11/05/2017
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[Encyclopédie] Ecrire à Nebrownia

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Revue « Écrire à Nebrownia »


Cette revue est une ré-édition d’une revue née juste avant l’ère Kellem. Frappée très tôt d’interdiction de publication car jugée “trop à gauche”, son ancien éditeur a proposé, le 26 juillet 2015, de relancer la formule. Cependant, il a été décidé avant la parution du premier numéro depuis son retour, que les sujets abordés dans cette revue ne toucheraient pas que l’écriture au sens large, mais également tout ce qui traitait du folklore, les contes et légendes, les animaux fantastiques, le mystique, afin de toucher un panel plus large de public.

Embarquez, vous, lecteurs, dans l'écriture et les mystères du Folklore Nebrownien.
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Numéro 72

Section « Contes et Légendes »


« Longues-Dents et le cochon.

Il y a longtemps, quand l’homme n’avait pas encore été créé par le Grand-Esprit, vivait le puma Longues-Dents. Il s’appelait ainsi parce que ses canines étaient si longues qu’elles dépassaient de ses babines. Il s’en servait pour étouffer ses proies ou pour les poignarder avant de s’en repaître. C’était un redoutable chasseur et tous les animaux de la prairie le fuyaient dès qu’ils le voyaient approcher. Alors Longues-Dents devait courir après eux pour les attraper. Mais, avec ses pattes courtes et son corps trapu, il était mauvais coureur et ses proies lui échappaient souvent. Il avait bien essayé de se poster en haut des arbres mais il s’endormait avant que la première proie ne passe et son ventre restait vide.

Alors, un jour qu’il était las d’avoir l’estomac vide, il eut une idée. Il s’installa sur un rocher esseulé au milieu d’une clairière et se mit à rugir pour convoquer les animaux de la prairie :

- Je suis votre roi ! Venez ici, je vous l’ordonne ! Je ne vous mangerai pas !

Surpris de cela, les animaux arrivèrent, méfiants. Lorsqu’ils furent tous réunis, il expliqua haut et fort :

- Je déclare aujourd’hui que je suis votre roi ! Je suis plus fort que vous ! Je peux vous tuer dès que l’envie m’en prend ! J’ai votre vie entre mes griffes et mes crocs. Désormais, vous devez m’obéir !
- Quoi ! Mais je ne suis pas d’accord ! protesta le loup des plaines.

À ces mots, Longues-Dents se jeta sur le loup des plaines et l’assassina. Un grand silence terrifié tomba dans la clairière. Longues-Dents retourna sur son trône de pierre.

- Vous avez vu ce qu’il se passe si on me désobéit. Mais je serai un bon roi. Sous mon règne, vous aurez la paix et vous n’aurez pas à craindre les prédateurs… pour peu que vous me nourrissiez.
- Nous vous apporterons du fourrage mais protégez-nous ! supplia une chèvre des montagnes.
- Sot ! Je ne mange pas d’herbe !
- Nous vous apporterons des algues mais protégez-nous ! supplia un orignal.
- Idiot ! Je ne mange pas de verdure, ais-je dit ! Comptez-vous m’irriter dès le début ?
- Nous vous apporterons des fruits, alors ? demanda un castor.
- Crétin ! Pour tant de bêtises, vous ne méritez pas ma clémence ! Je veux de la viande ! Que chaque jour, l’un de vous se sacrifie et vienne me voir pour se faire manger ! À cette condition-là, je vous protégerai ! J’attendrai ici, demain, que le premier se dévoue. Allez ! Dispersez-vous !

Éberlués, terrifiés, les animaux s’éloignèrent. Que faire ? Que faire ? Ils passèrent la nuit à discuter puis le renard eut une idée. Le lendemain, ils retournèrent tous voir le puma. Le renard fit une grande révérence et prononça les mots qui plaisent :

- Sire, notre bon Roi, que nous sommes heureux que vous nous fassiez l’honneur de régner sur nous autres, pauvres hères. Tout sans vous n’était que désordre, peur et crainte de chaque instant.
- Oui, c’est vrai, vous vivrez plus tranquilles désormais.
- Toutefois, si vous mangez un d’entre nous chaque jour, il ne se passera pas une saison avant que vous n’ayez plus de sujet ! Et sans sujet, vous ne serez qu’un roi de nom.
- C’est vrai, acquiesça Longues-Dents. Un roi se doit d’écouter ses sujets et d’être grand seigneur. À chacun qui viendra se présenter, je lui laisserai donc une chance. Je lui tendrais un sac. Dans ce sac, il y aura deux glands : un gland vert et un gland mur. Le sacrifice devra tirer un des glands sans regarder. Si c’est le gland mûr, alors il aura la vie sauve. Si c’est le gland vert, alors je le mangerai.

Le puma les chassa en ordonnant que le sacrifice vienne le lendemain. Tous étaient déçus. Ils avaient gagné une chance mais ce marché inique avait été maintenu.

Le lendemain, ce fut le pigeon migrateur qui se présenta mais tous les animaux étaient venus avec lui. Le puma présenta le sac, le pigeon plongea la patte et sortit un gland vert. Tous les animaux se figèrent en voyant le tirage. Le pigeon migrateur n’eut pas le temps de réagir que déjà le puma l’avait croqué.

- Pas de chance mais vous avez respecté votre part. Je respecterai la mienne. Vous n’aurez pas à craindre de vous faire manger aujourd’hui. J’attendrai ici demain pour le prochain sacrifice.

Les autres animaux s’en allèrent, la mort dans l’âme. Certes ils purent manger en paix ce jour-là mais qui se feraient manger le lendemain ? Quoique, il y avait une chance sur deux de tirer un gland mûr et de ne pas se faire manger. Mais le lendemain, le malheureux tira un gland vert et le jour suivant et le suivant. À chaque fois, les animaux repartaient de la clairière malheureux pour leur ami qui avait disparu.

- J’irai le voir pour tirer les glands demain, annonça alors le cochon, j’ai une idée.

Tous le regardèrent surpris. Qu’avait-il imaginé ? Le cochon était connu pour être malin mais sa ruse pouvait-elle dépasser la force du puma ? Le lendemain, tous étaient là pour le tirage au sort. Le puma regardait la victime et se léchait déjà les babines. Le cochon annonça :

- Je vais maintenant choisir mon gland.

Alors, il plongea la tête dans le sac et au lieu de montrer le gland à tous, il l’avala ! Alors il déclara tranquillement :

- Désolé, il a glissé vers le fond de ma gorge. Ce n’est pas grave. Il ne reste qu’à regarder l’autre gland, nous en déduirons la couleur de celui que j’ai mangé.

Avant que le puma ne puisse faire quoique ce soit, le cochon prit le fond du sac dans son groin et le retourna. Un gland vert tomba.

- Ah ! J’ai donc mangé le gland mûr. Vous devez donc m’épargner, ô mon bon roi. Mais c’est quand même étrange : celui que j’ai avalé avait le goût d’un gland vert.

À ces mots, Longues-Dents pâlit. Les autres animaux s’étonnèrent, protestèrent, s’enflammèrent ! Quoi ? Il y avait deux glands verts dans le sac ? Ils avaient été trompés !

- Vous osez douter de moi ? rugit le puma.

Mais sa voix sonnait faux et tous savaient désormais qu’il les avait trompés. Alors le puma décida de faire un exemple et sauta sur le cochon toutes griffes dehors et toutes dents dehors. Normalement, le cochon aurait fui mais à la place, il fonça vers le puma et son groin lui atterrit au creux de l’estomac, lui coupant le souffle. Le puma n’eut pas le temps de se relever que les autres animaux se ruèrent vers lui, l’écrasèrent, le piétinèrent, lui assénèrent coups de bois, de cornes, de sabots. Au moment de rendre son dernier souffle, le puma Dents-Longues comprit que s’il était le plus fort, il ne pouvait rien seul face à une horde de compagnons. Il utilisa ses dernières forces pour agonir le cochon :

- Toi qui a été plus malin que moi, je te maudis à manger des glands jusqu’à la fin des temps !

On sentait qu’il voulait maudire les autres mais il mourut alors. Les animaux hurlèrent, sautèrent, chantèrent d’avoir été libérés de ce tyran. Mais ils se turent en voyant la tristesse du cochon. Lui qui était si gourmand ! Lui qui adorait manger de tout ! Alors, ils adressèrent une prière au Grand-Esprit pour qu’Il le libère de cette malédiction. Un vent doux et chaleureux glissa alors dans la clairière. Les feuilles des arbres s’agitèrent et ils entendirent un bruissement de paroles.

- La haine de Dents-Longues a été trop forte. Je ne peux totalement enlever ce maléfice. Tu pourras manger de tout mais surtout des glands. Toutefois, en récompense pour ton fait d’armes, tu arboreras ses crocs.

Les canines de Dents-Longues, toutes courbées d’avoir été piétinées, se retrouvèrent dans la bouche du cochon. Le Grand-Esprit termina ainsi :

- Désormais, tu seras connu sous le nom de sanglier ! Tu seras le symbole du défenseur, de celui qui n'a pas peur d'affronter le fort pour défendre le faible, quitte à sacrifier sa vie. Puisse ton exemple éclairer le futur."


Mot de l’éditeur : Cette légende est souvent racontée au sein des communautés descendantes des "Hioka’om". Il est difficile de dater ce conte qui mélange des animaux très anciens comme Dents-Longues, identifié comme un des cousins du Smilodons et des animaux disparus plus récemment comme la tourte voyageuse (décimée au XIXème siècle) ou le loup des bisons, ayant disparu du territoire de Nebrownia, mais pas du continent. Les évènements récents remettent ce conte parlant de la tyrannie et de la reprise du pouvoir par le peuple, au goût du jour.
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