
Non pas du jour au lendemain, mais en l'espace de quelques jours, le Gouvernement de la Loduarie Communiste, repris par la femme de Lorenzo après la mort de ce dernier, s'était effondré suite à un enchaînement de mauvaises décisions. Plusieurs groupes firent sécession, entraînant la Loduarie Communiste dans une lente, mais sûre agonie. Dès la mort de Lorenzo, les Teylais avaient fêté avec joie la chute de cet homme, non pas la chute, mais la mort. Ils avaient fêté dans les rues de tout le pays la mort de cet homme qui, selon eux, était à l'origine de la mort de deux Teylais, Marie et Corentin. Il était à l'origine de tous les maux du Royaume de Teyla sur la scène internationale. Nul Teylais habitant à la frontière teylo-loduarienne ne dormait sereinement. La crainte d'un bombardement suite à une colère de Lorenzo ou une traversée de la frontière, se transformant en invasion armée, était dans tous les esprits de ces habitants. Depuis deux mille onze, la Loduarie Communiste avait redessiné, de la mauvaise façon, le paysage politique du Royaume de Teyla.
Les autorités loduariennes avaient légitimé, plus que nécessaire, la création de l'Organisation des Nations Démocratiques auprès des partis politiques, mais aussi de la population. Nul, outre une minorité, ne remettait en cause la présence du Royaume de Teyla dans cette organisation et ceux qui avaient l'audace de le faire ne recevaient que très peu d'attention de la part de l'opinion publique. Elle remerciait, au contraire, cette organisation et ses membres qui n'ont pas hésité à déployer des troupes au Royaume de Teyla en nombre pour assurer la défense du Royaume contre toute potentielle attaque envers le Royaume. L'interception des avions loduariens en direction de Valinor démontrait que l'équilibre des forces avait changé, mais que malgré cela la Loduarie continuait à s'enfoncer dans une politique agressive, aux dépens des intérêts de la Loduarie Communiste.
Alors oui, quand Lorenzo, le plus haut représentant du système loduarien, mourut, les Teylais fêtèrent cet événement avec un grand enthousiasme. On avait manifesté dans les rues la joie, chanté la mort du dictateur et brûlé des effigies en carton de cet homme. Du côté de la frontière, les citoyens s'amusaient à narguer les troupes loduariennes, bien que tenus à distance par la Police Royale. Du côté du gouvernement, on se tut. Aucun hommage, aucun regret, mais aucune joie ne fut démontrée. Seul un communiqué ouvrant la voie à la diplomatie avec la nouvelle administration fut fait et publié au nom du Gouvernement de Sa Majesté. Mais outre cela, on était conscient du côté du Premier ministre que l'État teylais devait rester neutre, pour que cette voie diplomatique soit réellement possible. À l'époque, on ne savait pas encore qui allait reprendre le pays, mais on estimait très probable qu'un proche de Lorenzo reprenne le pays et l'hypothèse fut la bonne.
Bien que les renseignements s'étaient préparés à une chute du régime et du pays, cette dernière n'était pas prévue avant une année. Alors quand les premiers éléments, plus que probants, démontrant une chute du régime dans les quarante-huit heures, eurent remonté aux oreilles d'Angel Rojas, il ne pouvait y croire et aucun membre du gouvernement n'y crut. On n'était pas avare de compliments sur la Loduarie au Royaume de Teyla. Toutefois, on savait la résilience du régime et du pays entier, alors même qu'il vivait ses pires heures. On pensait assez facilement, au sein du Gouvernement, que les quarante-huit heures allaient devenir soixante-douze heures, puis une semaine et ainsi de suite. Ce n'était pas l'esprit qui régnait dans les renseignements. Pour ces derniers, la Loduarie Communiste vivait ses dernières heures. Ce n'est qu'après vingt heures et voyant les situations de pillages, de sécession se multiplier, bien que la situation dans la capitale soit relativement calme, qu'Angel Rojas comprit la gravité de la situation.
C'est en pleine nuit, à deux heures du matin, que le Premier ministre réunit le cabinet entier et Sa Majesté, pour savoir que faire. En outre, le renseignement avait fait des recommandations, ils ne faisaient plus que cela, on aurait pu croire. Ce qui est bien avec les recommandations, pensèrent tous les Gouvernements successivement, c'était qu'on n'était pas obligé de les suivre. Ces recommandations ne prenaient pas en compte l'attrait et le gain électoral que pouvait bénéficier le parti au pouvoir, elles ne prenaient pas en compte la volonté propre du gouvernement et du Parlement. Cela n'était que des recommandations après tout. L'ambiance à deux heures du matin n'était pas la meilleure de toutes. Le silence était de mise, on pouvait entendre les cliquetis de la prise de notes des différents officiels présents dans la pièce, alors que les hauts gradés du renseignement et militaire se relayaient pour présenter les options au chef du gouvernement.
- La situation est floue, mais nous savons que l'effondrement va en s'accélérant, Votre Excellence, raconta avec un ton empreint de gravité un éminent haut gradé de la Direction Extérieure du Renseignement Royal à l'Assemblée, attentive et parfois apeurée.
S'il avait bien un homme qui priait pour la fin de la Loduarie Communiste secrète, c'était bien le Premier ministre. Ses débuts de mandats étaient partis par l'assassinat reconnu par les autorités loduariennes, de Marie et Corentin, deux Teylais qui étaient en territoire loduarien lors du crime. Cet événement avait marqué Angel Rojas qui n'était pas prêt psychologiquement à une telle violence dans la diplomatie entre deux nations. Il savait qu'il aurait à muscler son jeu en tant que Premier ministre, mais pas à ce point. Cet événement avait enclenché des crises d'angoisse chez l'homme à chaque crise avec la Loduarie Communiste. C'est l'une des raisons qui expliquait l'envie du Gouvernement de Sa Majesté de maintenir un dialogue constant avec la Loduarie, malgré les nombreux affronts et insultes envoyés à la diplomatie teylaise. Alors si la Loduarie disparaissait, il allait mieux dormir lors des prochaines nuits. Mais ce jour-là, il n'avait guère le temps de penser à ces nuits de sommeil. Il revenait à la charge du Gouvernement de Sa Majesté de s'assurer que le pouvoir en place n'agisse pas de manière agressive envers une nation voisine pour tourner les regards, de s'assurer que les stocks d'armes ne circulent pas partout en Eurysie, de s'assurer de la protection des ressortissants teylais qui restaient là-bas malgré le rappel. Ils étaient vingt-deux, selon Pierre Lore. Une situation gérable, selon les divers officiels qui prenaient la parole à tour de rôle.
Nombre de décisions avaient été prises à la Résidence Faure autour du Premier ministre. Bien qu'il n'avait pas un pouvoir très important, le Premier ministre, étant un régime parlementaire, c'est pour ces moments-là que le Premier ministre avait une aura supérieure parmi la population, mais aussi toutes les sphères de la société teylaise. Il était entouré de tout l'appareil d'État teylais, les dossiers, les feuilles s'étalaient sur les tables, la table centrale. Les conseillers se succédaient, apportant chacun leur expertise. Mais au final, le dernier qui tranchait, qui prenait les décisions, n'était ni plus ni moins qu'Angel Rojas. Il était le chef du gouvernement du Royaume de Teyla et cela lui donnait cette prérogative en situation de crise. Il avait la légitimité du peuple.
Quant à ce peuple, revenons à lui. Il avait été soulagé par la disparition de la Loduarie Communiste et cela allait avoir nombre de conséquences politiques, alors que les élections arrivaient dans moins d'un an. Il semblait, selon les sondages d'opinion, qu'il se montrait méfiant à tout dialogue avec des nations communistes ou ayant apporté un soutien au pays suite à la mort de Lorenzo, sans pourtant être fermé à ce dialogue. Toutefois, cela était une généralité qui ne décrivait pas la complexité de la pensée des Teylais. L'extrême-droite continuait à vouloir maltraiter les Loduariens habitant déjà sur le territoire ou ayant fui très récemment la Loduarie Communiste. Le Royaume de Teyla devait refuser ces migrants, car c'étaient tous des espions. Ces discours accrochaient avant tout dans les zones frontalières à la Loduarie Communiste. Ici, à Manticore, pratiquement personne ne croyait à de tels discours.
Par ailleurs, la capitale du Royaume de Teyla, Manticore, vivait par endroits une vitalité rarement vue. L'aéroport principal de la ville était envahi de voitures officielles, de gardes du corps, de politiques nationaux venus opérer le basculement politique qu'avait entraîné la chute de la Loduarie Communiste. La rencontre qui allait suivre entre l'Estalie et le Royaume de Teyla était prévue bien avant cette chute, mais à l'égard des événements en Loduarie Communiste, elle prenait une nouvelle dimension. Tout se tut sur cette dimension, mais tout le monde savait. Le Royaume de Teyla avait peur que le sort de la Kartvélie soit appliqué à la République Translavique, ce qui entraînerait une nouvelle rivalité dont voulait bien se passer le Royaume de Teyla. Certes, cette rivalité n'était pas aussi menaçante qu'avec la Loduarie. L'Estalie ne pouvait pas atteindre aussi facilement le territoire teylais, mais le Gouvernement du Royaume de Teyla et la population voulaient souffler. Or, avec la disparition de la Loduarie Communiste, non seulement le Royaume de Teyla avait le temps de souffler, mais plus encore de détourner son regard sur des sujets qu'il estimait secondaires ou non importants. Parmi ces sujets-là, il y avait le risque de guerre en Eurysie de l'Est suite à l'impérialisme de l'Estalie.
Alors Pierre Lore et Angel Rojas attendaient patiemment sur le tarmac de l'aéroport, avec une foule de hauts personnages teylais. Il y avait, bien entendu, la garde royale prête à dégainer les sabres devant leur visage à l'arrivée de la délégation, mais contrairement aux nations démocratiques, aux partenaires du Royaume de Teyla, il n'y avait pas Sa Majesté présente. Et il n'y aurait pas la célèbre déclaration : "Votre présence sur le sol teylais vous place au champ de l'honneur du Royaume de Teyla." On n'envahit pas un pays impunément et, outre cela, l'Estalie était-elle neutre envers le Royaume de Teyla et la République Translavique ? Une situation qui n'était pas encore totalement claire. L'Estalie avait tout de même droit à la garde d'honneur et à la présence de nombreuses personnalités. Angel Rojas accueillit la délégation étrangère sur un ton cordial.
-Vos Excellences, je suis honoré de pouvoir accueillir au Royaume de Teyla. Nous avons tant de choses à discuter, Vos Excellences, mais avant cela, nous avons du temps, devant-nous !