11/05/2017
22:32:12
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[Drovolski - Estalie] L’unisson des contre-modèles

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Ban

C’était par une douce journée que les Estaliens étaient partis vers le Drovolski voisin. Ils prirent l’avion pour rejoindre la petite ville nommée Kotüme. On les accueillit fort étrangement en leur donnant des instructions au sujet des nuages et des parapluies :

« Messieurs, si les nuages sont noirs ou gris, c’est le parapluie A, sinon le B, sauf s’ils sont d’un rose vif, utilisez le C. Et attention à vous, gardez vos masques pendant toute la durée de votre séjour, dès que vous sortez d’un bâtiment, l’air est si impur que votre mort pourrait survenir dans la demi-heure qui suit. »

C’était un aéroport bien vide avec très peu d’avions, mais un flot ridiculement nombreux de dirigeables blancs et lumineux. On pouvait voir sur leurs coques le logo du LHV et quelques inscriptions, « Beno-Air ». L’accompagnateur, après avoir demandé l’approbation à un représentant de l'État pour s’exprimer, prit la parole :

« Nous voici à l’aéroport international de Kotüme, c’est le plus grand et le seul du Drovolski. Il est exploité par Beno-Air sous contrat d’État, la compagnie des dirigeables nucléaires. Nous allons descendre au sous-sol pour prendre le train vers Mesolvarde. Nous sommes attendus au Tribunal central. »

La petite équipe se dirige, dans un silence glaçant, vers un ascenseur sans porte, on se croirait dans une mine. Sombre, silencieux et froid. On entend au loin un bruit de vapeur. Personne ne pense alors à un train. Arrivés au sous-sol, c’est la surprise. Un réseau monstrueux de chaudières et de câbles électriques dans un vacarme métallique. On entend tout de même le train arriver, suivi de la voix monotone d’une annonce :

« Train GKD à destination de Mesolvarde entre en gare de Kotüme. »

C’est un train d’apparence militaire, mais qui n’a rien d’offensif. Il est simplement imposant et robuste. Montés à bord, l’ambiance est encore différente. On se croirait à la morgue, et encore, sûrement désaffectée depuis 20 ans… Mais non, les Mesolvardiens sont très heureux d’annoncer qu’il s’agit bien d’un wagon de représentation, avec du luxe, des fauteuils et des vitres. Des crissements métalliques, puis des bruits électriques, et enfin, comme de la foudre. C’est le condensateur du train qui vient d’être chargé. Le train est ensuite poussé par un réseau pneumatique, on voit les chaudières s’essouffler pour pousser le train. À se demander pourquoi faire des trains si lourds s’il faut de telles installations pour les lancer. Mais bon, le train avance à bonne vitesse, bien que le brouillard chimique empêche de voir le paysage, laissant simplement un voile noir qui vire parfois au vert à travers les vitres du train. Personne ne daigne considérer les représentants Estaliens pendant le voyage. Manque de respect ? Non. Mais folie, pourquoi pas.

Le train passe dans de nombreuses galeries de mines sans s’arrêter. À chaque fois, les gens portent des tenues de couleurs différentes, mais inlassablement des combinaisons en vinyle et des masques noirs avec un numéro sur leur torse, leur matricule.

À la gare centrale de Mesolvarde, on peut observer de très nombreux trains et entendre des annonces robotiques indiquant la destination des trains et les ordres de passage. Mais surtout, des sortes de troupeaux d’humains bien rangés qui agissent de façon robotique et qui répondent à des chiffres plutôt qu’à des prénoms. L’accompagnateur revient enfin :

« Nous voici arrivés, vous voyez ici l’exemple de la discipline des unités de production humaine. Nous sommes ici au secteur 1 de Mesolvarde, près du cœur de la ville. Encore quelques minutes et nous serons arrivés. »

Mesolvarde
Mesolvarde

L’équipe sort de la gare et observe la ville. C’est l’horreur. La dystopie comme on peut l’imaginer dans les pires cauchemars. La ville est recouverte d’une brume orange qui brûle la peau et émet un cri absolu. Un épais manteau de poussière recouvre le sol, mêlé à des liquides impossibles à identifier. Quelques poteaux donnent de la lumière à la scène. Les rares passants, habillés de blanc, évitent du regard les Estaliens. Un représentant de la police politique les arrête et invite les Estaliens à patienter :

« Vos excellences,
Nous sommes heureux de vous avoir à Mesolvarde, la ville la plus humaine. Ici, l’égalité fait loi et l’idéal se matérialise. Je vous invite à profiter de notre hospitalité sans modération, mais surtout à ne jamais parler à une unité de production humaine sans l’accord d’un représentant. C’est important pour nous et culturellement insultant d’aller à l’encontre de cela. Je vous prie de bien vouloir attendre le prochain trolleybus ici. »


Après avoir dû attendre, les Estaliens aperçoivent un feu au loin dans l’obscurité de la journée se rapprocher. Une voix robotique annonce la destination, sans conducteur visible. Le trolleybus repart et prend la direction du Tribunal central. Aucune couleur, presque personne, pas de vie. Pas même une voiture. Le trajet est d’une grande vacuité. La musique étant interdite, un policier présente aux Estaliens la photo de ses enfants. Il semble fier mais triste, et ne dira rien sur le sujet. Brutalement, le trolleybus s’arrête et une voix robotique annonce :

« Puissance secteur 1 à 235 en service minimal pour répondre à la demande de la CMD. Merci de votre coopération. »

La ville s’éteint autour d’eux, et l’obscurité tombe. Un des policiers, avec un accent ridicule (un Varnacien), insère une carte dans le plafonnier, et le transport reprend. La voix robotique annonce « Accès prioritaire, exception d’état ». Quelques minutes plus tard, ils arrivent aux dômes, une sorte de mur pas très haut qui sépare les bâtiments de l’État du reste de la ville. Les Mesolvardiens leur donnent quelques papiers, et la barrière se lève. C’est la première fois qu’on voit de la végétation depuis le début du voyage, mais il est dommage que ce ne soient que des arbres morts autour d’un palais assez sinistre. De grandes colonnes, très abîmées, se dressent.

Il est temps de sortir du bus. Il faut passer par un SAS où l’on peut enfin retirer son masque. Les habits, autrefois colorés et charmants, ont pris 50 ans en l’espace de quelques heures. La poussière s’y est imprégnée et la fumée a dilué les couleurs. L’entrée au Tribunal central est une surprise. Un dédale monstrueux de salles de jugement, avec des centaines de personnes courant de salle en salle, portant des piles de papiers dans les bras et parlant un langage ridiculement complexe. Tous habillés de façon noble, avec des couronnes comme si cela était courant. On peut voir des inscriptions en or au-dessus des portes : « Tribunal de planification électrique » ou encore « Approvisionnement financier ». On comprend alors que ce tribunal sert surtout de gouvernement. Tout le monde est invité à rejoindre la cour de cassation, dont la porte est en or massif. Et là, enfin, on découvre des couleurs. Dommage, c’est un bleu électrique, celui du drapeau, de quoi dire « beurk » de façon justifiée.

Musique jouée

Les portes s’ouvrent et les Estaliens sont invités à se diriger vers le trône. Une musique au violon est jouée, et plus les représentants avancent, plus les nobles disposés en assemblée tout autour d’eux s’inclinent en signe de déférence. Au trône, ou plutôt juste à côté, se trouve le dauphin Serge de Drovolski qui annonce, avec un sourire, le premier depuis le début du voyage :

Serge
Le dauphin Serge de Drovolski

« Mes excellences, merci d’avoir fait tout ce voyage pour rencontrer le Drovolski et Mesolvarde. Mon père, l’Empereur, est actuellement absent, mais ne vous en faites pas, je suis tout à fait compétent pour traiter avec vous. »

Il tape des mains et une armée de ministres à têtes de crapauds et coups de poissons sort de derrière les rideaux. Les nobles quittent la salle, et quelques commis apportent une table de marbre.

« Tout d’abord, j’aimerais simplement vous demander si vous avez passé un bon voyage et vous demander de vous présenter. »

Il écouta attentivement, puis reprit la parole :

« Merci à vous. À notre tour, si vous me permettez l’expression populaire, je suis le Dauphin Serge de Drovolski, héritier présomptif au trône. Vous avez à ma droite le représentant du LHV, monsieur Mirski, et à ma gauche quelques conseillers, et surtout le ministre des affaires publiques, Sergiusz Janicki. Mais je vous invite à poser toutes les questions qui vous sembleraient utiles. Nous avons avec nous une troupe de ministres. »

« Nous sommes ici pour discuter d’une coopération industrielle et commerciale. Je pense qu’il serait judicieux de commencer par la question nucléaire et civile. Nous avons en effet pour projet de construire 50 nouveaux secteurs d’ici 1 an, et nous aimerions connaître vos dispositions à ce sujet en termes de coûts et de ressources. En échange, nous serions intéressés par la construction chez vous de 3 paires de Sage-1900, dont monsieur Mirski pourra vous faire une présentation sur demande. »

Edvard Mirski acquiesce, mais ne dit rien.
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Image non contractuelle : vous avez cru qu'il y avait de la végétation au Drovolski ?


"Dans quel pays je me suis encore fourré ?"
Le chef de la délégation estalienne fustigeait encore d'avoir accepté une telle mission, il aurait pu la confier à un autre suicidaire mais la Commission aux Finances avait insisté, comme un père fier de son enfant, auprès de la Commission aux Relations Extérieures pour le nommer comme chef officiel de la délégation estalienne en charge de la négociation d'accords économiques communs avec le Drovolski. Pourquoi lui ? Senko Verba se maudissait d'avoir été aussi peu réactif à cette décision arbitraire. On avait nommé lui, l'un des auteurs et coordinateurs de l'écriture des NAFP devant le Congrès International des Travailleurs, pour accomplir cette tâche hautement complexe de signer un accord économique avec une nation auquel beaucoup en Estalie ne connaissaient que de nom. Pour les quelques connaisseurs qui avaient eu le temps de se pencher sur l'histoire et l'économie de ce pays, les réactions étaient ambivalentes : tantôt une dystopie industrialiste sauvage, parfois une merveille de collectivisme économique. Ceux qui cherchaient à prouver que le Drovolski était le phare du collectivisme n'y avaient visiblement jamais foutus les pieds. En vérité, de tous les Estaliens qui connaissaient véritablement le Drovolski, on pouvait compter ceux qui avaient côtoyés brièvement ces derniers en DCT à la suite de la conférence d'Anslav en 2014, autant dire que l'intérêt de l'opinion publique pour ce pays n'était guère élevé.

L'accueil réservé par les Mesolvardiens avait le don de taper sur le système nerveux de Senko, rien que le trajet entre Kotüme et Mesolvarde lui donna envie de vomir à plusieurs reprises dans son masque compte tenu de son mal des transports et des secousses permanentes de ce train qui lui ferait presque envier les vieux tramways désuets de Gardinov, sa ville natale. Au fur à mesure du trajet, l'horreur s'empara de son esprit à la vue de la capitale du Drovolski : ce paysage apocalyptique et dystopique qu'il n'imaginait possible que dans les romans de science-fiction et ce bafouement honteux de la dignité humaine le laissait sceptique et mal à l'aise face à ce déchaînement de violence systémique : ce que les Mesolvardiens appelaient des unités de production humaines n'étaient rien de moins que des esclaves. Senko n'était pas spécialement révolutionnaire : il avait passé sa carrière professionnelle comme statisticien dans un cabinet de conseil privé et après la Révolution, il avait réussi à faire reconnaître ses talents à la Commission aux Finances qui avait fini par l'embaucher. Bien qui lui manquait cette fougue révolutionnaire qui caractérisait tant ses compères (peut-être une des raisons du choix de l'envoyer au Drovolski), il ne pouvait s'empêcher de rester mal à l'aise : on lui avait explicité que le libéralisme et le fascisme étaient les maux qui infectaient ce monde mais le Drovolski fait-il partie de cette catégorie ? Le libéralisme est aliénant, très bien, mais Mesolvarde est une cité qui va au-delà de l'état d'aliénation qu'on avait pu lui faire entendre à l'assemblée urbaine. Et ses interlocuteurs sont le reflet de cette réalité : rigides, robotisés, presque inhumains, encadrés par des protocoles absurdes ou oppressants.

En entrant dans le Tribunal Central de Mesolvarde, la situation ne fut guère meilleure, bien que le retrait du masque fit un bien fou à la totalité de la délégation estalienne. Le Tribunal Central était un de ces lieux qui ferait passer les satires sur la bureaucratie poussée à la folie pour des contes pour enfants.

"Cet endroit est sordide, Senko."
Senko regarda à sa droite : c'était la vice-président de la SEP, Jelena Wolina, qui lui avait adressé la parole. La vice-présidente avait été choisie elle aussi, sur la base du volontariat cette fois-ci, pour faire partie de la délégation afin de représenter la société publique qui gérait la quasi-totalité de l'approvisionnement énergétique de la Fédération. Compte tenu que la discussion allait tourner autour de la question du remplacement du parc nucléaire estalien par une expertise mesolvardienne, Jelena tenait à être présente afin de représenter la SEP et les intérêts du secteur énergétique nucléaire. Elle était accompagnée par ailleurs par un membre de la Commission aux Services Publics.

"Sordide est un bien faible mot, madame Wolina. J'espère seulement que cette rencontre portera ses fruits. Rien qu'en faisant ce voyage, je dois certainement avoir perdu 10 ans d'espérance de vie, si ce n'est plus.
- Vous n'avez pas honte de me faire rire à un moment pareil ?!
"

La délégation entra dès lors dans la salle du trône. La prestance des Estaliens faisait pâle figure devant cet amas nobiliaire : entre la toxicité extérieure qui avait dénaturé les vêtements simples mais élégants des membres de la délégation et la mise en avant des grandes richesses de cette noblesse dans une salle du trône qui faisait davantage figure de salon mondain, les Estaliens devaient avoir l'air au mieux de rustres venus des tréfonds de la campagne en face de leurs homologues. Heureusement pour Senko, il n'en oubliait pas ses manières : sachant fort bien qu'il allait se présenter dans un pays où la monarchie, et donc en somme la noblesse, existait encore, la délégation estalienne avait reçu un léger rappel des formes de politesse nobiliaires de la part d'un ancien valet de la Maison des Skoviliosnov, la famille royale millénaire de l'Estalie. Les manières mondaines de la famille royale estalienne étaient reconnues à travers l'Eurysie de l'Est autrefois et bien que les règles de politesse diffèrent en fonction des cours, il était certain que reproduire les formules de politesse de l'ancienne monarchie estalienne aideraient à rendre l'entrevue plus cordiale. Il fit sa révérence devant le dauphin Serge :

"Votre Excellence, je me présente, Senko Verba, chef de la délégation estalienne en charge de cette entrevue et membre de la Commission aux Finances, je serais notamment chargé de vous répondre quant à la coordination de nos deux systèmes économiques, notamment en ce qui concerne la fiscalité et la coopération autour du SOES et de Salomon. A mes côtés, je vous présente la vice-présidente de la SEP, Jelena Wolina ; vous n'êtes pas sans savoir que la SEP est la principale entreprise publique estalienne en charge de la production, du transport et de la distribution énergétique en Estalie, c'est en somme le successeur du réseau énergétique largement privatisé d'avant la Révolution si je puis dire. Enfin, je vous présente ces messieurs Dvorsky et Peev qui sont respectivement membres de la Commission aux Relations Extérieures et de la Commission aux Services Publics qui seront chargés d'encadrer l'entrevue et de fournir des détails si nécessaire dans leurs domaines.

Je ne vois aucun inconvénient à commencer par la question nucléaire. Comme nous avions pu l'échanger dans les missives qui ont étés échangés entre nos services diplomatiques, l'Estalie se montre intéressée par l'installation de nouvelles centrales de votre part, reconnaissant en effet votre expertise dans le domaine.

Jelena Wolina interrompit son homologue estalien.
- Avant cela, il me semble essentiel que vous nous en disiez un peu plus sur les réacteurs que vous comptez mettre en place dans le cadre de notre accord de coopération, j'aimerais notamment connaître le fonctionnement de ces Sage-1900, leurs spécificités techniques ainsi que les modalités de sécurité nucléaire de ces derniers. Je vous préviens d'office, Excellences, que je vais devoir poser un certain nombre de questions pour m'assurer que ces réacteurs entrent bien en conformité avec nos besoins."

La vice-présidente semblait physiquement peu intimidante au premier abord et il est vrai qu'à première vue, on ne se douterait pas qu'elle soit tenace aux négociations mais le ton qu'elle emploie est un mélange de méfiance et d'analyse souple, peut-être à cause de l'agacement continu du trajet jusqu'à la capitale mais aussi parce que cela se sentait dans son regard qu'elle ne faisait pas pleinement confiance à ses homologues en face d'elle. A côté, la figure conciliante de Senko faisait pâle figure, on lui avait collé une lionne en binôme, quelle tristesse.
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Sage-1900
Bleu : LHV, Vert : Sylva, Rouge : Apex

C’était le moment pour la diplomatie mésolvardienne de répondre à ses invités sur des questions techniques. C’était à cela qu’on reconnaissait le Drovolski : une dicastocratie collectiviste où l’effort et la centralisation, émanant de l’organisation même de la société, avaient conduit à un accélérationnisme presque ridicule dans certains secteurs, au détriment de bien d’autres. À la table, les ministres, tous couronnés, toisaient la situation et adoptaient une posture d’hommes patients, quand soudain le chambellan annonça brusquement :

« Sa Majesté impériale, seconde magistrate de cassation, Adélaïde de Drovolski ! »

Puis elle fit son entrée. Elle était d’une richesse insolente, d’un raffinement excessif qui aurait rendu l’Occident jaloux. Entre ses mains, le sceptre pendulaire — le véritable symbole du pouvoir des Drovolski.

« Mes Excellences estaliennes, c’est un honneur de vous voir ici et d’apprécier les efforts de préséance que vous avez pris soin de respecter. Je parle au nom de tous les magistrats du pouvoir impérial : votre présence est perçue comme un honneur. Cela étant, je vous prie d’accepter ce modeste présent pour compenser les torts que mère nature vous a infligés à Mésolvarde. » (Quelques pierres précieuses serties d’or)

En se relevant, les ministres s’inclinèrent et clamèrent d’une seule voix : « Votre Cassation », un titre étrange mais à-propos, car nous étions bien dans la Cour de cassation, et le pouvoir chez les Drovolski n’émanait pas d’une noblesse héréditaire, mais de magistrats formés et sélectionnés par concours. Seules quelques exceptions, comme la famille impériale, subsistaient pour assurer la continuité des règles à travers le temps. Après ces quelques mots, Adélaïde transmit le sceptre pendulaire à son fils, le Dauphin, et disparut presque aussitôt. Le sceptre pencha vers la gauche, et Serge prit la parole :

« Vos questions sont les bienvenues et recevront une réponse. Et merci — oui, bien entendu, nous sommes ici avant tout pour discuter des sujets relatifs à Salomon et au SOES. Mais j’espère que ce choix de commencer par des questions plus simples, comme celles touchant à la coopération économique, vous conviendra autant qu’à moi. Ma nation apprécie le commerce, qu’elle considère comme une preuve de bonne volonté et de coopération.
Nous aurons également des questions à adresser concernant la grande et puissante compagnie SEP, afin d’assurer une bonne intégration de SAGE dans votre tissu économique. Et surtout, sur les aspects liés au bâtiment pour ce qui concerne la construction à Mésolvarde.
Mais avant cela, répondons à vos questions, puis viendra le moment de poser les nôtres. »


Il jeta un coup d’œil à Edvard, qui comprit qu’il devait prendre la suite. Les ministres continuaient de jauger la situation. Le Dauphin se retira légèrement pour adopter une posture d’observateur. Edvard fit un geste de la main et afficha un sourire. En quelques minutes, des pages du Dauphin apportèrent des documents portant le logo du LHV. Il en prit quelques-uns et déclara :

« Pour vous répondre, Votre Excellence Wolina,
SAGE-1900 est un réacteur nucléaire issu de la collaboration de trois grandes compagnies nucléaires mondiales. L’objectif était de concevoir un réacteur idéal pour l’exportation, en intégrant les points forts de chaque acteur dans un seul projet. Ce sont : le LHV du Drovolski, Apex du Rasken, et le Département de l’Énergie de Sylva.
C’est un mélange qui peut sembler étrange au premier abord, mais rassurez-vous, la coopération s’est très bien déroulée. Nous avons conçu ce réacteur avec un grand souci de performance économique. »


« Sur le plan technique, le LHV a fourni les technologies de cœur, faisant de SAGE-1900 un réacteur surgénérateur à bas coût. Sylva a apporté les composants du bloc réacteur hors cœur, assurant la standardisation et la conformité aux normes de sûreté occidentales. Enfin, Apex a fourni ses turbines réputées et la rapidité industrielle qu’on connaît aux Germains.
Côté finances : le LHV fournit, traite le combustible et assure la maintenance, en échange de 5 % des bénéfices liés à la construction. Apex collecte 40 % des bénéfices, avec un engagement à participer à l’exploitation. Sylva, qui ne tire profit que de la phase de construction, en reçoit 55 %. C’est un partage inégal mais accepté par les parties. »


« Plus concrètement, SAGE-1900 est un réacteur RNR-Sodium de 1900 MWe. Cela signifie qu’il génère lui-même son combustible à partir de matières dites fertiles, réduisant ainsi la production de déchets et exploitant des ressources quasi inépuisables.
Le caloporteur primaire est le sodium, un métal liquide qui, en plus d’être transparent aux neutrons, possède une excellente capacité thermique. Il transmet cette chaleur au bloc Apex, chargé de la conversion électrique.
Sa puissance — 1900 MWe — est probablement ce qui se fait de plus grand actuellement. Son rendement de conversion atteint 64 %, grâce à une température de fonctionnement très élevée, mais à une pression d’un seul bar, ce qui élimine tout risque d’explosion.
Il dispose de deux générateurs de vapeur, d’un RRA et d’un RIS. »

« En matière de sûreté, il répond au code nucléaire du Drovolski, mais aussi aux exigences de sûreté syvoises pour faciliter l’exportation dans le monde entier — notamment en Eurysie occidentale, où le LHV exporte déjà ses réacteurs Mesol-1900 sans incident.
Le LHV en a déjà installé dans des pays proches du vôtre, sans problème et sous supervision rigoureuse. Avec l’appui syvois, la sûreté est désormais parfaitement maîtrisée :

- Pompes redondées
- Refroidissement passif
- Récupérateur de corium
- Fonctionnement à pression ambiante
- Protection contre les PTAE

Etc.

Sachez que certains pays ont fait le choix d’intégrer dans leur droit national les lois sur la sûreté du Drovolski, ce qui témoigne de la confiance qu’ils nous accordent. J’espère que cela saura vous rassurer.

»


« Avez-vous d’autres questions ? »

Le Dauphin restait presque absent, toujours en retrait, observant la scène comme garant de l’ordre mais sans interférer. On comprenait alors que le véritable pouvoir, au Drovolski, ne résidait pas dans les apparences de l’empire, mais dans l’organisation collectiviste de ses méga-entreprises.

Document mis sur la table à la vus de tous :
Brochure sur le SAGE-1900
Démarche de sûreté
Lois sur la sûreté nucléaire

Sage
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La gueule des Estaliens devant la brochure.Bruh, c'est quoi ce truc ?


Après avoir écouté religieusement le représentant de LHV, Wolina put ensuite lire la brochure qu'on lui avait confié sur le dit réacteur, espérant que la brochure complète les informations déjà données par Edvard Mirski. Elle lut quelques minutes et il ne fallut pas très longtemps pour la jeune femme pour tirer une grimace, visiblement très surprise des mots qu'elle avait sous les yeux. Le représentant de la Commission aux Services Publics, Peev, se pencha vers elle, visiblement consterné par la réaction de sa collègue, lui parlant en moyen-estalien pour éviter que les remarques entre eux ne soient comprises par leurs homologues mesolvardiens :

"Il y a un problème, Jelena ?
- Regarde par toi-même...
- Tu veux que je lise quoi ?
- Regarde ces chiffres...
- Ah oui, effectivement, c'est un beau bébé.
- Je parle pas de ça, idiot.
"

Après s'être raclé la gorge quelques instants, le regard de la demoiselle se porta envers la délégation mesolvardienne, son expression était indéchiffrable, il était difficile de dire si elle était curieuse, déçue ou agacée.

"Excellences, si je peux me permettre, les données techniques que vous m'avez donné sont quelque peu...surprenantes. Je peux lire notamment que le rendement est à 64%. Vous l'aviez dit vous-même tout à l'heure, monsieur Mirski, j'avais pas tilté sur le moment mais c'est énorme, non ? Il me semble que les meilleurs réacteurs à eau pressurisée que nous avons en Estalie plafonnent davantage autour des 33-37% et même les cycles au sodium ou au gaz n'arriverait à peine à dépasser 45-50% de rendement. Vous êtes sûr que c'est du nucléaire car là, sur le moment, la seule chose que m'évoque ce rendement, c'est le gaz. Le volume du circui primaire me semble aussi étrange ; 1200 m3, je crois bien que même les EPR actuels n'égalent pas un tel volume. Ensuite, la durée de construction en moins d'un an me semble tout aussi étrange : même avec de la préfabrication à l'extrême, construire de tels réacteurs en moins d'un an est un objectif irréaliste. On parle ici de génie civil complexe, de contrôle qualité intenses, de tests, de certifications...moins d'un an, c'est pas sérieux. Le coût de production me semble aussi très sous-évalué, même les centrales à charbon ou au gaz dépassent ce chiffre et en général, de mes souvenirs, le coût de production d'une centrale nucléaire se trouve davantage autour des 100-150 unitas au MWh, pas 23. Enfin, et là, je crois que c'est ce qui me choque le plus, c'est les températures : 950 degrés celsius à l'entrée et 1000 à la sortie. Un réacteur à sodium comme celui-là devrait tourner vers les 550-600 degrés à l'entrée, au-delà la corrosion et le fluage prennent le dessus et 1000 degrés à la sortie ? Là, c'est de la science-fiction, surtout avec du sodium.

Je ne remets pas en question votre expertise, Excellences, mais en l'état, je dois émettre mon véto à l'installation de ces réacteurs pour des raisons de sécurité. Ces températures de fonctionnement sont extrêmes, les matériaux structurels comme la tuyauterie, la cuve ou les échangeurs ne tiendront jamais à long terme de telles températures. A ces niveaux, je crois même qu'on n'a plus besoin de souligner l'état du fluage, de la corrosion ou de la fatigue thermique et surtout au sodium, avec une telle température, il suffirait d'un léger contact avec l'eau pour provoquer une apocalypse nucléaire. Le rendement est trop optimiste à mon sens également, il y a un réel risque de fusion partielle ou totale avec une telle instabilité thermique. Le volume du circuit primaire rend quasi-impossible la réactivité des systèmes de sécurité en cas d'accident et comme je l'ai dit, un accident dans une de ces centrales serait un drame total. Donc pour le moment, au vu des spécificités techniques, à moins que vous ne me donniez des explications, je suis navré d'opposer mon refus à l'installation de ces engins sur le sol estalien.
"

La réaction de Wolina avait surpris la délégation estalienne elle-même : Wolina était sûrement la seule à savoir de quoi elle parlait dans toute la délégation. Le représentant de la Commission aux Services Publics scruta la brochure et fit une grimace presque identique à sa collègue, bien qu'il fallut les explications de la vice-présidente de la SEP pour comprendre en quoi la brochure posait problème. Quant à Senko, il s'attendait bien à ce que ça arrive mais pas sur le plan technique : il avait aveuglément confiance en l'expertise du Drovolski dans le domaine nucléaire et s'attendait davantage à ce que la vice-présidente s'oppose sur des questions de législation que sur des raisons techniques mais visiblement, le projet que Senko avait prévu tombait à l'eau. Il sentait la douce voix du président de la SCP au téléphone lorsqu'il apprendra qu'il n'a pas réussi à choper le contrat qu'il voulait au Drovolski.
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Mirski prit un instant, puis afficha un sourire.

Pas d’inquiétude, nous répondrons à tous. Le LHV est spécialisé dans les réacteurs à gaz depuis ses débuts, en particulier dans les HTR et VHTR, à l’image des Mesol. Vous avez raison de soulever cette question. Les THTR avaient un rendement dans les années 70 proche de 41 % (THTR-300) : une technologie ancienne, peu évoluée, sans même un système de recyclage de vapeur… c’est dire !

Le passage au spectre rapide nous a permis de conserver ce rendement, mais avec des températures plus basses (comme Superphénix 41 %) — sur des projets expérimentaux, toujours sans recycleur de vapeur, sans surchauffeur, et sans le couple habituel "turbine haute pression + trois basses pression". Autant dire, il y avait une sacrée marge de progression.


Oui 41% sur de l'expérimentale en 1984 sans surchauffeur de vapeur ni une bonne détente

L’un des objectifs de SAGE a été de bénéficier des rendements proches de 55 % des VHTR, comme les Mesol-1900, fonctionnant à très haute température, tout en les rendant compatibles avec le cycle des RNR. Ce qui a rendu cela possible, c’est qu’en RNR sodium, le combustible peut — et doit — entrer en fusion. Cela peut sembler bizarre, voire dangereux, mais c’est en fait un point clé : cela empêche la corrosion du cœur. Celui-ci est en fusion interne ; c’est ce que montre cette image, c’est le point central.

Fusion
Point de fusion dans un RNR (ici phénix, et oui c'est fait exprès)

Encore une fois, pas d’inquiétude : c’est contrôlé, et c’est sûr. Donc, reprenons. Le combustible est en fusion en son centre. Cela signifie une température de fonctionnement autour de 800 °C dans les anciens réacteurs (Superphénix : 758 °C). Chez SAGE, nous atteignons 1000 °C — c’est le minimum pour préserver les avancées des Mesol-1900. C’est déjà très limite, et vous vous demandez sans doute pourquoi cela ne corrode pas toute la tuyauterie. Déjà, à 750 °C, il n’y a pas vraiment de problème : c’est une plage où le sodium est très peu corrosif. Passer à 1000 °C serait problématique si toute la structure atteignait cette température. Mais ce n’est pas le cas. Le sodium entre à 900 °C, très proche de sa température d’ébullition. Je pense que vous commencez à voir où je veux en venir. Sachant que, dans le pire des cas, aucun souci : nous utilisons un acier austénitique avec un revêtement en pyrite, stable jusqu’à 1400 °C.

Le sodium, à l’entrée du cœur en fusion, devient vapeur, formant un flux de bulles. Ce fluide inhomogène n’a qu’un désir : remonter à la surface sans toucher les parois de l’aiguille. Sinon… patatras. Pendant toute la montée, c’est Apex qui refroidit la bulle, de sorte qu’à l’extrémité supérieure de l’aiguille de relargage, la bulle a disparu, redevenue liquide. En périphérie — c’est-à-dire hors de l’aiguille (en gros le combustible dans un RNR) — la température reste autour de 600 °C. À cette température, l’inox se comporte comme dans l’air : aucun problème de structure. Même à 800 °C, on n’aurait pas de problème majeur, mais ce ne serait pas intéressant pour notre rendement.


Inox
À 600°C, l'ioxe se comporte comme dans de l'air, même pas comme dans de l'eau. Le risque est assez faible.

Grâce à la haute température, nous atteignons les 50 % des cœurs VHTR. À cela, on ajoute 14 % liés à l’usage d’un surchauffeur (enfin ajouté !) et à une détente adiabatique dans quatre turbines : une de haute pression, trois de basse pression, merci Apex.

En résumé sur la corrosion et le rendement :
- Le cœur n’est pas entièrement à 900 °C, encore moins à 1000 °C.
- La majorité du cœur est proche de 600 °C, donc pas de souci.
- À l’intérieur de chaque aiguille, un flux arrive à 900 °C. À cette température, le fluage pourrait corroder n’importe quel métal, mais ici, le métal est en fusion.
- L’interface fluide-fluide (métal liquide + gaz) réduit à presque zéro la capacité corrosive du sodium.
- Le sodium devient gaz et monte dans une colonne, refroidi à travers une interface gaz-gaz. Le contact direct avec les parois est évité.


Séparateur
Séparateur pour les bulles et le liquide

Sur le volume du cœur : Ce n’est pas vraiment un problème, même si la question est légitime. Pourquoi aussi gros ? Parce que le sodium, une fois gazeux, occupe un volume bien plus important. Il faut de très longues aiguilles pour le guider sans que les bulles ne touchent les parois.

De plus, vous comparez des réacteurs pressurisés avec des réacteurs à pression ambiante. Nous n’avons pas le bénéfice du fonctionnement à 155 bars : nous sommes à 1 bar. Il faut donc trouver de la place pour notre caloporteur. Petit rappel : les réacteurs Transvlave — des RBMK revisités — ont un volume de cœur proche de 150 m³, soit près de la moitié du volume total du primaire d’un réacteur pressurisé. La comparaison n’a donc pas beaucoup de sens. Notre objectif principal est de maintenir les 900 °C à l’entrée des aiguilles, sans contact avec les parois. Il faut donc un épais manteau de sodium. À titre d'information : un RBMK est 20 fois plus volumineux qu’un réacteur pressurisé. Donc, pour un 900 MW de 270 m³, on atteint... tenez-vous bien : 5400 m³. Autant dire qu’avec nos 1200 m³, nous restons dans la norme régionale.


Oui 20x

Il ponctue avec un petit rire, moquant les Translaves et leurs RBMK monstrueux.

Enfin, sur le risque de fusion : Là, j’avoue ne pas vous suivre. Dans un RNR, le combustible est en fusion : c’est la base. Ça m’étonne que vous posiez cette question.

Et pour le temps de construction : Oui, c’est beaucoup trop optimiste. Ce serait le temps nécessaire si l'Estalie disposait de notre configuration industrielle, avec une dévotion totale au nucléaire. Mais vu la rapidité de construction des porte-avions dans les pays du Nazum du Sud-Est, nous estimons qu’un tel cœur peut être construit chez vous en moins de 4 ans. Avec une marge de sécurité, disons 6 ans. C’est une remarque très pertinente : nous corrigerons ce point dans notre brochure. La publicité, c’est pour l’extérieur, pas pour Mesolvarde elle-même.

Concernant les remarques sur le coût : en réalité, les réacteurs pressurisés occidentaux — avec un coût du travail élevé — fonctionnent à un tarif d’environ 42 $/MWh (tarif Arenh), et sont financés par des prêts à des taux de 3 %, voire 5 %. De notre côté, nous proposons un prêt à 0 %, et avec le coût du travail de nos unités de production, selon nos calculs, nous sommes autour de 20 $/MWh. Nous estimons en effet que le capital n’est pas une manière légitime de générer du profit.


Prix
6370
Lorsque qu'Edvard Mirski débuta ses explications, la vice-président de la SEP, au lieu de s'opposer brutalement au représentant du LHV, eut le réflexe de saisir presque automatiquement son stylo et de commencer à noter progressivement chaque point important que Mirski tentait d'expliquer du mieux qu'il pouvait auprès de son homologue estalienne. Le regard toujours indéchiffrable de la vice-présidente s'atténua quelque peu, un mélange de soulagement à certains moments (preuve que certains points avaient effectivement étés convaincants) et de regards très sceptiques sur d'autres, là aussi pour montrer sa désapprobation. Elle attendit soigneusement la fin de l'exposé de Mirski avant de rétorquer sur les points qui l'a gênait particulièrement :

"Merci pour vos explications, Monsieur Mirski. Elles m'ont permises de mieux comprendre comment fonctionne la technologie du Sarge-1900. Néanmoins, je pense qu'il y a encore des zones grises sur le plan technique qui me semblent scientifiquement inexactes. Je vais essayer d'être synthétique, l'aspect technique est éminemment important mais je doute que mes collègues souhaitent passer plusieurs heures sur ce seul aspect alors que nous avons beaucoup de pain sur la planche aujourd'hui.

J'aimerais d'abord qu'on se concentre sur la fusion en tant que telle. Bien que je crois bien que ce soit théoriquement possible de fusionner partiellement le combustible, il me semble aussi que cette méthode comporte de très gros risques de corrosion et des difficultés quant au contrôlé du flux neutronique, surtout avec les températures que vous avez mentionné. Peut-être que vous parlez de fusion partielle très localisée et contenue, au centre des pastilles de combustible, là je vous rejoindrais dans ce cas, bien que ce concept me semble expérimental au possible et nécessiterait des essais en Estalie avant tout déploiement effectif dans le réseau, surtout quand on sait que par simulation, ce type de méthode amplifie aussi les risques de perte de géométrie, de pic de puissance localisé et d'accident de criticité. J'espère honnêtement que c'est ce que vous sous-entendez car un RNR ne doit pas "entrer en fusion' dans le sens physique complet du terme, c'est-à-dire fondre, je crois que vous savez comme moi que ce genre d'incidents sont considérés comme des accidents nucléaires de niveau 4 ou plus et le sodium ne fait pas exception à la règle, au même titre que l'uranium, le plutonium métallique ou le MOX.

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(HRP : inscrit dans le document que tu m'as fourni sur Discord, p.80 du document).

Ensuite, je crois bien que vous minimisez pas mal les risques du sodium dans votre brochure, le sodium à 900 degrés Celsius, c'est au contraire un très large souci : à 750-800 degrés Celsius, le sodium est très réactif à l'oxygène et à l'eau, même en présence de quelques ppm de vapeur d'eau. Vous avez parlé d'acier inox austénitique et de pyrite pour contrer ce problème mais à de telles températures, ce revêtement s'use vite et demande un entretien constant et coûteux, cela me semble une solution très incertaine et beaucoup trop coûteuse, sans oublier que des bulles de sodium vapeur dans un flux inhomogène peut provoquer des instabilités, des vibrations thermiques et provoquer des cas de corrosion localisés. De même, vous aviez dit que cela était aussi compensé par la pression qu'un n'est que d'un bar mais ça n'élimine en aucun cas les risques d'explosion à de telles températures, le sodium ne tient pas compte de la pression, il est dangereux par nature : il s'enflamme spontanément à l'air dès les 125 degrés Celsius, il réagit à l'eau violemment par explosion chimique, projection de vapeur ou par rejection d'hydrogène inflammable...pas de besoin de surpression pour qu'il soit ultra-réactif. A 1000 degrés Celsius de sortie, l'énergie thermique suffit pour allumer un incendie à température extrême ou endommager des structures. Puis de manière générale, l'explosion peut venir d'ailleurs que de la pression comme d'une surpression locale dans un échangeur, d'un choc thermique dans un métal fragilisé ou un accumulation de gaz hydrogène (HRP : Fukushima en est un bon exemple, bien que ce soit un REB et pas un RNR). Je note aussi que même en imaginant un bon alliage pouvant résister à ces températures, les mesures de maintenance imposeraient à de telles températures des arrêts fréquents pour inspections ; j'aimerais savoir si LVH a prévu un protocole clair à ce sujet. Enfin, 1 bar, autant dire que vous n'avez aucune marge de sécurité avec une telle pression, ça signifie tout de même qu'il n'existe aucune capacité dans la centrale pour évacuer rapidement une pression montante et absolument aucune place pour un choc thermique, une dilatation imprévue ou une montée en température rapide.

Je passerais sur la question du rendement : votre raisonnement me semble effectivement crédible si on considère que les cycles thermodynamiques sont parfaitement optimisés. Je vais donc admettre que c'est plausible, bien que l'instabilité sur les autres éléments du réacteur semblent aller à l'encontre de ce rendement assez optimiste. Quant au volume par rapport aux RBMK, en l'occurrence les conceptions semi-militaires translaves, je ne pense pas que le volume justifie tout, un coeur énorme comme celui-ci augmente les inerties thermiques et rend le contrôle plus lent et difficile ; d'accord si cela évite que les bulles touchent les parois, admettons, mais ça ne règle pas les problèmes de stabilité hydrodynamique. Je ne vais pas non plus me prononce pour le coût de l'électricité, je vois bien que le prix fixé sur la brochure reste adapté aux conditions du marché mesolvardien...
"

Elle ne poursuivit pas sur cette voie mais tout le monde dans la délégation estalienne, qui avait effectué le trajet jusqu'à la capitale, savaient de quoi la jeune femme parlait : il était évident qu'en considérant les employés comme des unités de production humaine qui réduisait drastiquement le coût du travail et avec une absence complète de rémunération du capital dans une forme de logique anti-marché plutôt bien ficelé, les Mesolvardiens devaient certainement réussir à atteindre de tels coûts sans problèmes. Or, il était évident que le coût de l'électricité en cas de déploiement en Estalie serait bien plus élevé que ce qui est inscrit sur la brochure et pour cause, le prix spot moyen de l'électricité varie plus vite qu'une brochure n'est écrite et publiée. Elle n'en tient donc pas rigueur aux Mesolvardiens sur ce point.


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Comme on le voit dans les quatre étapes de dégradation progressive de la corrosion par sodium liquide sur l'acier austénitique, on constate que la corrosion s'appuie sur les températures très élevées, la concentration en oxygène et la vitesse du flux ; en somme, cela renforce les risques de contamination du circuit.

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La fusion partielle du combustible est associée à une déformation géométrique, une montée de température et une dégradation accélérée par les produits de fission comme le tellure ou l'iode. De ce que j'ai compris, toute la page 84 et 85 traitent des phénomènes RIFF et ROG.

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Le graphique que tu as pris démontre qu'à 600 degrés, le sodium accélère le vieillissement mécanique des aciers ; vu que tu utilises de l'acier austénitique, un acier inoxydable, à 900-1000 degrés, le fluage ne serait-il pas encore plus rapide ? Peut-être que le revêtement en pyrite contre cet effet, j'ai pas trouvé de sources de mon côté pour l'appuyer ou le contester.
5511
Phénix
La fusion du cœur, c'est vraiment fait exprès, c'est pas si localisé que ça, c'est 16% en fonctionnement normale, et on peut aller jusqu'à 40% même si c'est pas une bonne idée pour ce qui du traitement du combustible usé (ça coût alors beaucoup trop cher)


Henrietta Ange Jeanne Slitheen
Henrietta Ange Jeanne Slitheen

Une des secrétaires de Monsieur Mirski commençait à s’impatienter. C’était une grosse dame, vraiment pas élégante, avec les poches bien pleines ; on pouvait apercevoir sur elle une broche à l’emblème de l’Estalie et des chocolats dans son manteau. Avec une voix rauque et très peu féminine, elle prit la parole.

« Salutations, amis d’Estalie. Je vais reprendre cette conversation, car Monsieur Mirski, aussi croquignolet soit-il, ne sait manifestement pas parler avec des Estaliens, et encore moins avec des politiques. Je suis Henrietta Ange Jeanne Slitheen, nommée par le LHV pour conduire les futurs travaux en Estalie, s’il y a lieu de les mener. »

Elle fit un petit rire absolument pas esthétique.

« La fusion partielle du combustible, de laquelle découle la restructuration microscopique et la formation de la cavité centrale, est quelque chose de parfaitement maîtrisé et pas du tout une théorie ou une expérimentation hasardeuse. C’est le travail du LHV depuis longtemps, et je peux vous assurer que c’est un comportement normal. La fusion d’un cœur RNR est volontaire, oui, elle est partielle, au centre de chaque aiguille, et représente tout de même 16 % de chaque élément combustible. Aucun accident lié à cette fusion n’est possible car la restructuration microscopique produit une couverture qu’on appelle un ROG. C’est une zone périphérique du combustible transformée en poison neutronique. Ce sont des éléments qui empêchent la réaction de se poursuivre. Donc, dans le cas très improbable d’une fusion supérieure à 40 %, le ROG étouffera la réaction et ramènera tout à une situation stable. La fusion partielle du cœur ne conduit donc pas à une fusion totale, et elle est au contraire un comportement voulu, pas expérimental. »

combustible
La partie corrodée est minuscule alors qu'on parle du combustible (1000-2000°C)

Elle renifla bruyamment et engloutit un chocolat, pas franchement de façon élégante. Les ministres, dégoûtés, ne parvenaient même plus à le cacher.

« La perte de géométrie n’est pas un problème en soi. Comme nous l’avons expliqué, elle est volontaire : on veut perforer l’aiguille pour faire circuler le sodium. Quant à la formation du ROG, c’est un argument de sûreté. Comme les produits de fission, comme les tellures, migrent vers l’extérieur, et que le centre s’enrichit en plutonium, on a une meilleure combustion, ainsi qu'une garantie que la périphérie n’entrera pas en fusion (grâce au ROG). Pour la corrosion de la périphérie, c’est un faux problème. On parle de corroder un élément qu’on change à chaque rechargement du cœur. Donc, vraiment pas un souci, si vous suivez le plan de charge. »

Elle ricana comme une truie en tapotant son ventre.

« Pour les points de sûreté, je ne vous suis pas du tout. »

Regard très intrigué autour d’elle.

« L’acier austénitique est l’acier le plus utilisé dans l’industrie, et il n’est pas particulièrement cher. Nous demander si la maintenance est prévue ?? C’est un élément du combustible, on le remplace, on ne s’amuse pas à le réparer s’il est usé. On change le combustible selon son plan de rechargement, ce qui comprend tous les éléments du combustible, la gaine, les aiguilles etc. Très surprenant comme question pour nous… »

Elle fit une grimace peu ragoûtante.

« Risque hydrogène ? Sachez que les réacteurs à sodium ne peuvent pas radiolyser de l’eau… vu qu’il n’y en a pas ! Donc le risque de formation d’hydrogène est tout simplement nul. »

Elle engloutit un autre chocolat, sous les regards de plus en plus désespérés des ministres.

« La basse pression, une contrainte ? Encore moins ! La basse pression est justement un argument de sécurité. En cas d’accident, dans un REP ou un REB, la première chose à faire est de baisser la pression. Nous, on est déjà à basse pression ! Je ne comprends donc pas non plus votre inquiétude concernant la capacité de détente atmosphérique. Et puis, nous sommes avec du sodium, un métal qui se dilate très, très, très peu par rapport à l’eau. Cette question me laisse perplexe. »

Elle renifla bruyamment.

« Le risque de pression sur un échangeur est un risque conventionnel, pas nucléaire. Je comprends que ça puisse inquiéter des gens… mais nous utilisons les meilleurs équipements Apex. Impossible de faire plus solide que du germain. »

Elle fit un large sourire, pas du tout rassurant.

Sodium et eau

« Le risque sodium, ça, c’est un vrai sujet.
Tout d’abord, le sodium est maintenu dans le circuit primaire, hors de la cuve, à moins de 600°C. Pas de corrosion, donc. Ensuite, il passe à travers deux échangeurs :

...

Le premier, pour éviter de contaminer le second avec des isotopes toxiques ;

...

Le second, pour chauffer un gaz fourni par un Apex, qui, à son tour, va chauffer de l’eau. Comme vous le voyez, sur un SAGE, il y a un circuit à gaz qui sépare le sodium et l’eau, rendant ce risque nul. »


« Pour ce qui est du contact du sodium avec l’air au niveau du cœur, c’est une mission de tous les jours, comparable à celle des réacteurs conventionnels, où le cœur est à 155 bars de pression. Dans les deux cas, une fuite pourrait conduire à un accident grave, certes, mais c’est connu et contrôlé. C’est l’affaire des Syvois, qui fournissent l’ensemble des circuits de commande et de contrôle. C’est une mission prise très au sérieux, avec beaucoup de routine et une forte automatisation. »

Elle toussa comme une vieille locomotive.

« L’inertie est notre amie, pas notre ennemie, Madame.
Si la réaction s’emballe, nous avons du temps pour réagir. De même en cas de perte totale d’alimentation.
Et comme le sodium se dilate très peu, nous ne risquons pas de perdre le confinement. »


Elle sembla gonfler de fierté avant de conclure :

« Enfin, pas de problème de criticité : nous sommes en spectre rapide. Autant dire qu’on ne modère pas les neutrons : la commande, c’est directement le combustible. Ce risque est bien mineur comparé à celui des RBMK, qui ont été mentionné précédemment. »

Henrietta se montrait toute heureuse d’avoir fait son intéressante, tandis que l’ensemble des Mesolvardiens autour de la table étaient visiblement écœurés par cette personne aussi pittoresque qu’immonde.

Explications
8309
Le dégoût de la délégation mesolvardienne pour Henriette semblait partagé chez les Estaliens, du moins pour Senko et ses compères masculins, visiblement choqués par l'idée qu'en cas d'accord entre les deux nations, ce soit cette femme et pas une autre qui pose le pied en Estalie pour superviser un quelconque projet d'installation de centrales nucléaires. Etaient-ils sûrs qu'elle était là pour les réacteurs au moins ? Cette femme aurait du mal à s'adapter au climat social estalien, ça, c'est une certitude et les courbettes à répétition de la femme mesolvardienne, qu'elles soient sincères ou remplies d'hypocrisie, ne firent guère impression sur les Estaliens. Ils avaient certes l'habitude de sentir moralement supérieurs aux étrangers, c'était une réaction normale pour un peuple qui avait passé le plus clair de son existence philosophique à mépriser l'étranger ; mais voir un étranger effectuer des courbettes, surtout dans un milieu aussi nobiliaire, à répétition, c'était peu commun. Oh et forcément, le caractère peu féminin de cette femme avait de quoi faire tourner la tête au plus fervent des adhérents à la Société de Défense Familiale. Pourtant, si dans la délégation estalienne, on détourna le regard, Wolina resta parfaitement stoïque envers la secrétaire de LVH, ne se laissant pas intimider ni par son approche, ni par ses mots.

"Bon, il y a quelques points dans ce que vous avez donné qui me rassurent davantage. Cependant, je dois fixer certaines limites, notamment en raison des règles de sécurité de la SEP en Estalie en ce qui concerne le secteur nucléaire, règles de sécurité issues de la loi de Juillet 2009 sur la sûreté nucléaire ainsi que sur la loi de renforcement d'Avril 2015...Elle se tourne vers ses collègues qui, au-delà de ne pas être des experts dans le domaine nucléaire, en connaissent au moins les lois qui régissent le secteur...Je ne pense pas que l'ASN l'autorisera en service actif.

Je vais vous dire les raisons exactes, et c'est en lien direct avec ce que vous avez dit précédemment. Tout d'abord, oui effectivement, les aiguilles de combustible sont remplacées régulièrement et on remplace une gaine oxydée mais vous conviendrez qu'à de telles températures, le taux de corrosion sera élevé dans tous les cas et bien que cela ne porte pas une atteinte directe à la sécurité, la durée de vie du combustible en sera forcément très amoindrie. De ce fait, cela pose le problème de la gestion des déchets nucléaires rejetés, du rechargement et du coût. C'est à mon sens un indicateur de l'instabilité thermique du réacteur qui, bien qu'en théorie géré comme vous l'avez expliqué, a un impact direct sur le coût de production et de maintenance et en cela, il me semble que c'est relativement compatible avec l'idée d'une logique de réacteur à haute disponibilité. J'ajouterais à cela votre configuration triple-barrière avec le double circuit et l'échangeur de gaz, bien que ce soit une configuration intéressante, elle introduit aussi des complexités supplémentaires (inerties, déperdition de rendement, points de défaillances) qui peuvent induire sur nos règles de sécurité et sur le coût de maintenance et étant donné que je n'ai jamais croisé à ce jour ce type de configuration à l'échelle industrielle jusqu'à présent, il me semble important que des essais soient effectués avant toute installation dans le réseau. Ensuite, vous avez noté qu'il n'y avait pas d'eau dans le réacteur et donc une absence totale de H2 et une absence de risque d'explosion. Oui, le sodium ne radiolyse pas comme l'eau dans les REP/REB et le risque d'hydrogène par radiolyse est absent du circuit primaire mais vous oubliez que le sodium réagit violemment à l'humidité et à l'air, ce qui produit de l'hydrogène par réaction chimique, pas nécessairement par radiolyse. En cas de fuite, basse pression ou pas, le risque d'explosion chimique est donc réel.

Ensuite, je conçois votre argument sur l'inertie thermique, une masse thermique plus importante signifie une plus grande inertie et donc un plus large temps de réponse mais vous oubliez que cela ralentit aussi les manœuvres, les arrêts ou les ajustements de puissance. Enfin, en ce qui concerne le spectre rapide, les RNR sont peut-être moins sensibles aux variations modératrices vu qu'il n'y a ni eau, ni graphite à l'intérieur mais les réactions de criticité locale sont toujours possibles du fait de l'accumulation de plutonium dans certaines zones ou de changements de géométrie et la restructuration du coeur à cause de la fusion peut d'ailleurs aggraver ces risques donc de fait, votre spectre rapuide accroît en vérité les risques liés à la densité fissile et à l'hétérogénéité, ce serait d'ailleurs pas le premier RNR-Na à avoir ce type de défaut (HRP : on peut prendre notamment les cas de l'EBR-II ou du Superphénix).

Je vais être honnête, même dans la documentation fournie, il me semble que là aussi, il existe des éléments qui me semblent plutôt suspects et qui nous pousseraient à la prudence pour des raisons de sécurité. La fusion même partielle du coeur du réacteur n'est pas une pratique "normale" dans les RNR civils, en tout cas à ma connaissance, il n'existe aucun RNR qui sache exploiter volontairement un coeur fondu. Qu ce soit la température du sodium, le fluage à 600 degrés, le multicaloporteur sodium-gaz qui reste à mon sens une technologie exploratoire, l'inertie thermique qui ne répond pas aux principes de défense en profondeur des normes de sûreté nucléaire...si vous voulez mon avis, si l'ASN accepte (et je doute qu'elle le fasse), ce sera purement avec un réacteur test sous sa surveillance pour s'assurer du bon fonctionnement et de la sécurité employée pour son exploitation.
"

Alors que Wolina semble avoir terminé ses propres remarques et qu'elle s'apprête à conclure sur sa décision, Senko intervient, surprenant quelque peu sa collègue :

"Si je peux me permettre, chers homologues, je dois aussi vous avouer que je suis légèrement sceptique quant à ce réacteur. Non pas pour des raisons techniques, je laisse ça à ma collègue mais sur des raisons purement légales. En effet, en regardant votre brochure, je n'ai pu m'empêcher de remarquer que le SAGE, en cas de déploiement, serait ni plus ni moins sous verrouillage industriel et contractuel de SAGE State Venture. Je m'explique. Dans la brochure, la façon de procéder de SAGE State Venture implique tout de même une absence de modification libre de l'architecture du réacteur sans autorisation du concepteur. De plus, le SAGE étant considéré comme un produit fini, je crois aussi comprendre selon la brochure que l'on ne peut pas construire de versions dérivées ou hybrides. A vrai dire, je crois même qu'avec une telle procédure légale, il ne serait pas non plus possible pour la SEP de maîtriser le cycle du combustible, ni les pièces critiques. Sans oublier que l'on ne pourrait pas non plus exporter ou même réparer certains éléments critiques sans passer par eux. Parce que de ce que je lis sur la brochure, on a, si je résume, une coentreprise tripartite, SAGE State Venture, qui détient tous les brevets, qui a des règles d'exportation exclusives, je cite : "Aucune compagnie ne peut exporter les technologies SAGE sans vendre directement un réacteur SAGE" ; qui a une règle de non-opposition entre les membres : "Chaque pays peut vendre un réacteur SAGE à un pays de son choix sans opposition des partenaires" ; une obligation d'utiliser le schéma officiel du réacteur pour toute vente et des revenus partagés selon un schéma préétabli, même quand l'un des partenaires n'est pas directement impliqué dans la vente.

Vous conviendrez que pour un pays comme le nôtre qui a besoin de garanties quant à sa souveraineté énergétique, ce sont des accords risqués. Tous les brevets sont détenus par SAGE State Venture, donc même si vous construisez un réacteur chez nous, on ne pourra pas modifier les plans, on ne pourra pas adapter ou hybrider le design et on devra nécessairement acheter certaines pièces ou services à LHV, Apex ou à Sylva donc de facto, cela limite la souveraineté technologique de l'Estalie et bien que je ne suis pas un grand fan de géopolitique, vu la situation politique de notre pays, c'est bien la dernière chose dont notre pays a besoin. Pareil pour la maintenance, l'exploitation ou même le combustible, cela signifie que tout ça est sous-traité par défaut donc à moins que vous consentiez à ce que nous faisons un contrat séparé, cela signifie que l'exploitation sera sous-traitée et que nous ne pourrons pas contrôler ni l'amont ni l'aval du processus de maintenance et d'exploitation. C'est un contrat...comment vous dire...vertical...et qui implique une dépendance implicite pour les clients que nous sommes. Contrairement à ma collègue, je ne vous tiens pas rigueur des détails techniques, je pense qu'une solution aux différends sur le plan technique serait simplement d'organiser la construction d'un réacteur test, en dehors du réseau national, pour s'assurer que le réacteur réponde dans un premier temps aux conditions de sécurité de l'Estalie. Mais sur le plan légal, c'est une autre affaire...
"

Wolina elle-même avait été surprise par l'intervention de son collègue, il est vrai que la vice-présidente de la SEP bataillait beaucoup sur le plan technique, bien qu'elle était sur le plan de concéder à un réacteur test, au moins pour s'assurer que la véracité des propos mesolvardiens, la technologie en elle-même lui semblait purement expérimentale et la prudence de l'ASN quant à la sécurité des sites nucléaires, surtout avec l'incident de Sauvadok en 2009, avait forcé Wolina à forcer le trait avec ses homologues mesolvardiens, quitte à être un peu désagréable. Mais la question légale lui avait échappé, c'est sûr.
11842
Henrietta

Henrietta n'était vraiment pas très heureuse de la continuation de la situation. Elle trouvait les arguments avancés très peu conformes à la doctrine nucléaire et à la façon dont les éléments techniques et afférents à la sûreté étaient amenés, ainsi que certains points autrement importants. Mais elle reprit la discussion avec un ton plus posé :

Madame, il semble que vous confondiez plusieurs choses à propos de la fusion dans un combustible RNR. Nous allons donc expliquer le phénomène de réorganisation microscopique :

Le combustible nucléaire est constitué d’un métal, souvent de l’uranium enrichi, dans une gaine souvent en zirconium. Sous l’effet du flux de neutrons, certains noyaux atomiques dits fissiles se brisent en deux noyaux plus petits. Il s’agit de la fission nucléaire. Cette réaction produit deux noyaux légers avec une très grande vélocité. Dans des conditions normales de fonctionnement, ce sont des gaz. En ralentissant, ces noyaux cèdent leur énergie cinétique au combustible, qui chauffe. Des gaz dans un combustible qui chauffe, qu’est-ce que cela donne ? Cela conduit à l’éclatement de la pastille de combustible en petits fragments et au gonflement du combustible. Dans un REP, c’est la fin du processus de fission. Mais dans un RNR, du fait de la bien moindre conductivité thermique de l’oxyde de combustible, la température au centre de l’aiguille de combustible atteint près de 2000 °C. À cette température, un phénomène se produit : tous les fragments de la pastille fusionnent, une porosité se forme au centre, très ductile, et s'enrichie en plutonium. Pour qualifier cette fusion, on parle de « guérison », car les fissures formées par les fissions se résorbent, et de « réorganisation microscopique », car la ductilité et la porosité centrale permettent la migration des poisons vers la périphérie, pour former une couche que l’on appelle un ROG, et la concentration du plutonium au centre de l’aiguille.

Fusion
Pastille fusionnée

Cette fusion fait partie intégrante du fonctionnement normal d’un RNR. Ce phénomène est d’ailleurs ce qui permet à ces réacteurs d’atteindre un taux de combustion bien plus important, et de maintenir des températures très élevées sans accident. Il ne faut toutefois pas confondre ce phénomène de fusion à 2000 °C avec la fusion incontrôlée caractérisée par le dépassement des limites de stabilité des métaux, soit dans le cas des RNR, 2700 °C.

Cette fusion permet de maintenir une forte hétérogénéité dans l’aiguille de combustible. Le centre se charge en plutonium, et la périphérie en poisons neutroniques. De ce fait, en cas d’emballement de la réaction, la criticité est limitée par l’absorption des neutrons aux interfaces des ROG, ce qui maximise l’utilisation du combustible. Cette inhomogénéité du flux dans l’aiguille ne doit pas être confondue avec une inhomogénéité au niveau du cœur lui-même ou sur la hauteur de l’aiguille. En effet, contrairement à ce que vous avancez, une inhomogénéité symétrique centrale, comme ici, n’induit pas de variation de criticité à l’image des REP. Ce qui peut conduire à un saut de criticité, comme sur un RBMK ou un REP, c’est la formation d’une différence de réactivité entre les assemblages. Mais nous rappelons que la formation de xénon-135, principale responsable de ces variations sur les REP, est très faible sur les RNR du fait du spectre rapide des neutrons.

Corrosion
Corrosion dans le réacteur Phénix à 586°C

Les phénomènes de corrosion sont très faibles dans les RNR du fait de l’usage du sodium. L’oxyde porté à 2000 °C ne peut être corrodé car, sous forme d’oxyde et en fusion, il empêche sa propre corrosion. La gaine en zirconium, dans un assemblage en acier maintenu à environ 600 °C, ne subit pas davantage de contrainte que dans l’air. Comme vous le voyez sur cette image, la corrosion due au sodium « corrosion Na » est très faible à la fin du séjour en cœur. Qui plus est, la zone d’interface n’a pas à contenir le gonflement du combustible, car la fusion de ce dernier modifie la géométrie.

En ce qui concerne les barrières de confinement, nous allons aborder l’approche en expliquant d’abord le REP, puis la différence avec Sage. Dans un REP, les barrières de confinement sont : la gaine, le circuit primaire, puis l’enceinte de confinement. Comme nous vous l’avons expliqué précédemment, dans Sage, le sodium circule dans la gaine pour capter les 2000 °C de la porosité centrale du combustible. De ce fait, nous ne pouvons pas la compter comme une barrière de confinement. Nous avons donc pour Sage : circuit primaire, circuit intermédiaire, enceinte de confinement — soit trois barrières successives, conformément aux exigences sylvoises de sûreté.

Concernant la complexité apportée, ce n’est pas un vrai problème. L’ajout d’un circuit intermédiaire ne conduit pas à de nouveaux risques, ni à un manque de flexibilité. C’est même bien le contraire. Puisque vous posez la question, je vais vous expliquer comment :

Si nous avons besoin de faire baisser la puissance sur un court moment, ou inversement de monter en puissance sur le réseau électrique, nous pouvons utiliser le circuit intermédiaire comme réservoir d’énergie. Si nous avons besoin de plus d’électricité momentanément, nous augmentons la réactivité du cœur, et en attendant que le circuit primaire se réchauffe, nous pouvons puiser dans le circuit intermédiaire de la chaleur pour répondre à la demande. À l’inverse, en cas de baisse de demande ou d’arrêt momentané, nous pouvons déverser l’énergie thermique du primaire dans l’intermédiaire jusqu’à sa capacité maximale, puis dissiper le reste de manière passive.

Pour garantir cette remarquable flexibilité d’exploitation, il faut toujours maintenir le réseau intermédiaire proche de la moitié de sa capacité thermique maximale. Et étant donné son très gros volume — ce qui vous a surpris au début —, c’est un grand réservoir.

Étant donné que ce dernier est en série avec le circuit primaire, il peut constituer un point de défaillance. Mais comme dit précédemment, contrairement à un REP où le refroidissement passif n’est pas possible, nous, du fait du fonctionnement à basse pression, n’avons pas le risque de fusion. Et grâce aux ROG présentés, nous avons une sécurité passive contre les sauts de réactivité.

APRP
APRP

Concernant les brèches au niveau de la cuve, c’est un vrai risque, mais un risque conventionnel : le risque incendie. En effet, comme nous sommes sur un réacteur à pression ambiante, une fuite ne conduit pas à un échauffement du combustible et à la fusion comme dans un REP. Lorsqu’une brèche se produit sur un REP, la capacité de dissipation du générateur de vapeur s’effondre, ce qui peut mener à un accident nucléaire grave. Dans notre cas, la brèche ne provoque pas de variation de pression (nous sommes déjà à pression ambiante), et la capacité de dissipation est maintenue. Le seul risque est donc un incendie, auquel répondent les dispositifs de sûreté sylvois concernant le contrôle parfait des incendies. Un risque nucléaire étant plus grave qu’un incendie industriel, les RNR sont plus sûrs que les REP sur la question des brèches dites APRP.

Sur les questions de rechargement, sachez qu’à l’instar de beaucoup de RNR, Sage est rechargeable en fonctionnement. Et que l’utilisation du combustible est cent fois plus efficace que dans un REP, avec un temps de séjour très proche : soit un rechargement par tranche de 1/3 tous les ans, du centre vers l’extérieur.

Sur le plan des déchets, je vais peut-être vous faire plaisir, mais les surgénérateurs ont un bilan négatif sur le plan des déchets nucléaires. Ils consomment plus de déchets nucléaires qu’ils n’en produisent — en particulier, ils consomment l’américium et le plutonium, les deux isotopes les plus problématiques du cycle, constituant la majorité des déchets de haute activité à vie longue. Et sachez que le retraitement des déchets fait partie de la fourniture de service liée aux réacteurs, avec les pièces de rechange, etc.

Joints
Joints He et Na

Encore une fois, le fluage sur l’assemblage de combustible à 600 °C est minime, similaire à celui dans l’air, et bien moins important que pour le même acier dans un REP à 350 °C dans l’eau. Avoir un caloporteur intermédiaire hélium-sodium est une avancée de Sage, mais sachez que plusieurs réacteurs utilisent des couples plus complexes encore, comme le couple CO₂ supercritique / eau lourde (EL4 en France par exemple). Deux caloporteurs eau lourde (les CANDU au Canada), par exemple. Votre pays est peut-être à la traîne sur le plan nucléaire, mais de là à qualifier nos travaux d’expérimentaux… Un Sage a déjà été construit en tête de série à Mesolvarde. Donc non, le taux de corrosion n’est pas « élevé », et la vie du combustible est même plus longue que dans un REP (l’AFR100 peut fonctionner avec son combustible pendant 30 ans sans rechargement, à 516 °C).

L’inertie thermique participe à la sûreté et ne limite en rien les opérations, et encore moins les arrêts. Contrairement à un REP où le cœur doit atteindre 20 °C pour être à l’arrêt, un RNR doit rester chaud — sinon le sodium se solidifie, et l’installation est détruite. De ce fait, l’installation est prévue pour fonctionner à l’arrêt à environ 300 °C, voire 400 °C en arrêt d’urgence par dissipation passive.

Concernant la défense en profondeur, soit, nous le rappelons, la mise en place de barrières matérielles, organisationnelles et humaines, nous prenons les mêmes standards que pour les REP. Rien de plus, rien de moins. L’inertie thermique y est étrangère ; je ne vois pas bien le rapprochement que vous faites, à vrai dire.

Concernant le rendement, les échangeurs entre les deux circuits au sodium ont un très bon rendement, grâce à la prodigieuse capacité calorifique du sodium, à la bien plus haute température d’un RNR, et à notre technologie de circulation dans la gaine, qui permet d’atteindre une température proche de 1000 °C dans le circuit au gaz — soit un rendement de Carnot de 77 %. Donc oui, nous perdons environ 12 % de l’énergie par rapport à la machine thermique idéale. Dans un REP, la perte est de 18 %, donc nous nous situons en dessous. J’en conviens, nous pourrions mieux optimiser l’installation, mais cela entraînerait sûrement des coûts trop importants pour conserver la rentabilité économique.

Si vous n’avez pas confiance dans ce que j’avance, nous pouvons visiter le SAGE tête de série de Mesolvarde. Nous n’en sommes pas si loin.


HRP : Le réacteur Phénix fonctionnait à 600 °C sans problèmes de corrosion. L'AFR100 est un concept proche de SAGE. La fusion des fragments des pastilles est maîtrisée et fait partie du fonctionnement normal de tous les RNR. Le circuit thermodynamique de SAGE est un mélange entre Astrid (deux étages de sodium) et l'AFR100 (deux caloporteurs). Les réacteurs CANDU peuvent être rechargés en marche et possèdent deux caloporteurs. L'inertie est un véritable avantage par rapport à l'APRP, ce qui réduit le risque et Phénix, Superphénix, Rhapsody on été accepter sur le plan de sûreté . Tout cela pour dire que SAGE, ce n'est pas de la science-fiction.


AFR100
AFR100

Le Dauphin reprit la discussion, car l’on arrivait sur des sujets légaux. Les sujets qui intéressent la noblesse du Drovolski.

SAGE est un partenariat entre des entités du monde nucléaire et des travaux pour le rendre possible. Les technologies sont en effet la propriété de SAGE State Venture. Je n’ai pas bien compris votre opposition : souhaitez-vous un transfert de technologie ? Si c’est ce que vous souhaitez, je suis désolé, les technologies de SAGE sont verrouillées légalement et nous ne pouvons engager notre responsabilité dans leur diffusion. Toutefois, nous disposons de moyens légaux qui pourraient vous convenir. Le LHV ici présent détient de façon individuelle les technologies liées au combustible, à la cuve et aux éléments primaires. Nous pourrions ouvrir une usine en partenariat avec SEP pour produire ces éléments sur votre sol. En revanche, pour ce qui concerne les éléments de sûreté, il faudra compter sur Sylva, et pour les turbines sur Apex. Mais sachez que les obligations légales entretenues empêchent tout effet de coercition de la part de ces derniers.

En ce qui concerne le recyclage du combustible usé, nous serons catégoriques : cette activité doit être réalisée à Mésolvarde. Les brevets associés sont trop importants pour être partagés aussi simplement. Enfin, je ne comprends pas très bien : souhaitez-vous acheter un réacteur étranger ou bien les technologies étrangères ? Car oui, acheter un réacteur étranger implique une maîtrise étrangère, c’est implicite. Si c’est finalement la technologie que vous souhaitez, sachez que SAGE ne vend pas sa propriété intellectuelle. Toutefois, nous pouvons signer avec vous un engagement d’installation en Estalie avec redevances. Concernant les accords de maintenance, nous pouvons nous engager à embaucher à 50 % des Estaliens, comme cela a été fait pour la CEK. Pour l’exploitation, c’est au choix du pays de destination : si vous souhaitez en avoir la pleine maîtrise, c’est tout à fait possible après les six mois de rodage du réacteur, réalisés par Apex.

Quant à la fabrication du combustible, là, je suis au regret de vous annoncer qu’en vertu du statut du LHV à ce sujet, nous ne pensons pas pouvoir agir en votre faveur. C’est la valeur ajoutée du laboratoire, et céder ce segment du marché reviendrait à ruiner notre rentabilité. Le LHV reçoit 5 % des bénéfices liés au réacteur, mais se rattrape sur la vente de combustible. Bon, après ces tergiversations, ma question est la suivante : souhaitez-vous un transfert de technologies ? Je vous comprends mal.


Les ministres mésolvardiens posèrent alors un regard très intéressé sur les Estaliens.
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Wolina fut stupéfaite par l'attitude relativement insolente de la femme qui lui faisait face. C'était non seulement peu diplomatique d'abuser des pirouettes et des plaisanteries pour répondre à des objections de sûreté mais de surcroît, le simple fait que cette femme ose purement et simplement caricaturer les inquiétudes de ses compères aurait été un outrage diplomatique dans certains pays. Heureusement que les Mesolvardiens n'avaient pas face à eux le SRR, l'Armée Rouge ou un fanatique husakiste quelconque de la Commission aux Relations Extérieures, la rencontre aurait tourné court. Heureusement, Wolina n'était que vice-présidente d'une entreprise publique, elle n'était pas diplomate, elle était présente pour représenter les intérêts de la SEP et de l'ASN en priorité, c'est bien pour cela qu'elle s'entêtait largement sur les questions techniques là où son collègue se chargeait de la question purement légale. Wolina soupira avant de reprendre de plus belle :

"Je vais reprendre chacun de vos points madame, parce que visiblement, nous ne nous comprenons pas vraiment donc soyons brefs. Vous dites que vous appliquez une fusion partielle maîtrisée voulue afin de former une zone ROG qui protègerait supposément de tout risque d'emballement. Je suis bien consciente que des restructurations internes ont lieu dans les RNR à haute température mais vous présentez une fusion centrale à 2000 degrés Celsius comme une opération tout à fait normale et cela est très discutable car si ce phénomène peut être toléré dans une certaine mesure, il n'est jamais recherché volontairement dans un réacteur civil, vous comprenez bien que cela engendre tout un tas d'effets secondaires, notamment la migration des produits de fission, des pertes de géométrie ou une hétérogénéité fissile qui rendent le fonctionnement du réacteur hautement instable sans un contrôle d'une extrême précision. Une fois de plus, tout cela nécessiterait une analyse en main propre de l'ASN pour s'assurer qu'une telle instabilité puisse être contrôlé par les instruments de contrôle du réacteur. Vous parlez de ROG comme si c'était une barrière passive infaillible par ailleurs, ce qui est quand même curieux : les poisons neutroniques migrent aussi, et à haute température, vous devrez peut-être savoir que leur comportement est non-linéaire, on se retrouve avec un risque de pic local de criticité donc ma question quant à la criticité reste entière de ce fait.

Vous m'avez fait part également du remplacement du cœur à chaque cycle, ce qui enlève le risque de corrosion. Vous oubliez que ce n'est pas parce qu'une pièce est remplaçable que l'on peut en ignorer l'usure. A 900-1000 degrés Celsius, même avec un revêtement en pyrite, le cœur entre dans un régime de fluage accéléré et plus encore : le sodium est en phase de vapeur à haute température et cela crée de ce fait des gradients thermiques et des vibrations hydrodynamiques qui favorisent les points chauds et donc la corrosion localisée ! Je présume qu'avec un tel phénomène, vous devrez tout remplacer à chaque cycle sauf qu'en faisant cela, vous augmentez mécanique le volume de déchets activés et donc le coût et le risque à long terme. Une fois de plus, ça ne répond pas à ma question initiale sur le coût de la maintenance. Puis si je peux admettre que les phénomènes de corrosion dans les RNR sont faibles du fait de l'usage du sodium comme vous l'avez souligné, vous oubliez que le sodium liquide pur reste peu corrosif sur certains aciers austénitiques (comme le 316L) seulement vers des températures modérées à 400-550 degrés Celsius, comme dans la plupart des RNR au final. Mais dès que vous dépassez les 600-650 degrés, la décarburation, la nitruration et les interactions avec les produits de fission font leur apparition, ajoutez à cela que le sodium peut transporter de l'oxygène et donc favoriser la formation de dépôts oxydants en cas de contamination. Je suis davantage étonnée de vous entendre également dire que l'oxyde à 2000 degrés ne peut être corrodé car elle empêcherait soi-disant sa propre corrosion. Soyons francs : à une telle température, on ne parle déjà plus de corrosion au sens classique (d'une surface à un fluide), on est davantage sur une interaction physico-chimique violente en fusion, notamment avec les gaines. Un oxyde fondu peut attaquer les matériaux de structure par diffusion chimique, surtout s'il continent des produits de fission volatils, des métaux lourds ou des alkalis. Le simple fait de nous affirmer qu'un matériau ne peut être corrodé parce qu'il est déjà fondu, c'est déjà un non-sens complet sur le plan sécuritaire et physiquement douteux.

Je dois dire que ça me surprend encore davantage d'entendre que vous utilisez des gaines en zirconium : le zirconium est connu pour réagir avec le sodium à haute température, et surtout avec les impuretés qui y sont présentes comme l'oxygène dissous. A 600 degrés, concrètement, même sans attaque chimique directe, les contraintes de fluage et de fatigue thermique sont bien supérieures à celles de l'air libre comme vous le prétendez. Et puis...je trouve ça étrange d'utiliser le zirconium pour un RNR, c'est bien connu que c'est un matériau qui a une mauvaise tenue en environnement sodium et qui a une certaine propension à interagir avec les produits de fission. De même, vous affirmez que la zone d'interface n'a pas à contenir le gonflement du combustible car la fusion de celui-ci modifie sa géométrie. Je sais pas si vous vous rendez vous-même compte de ce que vous dites : vous comptez ni plus ni moins sur une perte de géométrie pour éviter un effet mécanique, c'est extrêmement dangereux de faire ça ! La fusion locale entraîne une pression interne accrue qui fissure les gaines, accélère l'IMCG et peut provoquer des fuites. L'idée que la fusion règle le problème de gonflement ne repose sur rien, c'est même contraire aux principes de conception de base du secteur !


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Le tableau révèle qu'avec un joint sodium, on a une nitruration sévère de la gaine, ce qui va à l'encontre de ton propos sur l'absence de corrosion problématique. Donc même en omettant le fait qu'il n'y a pas d'IMC, les risques chimiques du sodium (donc carburation/nitruration) restent structurels ; même en imaginant un joint hélium, on assiste à un retour des problèmes d'IMCG, aucune solution ici ne garantir l'absence de dégradation à long terme.

Vous avez aussi précisé que l'inertie thermique nous donne du temps en cas d'emballement. C'est une demi-vérité que vous nous donnez là. L'inertie donne du temps, certes, mais elle retarde aussi les réponses correctives. Or, dans un système avec fusion partielle et avec une si forte hétérogénéité thermique, chaque seconde compte dans ce cas de figure. Le système que vous m'avez décrit souffre d'un temps de réponse trop lent pour être compatible avec les principes de défense en profondeur, qui est tout de même la base même des protocoles de sécurité en Estalie. Une fois de plus, aucune chance que l'ASN ne vous laisse faire avec un tel talon d'Achille. Vous avez également cité que l'absence d'eau signifie l'absence d'H2 mais là encore, le risque n'est pas nul et vous faites un faux syllogisme : vous ne prenez pas en compte les fuites possibles. Le sodium n'a pas besoin d'eau sous pression pour générer de l'hydrogène car il suffot d'une fuite à l'air libre ou de l'humidité résiduelle pour provoquer une explosion chimique violente, surtout avec 900 degrés Celsius où le sodium ne peut que s'enflammer spontanément. Dire que le risque est nul revient purement et simplement à nier les scénarios d'accident possible.

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Une fois de plus, avec un temps de réponse trop lent, le risque d'erreurs cognitives du personnel est plus élevé. C'est un des passages du premier lien du paragraphe.

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Le cycle de l'AFR-100 indique que même avec une configuration sodium/CO2 poussée, les températures de fonctionnement réelles tournent autour de 370 degrés Celsius pour un rendement de 42% alors que le SAGE affiche le double de température et 20 points de rendement en plus.

"Vous dites également que la fusion permet de maintenir une forte hétérogénétité dans l'aiguille de combustible mais vous devez aussi être au courant que la formation d'une hétérogénéité aussi marquée, avec une accumulation centrale de plutonium comme vous l'avez souligné, peut entraîner des zones de surcriticité locales et si je peux me permettre, l'accumulation de poisons neutroniques en périphérie peut ne pas suffire ç compenser l'augmentation de la réactivité au centre, surtout en cas de perturbations thermiques ou mécaniques. Et à partir de là, vous nous dites que la criticité sera limitée par l'absorption des neutrons aux interfaces des ROG, autant dire que c'est une méthode risquée, vous vous appuyez sur des mécanismes de contrôle passifs qui me semblent insuffisants en cas d'emballement mais passons, ce n'est à vrai dire pas le point le plus essentiel. Vous avez aussi dit que l'inhomogénéité du flux dans l'aiguille n'est pas la même que celle au niveau du coeur lui-même ou sur la hauteur de l'aiguille mais vous savez bien que même si l'inhomogénéité est localisée dans l'aiguille directement, elle peut affecter la distribution du flux neutronique dans le cœur, surtout si plusieurs assemblages présentent des comportements similaires, il suffirait de simples variations locales pour entraîner des déséquilibres globaux, affectant encore davantage l'instabilité du réacteur. Je vous prie au passage, tant que nous parlons encore de l'inhomogénéité, de ne pas faire de comparaisons avec les REP : oui, les REP ont un comportement différent de celui des RNR mais ça signifie en aucun cas que les RNR sont exempts de variations de criticité dues à des inhomogénéités. J'ai l'impression que votre hypothèse quant à la sécurité de votre réacteur, c'est l'idée que des variations internes à un assemblage ne puissent pas provoquer des instabilités au simple prétexte que pour les RBMK et les REP, les sauts de criticités sont associés aux différences entre les assemblages alors que c'est loin d'être la seule faille de sécurité possible. Enfin, oui, j'admets que le spectre rapide des RNR réduit la formation de xénon-135, ça élimine ce risque qui est présent sur les REP mais d'autres poisons et effets transitoires peuvent affecter la réactivité des RNR néanmoins donc ce n'est pas à exclure non plus."
A son tour, Senko enchaîna auprès du Dauphin afin de répondre sur la question juridique. Contrairement à Wolina, calme mais stricte, on sentait bien que la réponse du Dauphin l'avait contrarié.

"Excellence, ce que nous demandons ici n'est pas un traitement de faveur ou un transfert gracieux de technologies comme vous semblez l'entendre. Nous réclamons ni plus ni moins que des conditions minimales pour qu'un Etat souverain tel que le nôtre puisse exploiter une infrastructure stratégique comme un réacteur nucléaire selon ses propres normes. En l'occurrence, si la maintenance, la reproduction, la modification ou même l'audit des éléments critiques sont contractuellement interdits, alors vous ne vendez pas un réacteur mais une dépendance. Ce que je vous demande, ce n'est pas un transfert intégral de technologie mais un droit de regard et d'adaptation technique car c'est bien les deux droits auquel l'ASN vous demandera forcément pour donner l'autorisation sécuritaire sur le territoire estalien. Un audit approfondi, un accès au code source des automatismes de sécurité et une documentation complète sont des prérequis essentiels. Vous m'avez proposé tout à l'heure une production locale encadrée par des brevets étrangers, dans une usine pilotée conjointement avec LVH. Cela reviendrait à implanter une enclave juridique sous contrôle externe, soumise à des clauses d'usage restrictives. En aucun cas cela ne correspond à un transfert industriel souverain car une coopération sans droit de modification, sans maîtrise des schémas et sans indépendance d'entretien n'est pas une coopération mais une délégation de souveraineté. Je peix accepter une production locale, évidemment, mais elle doit être encadrée : la formation, la certification et l'accès à l'ingénierie de maintenance doivent être garantis à la SEP et non conditionnés à l'approbation continue de LVH. Nous ne voulons pas héberger un simple atelier sous contrôle étranger mais construite une base industrielle durable. Un accord de production sous licence extensible me semble être un terrain d'entente acceptable, je vous en laisse juger par vous-même.

De plus, vous reconnaissez vous-même que le coeur, les systèmes de sûreté et les turbines dépendent de trois entités différentes. Cela rend toute stratégie de sécurisation ou d'autonomisation impossible. En cas de crise, qu'elle soit commerciale ou diplomatique, le simple refus de coopération de l'un des trois suffirait à paralyser l'ensemble et cela contrevient une fois de plus aux principes de base de résilience stratégique de notre secteur énergétique. Il faut noter de surcroît que dans le lot, on retrouve le Duché de Sylva, pays membre de l'OND et qui n'hésiterait pas une seule seconde à nous mettre des bâtons dans les roues ; les Raskenois, par leur anti-communisme virulent, n'auraient aucun remord à nous gêner également. A mon sens, l'interdépendance des partenaires de SAGE State Venture rend votre modèle fragile à mes yeux. Néanmoins, si vous pouvez nous garantir une interopérabilité totale, c'est-à-dire que chaque composant soit normalisé, substituable et documenté au point de pouvoir être entretenu ou remplacé indépendamment, alors cela pourrait ouvrir là aussi une piste de travail intéressante.

Ensuite, je trouve ça étrange que le recyclage du combustible doit se faire chez vous, vous nous interdisez ni plus ni moins que l'accès à l'aval du cycle nucléaire et vous centralisez le traitement de notre combustible irradié à l'étranger. Cela signifie que les déchets hautement stratégiques produits sur notre territoire seront conditionnés, traités et stockés selon des normes que nous ne maîtrisons pas et là encore,, c'est une dépossession grave de notre autonomie nationale sur le traitement des déchets nucléaires. Externaliser le traitement du combustible ne serait envisageable que dans une phase transitoire, si vous voulez mon avis, et sous réserve d'un droit de vérification, d'un plan de formation estalien et d'un engagement écrit de non-rétention de matières, au moins pour permettre que le traitement se fasse au moins partiellement en Estalie, même si la technologie reste partiellement protégée. Je suis davantage formellement contre votre affirmation que l'achat d'un réacteur étranger implique une maîtrise étrangère, ce n'est pas l'origine du réacteur qui pose problème mais la nature même du contrat que la brochure implique. Il existe des dizaines d'accords industriels, y compris dans le nucléaire, qui respectent l'indépendance technique du pays client. Vous proposez ici un contrat qui nie cette possibilité en verrouillant le contrôle technique à tous les étages. Ce n'est pas le produit que je remets en cause ici, Excellence, c'est l'architecture juridique de vos conditions légales. Tout dépend en somme de la nature du contrat : or ici, la technologie est verrouillée, l'exploitation sous surveillance, la maintenance dépendante et le combustible sous monopole. Si ces éléments sont assouplis ou répartis dans un accord bilatéral parallèle, alors je peux envisager effectivement une collaboration technique mais pas sous les conditions présentes. De même, un réacteur civil ne se gère pas comme une licence de logiciel, vous me proposez une redevance mais en payer une sur une centrale nucléaire que nous ne pouvons ni adapter ni auditer ne correspond à aucun standard dans le secteur et encore moins aux critères minimaux de l'ASN dans notre cas. Vous commercialisez une infrastructure sensée être vitale sur un modèle de rente, sans aucune responsabilité transférée. Dans notre cas, un contrat à redevances ne peut être acceptable dans une logique de co-développement uniquement, à condition que le contrat s'accompagne d'un contrôle estalien renforcé, d'un droit de retrait et d'une clause de transfert de responsabilité à échéance définie, auquel cas ce que vous proposerez ne peut être une redevance à mes yeux mais une location masquée. De plus, en nous refusant de céder la fabrication du combustible, vous admettez ici que le cœur du modèle économique de LVH repose sur la captation d'un monopole technique alors que le combustible est pour nous un enjeu de sécurité nationale, pas un simple segment de marché et là, je suis désolé de vous le dire, Excellence, ce n'est pas négociable. Quant bien même vous nous confiez l'exploitation après six mois, six mois d'exploitation accompagnée sur une machine que nous n'avons ni conçue, ni maîtrisée, ni testée selon nos propres référentiels : c'est une transition factice. L'exploitation d'un réacteur nécessite un corps d'ingénierie propre, indépendant, capable de réagir à l'imprévu. Ce que vous proposez, c'est de piloter un réacteur dont la logique interne nous échappera toujours.

Vous m'avez précisé que vous pouviez embaucher la moitié du personnel en Estalie, c'est une chose mais former en est une autre. Vous pouvez intégrer des opérateurs locaux mais si ni la documentation, ni les instruments, ni les cycles de formation ne sont librement accessibles, ces embauches relèveront du cosmétique. Vous parlez d'intégration mais vous imposez une gestion en boîte noire dans les faits et je doute que la législation estalienne n'approuve une telle opacité. La formation doit être dispensée, l'outillage transmis et les cycles de maintenance doivent pouvoir être conduits intégralement par des équipes de la SEP à travers un protocole de transfert de compétences à terme.
"
18106
Henrietta était de plus en plus mécontente. La grosse dame faisait des grimaces sous les yeux désemparés des Mesolvardiens. Que la grâce du ciel la fasse comprendre à qui elle parle, pensaient les ministres.

Je vais commencer par les points simples, qui viennent soit d’un manque de compréhension, soit d’un manque de clarté. Une gaine se situe à l’extérieur du combustible. Suivant le schéma fourni, c’est la zone en contact avec l’hélium, et non avec le sodium. L’interaction sodium-zirconium est nulle, à moins d’une dislocation, synonyme de destruction du combustible.

Le combustible multioxyde est stable du point de vue de sa structure jusqu’à 2700 °C. Atteindre 2000 °C n’est pas un problème pour lui, et comme dit, corroder un oxyde n’a pas beaucoup de sens, surtout quand celui-ci se "guérit", au sens présenté précédemment. L’érosion est un souci plus préoccupant.

Quand on change le combustible, que ce soit d’un REP ou d’un RNR, on change le tout : gaine et assemblage compris. Ils font tous partie des déchets nucléaires de haute activité à vie longue. Un cœur de REP étant plus compact, oui, le volume de déchets est plus important, mais comme déjà dit, les RNR consomment les déchets les plus problématiques du cycle, à savoir le plutonium et l’américium. Nous rappelons que l’acier, comme le combustible nucléaire, des REP comme des RNR, est recyclé de manière efficace, et que le volume de matière issu des réacteurs est réemployé pour fabriquer le combustible suivant. Et que ce soit dans un REP ou dans un RNR, "on remplace tout à chaque fois".

Je ne sais pas comment être plus clair : j’ai donné des schémas et des données, explicitement les températures. Le cœur est maintenu à 658 °C, la gaine à 700 °C, le combustible à 900 °C, et son centre autour de 2000 °C. Le cœur est stable et sans corrosion à ces températures, la gaine supporte très bien les 700 °C, d’autant qu’elle est en contact avec de l’hélium, un gaz inerte. Enfin, le combustible est stable jusqu’à 2700 °C et supporte très bien le sodium, comme présenté précédemment.

Une hétérogénéité du flux symétrique n’induit pas d’instabilité. Et la concentration en plutonium est essentielle pour le bon fonctionnement de la surgénération. Ce n’est pas un parasite. Concernant les instabilités dues à d’autres poisons que le xénon, comme le samarium, nous disposons de systèmes de contrôle-commande tout aussi robustes que dans les REP. Rappelons que la section efficace du samarium est de 41 000 barnes, face à 10⁶ pour le xénon 135, ce qui vous rassurera sur le fait que les poisons d’un RNR sont quantitativement bien moins problématiques que ceux des REP. Le risque est plus faible.

Pour ce qui est des ROG, avoir une sécurité passive contre l’emballement vous dérange ? Heu, Madame… c’est la base de la défense en profondeur. Dans un REP, quand la criticité augmente de manière incontrôlable, l’eau se dilate et modère moins la réaction, ce qui étouffe la réaction. De manière tout à fait analogue, dans un RNR, si la criticité augmente de manière incontrôlable, les poisons de la périphérie jouent leur rôle d’interface et étouffent la réaction. C’est un avantage très intéressant par rapport à des dispositifs actifs.

Pour la pression due aux déformations : comme vous le savez, sur SAGE, contrairement à d’autres RNR, la porosité centrale est ouverte pour faire circuler du sodium. Dans un REP et dans beaucoup de RNR, le dégazage se fait à partir des bouchons en haut de l’aiguille, ce qui peut faire travailler le métal. Chez nous, le centre de l’aiguille est à une pression plus faible que le reste du cœur, car aspiré par la GMPP.

Concernant la nitruration et la carburation, nous en avons déjà discuté et présenté notre système de séparation des ions. Le passage en sodium vapeur permet de séparer le sodium des autres métaux, car ces derniers ont des températures de sublimation bien plus élevées. Cela permet de limiter la pollution du primaire. Nous vous joignons notre filtre.

Filtre
Filtre SAGE (AFR100)

Nous n’avons jamais dit que le risque de fuite n’existait pas, mais qu’il s’agissait d’un risque conventionnel, un risque d’incendie, et non un risque nucléaire, contrairement aux REP. Ce qui fait du RNR une solution plus sûre que les REP sur la question de l’APRP.

La défense en profondeur, c’est la mise en place de barrières successives. L’inertie me semble étrangère ici. En effet, la commande sur la réactivité du cœur ne dépend pas de la température dans un RNR. Dans un REP, les effets de vide peuvent justifier vos inquiétudes, même s’ils sont largement compensés par l’effet Doppler thermique et la dilatation de l’eau, mais ils présentent tout de même un risque de surmodération. Dans notre cas, nous n’avons pas d’effet de vide, car le sodium, contrairement à l’eau, n’a pas cette propriété. Nous ne sommes confrontés qu’au Doppler thermique, qui conduit, dans le pire des cas, à un étouffement de la réaction. Cela n’affecte pas le temps de réponse dans la commande : nous agissons sur les barres de contrôle. Néanmoins, le cœur, qu’il soit dans un REP ou un RNR, doit rester à une température stable durant des plages de six mois. Il n’y a pas vraiment de raison de vouloir refroidir brutalement le cœur, sachant que, comme dit, nous pouvons le refroidir avec le réseau secondaire, lui aussi au sodium, si une urgence se présente. Et ce, relativement rapidement, car les deux réseaux sont au sodium. D’après nos exercices, le refroidissement rapide en cas de fuite est réalisé dans le même temps que le déclenchement du RIS et du RRA.

Pour ce qui est de l’hydrogène : en dehors des dispositifs de gestion des incendies industriels sur site, nous sommes équipés, depuis les incidents nucléaires, de recombineurs d’hydrogène actifs et passifs. En cas de formation de dihydrogène, les groupes sont capables de le capter et d’empêcher les risques d’explosion et d'oxydation.

Le fluage, au niveau de la partie supérieure de l’assemblage, au niveau du joint, est soumis à des contraintes assez nombreuses. C’est un point intéressant du point de vue de la sûreté. En effet, une fuite impliquerait un coût de maintenance relativement élevé. C’est pourquoi, pour le préserver, nous avons développé un filtre qui permet de préserver en grande partie son intégrité pendant toute la durée de séjour de l’assemblage de combustible. Sachez qu’il y a un joint pour le réseau He et un pour le réseau Na. En cas de rupture de l’un des deux, le second prend le relais pour assurer qu’à tout moment, le cœur est toujours refroidi. Nos exercices de mise en contrainte nous permettent de garder une bonne marge.

Nous avons écarté la corrosion externe de la gaine par la température de 600 °C et l’échangeur hélium au niveau du segment en zirconium. Nous avons aussi exclu la corrosion du combustible en son centre par la guérison et sa fusion. Il reste la corrosion interne et l’interaction entre gaine et combustible. Là, c’est un vrai point, et nous comprenons les remarques que vous avez soulevées. La corrosion interne due au combustible sur la gaine, et non au sodium, est très importante. Là où le sodium n’attaque que 2 % de la gaine, le combustible a attaqué jusqu’à 40 % durant nos exercices. Mais nous avons trouvé un palliatif. L’une des causes de cette corrosion interne est la surpression du combustible dans la gaine. Le fait de réduire cette pression interne en ouvrant cette dernière a permis de réduire cette interaction. Ensuite, le revêtement en pyrite et en chrome, selon les zones, a permis de réduire un peu l’interaction. Reste que cette corrosion interne demeure importante, mais maîtrisée. Sur le SAGE tête de série, la corrosion en fin de séjour atteint 31 %, sachant que la gaine reste stable jusqu’à 56 % de corrosion interne et 8 % de corrosion externe. J’espère vous avoir rassurée. En somme, nous n’avons pas de pression interne, car le centre de l’aiguille fait partie du circuit sodium et est à plus basse pression que le cœur, du fait de l’aspiration de la motopompe primaire.

Métaux
Circuit SAGE (Astrid)

J’aimerais clarifier un point : le centre de l’aiguille est à 2000 °C car la conductivité thermique de l’oxyde est faible. En périphérie, la gaine n’est qu’à 700 °C. Pour être encore plus clair, l’étage TH d’un RNR fonctionne entre 400 et 550 °C, et jusqu’à 600 °C, voire 700 °C par points chauds, dans notre cas l’étage de préchauffage. Pour cela, comme vous le soulignez, les aciers doivent résister à des contraintes thermiques importantes : fluage et corrosion. Comme dit, la cuve est en acier austénitique recouvert d’une couche de pyrite et de chrome, plus précisément du type 316LN, avec une très bonne tenue à la corrosion à 600 °C, et non soumis à un fluage. Les éléments les plus soumis à cela sont internes au combustible, notamment ceux de la structure des aiguilles. Ces derniers sont en EM10, dont la résistance au fluage est garantie jusqu’à 650 °C. Étant à 658 °C, nous n’avons pas vraiment de problème de résistance. La gaine est en zirconium sur le segment en contact avec l’hélium, et en AIM1 pour le segment en contact avec le sodium, de sorte à limiter la fragilité. Par ce choix de métaux, le fluage est aussi bien maîtrisé que dans un REP. Toutefois, vous avez raison : pour éviter toute rupture, l’exploitant d’un SAGE doit retirer l’assemblage avant que tout le combustible ne soit brûlé, afin de remplacer les éléments haute température. C’est un coût important de maintenance, j’y reviendrai dans votre question suivante. J’espère vous avoir convaincue que nous mettons tout en œuvre pour contenir cette problématique. Enfin, les tuyaux soumis à environ 1000 °C sont en contact avec de l’hélium, un gaz inerte, ce qui réduit à presque zéro le fluage et la corrosion. Les contraintes mécaniques sont réduites par la basse pression intra-aiguille, ce qui en fait une solution satisfaisante pour la circulation à haute température. Sur le circuit au sodium, en plus des rondes liées aux fuites, doivent être effectuées celles portant sur la corrosion sous contrainte et la perte de matière. Cela fait partie de l'exploitation normale de remplacer les pièces usées ou défaillantes et de garantir la sûreté de l'installation selon les mêmes normes qu'appliquées aux REP : prévenir tout risque de contamination de l’homme et de son environnement, ainsi que toute dégradation irréversible de l’installation.

comparaison
Comparaison du REP type N4' et de Phénix

Concernant la maintenance d’un SAGE, sachez que toutes les pièces sont fournies au prix du moment de la signature : c’est une garantie. En dehors de cela, le taux de combustion d’un RNR est plus important que celui d’un REP, ce qui conduit dans les faits à un nombre de rechargements et de déchargements des assemblages à peu près similaire en termes de fréquence annuelle et de coût de main-d’œuvre. Il est cependant vrai que le l’assemblage d’un RNR sont plus chers du point de vue structurel que ceux d’un REP. Mais son combustible, lui, est moins cher, car là où le REP demande de l’enrichissement, le RNR fonctionne avec des déchets. Pour être clair, un REP a un combustible cher mais un assemblage abordable, et un RNR un combustible très abordable et un assemblage cher. L’un dans l’autre, les prix sont proches si vous vous fournissez à Mesolvarde, et la maintenance a des coûts très similaires.

La mise en place des barrières est suffisante et comparable à celle des REP du point de vue humain. L’inertie du cœur n’est pas tellement un argument sur la responsabilité des erreurs commises par les personnels d’exploitation. Qui plus est, avec nos démarches de formation et l’automatisation des installations.


HRP : SAGE utilise l’innovation de l’AFR100 sur l’usage de deux caloporteurs, mais contrairement à l’AFR100, qui a pour objectif un rechargement tous les 30 ans — ce qui est monstrueux —, SAGE fonctionne comme ASTRID sur le plan thermodynamique. SAGE est un mélange entre l’AFR100 et ASTRID, pas juste l’AFR100.

Astrid
ASTRID

SAGE
SAGE

Votre Excellence, que diable, du calme. Vous vous adressez à l’héritier du Drovolski, pas à cette grosse dame proche de l’insolence. Et je vous prie de bien vouloir accorder au Drovolski la bonne volonté qu’il manifeste. Les insinuations portées ne me font pas plaisir.

Je souhaiterais répondre à certains points qui me semblent naturels pour commencer. À l’image du CEK dont nous avons parlé, le personnel kartvélien a été formé à l’usage de la centrale pendant toute sa construction, et a suivi les mêmes exercices et formations que ceux dispensés au personnel du LHV. C’était une condition de la Kartvélie, et nous sommes prêts à vous fournir le même service.

En ce qui concerne les exigences de l’ASN sur la transparence, cela va de soi. Il est évident que nous fournirons à l’ASN, avec toute la transparence requise, les examens de sûreté qu’elle exigera, avec le niveau de détail approprié.

Concernant la maintenance, c’est une activité que nous pouvons tout à fait déléguer. Mais, par souci de simplicité, il serait structurellement nécessaire d’inclure une coentreprise pour héberger une licence et les intérêts communs comme la fourniture de pièces.

En ce qui concerne le traitement des déchets nucléaires et la fourniture de combustible : les brevets de fabrication sont des éléments de sécurité nationale, constituant une part significative de la valeur ajoutée générée par les industriels du pays. Vous délivrer cette technologie sans aucun moyen de contrôle sur l’usage qui en serait fait — par exemple, son exportation éventuelle — pourrait conduire à une perte économique majeure pour le Drovolski. Et, en tant qu’héritier au trône, je ne peux l’admettre.

Toutefois, à l’image de la Westalia, qui a obtenu le droit de fabriquer du combustible selon les brevets du LHV, nous pouvons trouver une entente. Nous pouvons vous proposer l’ouverture d’une coentreprise pour la fabrication de combustible avec une liberté importante sur le marché national, mais une contrainte ferme à commercer à l’international uniquement via le LHV. Cela dit, la valeur ajoutée du LHV se trouve précisément dans la vente de combustible et le retraitement des déchets nucléaires ; je suis donc un peu dépourvu d’arguments pour les convaincre de souscrire à cela. Avez-vous une garantie à leur offrir pour les convaincre ? La Westalia a convenu de compenser la perte du LHV sur son marché interne par la fourniture à bon prix d’uranium en Aleucie, ce qui permet au LHV de produire du combustible pour tout ce continent et de compenser largement la perte induite par la maîtrise nationale acquise en Westalia.

Sur la question de l’interdépendance, je vois cela comme une force. Nous sommes tous interdépendants, ce qui oblige chacun à coopérer. Il ne s’agit pas d’un collectif d’indépendants qui peuvent se tirer dans les pattes à tout moment, mais d’une collaboration puissante. Sylva comme Apex sont légalement et économiquement contraints. Ils ne peuvent appliquer de coercition sur vous sans en faire de même envers le Drovolski lui-même. Cela étant dit, vous avez évoqué un point essentiel : le travail des Syvois a permis de rendre le réacteur sûr et standardisé. C’est un point fondamental. En ce sens, sous licence, vous pourrez produire une large gamme de produits suivant ces standards.

La solution la plus souhaitable à mon sens est de constituer une coentreprise ainsi :


Circuit
En trait plein, le circuit normal ; en pointillé, le circuit de mise en autonomie.

SAGE Estalian Energaprom – SEE & SEP

SEE

1. SEE est détenue à parts égales entre SAGE Stat Venture et SEP, avec droit opposable sur ses activités par le gouvernement estalien et sur l’usage de sa propriété intellectuelle par SAGE dans le cadre des activités civiles.
2. SEE détient un droit sous licence d’utiliser la propriété intellectuelle de SAGE dans le cadre exclusif et rémunéré de son programme nucléaire civil national.
3. SAGE et SEP doivent mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour garantir l’autonomie en matière de maintenance, de fourniture de combustible, et d’exploitation des réacteurs SAGE en Estalie.
4. SEE détient 49 % de LHV Estalian, responsable de la production nationale des combustibles SAGE, selon la tarification internationale du LHV.
a. L’approvisionnement en uranium par LHV Estalian est libre.
b. Toute rupture d’approvisionnement ou de retraitement annule la capacité de négociation tarifaire du LHV.
c. Le LHV doit tout mettre en œuvre pour garantir l’accès à l’uranium et son retraitement sur le sol estalien.
d. En situation normale, les déchets nucléaires ainsi que le combustible suivent les circuits de Mesolvarde et de ses installations.
e. LHV Estalian doit démontrer annuellement sa capacité à fonctionner sans Mesolvarde, sans contraindre les activités nucléaires en Estalie, même si cela entraîne une hausse significative des prix due à l’approvisionnement local.
5. SEE doit employer au minimum 50 % de personnels estaliens formés et intégrés au sens plein du terme.
6. SEE paie des royalties pour l’exploitation de la propriété intellectuelle de SAGE à travers la licence.
7. SAGE et ses partenaires s’engagent à ne pas exercer de coercition sur SEE pendant toute la durée d’exploitation de la licence.
En cas de manquement avéré par un acteur affilié à SAGE, le paiement des royalties est suspendu de plein droit par l’Estalie, et ne peut être rétabli qu’à l’issue d’une décision judiciaire ou arbitrale compétente.
a. Sont considérées comme coercitives : toute restriction d’accès aux pièces, services, logiciels ou formations nécessaires à l’exploitation sûre des réacteurs SAGE, tel que prévu par la licence.
b. Cette clause devient caduque en cas de non-respect manifeste des restrictions liées à la protection des brevets de SAGE par SEE ou ses sous-traitants.
c. En cas de différend, une période de médiation obligatoire de 45 jours est organisée en Estalie, sous l’égide d’une autorité conjointe désignée par les parties.
d. Les dommages subis par l’Estalie du fait d’une coercition avérée sont intégralement indemnisés par les partenaires de SAGE, de manière solidaire.
e. En cas de manquement par l’Estalie à la protection de la propriété intellectuelle de SAGE, les intrants et composants liés à la technologie SAGE pourront faire l’objet d’un réajustement tarifaire proportionné, selon un barème de compensation prédéfini pour couvrir le manque à gagner.
8. Les nouveaux brevets de SEE émanant de SEP et de ses partenaires ne peuvent faire l’objet d’un embargo et peuvent être exploités par les partenaires de SAGE moyennant royalties.
9. Toute modification des SAGE exploités par SEE doit faire l’objet d’une déclaration publique.
10. La souscription à la licence contraint SAGE Stat Venture à coopérer avec SEP dans la mise en place de l’appareil industriel estalien.
11. SEE ne peut, par ses activités, entrer en concurrence directe avec SAGE.
12. Toute modification des présentes clauses se fait par consensus avec les partenaires révolutionnaires estaliens et les instruments légaux du Drovolski.
13. La sous-traitance de SEE doit garantir l’autonomie de l’Estalie dans l’exploitation de ses réacteurs.
a. Cette clause ne doit pas être interprétée comme une autarcie.
b. Cette clause n’implique pas une autonomie sur la construction, dont la maîtrise d’ouvrage reste mesolvardienne.
14. Les transports de matières nucléaires se font de préférence par voies terrestre et maritime entre l’Estalie et Mesolvarde.
15. Les isotopes non liés à l'activité électronucléaire, retraités à Mesolvarde, à l'image du Pu-238, ne sont pas retournés en Estalie, à l'exception d'une demande moyennant un paiement suivant le coût de la séparation et la marge appliquée par le LHV, retranchée de celle de SEE.

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Titre : Mise en autonomie de l’Estalie

1. Le cycle normal des SAGE en Estalie prévoit la fourniture de combustible pour moitié mesolvardien et estalien, fourni par le LHV et LHV Estalian selon la tarification internationale du LHV. Un séjour en cœur, puis un traitement partiel des assemblages vers un retraitement du combustible à Mesolvarde permet un recyclage selon un cycle fermé.
2. En cas de demande expresse faite par l’Estalie de se rendre autonome, le cycle passe en cycle ouvert, avec stockage in situ, de manière à garantir la continuité d’exploitation des SAGE.

LHV


Certaines pièces ne pourront, même à terme, être produites facilement en Estalie, en raison de la difficulté à concurrencer certains acteurs ou à disposer de matières premières suffisantes. Je pense particulièrement à des équipements dont SAGE ne possède pas lui-même la propriété intellectuelle ou dépend d’acteurs tiers. SAGE conçoit et fabrique des réacteurs, et reste en principe un acteur intégré, mais comme tout grand groupe, nous sous-traitons de nombreux éléments. Par exemple, les automates industriels sont produits par des industriels syvois et GKD, car SAGE ne maîtrise pas la fabrication des semi-conducteurs ni celle des ordinateurs. Nous sommes avant tout des énergéticiens.

Est-ce que cela pourrait vous convenir ?
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A l'inverse de son homologue mesolvardienne, le visage de Wolina ne montrait aucun signe d'agacement, bien que ses propos pouvaient faire valoir le contraire. Il n'était pas utile d'être insolente ou violente dans ses propos dans une réunion diplomatique et bien qu'elle se montrait en désaccord avec cette femme mesolvardienne dont tout le monde semblait partager un dégoût universel, elle ne pouvait s'empêcher de poursuivre, à la fois pour contredire ou pour donner les bons points car bien que Henrietta expliquait sur ton professoral très clair et compréhensible, Wolina n'était pas là pour féliciter ou huer cette dernière, elle était là parce que son pays lui faisait confiance pour sa sécurité. Après avoir noté les arguments de son homologue, elle reprit la suite :

"Très bien. Alors je ne vais pas m'attarder sur ce que vous avez dit de juste, j'aurais bien de la peine à énumérer ce qui va ou ne va pas donc je vais me concentrer sur les zones d'ombre une fois de plus, et davantage sur les questions de sécurité car, autant le fonctionnement que vous m'avez décrit me semble un peu plus convaincant (bien qu'une fois de plus, un réacteur isolé en test me semble la solution la plus adaptée pour dissiper les doutes), autant certains risques sécuritaires persistent à mes yeux. Tout d'abord, bien que je peux vous rejoindre sur l'idée que le sodium n'est pas modérateur et n'entraîne pas une montée incontrôlée de la criticité (à l'inverse de la vapeur d'eau dans les REP par exemple), l'incendie de sodium est tout sauf un risque "conventionnel" comme vous dites. Même sans criticité, un feu de sodium est extrêmement dangereux à contenir du fait de sa réaction exothermique et de sa production d'hydrogène excessive (ce fut notamment le cas, IRL, du RNR-Na de Monju qui a explosé à cause d'un incendie au sodium en 1995). Ensuite, vous avez précisé que vous aviez équipés les centrales de recombineurs d'hydrogène actifs et passifs : alors, je ne dis pas, c'est tout à fait standard et logique, surtout vu la violence des réactions entre le sodium et l'eau ou entre le sodium et l'air humide, néanmoins cela me semble une mesure de sécurité assez timorée. Le sodium réagit violemment à l'air et même avec des recombineurs, une fuite massive pourrait engendrer un feu auto-entretenu très difficile à stopper, j'ai du mal à croire que la seule présence des recombineurs d'hydrogène suffit.

Ensuite, je vais repasser brièvement sur la corrosion interne du combustible sur la gaine car vous avez révélé une chose assez intéressante qui est loin d'être anodine : vous admettez que la corrosion interne constatée en fin de cycle peut atteindre 31%, pour une tolérance de 56% ; vous attribuez ce phénomène à la pression et à à l'interaction chimique des oxydes lourds à haute température mais pour moi, je vois surtout que ça implique une contrainte d'exploitation supplémenatire. En effet, cela suppose que les assemblages doivent être retirés avant d'atteindre leur plein rendement, ce qui affecte à la fois l'efficacité du cycle combustible et donc le coût global de maintenance. Même en imaginant un combustible à plus faible coût, la structure de l'assemblage reste coûteuse et doit être surveillée avec une grande rigueur. De plus, si j'en crois les échanges que mon collègue a eu sur le plan juridique, le modèle économique du SAGE nous semble dépendre fortement de votre capacité à fournir des pièces et des diagnostics précis dans des délais courts, ce qui, dans le contexte d'une exploitation souveraine, pourrait poser problème. De surcroît, vous l'avez vous-même avoué peu de temps après. Ce que j'essaie de dire, madame, et comme a essayé de l'expliciter mon collègue à son Excellence, un coût de maintenance structurelle important induit aussi une réduction du rendement total de combustion et une charge logistique importante, notamment en ce qui concerne la gestion des déchets à mi-vie. Il me semble pourtant que l'intérêt d'acheter un RNR est de le faire fonctionner sur le long terme, vu que les RNR-Na utilisent les déchets d'autres réacteurs, brûlent complètement le combustible (avec une efficacité dépassant de loin les REP classiques) et agissant comme des surgénérateurs dans certains cas, sans oublier la réduction des déchets à vie longue. Or, j'ai l'impression que le SAGE fonctionne avec une logique inverse à celle d'un RNR tel qu'il est conçu stratégiquement : la gaine et l'assemblage ne tiennent pas assez longtemps et cela évite une très longue durée de séjour du combustible et je doute que la surgénération soit efficace sur le long terme. Retirer un assemblage avant sa fin de vie thermique, c'est tout de même renoncer à une partie de son potentiel énergétique. Or, c'est précisément cette efficacité énergétique que vous mettez en avant pour justifier l'emploi du SAGE.
"

Senko reprit rapidement la main par la suite, saisissant le contrat qui lui fut donné, le lisant activement. Contrairement à l'impassible vice-présidente de la SEP, le visage du jeune représentant de la Commission aux Finances donnait aux Mesolvardiens toutes les informations nécessaires sur ses pensées, ils pouvaient lire en lui comme dans un livre ouvert tant ses expressions faciales faisaient tout le travail à la place des mots :

"Navré si je vous ai paru insolent, votre Excellence, ce n'était pas mon intention.

J'ai lu attentivement le contrat et je vous avoue qu'il me rassure sur certains points que j'ai pu soulever juste avant. Certaines clauses assurent une certaine sécurité stratégique à l'Estalie et c'est bien une des choses qui préoccuperont le plus les autorités fédérales à la sortie de cette entrevue, donc le fait que vous y avez pris un certain soin me rassure. Néanmoins, il y a certaines clauses que je trouve particulièrement dérangeantes. Tout d'abord, l'article 4 semble déjà problématique, son alinéa B plus particulièrement car de ce que je comprends, en cas de rupture d'un des maillons, que ce soit pour l'approvisionnement ou le retraitement, la négociation tarifaire s'annule, nous n'aurions donc plus accès à un tarif négocié et nous serions obligés de payer le prix du marché. Dans les faits, cette clause fige notre dépendance dans le système de SAGE et ne laisse aucun effet de levier à l'Estalie si celle-ci décide de changer de politique, cela prive notre Fédération de recours pour adapter les coûts en cas de nécessité, je trouve cette clause de ce fait particulièrement déloyale puisqu'elle gèle les négociations en cas de changement de politique, je pense de ce fait qu'une reformulation de cette clause s'impose.

Ensuite, la clause anti-coercition, l'article 7, me semble étrangement coercitive. Je m'explique : sur le papier, l'Estalie aurait le droit de suspendre les paiements si elle est victime de coercition, de réclamer réparations, le but étant normalement de protéger l'Estalie d'un chantage industriel quelconque (refus de pièces, de services, de maintenance, etc.). Néanmoins, ce qui me semble très étrange, c'est la manière dont l'Estalie peut effectivement faire appel à cette clause du contrat car déjà, l'Estalie doit prouver la coercition avant de suspendre ses royalties. En cas de litige, c'est un arbitrage juridique qui est un processus lent, incertain et surtout qui peut être potentiellement influencé. Or, je constate à l'alinéa E que cette logique ne s'applique pas inversement en cas de litige à notre encontre : "En cas de manquement par l'Estalie à la protection de la propriété intellectuelle de SAGE, les intrants et composants liés à la technologie SAGE pourront faire l'objet d'un réajustement tarifaire proportionné.". En bref, si vous estimez que l'Estalie viole un de vos brevets, même involontairement, vous augmentez le prix arbitrairement vu que le contrat présenté ici n'explicite aucunement de procédures juridiques pour un tel réajustement. Là où notre clause de suspension doit passer nécessairement par un arbitrage, vous pouvez ajuster directement les tarifs. J'aimerais savoir en quoi cet article est juste ? Au contraire, cette clause met automatiquement l'Estalie dans une position de faiblesse en cas de négociations ou de litige. J'exige à ce que cette clause soit également révisée afin d'au choix limiter les capacités de rétorsion via arbitrage juridique en cas de litige, soit de fournir à l'Estalie d'un pouvoir automatique de rétorsion et de suspension immédiate des royalties en cas de constations de coercition. Sans une réécriture de cette clause, ce contrat me semble insignable.

Enfin, je chipote peut-être un peu dessus mais je pense que l'article 5 devrait préciser que la SEE doit payer au moins son personnel estalien selon les règles de rémunération qui ont cours en Estalie. Je ne sais pas si ce sera également le cas du personnel mesolvardien sur place mais compte tenu du fait que la SEE vous appartient à 51%, je pense que c'est une garantie nécessaire pour les travailleurs estaliens qui tiennent beaucoup à ce que leurs droits au travail soient respectées.
"

Senko avait la sensation d'avoir oublié certaines clauses mais dans les faits, il avait pu exprimer les points principaux de désaccords qu'il avait avec le contrat, bien que la majorité du contrat lui semblait en l'état plutôt solide, bien qu'inégal sur certains points.
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Henrietta

Henrietta était très heureuse de la prestation de son homologue et esquissa un sourire très disgracieux, que l’on aurait facilement pu confondre avec une grimace. Elle se goinfra de quelques carrés de chocolat et de bonbons sucrés et collants — à son image, pourrait-on dire. Les Mesolvardiens étaient franchement gênés, et certains magistrats faisaient des signes de désarroi à Monsieur Mirnski, qui dit alors quelques mots :

« Henrietta semble bien plus experte que moi sur les questions soulevées par les Estaliens. Pour ainsi dire, vous comme moi n’avons jamais encore quitté le pays. »

Henrietta jeta un regard glacial au magistrat, puis répondit aux questions estaliennes :

« Je vous remercie pour votre prévenance et votre souci de la sûreté. Cependant, il y a une méprise : un risque conventionnel n’est pas un risque mineur ou de faible gravité. Dans le contexte d’un réacteur nucléaire, un risque conventionnel désigne un risque industriel non directement lié aux activités nucléaires. En ce sens, le risque de production de dihydrogène est un risque chimique, donc un risque conventionnel.

Ne voyez pas là une minimisation : du point de vue de l’analyse des risques, nous distinguons ces catégories.

Si nos parades ne conviennent pas à vos exigences en matière de sûreté — notamment les dispositifs actifs et passifs, dont des recombineurs — nous sommes ouverts à ajouter un élément de sûreté supplémentaire sur les installations situées en Estalie. Notre autorité estime ces mesures suffisantes, mais nous comprendrons que la vôtre souhaite un dispositif additionnel.

En ce qui concerne le combustible : les RNR au sodium nécessitent en effet, comme indiqué, un recyclage du... »


Un grand bruit métallique émergea du sol, les vitres claquèrent sous une tempête de poussière qui fouettait les carreaux.

Rup

« Eh bien ! Le temps n’est pas clément ! Je disais donc : les RNR-Na, dont SAGE fait partie, nécessitent un rechargement à environ 15 %, voire 30 %, et au grand maximum 50 %, sans quoi la corrosion deviendrait problématique, en raison de risques de perforation. C’est tout à fait normal. Je vais vous expliquer.

Dans un REP, le taux de combustion est limité à 1 %. C’est extrêmement faible, et cela impose un appel massif aux mines, car les REP ne tolèrent qu’un seul recyclage via le MOX. À l’inverse, un RNR sodium — basé sur le Phénix — permet d’atteindre un taux de combustion de 15 % par séjour, sans difficulté. C’est considérable. Et cela tout en surgénérant des isotopes fissiles, rendant le recyclage virtuellement infini grâce aux neutrons rapides (RNR signifiant Réacteur à Neutrons Rapides).

Cette nécessité de recyclage avant le seuil maximal n’entrave pas le principe de surgénération, ni le potentiel de régénération de la matière fissile. Et comme précisé : avec ce paramètre, notre planning de rechargement est similaire à celui des REP — un tiers par an. Oui, la gaine coûte cher, mais le combustible, lui, est peu onéreux : ce sont des déchets. En somme, le coût de l’assemblage est comparable à celui des REP.

Pour résumer : c’est courant, même calendrier, même coût que pour les REP. »


« Concernant les pièces et les coûts de maintenance, sachez qu’ils sont intégralement compensés par la grande puissance de la centrale, son rendement élevé et... »

Un bruit infernal surgit du sol. Les volets automatiques se baissèrent brusquement, occultant les vitres recouvertes de poussière. Des bips informatiques se firent entendre. Certains magistrats se regardaient, visiblement troublés.

« Décidément, l’enfer cherche à communiquer avec nous. Je disais donc : les coûts de maintenance sont largement compensés par le rendement thermodynamique de l’installation et sa puissance élevée — du moins sur le marché mesolvardien, et de manière moins évidente sur le marché syvois.
Il s’agit toutefois d’une installation sûre et durable, pas d’un démon de rentabilité capitaliste. Si c’est ce que vous recherchez, alors non, SAGE n’est probablement pas la bonne solution. »


Elle proposa des chocolats à ses homologues et éclata de rire :

« Avez-vous d’autres questions, très chers et estimés amis ? »

À ces mots, ce fut au Dauphin de reprendre la parole, afin de convenir de certains points avec la délégation :

« Vos remarques sont pertinentes et témoignent d’un grand souci de bâtir un traité conforme aux attentes de chacun. Je suis flatté d’une telle expertise. Sachez que, chez nous, la justice est l’exemple de l’excellence.
Je suis prêt à accepter vos formulations afin de corriger les troubles causés par la précédente proposition.

Tout d’abord, le point B de l’article 4 doit être clarifié. Ce n’est pas une contrainte pour vous, mais pour le LHV : s’il manque à ses obligations de traitement et de fourniture, il perd sa capacité à négocier les tarifs avec vous. En d’autres termes, c’est lui qui perd un statut, pas vous. Cependant, vous avez raison : un manquement de sa part vous exposerait aux prix du marché, nettement plus élevés. Il est donc juste d’amender cet alinéa.

Concernant l’article 7 : en tant qu’héritier présomptif à la magistrature, je ne peux convenir de retirer un organe juridique chargé de statuer en cas de coercition. Mais je suis tout à fait d’accord pour que l’alinéa E soit également intégré, par équité — question d’égalité.
Vous avez raison : dans sa forme actuelle, l’article 7 crée une automaticité pour SAGE et une simple disposition pour l’Estalie. Une asymétrie inadmissible, je vous l’accorde. Mais sachez que l’art de jouer avec les lois est une maîtrise mesolvardienne. Ne nous en tenez pas rigueur. »


« Concernant l’article 5... »

Une secousse se fit sentir. Les ampoules s’éteignirent, puis se rallumèrent quelques instants plus tard. Le bâtiment, sinistre et froid, laissait tomber des poussières de plâtre et de suie le long des murs. Les Mesolvardiens levèrent les yeux au plafond. Brusquement, un vieil ordinateur dans un coin de la pièce s’alluma. Un papier perforé en sortit, et un valet accourut pour le lire. Le chambellan prit alors la parole, d’une voix claire et rapide :

« Vos Excellences, magistrats et Majesté : Mesolvarde Est vient d’être déconnectée du réseau de contrôle automatique. »

Le Dauphin commença une phrase, mais le courant disparut aussitôt. Quelques secondes plus tard, d’énormes moteurs se mirent en route sous le sol. La lumière revint. Une voix féminine, caverneuse et mélancolique, retentit :

« Mesolvarde Centre : îlotage réussi. Service minimal garanti. Recouplage dans 15 minutes. Merci de votre compréhension. — Les Services Généraux. »

Le Dauphin reprit :

« Oui, pour l’article 5, vos remarques sont tout à fait recevables.
Simplement, le gain des Mesolvardiens relatif au statut Drovolski sera intégralement prélevé sous forme d’impôt. »
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Les Estaliens furent légèrement inquiétés par les quelques mésaventures du réseau qui semblait visiblement subir un grand nombre de turbulences. La météo mesolvardienne n'avait rien de clémente, c'est sûr, mais de telles turbulences météorologiques n'étaient pas sensées avoir un impact direct sur le réseau, surtout pour un bâtiment gouvernemental comme le Tribunal de Mesolvarde. Wolina avait presque la sensation que cela confirmait ses craintes sur la fiabilité des Mesolvardiens à leur vendre un de leurs réacteurs. Bien sûr, la météo mesolvardienne n'avait rien à voir avec la météo estalienne, la météo de ce pays devait sûrement beaucoup plus clémente avant l'industrialisation de masse et la pollution quasi-absurde de la région, là où le climat estalien était rude par nature lors des périodes hivernales. Si le réseau mesolvardien a du mal à tenir devant leur météo, elle craignait qu'à la moindre secousse météorologique, cela ait des répercussions en Estalie : la Fédération n'avait pas le luxe d'être contraint par des pannes de courant, compte tenu de son industrialisation de masse et de la course contre la montre économique que s'était fixé l'Estalie afin de rattraper l'économie de ses rivaux. Wolina se tourna vers sa collègue mesolvardienne, ayant noté singulièrement moins qu'auparavant durant l'entrevue, semblant avoir été satisfaite des réponses malgré qu'elle restait extrêmement sceptique.

"Madame, nous vous remercions pour vos précisions. Je vous rassure immédiatement : nous avons bien compris votre classification des risques. Ce n’est pas la gravité de l’incendie au sodium qui m'avait échappé, mais bien le cadre dans lequel vous le qualifiez de conventionnel. Cela étant, permettez-moi de maintenir une réserve : un risque non nucléaire dans sa cause n’est pas sans conséquences nucléaires en cas de perte de contrôle. À l’heure actuelle, un incendie de sodium reste l’un des accidents industriels les plus difficiles à circonscrire, surtout en milieu confiné. Même bien équipées, les installations doivent, pour répondre à nos exigences, démontrer une capacité active à interrompre la réaction en chaîne accidentelle, à maîtriser la surpression chimique et à garantir un refroidissement post-incident rapide. Les recombineurs sont des outils utiles, mais insuffisants dans notre doctrine de sûreté. Je suis néanmoins satisfaite de constater votre ouverture à intégrer des dispositifs supplémentaires. Ce sera sans doute nécessaire et je pense que je pourrais faire remonter cela à l'ASN afin qu'elle choisisse à terme les dispositifs de sûreté supplémentaires qui pourraient être mises en place dans les SAGE vendus à l'Estalie.

Concernant la corrosion des gaines et l’échéance de retraitement que vous mentionnez, je comprends mieux votre stratégie. Cependant, cela signifie aussi que l’assemblage est systématiquement remplacé à 15, 30, voire 50 % de combustion, soit bien avant son rendement optimal. Vous affirmez que cela n’entrave pas la logique de surgénération, soit, admettons. Mais cela induit deux conséquences pratiques qu'il faut considérer avec sérieux : d’abord, une augmentation du coût de structure du cycle, ensuite, une réduction de la durée de séjour utile du combustible, donc une plus forte sollicitation de la logistique, des chaînes de retraitement et du stockage. Ce sont là des facteurs lourds en situation d’exploitation autonome. Or vous le dites vous-même : la surgénération devient virtuelle, non assurée sur cycle long.

Quant à l’argument du coût compensé par le rendement et la puissance, je ne le rejette pas, vous avez raison, mais il appelle deux remarques : premièrement, l’Estalie n’est pas le Drovolski. Nos contraintes économiques et énergétiques ne se superposent pas. Deuxièmement, votre propre franchise, que je salue par ailleurs, suggère que ce type de réacteur ne vise pas un optimum de rentabilité. Cela rend encore plus essentielle une sûreté irréprochable, une logique de cycle totalement maîtrisée et une capacité d’exploitation pleinement nationale. Si la rentabilité n’est pas l’objectif, alors la fiabilité et la souveraineté doivent être totales.

Enfin, vous évoquez un calendrier de rechargement similaire aux REP, soit un tiers par an. Cela nous convient. Mais encore faut-il que nous puissions garantir, avec nos propres institutions, la disponibilité des pièces, la connaissance technique des mécanismes de corrosion, l’accès aux outils de diagnostic, aux codes source de maintenance, aux capteurs, et aux procédures d’arrêt et de redémarrage. Sans cela, même un simple rechargement deviendrait une dépendance. En somme, Madame, votre installation n’est pas sans mérite. Je reconnais ses qualités en termes de rendement, de capacité à valoriser les déchets du cycle, et de réutilisation des matières fissiles. Mais nous restons inquiets sur deux points principaux : d’une part, la gestion des risques d’incendie sodium, dont les conséquences pourraient impacter la sécurité nationale au sens large ; d’autre part, une logique de maintenance qui suppose un écosystème de soutien permanent. Néanmoins, je pense que mon collègue sera peut-être plus apte à répondre sur le sujet, compte tenu du fait que cela touche aussi en partie l'aspect contractuel de cet accord.
"

De son côté, Senko continuait de jongler avec l'accord juridique que lui avait proposé le Dauphin. Ce dernier avait au moins reconnu l'existence d'une asymétrie claire dans certains articles de l'accord. Senko devait pousser davantage : que le Dauphin reconnaisse l'asymétrie est une chose mais proposer une alternative qui contentera les deux parties par un accord plus juste qui protège équitablement les deux parties était une autre paire de manches :

"Vous avez raison de dire que l'alinéa B de l'article 4 vise formellement LHV mais permettez-moi, Excellence, d'insister tout de même sur ce point : en cas de rupture d'approvisionnement ou de retraitement (en somme une rupture que nous ne contrôlerions pas), c'est bien l'Estalie qui se verrait privée dans ce scénario de toute marge de négociation sur les prix et non pas LHV. Cela revient à faire peser sur nous les conséquences d'un manquement tiers. Ce mécanisme, comme je l'ai déjà souligné, est déséquilibré. Je vous propose de reformuler cet alinéa de la manière suivante :
4.b. Toute rupture d’approvisionnement ou de retraitement n'entraîne pas de hausse tarifaire automatique mais autorise l'Estalie à activer un circuit local d'approvisionnement temporaire et ouvre un droit de compensation partielle des surcoûts prise en charge par LHV.
En d'autres termes : si LHV échoue, nous ne devons pas payer plus cher. Il en va de la responsabilité contractuelle. Ensuite, pour revenir sur l'article 7, vous reconnaissez que l'article présente une asymétrie juridique et je vous remercie, Excellence, de votre franchise. Cela dit, nous ne saurions nous satisfaire d'un simple rajout de symétrie dans les sanctions sans révision de la procédure elle-même. Je vous propose donc une réécriture de l'alinéa E de l'article 7 comme suit :
7.e. Les intrants et les composants liés à la technologie SAGE ne peuvent faire l'objet d'un réajustement tarifaire qu'après validation par une autorité indépendante compétente, selon une procédure équivalente à celle prévue à l'article 7.c.
Qu'en pensez-vous, Excellence ?"
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Le Dauphin fit un signe de la main, et un page apporta un petit ordinateur. D’un style ancien, mais aussi peu usé que s’il était neuf. Il tapa quelque chose sur un clavier étrange. On entendit alors, au-dehors, un bruit métallique et froid, un peu comme si l’on frappait à coups lents sur une immense plomberie. Et, en quelques instants, les groupes de secours s’arrêtèrent, sans pour autant plonger la salle dans le noir. Puis il jeta un regard assez violent à l’un des représentants du LHV assis à la table. En effet, l’impression laissée par une panne en pleine rencontre diplomatique n’avait rien de plaisant. Certes, en situation normale, délester Mesolvarde pour préserver l’industrie est courant, mais lors d’une rencontre diplomatique, il paraît difficilement concevable de montrer cela aux Estaliens. La production électrique du Drovolski est stable et plutôt bien dimensionnée, mais en raison d’un mix presque exclusivement nucléaire, le réseau supporte très mal les variations instantanées importantes, comme si des millions de volets roulants se fermaient simultanément lors d’une tempête de poussière. À Mesolvarde, on a toujours du courant, à condition d’accepter d’être patient pour ne pas effondrer le réseau. Ainsi, les Mesolvardiens évitent d’éteindre quoi que ce soit chez eux, de peur d’avoir à attendre quinze minutes qu’une montée en puissance d’un cœur leur permette de le rallumer.

Henrietta prit alors un ton amical, du moins le plus amical qu’elle put, il va sans dire :

Très chère Madame,
Le risque sodium est un risque chimique dit conventionnel. Il ne signifie pas un danger moins grave qu’un accident nucléaire, comme en témoignent les explosions monstrueuses auxquelles sont parfois confrontés les industriels chimiques, par exemple dans la production d’engrais agricoles. À cette fin, les dispositifs de recombinaison et les mesures organisationnelles sont proportionnés aux attentes mesolvardiennes en matière de sûreté. Mais si ce n’est pas suffisant pour l’Estalie, nous appliquerons sans rechigner les recommandations de votre autorité de sûreté : meilleure ventilation, détecteurs de gaz, dispositifs de renouvellement de l’air ambiant pour pallier la réactivité du sodium. Par exemple, décharger le circuit He-Argon au niveau d’une fuite empêche toute réaction, ces deux gaz étant inertes.

Enfin, il y a un point que je n’arrive pas à comprendre : craignez-vous une perte de réfrigérant primaire, ou bien le risque chimique du sodium ? Car ce n’est pas la même chose, et une fuite n’entraîne pas nécessairement une perte de réfrigérant primaire comme un risque chimique.

Le risque chimique du sodium — sa réactivité à l’air — est un risque conventionnel, auquel on répond classiquement par un recombineur de dihydrogène passif. Un risque conventionnel est un risque non lié aux activités nucléaires, donc sans conséquence nucléaire directe.

Le risque de perte de réfrigérant primaire est quant à lui un risque nucléaire direct, c’est même le risque dimensionnant : celui auquel la centrale doit impérativement pouvoir répondre. On y répond le plus souvent par une réserve de liquide primaire et l’arrêt automatique du cœur (parade active), et par du refroidissement passif (parade passive). Dans un REP, l’étape la plus délicate consiste à abaisser la pression du primaire en cas de fuite, ce qui n’est généralement pas un problème dans un RNR métallique, car on ne pressurise jamais un métal liquide. Enfin, dernier point : dans la classification mesolvardienne, il existe trois catégories de parades : passive, active et organisationnelle. Dans la mesure du possible, il faut toujours privilégier une solution passive à une solution active car un paramètre de construction, et il est préférable d’en avoir plusieurs en parallèle (double enceinte par exemple).

– Une parade active est un dispositif qui protège un enjeu en détectant un risque et en contrôlant sa survenue (arrêt automatique du cœur, par exemple).
– Une parade passive est un paramètre de construction qui rend impossible la survenue de l’accident en fonctionnement normal (enceinte de confinement, par exemple).
– Enfin, une parade organisationnelle regroupe les moyens humains pour éviter l’accident (procédures, formations, bonnes pratiques…).

Concernant le rechargement, je ne vous comprends pas bien, Madame. Le taux de combustion ne dépend pas seulement du temps de séjour, mais aussi de la capacité à surgénérer. Votre « admettons » me laisse perplexe : la surgénération ne résulte pas d’un temps donné dans le cœur, mais de l’exposition à un spectre neutronique rapide. Et un taux de combustion de 50 % serait un record exceptionnel ; pourquoi dire « un rendement loin d’être optimal » ? En pratique, dans un RNR, nous sommes entre 15 et 30 %, alors que le taux de combustion d’un REP ne dépasse jamais 7 % avec des enrichissements déjà économiquement peu intéressants. Et j’ai précisé que le recyclage par surgénération des isotopes fertiles est virtuellement infini : comment peut-on comprendre cela comme « non assuré sur cycle long » ? L’infini, c’est plutôt long, il me semble… Pouvez-vous clarifier ce point ? Je n’ai pas bien saisi votre argument ou votre question.

Concernant la maîtrise de l’installation, je vous garantis que le LHV Estalian aura la maîtrise technique nécessaire pour maintenir sans difficulté un SAGE, avec toute la connaissance et le matériel requis, une véritable obligation de moyens pour le LHV, comme déjà prévu à l’article 3. Mais ne vous attendez pas à une autarcie complète : le LHV a lui-même des sous-traitants, et certaines pièces — comme la cuve — nécessitent un appareil industriel dédié à SAGE dont le coût rendrait incohérent les questions de rentabilité.


Le Dauphin écouta Senko avec beaucoup de déférence et prit acte de ses propos avec des marques de respect peut-être un peu trop appuyées :

Je suis relativement d’accord avec la modification proposée pour l’alinéa b de l’article 4. Je souhaite toutefois le rendre plus explicite encore :

4.b Toute rupture d’approvisionnement ou de retraitement entraîne le gel des prix à la hausse pour le LHV et autorise l’Estalie à s’approvisionner sur les marchés, compensation faite le cas échéant par la BID portée garante pour le LHV, le temps pour ce dernier de rétablir ses obligations.
En revanche, je ne peux pas être d’accord avec votre modification de l’alinéa e de l’article 7. C’est ni plus ni moins que demander au LHV de fixer les prix de toute une industrie sur ses propres fonds, alors que le sens premier de cet alinéa était de proposer un contrepartie amiable en cas de manquement à la protection intellectuelle. Il me semble que vous détournez ce point de manière trop favorable à votre partie.

Si le LHV lance un appel d’offre pour des vis sur cinq ans et qu’à l’échéance, au moment de le renouveler, la vis coûte 1 $ de plus, nous serions contraints de vous la revendre au prix initial ? C’est insupportable. Le LHV doit conserver une capacité d’arbitrage par les prix. Je préfère donc conserver l’idée originelle, à savoir :

7.e Le LHV ne peut revoir à la hausse sa marge applicable sur les intrants et composants liés à la technologie SAGE qu’en cas de manquement avéré à la propriété intellectuelle du LHV, selon les mêmes dispositions que l’article 7.c.
Sommes-nous davantage en accord ainsi ? J’espère que oui, car je languis de voir à quoi ressembleront les nouveaux bâtiments pour Mesolvarde.
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