhétorique estalienne, utilisant parfois des expressions issues de folkore culturel estalien directement, ne cachant guère leur inspiration aux yeux du CCA. Sauf qu'entre l'amateurisme des députés de la FDA et les Estaliens eux-mêmes, l'écart était immense...non pas seulement immense, il était abyssal.

"Monsieur l'ambassadeur, je suppose que vous demandez des garanties. Je suis prêt à les entendre, si c'est ce que vous voulez.
- Cela me semble assez simple, monsieur le secrétaire et je vais pas y aller par quatre chemins. L'Estalie s'est satisfaite jusqu'ici des accords que nous avons signés il y a deux ans à la Conférence d'Anslav. Mistohir l'a signé car elle croyait sincèrement en votre reconstruction et en votre programme. L'intention de mon gouvernement était simple : avoir un allié solide en Eurysie de l'Est. Vous comprenez bien qu'avec une région dominée par les fascistes, les libéraux, les réactionnaires et les monarchistes en tout genre, l'Estalie se sent "légèrement" menacée sur son flanc oriental.
- C'est compréhensible...
- Ravi que vous compreniez aussi vite. Là où je veux en venir, monsieur le Secrétaire, c'est que vous avez déçu l'Estalie. Votre politique n'a pas été concluante, malgré les investissements estaliens, malgré vos promesses, malgré les tentatives maladroites de Lyonnars de nous rassurer. Je vais être honnête, Mistohir a été très déçue de la tournure des événements. La République Transalvique est devenue une des nations les plus riches d'Eurysie, est devenue un modèle de réussite économique et sociale, un "phare de la liberté" dans cet endroit sombre du continent eurysien et vous, vous vous êtes contenté de tourner en ridicule notre camp par des méthodes économiques inefficaces. La Démocratie Communiste de Translavya est un échec aux yeux de la communauté internationale, une tentative maladroite de l'impérialisme loduarien de montrer qu'elle peut reconstruire ce qu'elle a détruit.
- Et vous, avec la Kartvélie ?
- Ne changez pas de sujet, monsieur le Secrétaire.
"

VonEcker tenta bien de contre-attaquer avec la Kartvélie mais il savait que c'était vain. Il était en train de se prendre un savon de la part de l'ambassadeur et en un sens, c'était mérité : les chiffres parlaient à sa place. Oui, la DCT avait échoué face à la RT et son existence tenait de la perfusion des Loduariens. Leur disparition et le besoin désormais évident de la DCT de trouver un nouveau protecteur met en évidence cette réalité : celle que la DCT est destinée à être guidée par autrui, faute d'être autonome dans sa politique. Cependant, le Translave pensait que le jugement de Milov était trop sévère, trop dur : l'ambassadeur n'était pas là pour voir les difficultés politiques lors de l'organisation de la reconstruction, il n'a pas su quelle difficulté c'était de devoir compter sur la politique internationale loduarienne pour agir à l'étranger, il ne savait pas comment ses réformes avaient pu échouer (parfois avec le concours de ses amis husakistes !). Oui, la DCT avait échoué, mais la conjoncture explique beaucoup de choses.

"Voilà ce qui va se passer dorénavant, monsieur le Secrétaire. L'Estalie ne souhaite pas vous assujettir. Nous ne sommes pas la Loduarie et je ne suis certainement pas Lorenzo. Cependant, vous devez comprendre que nous allons devoir prendre en charge certains...domaines pour assurer que vous soyez un allié digne de ce nom et non un boulet. Les mères estaliennes pleurent déjà leurs enfants dans le Saïdan, il faudra plus que la "camaraderie révolutionnaire" pour leur demander d'envoyer leurs fils en DCT si ça venait à mal tourner.
- Que voulez-vous ?
- Nous allons renégocier l'accord de la Conférence d'Anslav en ce qui concerne les clauses liant l'Estalie à votre Etat. Je souhaite que vous procédiez à la mise en place d'une nouvelle Commission qui devra se charger de la restructuration économique. De plus, il sera nécessaire que pour assurer la sécurité de notre accord sur le chemin de fer entre Anslav et Fransoviac, la SCP-DCT prenne le contrôle du tronçon sur votre sol.
- Vous me demandez de privatiser le chemin de fer ?
- Privatiser ? Bien sûr que non. La SCP-DCT l'exploite et le construit seul déjà. Non, ce que nous voulons, c'est que la SCP-DCT obtienne des garanties légales sur ce chemin de fer, notamment en ce qui concerne la sécurité.
- Soyez plus clair.
- La SCP-DCT devra être autorisée à disposer de ses propres forces de sécurité pour assurer la protection du chemin de fer.
- Vous rigolez ?! Cela reviendrait à autoriser des paramilitaires chez nous !
- Des paramilitaires qui vous aideraient, vous et votre gouvernement, à ne pas sombrer en cas de...renversement intérieur...ou d'invasion étrangère.
"

L'ambassadeur avait visiblement tout calculé mais VonEcker savait pertinemment que cette hydre qu'il avait en face de lui, cette vipère, ce poulpe aux tentacules acérées, sous-entendait quelque chose de plus fort. Un renversement intérieur ? Peut-être que l'ambassadeur faisait référence à la FDA et la CCT ? Il est vrai que les manifestations et les demandes populaires étaient connues de tous mais cela n'allait pas renverser le régime, pas vrai ? Ou alors, l'ambassadeur sous-entend quelque chose de plus profond...comme une implication du SRR. Si c'était le cas, c'était clairement une menace de Coup d'Etat. Le Secrétaire avait compris : les Estaliens le tenaient en otage, ils avaient tout prévu, y compris qu'il viendrait ici, qu'il négocierait. Mais qu'avaient-ils prévus s'il refusait ? Il ne préférait pas faire l'expérience. Il soupira et se ressaisit, essayant de se calmer.

"Très bien, je...je ferais le nécessaire.
- Je vois que nous nous comprenons parfaitement, monsieur le Secrétaire, ça me plaît. Bien, passons à l'aspect militaire maintenant.
- Militaire ? Comment ça ?
- Eh bien vous souhaitez notre protection militaire, pas vrai ?
- Vous n'allez pas faire débarquer chez nous toute une armée, tout de même.
- Et pourquoi pas ?
- Parce que vous allez embraser la région !
"

L'ambassadeur prit un air renfrogné, visiblement peu satisfait de la réponse du secrétaire. VonEcker devait se montrer inflexible quant à lui. Oui, il avait besoin de la protection estalienne, d'un traité de défense mutuelle, certainement. Mais pas d'une présence militaire directe. Il savait déjà que la présence militaire loduarienne irritait les Onédiens, il ne pouvait risquer la provocation en acceptant des Estaliens sur son sol. Que ferait l'OND ? Que ferait la Polkême ? Il est évident que si les Estaliens posaient le pied en DCT, ce serait une escalade militaire dans lequel la victoire serait difficile à assurer. Il ne devait pas céder, la sécurité nationale en dépendait.

"Expliquez-vous, monsieur le Secrétaire.
- Ecoutez, je comprends que vous vouliez une base militaire en DCT et je comprends tout à fait que la défense du pays serait plus simple avec une force estalienne déjà présente sur notre sol mais je vous assure que vous allez provoquer une escalade militaire. Je ne doute pas des capacités de l'Armée Rouge : vous avez une force terrestre redoutable, je n'en doute pas, et vous pourriez envahir la RT et la Polkême en quelques heures individuellement. Mais l'OND réagirait automatiquement.
- Cet argument, vous le tenez des Loduariens.
- Et il se tient ! Ecoutez, que vous vous méfiez des Loduariens est une chose mais leur raisonnement était loin d'être dénué de bon sens : nous n'avons pas besoin d'une escalade militaire. Je vous en prie, si vous voulez vraiment nous aider, optez pour autre chose.
"

L'ambassadeur entra dans un lourd silence. Un silence qui durait plusieurs siècles aux yeux du secrétaire translave. Un silence qui en disait long : stupéfaction d'avoir été contredit par un homme qu'il croyait à sa merci, crédulité devant le raisonnement logique du secrétaire, reconsidération de sa position initiale. Il finit par se reprendre, espérant que ce moment de vulnérabilité ne soit pas perceptible aux yeux du Translave :

"Très bien. Dans ce cas, que dites-vous d'un partenariat ?
- Quel genre de partenariat ?
- Voilà ce que je vous propose : l'Estalie se charge d'envoyer des instructeurs en DCT pour entraîner vos forces et réformer ces dernières, une Commission sera mise en place pour restructurer votre industrie de la défense avec le soutien des entreprises de la défense estaliennes et vous aurez également la possibilité d'envoyer vos troupes en Estalie pour mener des entraînements conjoints avec nos troupes afin d'améliorer la coordination entre nos forces en cas de conflit. Je pense que si la protection directe de l'Armée Rouge n'est pas possible, nous devons favoriser votre autonomie. C'est un plan d'étude qui me semble déjà en développement en Kaulthie.
- J'en ai entendu parler. J'ai entendu dire que les Kaulthes en étaient satisfaits.
- Exact. Alors ? Qu'en dites-vous ?
"

C'était un piège. Oui, évidemment, tout ce que cet homme proposait étaient des pièges ! Tous ! Il savait qu'en acceptant, il mettrait peut-être l'Armée Populaire de Translavya sous tutelle. Mais il n'avait pas vraiment le choix : son armée avait un équipement correct mais son industrie de la défense était incapable de suivre et l'entraînement et l'organisation des troupes s'étaient effondrés avec le départ des instructeurs et officiers loduariens. Les cadres loduariens partis, la professionnalisation des forces armées était en danger, ni plus ni moins. Il fallait des remplaçants. Certes, les Estaliens avaient moins d'expérience militaire, en tout cas à première vue (bien que les combats au Saïdan et les travaux en Kaulthie démontraient la forte capacité d'adaptabilité et de résilience des militaires estaliens, encore un coup de leur flexibilité constante) mais ils étaient proches, disponibles et surtout en capacité de réformer sévèrement l'APT en peu de temps. Ils avaient pu le faire chez eux, en Kartvélie et en Kaulthie. Pourquoi la DCT ferait exception ? VonEcker devait accepter à contrecœur à ce qui ressemblait fortement à une mise sous tutelle militaire mais il préférait ça à un Coup d'Etat ou à une invasion onédienne.

"Très bien. Vous avez ma parole.
- Je sais que la parole a une valeur d'or dans votre culture. Nous, les Estaliens, préférons les accords écrits. Un de mes associés vous enverra les détails prochainement. Débrouillez-vous pour le faire passer à votre gouvernement.

Le Secrétaire se leva, espérant en avoir fini mais se retourna soudainement vers l'ambassadeur, oubliant un détail.
- Ah et concernant la situation politique.
- Je règle le problème dans la semaine, camarade.
"

Le regard souriant et triomphant de l'ambassadeur fit froid dans le dos au secrétaire. Ses peurs étaient fondées : ils tiraient effectivement les ficelles dans l'ombre, il en avait maintenant la certitude. Et il n'avait aucun moyen d'agir contre cette hydre qui avait infecté son propre pays. Il a fait rentrer le loup dans la bergerie.

"Au revoir, camarade."
VonEcker souffla de soulagement en sortant de l'ambassade. Il avait trouvé un accord avec l'Estalie, un accord qui lui permettrait de maintenir les eurycommunistes au pouvoir et de mettre probablement un terme aux opérations subversives du SRR qui pourrissent la politique locale de l'intérieur comme la peste. Bien qu'il ne faisait nullement confiance aux Estaliens, il savait tout de même que ces derniers avaient un minimum de bon sens : à moins d'être marginal, le PET ne sera jamais renversé par le SRR lui-même. Maintenant, la partie la plus ardue s'annonce maintenant que la vipère a été endormie : il faut convaincre le peuple.
15285
Aube Dorée :

Lève-toi, Ô glorieuse Patrie ! Le combat de la libération ne fait que débuter !




VonEcker n'avait jamais vu Anslav aussi agitée depuis la chute du régime scientiste il y a deux ans de cela. Les rues de la capitale de la DCT étaient jonchées de déchets, de barricades et de pavés qui ne sont visiblement plus à leur place originelle. Le secrétaire pensait que sa rencontre opportune avec l'ambassadeur estalien allait régler les problèmes sociaux qui secouaient la nation mais la vérité est qu'il avait mal estimé la capacité des Estaliens à lui forcer la main. Les Estaliens ne voulaient lui laisser aucune échappatoire, aucun moyen de revenir sur ce qu'il avait pu promettre à l'ambassadeur le mois dernier. Les mois de Juin et de Juillet 2016 ont étés particulièrement agités pour la nation : au lieu de se calmer suite à son accord secret avec l'Estalie, les manifestations ont repris de plus belle encore, le CCT et la FDA avaient organisés de larges manifestations dans la capitale afin de pousser le gouvernement translave à la négociation. Le but de ces manifestations étaient de deux ordres : le premier était une réécriture de la Constitution et la deuxième revendication découlait d'un changement de politique économique (les libertaires souhaitant réorienter l'économie translave vers une économie plus décentralisée et autogestionnaire). C'est simple, le CCT et la FDA estimaient la Constitution actuelle comme trop centralisatrice et le besoin inhérent des eurycommunistes à y inculquer leurs principes de centralisme démocratique avait tendance à attiser la colère des libertaires qui estimaient le centralisme démocratique comme le poison qui encourageait les nations communistes à se tourner vers des modèles de gouvernance autoritaires. La Constitution devait être réécrite mais le PET ne cède pas à la pression : c'est simple, VonEcker n'a plus vraiment de contrôle sur son parti, le PET étant profondément divisé entre les eurycommunistes "loduaristes" (la ligne véritablement dure du parti) et les modérés qui souhaitent entamer des négociations avec les libertaires dans l'espoir de former un bloc d'unité nationale en ces temps de crise. VonEcker essaie de conforter les modérés autant qu'il le peut car il sait que les modérés du PET sont définitivement la porte de sortie la plus acceptable pour tout le monde : pour le PET, pour les libertaires, pour lui et pour l'Estalie qui observe et probablement qui manipule les ficelles en fond. Néanmoins, il ne peut entièrement pencher dans la balance des modérés puisque les loduaristes disposent d'un soutien non négligeable : l'armée. Avec l'influence non négligeable des instructeurs militaires loduariens sur la nouvelle génération d'officiers de l'Armée Populaire de Translavya, il est certain que l'état-major est acquis à l'eurycommunisme à la dure et n'hésiterait pas, si l'occasion se présentait, à tirer dans la foule. Toutes les raisons pour ces hommes étaient bonnes pour organiser une bonne purge de la société civile, vue avec mépris par les militaires comme un agglomérat de traîtres au communisme, de révisionnistes libertaires et d'agents étrangers. VonEcker dispose encore de la sympathie des militaires, ce qui explique notamment pourquoi ces derniers n'ont pas tentés un Coup d'Etat, et ne souhaite pas la perdre dans une approche naïve des modérés pour résoudre la crise politique.

VonEcker n'a en vérité que peu d'options en face de lui : la négociation et l'autorité. La négociation consisterait à se rallier progressivement aux modérés pour se rapprocher de négociations abouties avec les libertaires pour assurer une certaine stabilité politique mais en faisant ça, il risque l'intervention des militaires dans les affaires politiques et peut-être une guerre civile. L'autorité consisterait à faire fi de ses accords avec l'Estalie, appeler l'armée au secours pour écraser les manifestations. Cependant, la seconde option est à peine meilleure que la première car les deux nécessiteraient une guerre civile pour résoudre la crise. Néanmoins, il n'avait que ces deux options et la seconde était de loin encore plus mauvaise que la première. Il savait évidemment que les Estaliens avaient anticipés toutes les options possibles, y compris un resserrage de vis autoritaire de sa part et bien qu'il ait relativement confiance dans l'Armée Populaire de Translavya pour mettre un terme aux manifestations, il sait aussi que jouer le jeu de la répression obligera les libertaires à se réfugier dans la clandestinité et à prendre les armes contre le pouvoir en place. Ce serait une guérilla latente, une déstabilisation permanente des institutions, une guerre civile larvée dont la DCT ne sortira jamais gagnante car l'opportunité sera trop grande pour l'OND qui mettra un terme au régime par la suite ; à moins que le SRR ne s'engouffre dans la brèche avant, arme les rebelles et réussisse à renverser le pouvoir eurycommuniste et VonEcker sait que les services de renseignements translaves sont incapables de la moindre riposte contre les tentacules du SRR. Echec et mat. VonEcker préfère négocier en douceur avec les libertaires et concéder aux modérés du PET pour au moins faire bonne figure auprès des Estaliens : si l'APT décide de riposter par un Coup d'Etat, VonEcker peut au moins espérer un sauvetage express du SRR ou de l'Estalie elle-même et sur les potentielles milices libertaires si celles-ci existent effectivement. C'est probablement le scénario le moins mauvais qu'il peut envisager.

C'est ainsi que VonEcker va tenter de négocier avec ses rivaux politiques. Le 18 Juin 2016, le secrétaire du PET s'est décidé à une rencontre trilatérale entre lui-même, la secrétaire du CCT (Rada Tolstoy) et la secrétaire de la FDA (Misa Vasiliev), en coulisses et loin des caméras. Rapidement, la conversation entre les trois personnages s'est centré rapidement autour de l'objet de litige majeur : la Constitution. La Constitution de 2014 découlait dans les faits d'une volonté du PET à l'époque de contenter une majorité des partis et courants socialistes qui ont émergés dans la politique de la nouvelle DCT, le but était déjà à l'époque de fournir des concessions de décentralisation dans certains domaines aux libertaires afin de faire oublier aux pays investisseurs que la DCT était dans les faits un simple pion loduarien et qu'au contraire, son système politique encourageait la pluralité politique dans le camp socialiste, laissant une opportunité aux libertaires et aux sociaux-démocrates de s'exprimer librement au sein du CCA, malgré la dominance politique forte des eurycommunistes. Ces concessions passées avaient rassurés notamment l'Estalie, qui avait ainsi consenti à investir et à aider économiquement le pays pour sa reconstruction mais l'effondrement du maître loduarien et la mise à défaut des masques hypocrites de la DCT, désormais perdue et manquant terriblement de sens à son existence face à la perte du conquérant loduarien, a fini par tirer sur la corde de la patience des libertaires et des Estaliens qui estimaient que la Constitution était encore beaucoup trop eurycommuniste. Pour cause, la perte abyssale de popularité de l'eurycommunisme dans la société civile avec l'échec démonstratif de la Loduarie a grandement favorisé le renforcement du récit narratif libertaire, surtout husakiste, compte tenu de l'infiltration grandissante des husakistes dans toutes les sphères de la société civile et surtout avec l'exemple estalien : "la Loduarie s'est effondrée mais pas l'Estalie, devenue une puissance majeure en deux ans seulement et réussissant à gagner là où la Loduarie n'a fait que perdre". La comparaison entre l'expérience loduarienne et estalienne est omniprésente dans le débat public et le SRR se charge régulièrement de faire passer la pilule des événements en Kartvélie comme une avancée. Les mauvaises langues diront que c'est une conquête impérialiste, d'autres diront que les Estaliens ont libérés les Kartvéliens, rien de plus.

La première des priorités pour les libertaires est de réduire l'ampleur du pouvoir centralisé. Rapidement, VonEcker a dû faire de nombreuses concessions sur les organes de l'Etat à proprement parler en promettant la décentralisation du pouvoir législatif qui ne serait plus seulement entre les mains du CCA ; sans oublier que VonEcker a dû évidemment accepter que la Constitution devienne plus neutre quant à la présence systémique du PET dans les institutions, la Constitution ayant tendance à privilégier le PET comme une institution à part entière au dépend des autres partis. L'accord confidentiel entre les trois grands partis va définir la réécriture suivante des articles mentionnés de la Constitution :

Des organes de l’Etat dédiées à son fonctionnement :

  • Article XV : L'organe législatif supérieur, garant de l'expression de la volonté populaire, est le Comité Central des administrés de Translavya. Ce Comité central s'organise de manière décentralisée, sous le contrôle direct des comités locaux de base.

  • Article XVI : Le Comité Central des administrés détient les prérogatives législatives, mais ses décisions sont soumises à la consultation obligatoire des comités locaux pour validation. Aucune loi n'est promulguée sans une consultation des assemblées locales.

  • Article XVII : Le pouvoir législatif réside principalement dans le Comité Central des administrés, composé de citoyens tirés au sort parmi les comités locaux et leurs représentants élus. Le processus législatif nécessite un consentement populaire à travers des référendums sur les lois majeures.

  • Article XVIII : Le Comité Central des administrés est composé d'une chambre unique mais ses décisions doivent être validées par un processus de consultations régulières auprès des comités locaux. Des mécanismes de révocation et de mandat révocable pour les députés sont prévus.

  • Article XIX : Le Comité Central des administrés est composé de 511 citoyens choisis à la fois par tirage au sort dans les listes des comités locaux et par élection directe dans des circuits décentralisés, sous l'autorité et le contrôle de l'ensemble des comités locaux, et non du seul Parti Eurycommuniste Translave.

  • Article XX : Les citoyens-administrateurs sont élus pour une durée de deux ans, leur mandat est révocable par référendum à tout moment si la majorité des comités locaux le demande.

  • Article XXI : La loi est considérée comme telle si elle est adoptée par le Comité Central des administrés mais toute loi peut être soumise à un référendum populaire dans un délai d'un mois après son adoption pour assurer sa légitimité auprès de la population.

  • Article XXII : Les lois adoptées par le Comité Central des administrés sont promulguées par le Présidium du Secrétaire général mais ce dernier ne peut intervenir qu'en cas de blocage parlementaire. La promulgation est effective uniquement après validation par une majorité des comités locaux.

  • Article XXIII : Les séances du Comité Central des administrés sont présidées par le Secrétaire à l'Assemblée, élu par ses pairs par un scrutin public et transparent, garantissant un contrôle démocratique, avec la possibilité de révocation par les comités locaux en cas de mauvaise gestion.

  • Article XXIV : Les séances du Comité Central des administrés peuvent être convoquées à l'initiative du comité lui-même mais également à celle des comités locaux, dans les dispositions de la loi. L'initiative de convocation doit être partagée pour éviter toute concentration excessive du pouvoir.

  • Article XXV : Le Comité Central des administrés élit au suffrage direct un président de l'Assemblée et une équipe dirigeante collective, composée de douze membres responsables de la gestion législative et de la coordination avec les comités locaux. Chaque décision majeure nécessite l'approbation d'une majorité des comités locaux.

  • Article XXVI : Le Présidium du Secrétaire général, composé d'élus du Comité Central des administrés, a pour rôle de coordonner les actions du gouvernement exécutif mais ses prérogatives sont strictement limitées et sous le contrôle des comités locaux. Il peut convoquer les sessions du Comité mais ne dispose pas de pouvoir de dissolution unilatérale.


  • Des relais locaux du pouvoir :

  • Article XXXIV : Les membres des comités sont élus au suffrage universel direct, selon un mode de scrutin déterminé localement, pour un mandat de trois ans. Leur révocabilité est garantie à tout moment par référendum.

  • Article XXXV : Les comités locaux des administrés organisent et coordonnent l'action des institutions locales. Ils veillent au respect des lois, assurent la gestion des biens communs, garantissent l'accès aux droits fondamentaux, coordonnent les politiques culturelles et économiques locales sur la base des orientations établies collectivement à l'échelle fédérée. Ils ont pleine compétence pour établir le budget local, dans lle respect des principes de solidarité intercommunale. Ils agissent tous ensemble comme contre-poids du Comité Central des administrés en agissant comme une seconde chambre législative qui agit comme contre-pouvoir aux décisions centrales en cas de désapprobation.


  • De l'observation de la justice et du droit :

  • Article XXXVI : La justice translave repose sur une double base : l'indépendance des tribunaux locaux et la possibilité de recours collectif. Les tribunaux locaux statuent en première instance. Une Cour Suprême peut être saisie en appel par toute partie ou assemblée concernée. En cas de conflit grave ou d'intérêt national, un Tribunal populaire exceptionnel, composé par tirage au sort de citoyens et de magistrats, peut être convoquée.

  • Article XXXVII : La Cour Suprême, en tant qu'instance de coordination judiciaire suprême, peut annuler ou reformuler les jugements rendus en appel, sur la base d'irrégularités procédurales ou d'atteintes aux principes fondamentaux de la Constitution. Elle ne peut toutefois intervenir que sur saisine.

  • Article XXXVIII : Les juges de la Cour Suprême sont élus pour six ans par une Assemblée élargie réunis tous les six ans et composée à parité de délégués des comités locaux et de juristes élus. Les juges des tribunaux locaux sont élus par les comités locaux pour la même durée, avec possibilité de révocation.

  • Article XXXIX : Toute procédure judiciaire se tient dans la langue d'usage majoritaire dans le comité ou la commune dont sont issus les juges élus. La traduction est obligatoire pour garantir l'égalité devant la loi.

  • Article XL : Le procureur général de la Cour Suprême est élu pour six ans par l'Assemblée élargie mentionnée à l'article XXXXVIII.


  • Du changement de la constitution :

  • Article LVIII : La modification de la Constitution de la Démocratie Communiste Translave ne peut intervenir que par voie de référendum constituant, convoqué à la demande conjointe d'au moins un tiers des comités locaux. La proposition de modification doit être approuvée à la majorité qualifiée des deux tiers des votes exprimés par la population.

  • Article LVIX : Toute modification constitutionnelle doit faire l'objet d'un débat public. Aucun organe de coordination, qu'il soit administratif ou partisan, ne peut opposer un véto au processus constituant lorsque celui-ci est initié démocratiquement par les comités locaux.

  • Article LX (nouveau) : Aucun parti, organisation politique ou groupe idéologique ne peut revendiquer le monopole de l'interprétation, de la garde ou de la révision de la Constitution. Celle-ci appartient en dernière instance à l'ensemble du peuple translave, exprimant leur souveraineté par la voie des comités locaux et des référendums populaires.

  • Dans les faits, VonEcker accepte auprès des libertaires l'idée d'un nouveau régime politique pour la DCT, un système hybride qui combine à la fois des éléments du centralisme démocratique à travers l'institution du CCA et la conservation du mode d'élection actuel du gouvernement exécutif tout en concédant aux comités locaux un pouvoir décisionnaire plus important, un contre-pouvoir aux décisions du CCA et une institution régulière des référendums populaires pour un certain nombre de lois votés par le CCA. Aux yeux du Secrétaire, ces concessions n'étaient que pure utopie libertaire, impossible à faire appliquer dans les faits. Il voulait espérer que ce modèle hybride s'effondre sur lui-même, qu'il démontre à son tour l'échec des libertaires et permette par la suite au PET de regagner en crédibilité pour contrer définitivement l'ascension fulgurante de la popularité des idées libertaires dans la société translave. Seulement, il suffisait de regarder au Grand Kah ou en Estalie : le modèle libertaire fonctionne et VonEcker a peur que ce type de régime finisse par s'implanter définitivement en DCT. Une réussite de ce modèle politique signifierait ni plus ni moins que la mort politique du PET, à travers un discrédit total de sa vision du socialisme, rattaché injustement au sort de la Loduarie et de son régime politique désormais failli et avec une absence totale de contre-arguments face à la réussite du modèle kah-tanais ou estalien. En somme, VonEcker savait que c'était quitte ou double : soit cet accord allait redorer le blason du PET et lui permettre de reprendre la mainmise sur le pays, soit l'eurycommunisme disparaîtra définitivement en Eurysie de l'Est. Maintenant que l'accord avait été passé, VonEcker disposait d'un certain sursis : le CCT et la FDA ont promis de diminuer massivement l'intensité de leurs manifestations et de demander des appels au calme le temps que le Secrétaire fasse passer la proposition de révision de la Constitution auprès du CCA et du Congrès triennal du Parti Eurycommuniste Translave. Malheureusement pour VonEcker, ce sera la partie la plus difficile à faire avaler : est-ce que son propre camp acceptera une telle perte de monopole, une telle décentralisation des pouvoirs ? Rien n'est moins sûr. Il doit rassembler des alliés dans son propre parti. Et vite.
    11984
    De nouveaux acteurs :

    .




    Lorsqu'il avait reçu une lettre anonyme hier soir, VonEcker était dubitatif, voire carrément méfiant. D'abord, quand il put voir cette lettre sur son bureau en y entrant, il crut d'abord en un colis piégé, peut-être un coup des services de renseignements teylais, se disait-il naïvement. Il hésita d'abord à appeler le service de déminage mais son instinct lui dit de ne pas le faire. D'abord car un tel assassinat n'avait pas de sens : personne n'avait d'intérêt réel à ce que le Secrétaire meurt, pas même Teyla qui n'aurait certainement pas risqué que l'actuel Secrétaire soit remplacé automatiquement par un pantin estalien. De plus, quelque chose lui disait que le commanditaire de cette lettre avait visiblement fait beaucoup d'efforts pour que cette lettre atterrisse entre ses mains sans que le service de sécurité du Présidium ne s'y oppose. Ce doit donc être une force infiltrée au sein du gouvernement. Le SRR ? Peut-être. Si c'était une lettre du SRR, alors il fallait qu'il l'ouvre immédiatement car si le service de renseignements tristement célèbre de l'Estalie lui adressait une note personnellement, cela devait être relativement important. Son cœur fit des montagnes russes à la lecture de la lettre. Il comprit dès les premières lignes que la lettre qui lui était adressée n'était pas estalienne, et encore moins hostile à son encontre. C'était une...invitation. Une invitation à discuter autour d'une table, en toute amicalité. Visiblement, une autre force venait d'entrer en jeu dans le jeu d'échecs déjà fort compliqué à l'intérieur de la DCT et bien qu'il s'agissait d'une invitation cordiale, VonEcker restait méfiant : plus d'acteurs, plus de problèmes. C'est aussi simple que cela. Il accepta néanmoins de se rendre à cette réunion, il n'était pas judicieux de refuser et puis il refusait de rester dans l'ignorance de la situation alors fort critique de son propre pays.

    La réunion était organisée dans la ville côtière d'Oklanov. Contrairement à Anslav, la ville d'Oklanov était relativement calme ces derniers temps, d'abord car le statut de capitale politique d'Anslav forçait évidemment toute manifestation politique d'importance à se réunir à Anslav en priorité mais l'agitation détournée sur Anslav n'était pas la seule raison de la tranquillité de la ville. En effet, depuis peu, le port était devenu relativement investi par les coopératives exportatrices estaliennes qui investissaient en masse dans l'extension du port et surtout le développement des infrastructures de transport de la ville, notamment de la gare, directement liée au réseau menant au chemin de fer Fransoviac-Anslav, le principal relais commercial entre l'Estalie et la DCT. Cet investissement massif avait apporté un certain lot de bienfaits à la population locale, notamment une quantité très importante d'emplois et le système de rémunération proposée par la SCP-DCT pour les travaux et maintenant par les coopératives estaliennes sur place avaient tendance à permettre aux travailleurs translaves d'être mieux rémunérés que leurs compères rémunérés par la structure salariale classique. Néanmoins, cette présence estalienne avait apporté une contre-partie inquiétante : plus le temps avançait, plus les forces de polices translaves étaient remplacées par des forces de sécurité des coopératives, celles-ci engageant des translaves chargés de la protection de leurs compères. Une forme de sécurité privée, bien que de fait interne aux coopératives en général et donc en aucun cas privée mais assujettie en tout cas à la seule autorité des coopératives. C'était un développement inquiétant, que le gouvernement d'Anslav n'avait pas réellement traité du fait de sa profonde division sur le sujet et par la crainte de nombreux membres du gouvernement de ne pas provoquer inutilement l'Estalie, au risque de s'aliéner son seul allié potentiel dans la région. Au moins, l'avantage était que les coopératives effectuaient généralement un bon travail en terme de maintien de l'ordre public, face à une police translave sous-équipée, sous-financée et mal organisée qui est forcée de faire appel aux coopératives pour participer aux opérations contre la criminalité. Il y avait du bon dans ce développement mais aussi de l'inquiétude : la DCT perdait petit à petit sa souveraineté, ça crevait les yeux, autant pour les Translaves que pour tout bon observateur international un peu attentif.

    VonEcker arriva dans une bâtisse d'allure moderne. C'était un café qui avait construit à la base par une coopérative estalienne, exportatrice de vin, qui avait construit ce café pour permettre le repos de ses travailleurs. Visiblement, le café avait été loué pour la journée par les tenants de la rencontre auquel VonEcker allait assister. En entrant dans le café, il put constater un attroupement autour d'une table, on l'invita rapidement à s'asseoir et qu'elle ne fut sa surprise alors qu'il remarqua des visages étrangement familiers. C'est simple : la quasi-totalité des membres réunis étaient des députés du PET et parmi eux se trouvait visiblement l'instigateur même de cette réunion : Dragisa Rabinov.

    Dragisa Rabinov.

    VonEcker savait à qui il avait affaire. Dragisa Rabinov était un ancien haut fonctionnaire du régime scientiste qui avait su retourner sa veste et rallier le PET au moment de l'invasion loduarienne. Bien que publiquement, tout le monde se souvient que Rabinov organisa la réorganisation administrative et bureaucratique de la nouvelle DCT après sa proclamation, VonEcker connaissait personnellement la vérité autour de cet homme : c'était une personnalité lâche, opportuniste, fin stratège. C'était typiquement le type de vipères dont il avait horreur en politique : sans convictions idéologiques, avec un programme politique vide et creux, véritable pirouette en tous temps et en tous lieux, Rabinov était l'homme politique sans programme, sans honneur et sans idées que VonEcker avait l'habitude de détester, lui qui restait au fond de lui un fier eurycommuniste. Rabinov, lui, n'était eurycommuniste que de nom. C'est une vipère que le Secrétaire déteste, certes, mais VonEcker sait aussi que c'est justement cette stature conciliante et opportuniste qui lui a permis de faire germer une faction largement modérée au sein du PET, partisane du dialogue avec les libertaires et favorables à une alliance avec l'Estalie. En quelque sorte, Rabinov avait réussi à s'affirmer comme la tête de proue de la faction modérée. Rabinov lui fit un large sourire. Faux-cul, c'est tout ce que tu es, pensa VonEcker avant de s'asseoir. Rabinov débuta le dialogue :

    "Camarade Secrétaire, je vois que vous avez pris la peine de venir finalement.
    - Cela avait l'air urgent. Je suppose que je peux me permettre une telle chose.
    - Bien entendu, c'est évidemment d'un sujet capital dont nous allons parler et pas des moindres, l'avenir de cette nation est en cause !
    - Faites vites, Rabinov, je n'aime pas tourner autour du pot.
    - Vous êtes bien nerveux, camarade Secrétaire mais soit, je vais essayer d'être concis. Comme vous le savez, notre parti est profondément divisé, usé et discrédité. L'effondrement de la Loduarie a tué symboliquement notre idéologie fondatrice. Or, une partie des députés du PET, dont moi, savons fort bien que sans adaptation, nous sombrerons avec le système que nous avons construit. Nous devons éviter le renversement, non par conviction libertaire, mais par instinct de survie politique. Nous devons éviter autant le renversement des loduaristes de l'APT et de la faction conservatrice du parti et nous devons aussi nous assurer que les libertaires ne poussent pas trop loin, avec ou sans ingérence des Estaliens. Nous sommes à un point de bascule important.
    - Je vois que vous avez pris le temps d'analyser la situation, Rabinov, je le reconnais. Dans un cas comme dans l'autre, nous serons perdus. Si les libertaires prennent le pouvoir, nous deviendrons un pantin estalien et si les loduaristes l'emportent, ils nous isoleront de l'Estalie par la même occasion et se lanceront probablement dans une escalade militaire avec l'OND.
    - Je vois que nous sommes arrivés à la même conclusion. Je pense que vous êtes d'accord avec moi que si le PET veut conserver le pouvoir, il doit jouer à un jeu d'équilibres entre libertaires et conservateurs du PET. Et le rôle de l'Estalie est également centrale : nous devons nous assurer de l'alliance avec Mistohir, sans tomber sous sa coupe pour autant.
    - Venez-en aux faits.
    - J'ai des contacts. Je sais ce que vous avez négocié avec les libertaires.
    - ...
    - J'approuve l'initiative, sincèrement, mais je sais aussi que cette révision de la Constitution ne passera pas avec votre seul appui au CCA. Les conservateurs s'y opposeront vigoureusement, vous n'aurez que le vote des libertaires, de quelques indépendants et des sociaux-démocrates. En bref, vous avez la minorité avec vous, l'opposition, mais pas votre propre camp. Mais nous pouvons changer ça.
    - C'est-à-dire ?
    - Il vous faut les deux-tiers du CCA pour réviser la Constitution, soit 340 sièges. Si on imagine que l'opposition vote favorablement au projet, on a déjà 104 sièges assurés. On peut aussi imaginer que la plupart des indépendants vont voter favorablement, l'influence husakiste est passée par là à vrai dire. Dans un scénario optimiste, on pourrait dire qu'une cinquantaine d'indépendants voteraient pour aussi, donc environ 150 sièges assurés. Il vous manque 190 sièges tout de même. Disons que votre stature peut nous permettre de rallier une trentaine de députés au sein du PET, vos connexions personnelles qui votent toujours favorablement à chacune de vos lois. Cependant, ce n'est toujours pas suffisant, ça fait à peine 180 députés qui voteraient pour.
    - Et vous ?
    - Je peux m'assurer le soutien de 170 députés en total, la totalité de la faction modérée du parti.
    - Il me semblait que vous étiez moins.
    - Je peux vous assurer que les députés sont à l'image de la population : ils sont épuisés par la mauvaise gestion du pays, effrayés par la crise actuelle et ne souhaitent pas un renversement violent. Nous cherchons tous la même chose : la sécurité, la stabilité et surtout des résultats concrets ; et cela, même si nous devons accepter un compromis provisoire avec les libertaires.
    "

    VonEcker était quelque peu rassuré. Il savait bien que les modérés lui seraient d'une certaine utilité à un moment donné. Pourtant, le Secrétaire hésita. C'était facile, trop facile, surtout venant de cette sale vipère de Rabinov. Tout cela cachait quelque chose.

    "Je suppose que vous attendez quelque chose en retour ?
    - Je vois que vous ne perdez pas le fil. En effet, nous avons quelques...revendications.
    - Je vous écoute.
    - Premièrement, je veux siéger personnellement à la tête d'un Conseil de Transition qui sera un organe mixte entre les modérés et les partis libertaires afin de faire appliquer la Constitution révisée. Ensuite, il nous fait une réforme interne du parti, je veux que vous mettiez en place en tant que Secrétaire du parti une convention extraordinaire, avec réélection partielle du Congrès triennal. Enfin, j'ai besoin à ce que mon secrétariat parlementaire ait l'autorisation de discuter directement avec l'ambassade estalienne pour des questions de coordination technique.
    "

    Ces concessions avaient déjà l'air d'être un beau lot de cynisme et de machiavélisme politique. Rabinov était-il fou ? Il croyait vraiment que VonEcker ne le voyait pas venir à des kilomètres. C'est simple, il savait pertinemment que Rabinov assurait ses arrières, peut-être pour prendre lui-même le pouvoir aux prochaines élections en s'assurant une protection politique avec son "Conseil de Transition" et il savait pertinemment que Rabinov essayait de gagner en indépendance en lui demandant d'établir une ligne directe entre lui et l'ambassade estalienne. D'ailleurs...pourquoi cette proposition ? Elle était étrange, à dire vrai. En quoi ça l'avancerait ? Est-ce que Rabinov est de mèche avec les Estaliens ? Cela ne l'étonnerait pas : même auprès de l'étranger, cet opportuniste serait prêt à lever la patte si l'enveloppe est assez grosse et les opportunités importantes.

    "Très bien. Je suppose que je n'ai pas le choix.
    - Une dernière chose encore, camarade Secrétaire.
    - Dites.
    - Je vais vous envoyer un contact, un des députés du CCA, dans quelques jours. Ce sera le prochain Commissaire à la Justice. Ce sera Milan Krenov. Il a l’oreille des juristes, et sait faire le ménage proprement.
    - Comment osez-vous ?!
    - Du calme, camarade...pas besoin de s'exciter. Si vous êtes ici sans encombres sur le chemin, c'est bien que quelqu'un veut que vous m'écoutiez. Alors ne rendez pas ça plus difficile.
    "

    Que voulait insinuer Rabinov ? Quelqu'un veut qu'il l'écoute ? Qui ? Les modérés seraient-ils les pantins du SRR ? Pourquoi pense-t-il encore à ce service de renseignements de malheur ? VonEcker devient de plus en plus paranoïaque certainement, la rencontre qu'il avait eu avec l'ambassadeur estalien lui avait glacé le sang, il avait vu rien que dans les yeux de ce seul diplomate estalien toute la fourberie et la malice que ces gens pouvaient faire preuve contre lui. Il commençait sérieusement à détester les Estaliens du fond de son cœur, malgré la nécessité stratégique de s'allier à eux. Il repensa aux secrétaires qui avaient validé son trajet sans broncher. Peut-être que l’un d’eux savait. Peut-être que tous savaient.

    "Nommez qui vous souhaitez à la Justice et allez au diable."
    VonEcker se leva, indigné, et partit en trombe du café. Il ne se retourna pas. Cependant, avant de partir en direction de son véhicule d'escorte, il eut à peine le temps d'apercevoir dans les fenêtres du café qu'il y avait une ou deux personnes de trop autour de la table. Il aurait juré qu'ils étaient une dizaine tout au plus mais il a l'impression que la réunion, le temps qu'il parte, avait ajouté de nouveaux membres en son sein. Ce n'est pas possible. Son parti est infiltré, c'est certain. Il devait reprendre le contrôle, et vite. Avant que Rabinov ne décide qu’il n’était plus utile. Plus personne n’était digne de confiance. Pas même lui-même.
    8745
    Un homme de son temps :

    Un dernier regard avant de partir.




    Anslav n'avait rien d'une ville extraordinaire ou extravagante. C'était une ville plutôt simple et défigurée, pas tant par le conflit mais par ses conséquences directes sur l'urbanisme même qui régissait toutes les villes de la DCT depuis la chute du régime scientiste. Un mélange maladroit et désordonné de bâtiments traditionnels slaves du XIXe siècle, rénovés souvent à la hâte, et de bâtiments modernes brutalistes de style loduarien. Au milieu de cette ville se trouvait par ailleurs deux gratte-ciels, tous récents, les premiers de l'histoire translave (en tout cas au nord), conçus par deux coopératives industrielles estaliennes particulièrement présentes sur le sol translave. Evidemment, les Estaliens, encore eux, ils étaient en avance dans tout, même dans l'architecture urbaine, on pouvait facilement discerner le style architectural moderniste "Neues Bauen" et les quelques réussites contemporaines estaliennes des bâtiments purement brutalistes comme les Lorenzhaus auxquels les Loduariens ont peints d'un tas de couleurs différentes pour faire oublier aux observateurs qu'ils ne faisaient qu'admirer un gros bloc de béton. De ce point de vue là, Anslav n'avait donc rien de particulier, c'était une ville où les mélanges traditionnels, brutalistes et modernistes se mélangeaient, les styles divergeaient et c'est exactement ce paysage qui était à l'image même du régime en place : un régime qui allait partout et nulle part à la fois. Tantôt vers le libertarisme, parfois vers l'eurycommunisme, d'autres fois encore vers le loduarisme dur ; et ce, sans avoir su construire clairement sa propre identité, n'étant qu'une nation-pantin aux yeux de ses "protecteurs" et une proie facile pour ses ennemis. La situation de la DCT n'était donc guère enviable et ça, Zarko Sokolovsky l'avait bien compris. Alors qu'il jetait un œil à la vitre de sa voiture pour admirer une dernière fois la ville, le politicien eurycommuniste soupira d'exaspération. Il repensait avec lassitude la séance à laquelle il avait assisté, impuissant, à l'effondrement du parti, du régime, du pays.

    Ce n'était pas la première fois que les libertaires leur faisaient le coup. Depuis la création de ces deux partis libertaires, ces derniers plaidaient en permanence pour une nouvelle Constitution qui avantageait trop le PET et n'encourageait pas suffisamment la pluralité politique. Il pensait les libertaires naïfs au départ : si le PET gardait une mainmise aussi forte sur les institutions, c'était pour éviter que des éléments subversifs ne viennent court-circuiter le système de l'intérieur, que le lavage de cerveau des libéraux capitalistes du sud n'infecte le système électoral et la légitimité de la cause socialiste de la DCT. Il pensait les libertaires naïfs et inconscients de la menace de guerre hybride que l'OND pouvait faire subir à la DCT, qu'ils sous-estimaient la puissance de la propagande libérale contre les esprits translaves, ils en oubliaient la raison de ce verrou que le PET avait mis en place pour éviter justement un tel état de fait. Et Zarko pensait que le retournement de veste des sociaux-démocrates aurait suffi à justifier cette stratégie : la chute de la Loduarie avait permis au DEMPA de promouvoir l'unification avec le Sud capitaliste, un crime de haute trahison en temps normal. Sauf que les personnes à remettre en question la raison même d'exister de la DCT sont devenus si nombreux qu'on ne pouvait plus se limiter à enfermer quelques dissidents marginaux, la société civile s'était détourné du but initial du PET. Puis ces derniers mois, Zarko avait compris et s'en était voulu : il avait misé sur une simple naïveté, une stupidité politique des libertaires ; il avait omis une variable, le désir du pouvoir. La demande incessante des libertaires de promouvoir la pluralité politique et à casser le monopole du centralisme démocratique par le PET était motivée par une ambition de pouvoir. Car Zarko n'était pas dupe : il savait que les idées libertaires, qu'elles proviennent du Grand Kah ou de l'Estalie, avaient conquis le cœur du public translave et qu'à chaque jour qui passait, l'eurycommunisme était en perte de vitesse. Les libertaires voulaient cette pluralité non pas pour le bien de la démocratie directe ou de quelque autre connerie de cette famille de rejetons que sont les anarchistes, ils voulaient la pluralité car ils savaient qu'ils avaient le pouvoir des rues et de la foule, l'approbation populaire, forgée par une propagande bien huilée. Cela avait énervé sincèrement Zarko, lui qui avait rejoint le PET par anticapitalisme et par haine de l'OND, il se retrouvait face à des compatriotes soi-disant "camarades révolutionnaires" qui usaient des mêmes méthodes que leurs ennemis héréditaires pour une chose aussi simple et stupide que le pouvoir. Les eurycommunistes et les libertaires allaient s'entretuer pour une guerre d'égo ? C'était donc ça, le destin que promettait les anarchistes à la DCT et à son peuple ?

    Il avait eu confiance néanmoins. Confiance en son parti, confiance envers le Secrétaire VonEcker, confiance envers l'Armée Populaire de Translavya, confiance dans la résilience du parti malgré ses divisions à conserver les principes loduaristes qui ont étés tant disputés aux mains de l'élite scientiste rétrograde et fasciste. Malgré ce problème avec les libertaires, malgré leurs manifestations, malgré leurs grèves et malgré leur mainmise sur les médias, il savait que le PET ne cèderait jamais. Il ne fut donc pas plus dérangé lorsque pour une énième fois, le CCT et la FDA proposèrent conjointement une révision de la Constitution. Les libertaires échoueraient d'avance : le CCA était le terrain de chasse du PET, personne ne pourrait défier le parti qui dispose d'une solide majorité, il savait que le projet se briserait les dents sur le mur législatif, quoi qu'en dise la foule et les médias. Qu'elle ne fut pas sa surprise lorsque, devant ses yeux horrifiés, lorsque le vote débuta, il regarda à sa gauche une foule anormalement grande appuyer sur le bouton vert. Il regarda l'écran en face de lui, tout aussi horrifié, pour suivre le décompte des voix, le chiffre vert ne cesse de monter jusqu'à des chiffres absolument terrifiants. C'est pas possible, il rêvait ; non, ça devait être un bug, les machines avaient mal fonctionnés, ou peut-être que beaucoup avaient mal votés en pensant voter la loi précédente ? Non. Malgré tous les films, toutes les justifications qu'un esprit humain puisse imaginer pour nier une situation qui lui déplaît fortement, le résultat était là, sous ses yeux. Plus de 400 voix favorables à la révision de la Constitution. Son déni laissa place rapidement au sentiment de vide et de trahison et après le choc de la trahison, la colère, une furie indomptable qui fit surgir l'ancien bagarreur de rues qu'il était dans les rues sales de la Translavya scientiste.

    "Comment cela est possible ? Le PET compte 322 membres, il est impossible d'atteindre un chiffre aussi ridiculement élevé, c'est truqué ! Recommencez le vote, camarade président !
    - Je suis navré, camarade Sokolovsky, mais il n'y a aucune erreur.
    - Comment ça, aucune erreur ?! Cela signifie qu'il y a deux tiers du PET qui a voté pour la révision ?! C'est ridicule ! Les anarchistes ont truqués l'ordinateur de vote du CCA !
    - Camarade Sokolovsky, je vais vous demander de vous rasseoir, le règlement intérieur exige que les députés ne prononcent pas de caractères accusatoires auprès de députés d'autres partis sans avoir été invité à la tribune par le président.
    - AU DIABLE LE REGLEMENT ! C'EST UNE VIOLATION DU SYSTEME DEMOCRATIQUE !
    - Camarade Sokolovsky, ceci est mon dernier avertissement !
    - ...
    - La parole au Secrétaire général, Monsieur VonEcker.
    "

    Malgré ce truquage éhonté, Sokolovsky se rassoit. Oui, que ce soit une trahison des deux tiers du PET ou un truquage, il savait que le Présidium n'accepterait jamais cela et opposerait son véto à une telle révision. C'était la ligne rouge du parti, son ultime défense en cas d'infiltration du parti.

    "Je me prononce au nom de moi-même et de l'ensemble du Présidium. Suite à quelques délibérations au sein du Présidium, il a été convenu d'adopter le projet de loi de révision de la Constitution. Le Présidium se prononce favorable."
    Aucun mot ne put décrire la stupeur et la furie qui s'empara ce jour-là de Zarko. Le Secrétaire général, l'homme en lequel il avait le plus confiance, le rempart du système, le gardien national de l'eurycommunisme et des valeurs loduaristes qui avaient forgés dans le sang des damnés et des ennemis scientistes toute la nation translave. Absolument tout le système de croyances du parti, et de Zarko par conséquent, s'effondra en quelques mots prononcé par l'homme qu'il admirait tant autrefois. C'était de la trahison. Non, pas juste de la trahison, c'était un Coup d'Etat. Un Coup d'Etat éhonté, des étrangers, des libertaires, des libéraux, de tous les ennemis de la DCT face à son système eurycommuniste, face à l'ultime bastion du loduarisme en Eurysie de l'Est. Il ne fut pas le seul à se lever : avec lui, une centaine de députés se levèrent à leur tour, fustigeant un lot d'insultes bien peu valorisantes, à l'encontre du Secrétaire, des membres du PET favorables à cette mascarade et aux anarchistes à l'autre bout de l'hémicycle. C'était une trahison nationale et il était hors de question de laisser passer un tel outrage. Il sortit rapidement de l'hémicycle, il ne lui en fallait pas plus pour organiser la riposte.

    Le PET n'était plus, du moins plus le PET que Zarko avait connu. Le parti était désormais divisé entre les derniers loyalistes du loduarisme à la dure et les modérés opportunistes et traîtres de l'aile modérée. Leur branche politicienne était bien plus nombreuse que la ligne loduariste, il fallait l'admettre et c'est ce qui leur avait permis de prendre une ascendance exceptionnelle sur les loduaristes au CCA, permettant la révision de la Constitution. Cependant, si la branche politicienne loduariste ne pesait pas bien lourd, elle n'était pas seule, sans appuis et isolée, elle comptait des soutiens puissants. Oui, très puissants, plus puissants que toutes les foules de manifestants et d'étudiants que les libertaires pouvaient rassembler par centaines sur les places publiques de la capitale. Zarko allait rendre visite à un vieil ami. Il était l'heure de sauver l'héritage de Lorenzo.
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    Un ressentiment devenu projet politique :

    Nous sommes les gardiens de la Révolution...malgré nous.


    28 Octobre 2016,
    Ankov, à l'ouest de la Démocratie Communiste de Translavya
    Quartier-général de la 1ère Division Blindée de l'APT.



    Le général de division Markov n'en croyait pas ses oreilles, pas une seule seconde d'écoute qu'il avait pu entendre de la part de son interlocuteur ne lui semblait pas surréaliste. Le général avait été surpris au départ lorsqu'il avait appris qu'un des députés du CCA avait demandé à entrer dans la base de la division et à discuter directement en tête à tête avec lui. Markov n'avait jamais été très vivace sur le plan politique, il avait certes été instruit à une bonne dose d'eurycommunisme lors de sa formation d'officier supérieur à l'académie militaire de Lyonnars, il savait ce qu'il avait à défendre mais il a aussi toujours considéré qu'en tant que militaire, il devait faire abstraction de la politique en premier lieu. Pourtant, ce...Zarko ? Eh bien il lui avait complètement retourné le cerveau à vrai dire. Il était sceptique à l'arrivée du député, il s'attendait à ce que ce politicien lui passe un savon, peut-être que le gouvernement en avait plus qu'assez de stagner sur le domaine militaire et que jour après jour, l'écart militaire des sudistes commence peu à peu à rattraper l'APT. Ce constat exaspérait tout autant Markov, alors si ce député voulait le réprimander à ce sujet, c'était tout à fait légitime, bien qu'un peu redondant à force, l'état-major faisait de son mieux pour répondre aux exigences du gouvernement. Ils étaient tous dans le même bateau, présumait naïvement le général. Pourtant, il semblait que ce Zarko avait décidé de renverser la table, de tout changer, de tout renverser, d'écraser sans aucune pitié la vision encore naïve et probablement très éloignée du général sur la politique de son pays. Zarko expliqua au général comment les anarchistes avaient réussis à retourner l'opinion publique, comment le PET avait été infiltré de l'intérieur par les libertaires et les étrangers afin de briser purement et simplement les principes de centralisme démocratique qui régissaient la DCT. Ce n'était pas une simple défaite politique, comme pourrait le supposer un militaire peu regardant sur ces affaires-là, c'était une trahison pure et simple. Une trahison de l'héritage loduarien, des valeurs du PET et une conciliation bien trop visible et outrageante avec les intérêts des étrangers et des onédiens. C'est ce qu'ils veulent absolument, c'est une pluralité politique qui mettrait au pouvoir des éléments subversifs qui permettraient à nos adversaires de prendre le pouvoir du gouvernement et des institutions translaves afin d'exécuter leur agenda. La perte politique du PET dans cette affaire était une perte pour toute la nation car sans ce gardien indomptable qu'était le PET, la DCT ne serait plus qu'un pantin. Un pantin des Estaliens à travers leurs laquais anarchistes ; ou un pantin onédien, à travers leurs esclaves sociaux-démocrates, véritables traîtres à la patrie. Le général Markov prit un air sceptique devant les explications du député, il avait peine à croire que tout cela était vrai, il crut bon de penser que l'homme en face de lui était plein de ressentiments négatifs, qu'il parlait davantage avec ses émotions brûlantes comme le soleil qu'avec la raison politique que l'on exige habituellement d'un homme d'Etat. L'idée que la DCT devienne un pantin n'a rien d'irréaliste en soi, c'est une possibilité évidente dont la plupart des Translaves, au nord comme au sud, ont conscience depuis la chute du régime scientiste : au sud, on craint toujours que le régime, malgré les apparences, ne soit qu'un pantin desservant les intérêts impérialistes de l'OND tandis qu'au nord, on n'appréciait déjà guère l'idée de n'être qu'une marche militaire à la botte des Loduariens, de façon inégale, et on sent encore aujourd'hui qu'une nation mineure comme la DCT pourrait se mettre sous la botte d'un nouvel envahisseur étranger, qu'il se présente comme allié (Estalie, Grand Kah) ou ennemi (OND, RT, Teyla). Néanmoins, Markov estimait que la plupart de ses compatriotes exagéraient pour la plupart l'importance des puissances étrangères sur la DCT, bien qu'il ne niait pas l'existence de l'influence étrangère sur sa nation. Pourtant, Zarko semblait convaincu d'une chose qui l'avait interpellé : cette révision de la Constitution, cette trahison surprise des deux tiers du PET, cette validation hérétique du Présidium et du Secrétaire Général VonEcker pour le projet de loi ; tout cet enchaînement était trop parfait, trop bien calibré, l'horloge parlementaire avait été trop bien réglé pour que cela ait au moins une once de chance d'échouer. Toutes les autres tentatives passées des libertaires pour faire changer la loi avaient étés contrées très rapidement par l'opposition catégorique du PET, dans son entièreté, et là, soudainement, deux tiers du PET votent favorablement à ce qui ressemblait de loin à une énième demande de révision de la Constitution. Le député eurycommuniste y avait réfléchi et il n'y voyait qu'une seule solution : le coup était monté de toutes pièces et pour que ce soit les libertaires qui soient en première ligne de cette affaire, le coup n'a pu être monté que par le SRR. "Cette organisation diabolique, qui sème le trouble et le chaos partout où elle passe, qui arrache l'herbe encore verte des nations pour y installer de vastes plaines désertiques et arides de toute émancipation révolutionnaire pour répondre à un agenda impérialiste à peine caché", voilà comment Zarko décrit le SRR. La description semblait exagéré du point de vue du général mais avait-il vraiment tort ?

    Markov se souvint d'une entrevue qu'il avait eu, quelques semaines auparavant, avec un certain Honza Gorny, un général-major connu pour être en charge du renseignement militaire de l'APT. Honza lui avait partagé une crainte similaire, avec un peu plus de détails et de finesse que Zarko certainement, ayant observé notamment le comportement de plus en plus suspect et erratique de certains membres du PET, notamment dans l'entourage de Dragisa Rabinov et de leurs escapades très (trop) régulières à Oklanov, aujourd'hui connue comme la ville façonnée à l'image des Estaliens compte tenu de l'omniprésence des coopératives estaliennes dans la ville, autant dans les projets économiques, les activités culturelles et même le maintien de l'ordre. Oklanov était devenue aux yeux d'Honza une Estalia-town. Puis Honza partagea ses doutes quant à l'allégeance du Secrétaire général VonEcker à Markov : il lui parla longuement de l'entrevue qu'il avait eu avec lui en avril, du regard désespéré que le Secrétaire semblait porter sur la situation de la nation et de son choix final de se tourner vers l'Estalie pour résoudre le problème. Honza avait pensé au début que le choix du secrétaire était purement stratégique, dénué de toute malversation étrangère. Mais le général-major avait pu constater beaucoup de changements par la suite, l'entrevue avec l'ambassadeur estalien qui semblait avoir changé le regard du Secrétaire vers une forme de cynisme politique avancé et surtout cette escapade du Secrétaire à Oklanov, en même temps qu'un certain nombre de députés du PET, et en plus dans un quartier connu pour être habité principalement par des travailleurs estaliens en séjour de travail. Les coïncidences se faisant légion et pour le chef du renseignement militaire, il ne faisait plus aucune doute que le secrétaire était sous l'emprise, volontaire ou non, de l'Estalie ou d'une faction politique officieuse promouvant les intérêts estaliens. Les deux récits, celui de Honza et de Zarko, semblaient converger tous les deux vers un seul ennemi : l'Estalie. Markov n'éprouvait pas spécialement de rancoeur envers eux, il avait même été plutôt enthousiaste à l'idée de coopérer avec eux sur le plan militaire, de recevoir enfin des instructeurs estaliens et de peut-être lui-même suivre une formation à l'Académie Révolutionnaire de Mistohir. Cependant, de ce qu'il entendait désormais, tout cela n'était plus guère possible : les Estaliens allaient trop loin, ils voulaient toujours plus, leur influence avait détruit la cohésion interne et politique de la DCT. Il fallait intervenir et réagir : pas contre les Estaliens, ils étaient trop puissants et inatteignables. Néanmoins, si l'APT ne peut pas frapper l'Estalie directement, elle peut frapper ses laquais et tous les traîtres translaves qui suivent aveuglément les ordres du SRR, de ces loups déguisés en bergers qui prétendent protéger la DCT alors qu'ils en seront les prochains fossoyeurs. Markov marqua un temps de pause dans la conversation devant le député, réfléchissant aux prochains mots qu'il allait employer, bien conscient que sa décision aura un impact radical sur l'histoire de son pays :

    "De quoi avez-vous besoin pour rétablir l'ordre, monsieur Sokolovsky ?"
    11405
    Au-dessus de la mêlée :

    Un Loup tourne autour de sa proie avant de l'attaquer.



    29 Novembre 2016
    ambassade de la Fédération des Peuples Estaliens,
    Anslav, capitale de la DCT.


    L'ambassade était étonnamment calme ce soir. C'était en vérité assez rare ces derniers temps. Entre les curieux, les étudiants, les travailleurs expatriés, les politiciens et le personnel diplomatique, il fallait dire que l'ambassade estalienne était devenue un des lieux les plus fréquentés de la capitale translave. C'était fortement compréhensible : bien que l'ambassade ait pris soin de mettre en place des consulats un peu partout dans le pays pour guider ses ressortissants en DCT, la communauté estalienne était concentrée autour de la capitale et par conséquent s'orientait généralement vers l'ambassade pour les questions d'ordre administratif. Il en était de même pour de nombreux Translaves, autant pour des raisons politiques que économiques et administratives. L'ambassadeur Milov Vidik n'avait pas une seconde de relâchement dans ce tumulte incessant de paperasse, de questions-réponses, de réunions continues avec autant d'acteurs économiques et politiques du pays qui avaient chacun leurs préoccupations, leurs objectifs et qui souhaitaient obtenir l'oreille toujours attentive de l'ambassadeur à leurs requêtes pour essayer d'obtenir le soutien d'une coopérative estalienne, un financement supplémentaire que le gouvernement central était bien incapable de fournir, etc. L'ambassade était devenue pour certains observateurs nationaux le second centre de pouvoir de la DCT, juste derrière les bâtiments du gouvernement central lui-même. Bien sûr, ces deux pouvoirs n'étaient pas formellement en concurrence : le gouvernement se trouvait bien incapable de contrer les Estaliens sur le terrain économique, que ce soit à cause du déficit budgétaire de l'Etat translave qui lui interdisait d'investir là où l'Estalie n'avait aucun mal à combler ses partenaires d'investissements en grande quantité, ou que ce soit à l'intérêt même du gouvernement à entraver les investissements estaliens. Après tout, c'est bien eux qui avaient demandés de l'aide à la base, non ? Il y avait des revers de la médaille à ces investissements, bien sûr, l'Etat translave en était conscient, mais refuser les investissements ou tenter de les limiter mettrait à mal la popularité d'un gouvernement déjà bien hué dans les rues de la capitale, les travailleurs translaves voyaient avec un bon œil dans leur ensemble les apports financiers et matériels des Estaliens. C'était grâce à eux qu'ils pouvaient faire fonctionner leurs usines, irriguer leurs champs, financer l'achat de leurs outils et pouvoir connecter leurs établissements aux autoroutes nationales jusqu'aux marchés locaux. Sur le plan politique, ce recentrage des pouvoirs en DCT se remarquait aussi par la présence toujours plus remarquée des députés du CCA qui effectuaient des allers-retours permanents entre l'ambassade et l'assemblée du CCA et ce qui était plus surprenant encore, c'était la couleur politique de ces députés. Si on pouvait trouver cela normal il y a quelques mois de ne voir que les députés de la FDA aller chercher conseil auprès de leurs mentors idéologiques que sont les Estaliens, il était plus surprenant à ce jour de constater la présence de députés du CCT, des sociaux-démocrates et surtout des membres du PET. Beaucoup de membres du PET surtout. Il n'était pas rare de les voir conserver, que ce soit avec des bureaucrates de l'ambassade ou avec l'ambassadeur lui-même. Bien sûr, rares étaient les discussions destinées à être publiques, tout le déroulement de ces rencontres étaient opaques et les médias, translaves comme estaliens, n'avaient que très rarement accès aux informations qui découlaient de ces rencontres. Quelque chose se préparait en amont, c'était certain, la population le sentait.

    Mais ce soir, l'ambassade était devenue plus calme. A l'exception de quelques employés de nuit, il ne restait quasiment personne à l'intérieur du bâtiment. Milov Vidik, une fois de plus épuisé par sa journée, s'affala sur le fauteuil de son bureau. Il était épuisé, certes, mais fier de lui. Pour lui, la fatigue était synonyme de bon travail et bien que pour tout être humain, la fatigue est une sensation désagréable, la fierté qu'éprouvait Milov à travailler sans relâche pour son pays le rendait fier. Ce n'était pas quelque chose de très commun : même avec un sentiment révolutionnaire aussi zélé que celui des Estaliens, beaucoup de personnes à leur travail ne se mettaient pas à 100% dans leur travail pour la gloire d'une quelconque révolution ou d'une patrie quelconque. Pour Milov, c'était différent, il était véritablement content de ce qu'il faisait, même si son travail s'avérait fatiguant par moments. Peut-être était-ce l'idée que son travail impactait la vie de millions de personnes qui le rendait si fier ? Sûrement : la plupart des gens ne travaillent pas par fierté de leur travail aussi car leur travail est semblable à celui de mille autres personnes, dont il est impossible de percevoir l'effet immédiat que notre travail éreintant peut avoir sur ceux qui nous côtoient. Or, Milov le voyait tous les jours : sa voix faisait force de loi dans un pays désespéré de trouver un sens à son existence et si Milov pouvait dicter ce que la DCT devait devenir, il le ferait sans hésiter. Il goûtait au pouvoir pour la première fois de sa longue vie de bureaucrate de papier et ça, une poignée d'hommes dans le monde avait eu la chance de goûter à ce pouvoir. Il n'avait plus qu'à appliquer son plan méthodiquement, à suivre les étapes qu'on lui avait confié, qu'il avait adapté par la force des choses et par les compromis qu'il avait obtenu auprès de ses interlocuteurs. Ce qui lui avait demandé la Commission aux Relations Extérieures était certes bien pensé en amont mais manquait d'ancrage local, de soutiens et d'une présence réelle sur le terrain. C'était la partie de son boulot qu'il appréciait le plus. Il y a quelques mois, il avait enfin réussi à négocier le soutien de ce...Dragiso...Dragisa Rabinov ? Ah oui, une vipère comme on en fait rarement dans le monde de la politique, que Milov a rarement eu l'occasion de fréquenter dans sa longue carrière de fonctionnaire, un personnage bien détestable, même pour ses compères ; mais néanmoins très influent, au point d'être la tête pensante de la faction modérée du PET. Un verrou à sécuriser, en somme et Milov n'a eu de cesse d'essayer pendant plusieurs mois de l'attirer dans son camp, par la corruption, par les promesses et par les compromis ainsi que les mises en relation que Milov pouvait donner à ce cher Rabinov dans la fonction publique ou parmi les partis libertaires afin de consolider sa position politique. Milov avait beaucoup insisté sur cet homme, qui n'attirait guère la confiance à la Commission aux Relations Extérieures. Cette pute de Kristianya est trop à cheval sur les valeurs et sur l'intégrité, c'est pour ça que notre politique étrangère piétine, pensait très fort l'ambassadeur. Oui, il ne portait pas la Commissaire aux Relations Extérieures spécialement dans son coeur. Et pour cause, il était déjà considéré chez les Estaliens comme franchement radical, convaincu de la supériorité idéologique du libertarisme estalien. Son ton radical sur le plan politique faisait qu'il s'embrouillait régulièrement avec Mistohir sur la marche à suivre : la capitale voulait lui imposer une présence économique et politique modérée, salvatrice, qui guiderait les Translaves tel un troupeau égaré vers une voie politique qui résoudrait les conflits internes sans leur imposer une voie à suivre ; Milov voulait tout contrôler. Tout simplement. Aujourd'hui, si vous demandiez à un haut fonctionnaire de la Commission pourquoi c'est Milov qui avait été envoyé en DCT, il vous répondra certainement que c'était une erreur monumentale.

    On toqua à la porte du bureau de l'ambassadeur, celui-ci se redressa, il ne fallait absolument pas qu'on le voit se relâcher, peu importe que la journée fut longue ou non. Il cria d'entrer. L'homme qui ouvrit la porte était une véritable armoire à glaces, tout aussi incontournable qu'un éléphant dans un couloir. L'homme s'approcha silencieusement du bureau et déposa une chemise brune sur le bureau de l'ambassadeur. Un emblème : un aigle, une épée, un bouclier. Le SRR. Milov soupira.

    "Qu'est que c'est ?
    - Ouvrez, vous verrez par vous-même.
    "

    Milov prit la chemise et l'ouvrit alors.

    .

    "Vous reconnaissez cet homme ?
    - Il me dit brièvement quelque chose. C'est un député du CCA ?
    - Bingo. Zarko Sokolovsky, député du PET.
    - Qu'est que ce pauvre homme a fait pour mériter d'être pris en filature ?
    - M.Sokolovsky est un des membres du parti qui ont votés en défaveur de la réforme constitutionnelle le 22 Octobre dernier.
    - Je vois, ça en fait un ennemi politique. Pourtant, personne ne vous a demandé d'espionner l'opposition dure du parti. Ils sont inoffensifs.
    - Je crains que cela soit plus ardu que vous ne le croyez, monsieur l'ambassadeur.
    "

    L'agent du SRR s'assoit alors sur la chaise devant le bureau, calmement. Bordel, même la chaise est plus petite que lui. Ils bourrent leurs hommes en dopage au SRR ou quoi ?

    "Récemment, ce député a été repéré près d'Ankov et a tenu à rencontrer le général Markov, le général en chef de la 1ère Division Blindée de l'APT. Tous nos éléments nous indiquent que M.Sokolovsky prépare peut-être un Coup d'Etat en amont. Or, il nous semble évident que cette ligne dure loduariste cherchera une fois au pouvoir à s'en prendre à nos intérêts. Leur bellicisme pourrait de surcroît provoquer un conflit avec la République Translavique au sud. J'ai cru comprendre que votre "patronne" négociait les termes d'une paix durable avec les Teylais. Ce serait mal vu de perdre le contrôle de la situation en même temps en DCT, pas vrai ?
    - Je ne suis pas d'accord avec ma "patronne" comme vous dites mais j'admets que l'arrivée au pouvoir de ces loduaristes n'apportera rien de bon à personne. Néanmoins, qui vous dit qu'ils s'attaqueront aux sudistes ?
    - La majorité de la population ne souhaite pas un retour d'un régime autoritaire à la dure et l'expérience ratée de l'autoritarisme loduarien a démontré l'inefficacité de ce système politique. La légitimité des loduaristes une fois au pouvoir serait nulle. Sauf...
    - S'ils détournent l'attention de l'opinion publique vers un ennemi extérieur.
    - C'est une stratégie vieille comme la politique, monsieur l'ambassadeur.
    "

    L'ambassadeur lisait le dossier avec plus d'attention. Enfin quelque chose d'intéressant se passait. Néanmoins, en y réfléchissant, le ton du dossier du SRR était alarmiste. Peut-être trop alarmiste. Son regard fit des allers-retours entre le dossier et son interlocuteur. Malgré son physique imposant, le visage de l'agent semblait curieux, en recherche de validation. C'était rare mais il avait compris : le SRR n'était pas là pour lui imposer une stratégie. Ils voulaient son avis, lui qui connaissait si bien le pays. Il se sentit flatté mais renfrogna ce sentiment immédiatement. Ce n'était pas tous les jours que le SRR demandait l'avis de quelqu'un d'autre que de ses services pour effectuer une action à l'étranger, il fallait donner une réponse à la hauteur de leurs espérances.

    "Votre raisonnement sur leurs actions en cas de prise de pouvoir est juste. Néanmoins, je trouve que vous vous affolez un peu sur leurs chances de succès.
    - Comment ça ?
    - Certes, cet homme semble avoir rallié à lui un général mais quid des officiers de la division et des sous-officiers ? Bien sûr, cet homme doit avoir un soutien important, il a le potentiel nécessaire pour être la tête de file de la faction conservatrice du PET, pour sûr. Qu'il saute le pas pour prendre le pouvoir est une autre affaire cependant. Il manque de soutiens pour un tel renversement du pouvoir, il n'a pas non plus l'assurance que toute l'APT le soutiendra. De plus, je ne le pense pas bête : il sait qu'on sera sur ses traces dès qu'un char de l'APT entrera dans Anslav. Je comprends vos inquiétudes mais je pense les loduaristes plus malins que ça.
    - Vous voulez dire que vous niez qu'il puisse effectuer une action violente à l'encontre du gouvernement ?
    - Je pense davantage qu'il tentera de prendre le pouvoir par d'autres moyens.
    - Que voulez-vous dire ?
    - Qu'il tente de rassembler des soutiens imposants pour mettre la pression au gouvernement pour le faire plier. Le forcer à négocier, ou à démissionner, ou à revenir sur ses réformes. Un Coup d'Etat est trop risqué : ce serait même une aubaine pour l'OND, une raison suffisante pour une intervention. Je connais la façon de raisonner des loduaristes : leur idéologie est certes stupide mais ils ne sont pas bêtes pour autant. Ils préfèrent de loin le joug libertaire que la tyrannie onédienne, pour sûr. Cet homme aime son pays, se révolter signifierait le vendre à l'OND sur un plateau d'argent.
    - Maintenant que vous le dites, c'est une logique qui se tient. Mais comment va-t-il prendre le pouvoir ?
    - Allez savoir, c'est votre travail, non ? Tout ce que je peux vous dire, c'est que l'action armée ne semble pas dans ses modes d'actions, du moins pas un coup de force majeur comme un Coup d'Etat. Ses connexions dans l'armée sont son joker, rien de plus.
    "

    L'agent se leva, il reprit alors le dossier d'entre les mains de l'ambassadeur. Il se retourna brièvement avant d'ouvrir la porte.

    "Merci pour vos éclaircissements, monsieur l'ambassadeur. Mon service en tiendra compte."
    L'agent referma la porte derrière lui, laissant Milov de nouveau seul. Celui-ci soupira de soulagement et s'affala de nouveau sur son fauteuil. Les choses allaient enfin devenir intéressantes.
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