11/05/2017
22:33:21
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"A fluctibus opes" - rencontre Teyla/Tanska/Velsna

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A fluctibus opes
Une rencontre dans la baie



"Il n'est rien que nous, honorables gens du sénat, ne puissions donner aux étrangers, à condition qu'ils ne nous rendent la pareille."

Contexte: Ces dernières semaines au Sénat avaient été des plus animés. Les votes pour l'allocation des budgets alloués aux différents secteurs de dépenses avaient déjà été entérinés, parfois plusieurs mois à l'avance: les maîtres de bureaux composant le gouvernement communal avaient défilé chacun leur tour afin de défendre leurs portefeuilles respectifs, dans l'espoir de dégager des moyens suivant leurs intérêts. Au Maître de la garde, on avait accordé une rallonge budgétaire afin de lui permettre de poursuivre la réforme de la Garde civique de la ville. Le Maître des évergétismes, qui était de loin le plus habitué à ce genre de contretemps, a dû batailler ferme afin d'obtenir de ces excellences une hausse des frais accordés aux festivités publiques de l'année suivante, ainsi que des dons au secteur hospitalier. Au Maître de l'Arsenal, on avait accordé la commande supplémentaire de navires étrangers face à la montée récente des tensions dans les eaux du Nazum, lesquelles inquiétaient ceux de cette assemblée qui avaient placé des actifs dans des entreprises bénéficiant du grand commerce par le détroit du Nazum. En tous points, il s'était produit ce que les rangs de cette chambre législative méprisaient par dessus tout: des évènements imprévus.

Lorsque ce fut le tour de la Maîtresse du Grand Commerce de prendre la parole, les nerfs étaient déjà à vif, et nul doute que ce qu'elle avait à dire n'allait pas aller dans le sens de l'apaisement: encore et toujours des facteurs imprévus et indépendants de la volonté de ces hommes et de ces femmes. Julia Cavali, cette avocate quarantenaire, se tenait là debout parmi ses pairs, comme il était de coutume de le faire à chaque prise de parole. Le doyen Gabriele Zonta, fit signe à ses greffiers sénatoriaux de frapper plusieurs fois le sol de leur bâton cérémoniel dans l'attente du silence. Depuis sa simple et modeste chaise curule, Zonta fit un geste du bras en direction de la membre du gouvernement:
" Julia Cavali. Tu peux parler. Comme tous tes confrères, sache que ton temps est imparti. Quelle est ta requête envers nos personnes ? En quel nom exiges tu de nous déranger ?"

La Maîtresse du Grand Commerce s'avança sur la petite estrade surélevée. Devant ces plusieurs centaines d'hommes et de femmes, elle fit les cent pas avant de diriger vers eux la paume de sa main:
- Honorables excellences. Mes frères et mes sœurs de Sénat. Il n'a jamais été dans mes coutumes depuis le début de mon mandat, de vous faire part de mes mots sans qu'il n'y ait une raison impérieuse qui n'implique pas la prospérité de la cité, et la gravité de ma fonction. Il n'a jamais été dans mes habitudes de faire perdre son temps à ces excellences, pas même aux rangs de notre opposition, que j'estime tout autant que mon propre camp. Jamais je n'ai foulé les marches de l'assemblée séculaire en étant prise de pensées égoistes qui viendraient contrarier les desseins de notre cité. Alors, lorsque je viens vers vous, soyez témoins de ma bonne foi, et au fait que je ne me prétends rien d'autre que l’exécutrice de la volonté du Sénat. Je ne suis que celle qui vient intercéder entre lui et le reste du monde. Vous aviser de ces changements, tout en vous indiquant la marche à suivre dans l'optique de profiter de nouvelles sources de bénéfices, et que cette prospérité ne vienne rejaillir sur nous tous.

A fluctibus ope, la richesse vient de la mer, comme toujours et à jamais. Nous n'avons pas à nous plaindre il est vrai. Notre cité est déjà riche, nous avons déjà capté des marchés importants: Drovolski, l'Empire Xin, la pays des margoulins, le grand orient, les terres leucytaliennes... Mais la mer est également trompeuse, et il est tout aussi facile d'établir des routes de commerce que de les couper. Notre marché intérieur est petit, et les bibelots dorés qui se trouvent dans vos palazzos et vos latifundia sont pour la plupart originaires de l'étranger. C'est bien pour cela que le commerce ne peut se passer d'une Marine forte, marchande et militaire.

Or, la Manche Blanche est étroite et bien encombrée. A chaque manœuvre aboutit un quiproquo potentiel dont il n'est aucunement de notre utilité de provoquer, . Nous avons des voisins, et il faut bien faire avec: le commerce l'exige. Il n'est rien que nous, honorables gens du sénat, ne puissions donner aux étrangers, à condition qu'ils ne nous rendent la pareille... Alors donnez à ce gouvernement l'autorisation d'inviter les hommes et les femmes du pays teylais et tanskien, car il va de notre intérêt d'aborder ce point avec ces gens.




Quelques semaines plus tard...


Les petits plats avaient été mis dans les grands, c'était évident lorsqu'on voyait se navire appareiller depuis la plus grande cale sèche des Arsenaux de la S.A.V velsnienne. Le "Régicide" n'était pas encore tout à fait prêt: il lui manquait encore des armements auxiliaires et quelques éléments du personnel, mais il était on ne peut plus près pour la mission que l'on attendait de lui ce jour de visite: être le décor principal de celle-ci. De ce point de vue là, tout semblait s'y prêter. Ce lancement devait être la rencontre de deux mondes: le politique, incarné par la présence de plusieurs membres du gouvernement communal, et le militaire, garanti par celle de ce porte-avion et d'une partie du commandement de la Classis I "San Stefano" (une partie de la flotte étant en période d'exercice avec la flotte fortunéenne, à des milliers de kilomètres de là). Le lien entre ces deux mondes serait garanti par la présence attendue du Maître de l'Arsenal Matteo Di Grassi, dont c'était la première apparition publique depuis un certain temps, le taciturne strombolain qui appréciait si peu ce genre d'évènement. Il était le lien de ces deux mondes qui étaient intrinsèquement mêlés depuis la fin de la guerre civile. En effet, on a coutume de dire dans la cité qu'il n'en fallu qu'à la fidélité de la Marineria pour sauver son gouvernement d'une prise de pouvoir de Scaela, dont on osait plus mentionner le nom. La guerre avait aussi aboutie à une profonde recomposition des élites politiques: les anciennes factions aristocratiques et patriciennes de la capitale, elles qui s'étaient perdues en grande partie dans une alliance avec le tyran, devaient désormais composer avec cette petite notabilité de province, incarnée par Di Grassi, qui devait sa position par leur rôle dans la victoire, ou leurs liens avec la Marine.

Parmi les autres membres du gouvernement, la plupart appartenaient au même milieu: Julia Cavalli était à l'origine une petite avocate de province de la cité d'Umbra. Carlos Pasqual, Maître de la Garde, était un magistrat local de la ville de Velathri, en Achosie du Nord. Rocco Ascone quant à lui, Maître des balances, était banquier dans la cité libre afaréenne de Cerveteri. Les membres de cette nouvelle élite partageaient tous ce trait commun d'être issus de la province ou des outre mer. Lorsqu'ils se rencontrèrent sur le pont principal du Porte-avion, ce fut comme si ils se connaissaient depuis toujours: ils s'embrassèrent et se firent la bise. On pu voir Carlos Pasqual en venir à tapoter affectueusement la joue d'Ascone en lui disant:
" Rocco ! On t'a pas vu depuis un moment au Conseil communal. Où diable était tu passé ? Tu as maigri: je n'aime pas ça, il faut que tu manges."

Tous avaient été acteurs de la défaite de Dino Scaela à un degré variable, et la plupart avaient en commun le fait d'avoir perdu quelque chose à cause du même homme. Paradoxalement, Scaela avait provoqué un resserrement des rangs au sein de la partie conservatrice du Sénat. Plus que jamais, on était conscients d'appartenir à un seul et même groupe.

La piste du Porte-avion avait été aménagée pour la venue des petits appareils des délégations teylaises et tanskiennes. Là, quatre des membres du Gouvernement communal les attendraient. Absent de taille toutefois: le siège prévu pour la représentation du Sénat, assurée par le vénérable doyen Gabriele Zonta, restait vide. Depuis plusieurs jours, le vieil homme était malade, et on craignait le pire pour lui au vu de son âge avancé de 92 ans.

Les changements dans cette nouvelle élite se sentaient jusque dans ceux observés auprès des gardes d'apparat. Avec la dissolution de la Garde des licteurs, composés des membres de riches familles qui s'étaient fourvoyés dans une alliance avec Scaela, c'était désormais plusieurs unités qui s'acquittaient de cette tâche. Au premier rang desquels les "chasseurs strombolains" figuraient, eux qui avaient été de toutes les batailles de la guerre civile aux côtés de Di Grassi. On remarquait également la présence de la garde sénatoriale wanmirienne, unité mercenaire qui avait en partie repris le rôle auparavant détenu par la Garde margouline raskenoise, également dissoute pour des raisons toutes autres.

Ne restait plus donc que les étrangers...



Personnages présents (aide pour les joueurs)


Personnel politique:

- Julia Cavali: Maîtresse du Grand Commerce et des étrangers et sénatrice. Est considérée comme la principale initiatrice du développement des routes commerciales velsniennes vers le Nazum, et l'établissement d'alliances avec Drovolski et la Polkême.
- Matteo Di Grassi: Maître de l'Arsenal et sénateur. Vainqueur de la guerre civile velsnienne de 2013-2014. Principal artisan de la réforme de la Marine et de l'armée velsnienne au travers des gouvernements Dandolo (2010-2012), du Triumvirat (2012-2014) et du gouvernement Visconti (2014 à nos jours).
- Carlos Pasqual: Maître de la Garde et sénateur (également Miser Monde 2015). Connu pour sa réorganisation complète des services de renseignement de la Segreda depuis deux ans. L'un des éléments les plus conservateurs et sécuritaires du gouvernement. Ancien compagnon de route de Di Grassi durant la guerre civile (on nomme ainsi les partisans de la première heure de Di Grassi).
- Rocco Ascone: Maître des Balances démissionnaire et sénateur dont l'action est considérée comme l'une des causes majeures du développement économique de Velsna depuis deux ans. Il était également l'un des principaux opposants du mouvement social velsnien de 2015-2016, au terme duquel il a proposé sa démission au reste du gouvernement, dont la décision est toujours en attente.


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Rocco Ascone


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Matteo Di Grassi (toujours souriant)


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Julia Cavali


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Carlos Pasqual


Personnel militaire:

- Luigi Serrantino, surnommé "Beko": Sénateur et Amirraglio de la Classis I. Ancien compagnon de route de Di Grassi durant la guerre civile (on nomme ainsi les partisans de la première heure de Di Grassi).

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Luigi Serrantino


Protocole sénatorial (aide pour les joueurs):
- Pour les représentants du gouvernement communal:
. "Excellence sénateur" ou "Excellence maître" (en référence au statut de maître de bureau) selon les préférences.- Pour Luigi Serrantino:
"Excellence Amirraglio" ou "Excellence sénateur" selon les préférences.- Vouvoiement obligatoire dans tous les cas.
- Contacts physiques: strictement interdit sauf en cas d'accord conclu.
. En cas d'accord conclu: une bise sur chaque joue et étreinte avec main posée pas plus haut que l'avant-bras.- Journalistes, photos et caméras: autorisées sous condition de distance réglementée.
- Attitude vis à vis des greffiers sénatoriaux et autre personnel du Sénat:
. Tutoiement de rigueur, "Jeune homme" ou "Jeune femme" pour désigner le personnel des greffiers sénatoriaux.
1839
L'hélicoptère arrivait lentement,. Il avait décollé il y a de cela moins de deux heures de l'aéroport militaire de Kalfafell. Un simple vol à bord d'un appareil aussi rare que précieux, un Stromsvale-9. Produit en très peu d'exemplaires pour le moment, l'appareil relevait presque de l'artisanat plus que de l'industrie. Un artisanat raffiné et de haute technologie pour autant. Non armé pour l'occasion, l'hélicoptère n'en avait pas moins fière allure quand il arrivait à proximité du porte-avions. Le choix même d'accueillir une telle rencontre sur un porte-avions avait déplu à plus haut titre pour la diplomatie tanskienne. En interne, l'administration avait grommelé, les plus anciens s'étaient offusqués, certains feignaient l'insulte à la diplomatie traditionnelle, aux us et coutumes de Velsniens pourtant réputés conservateurs par certains. Voilà un lieu qui n'était pas commode pour parlementer, et moins encore qui était propice à la négociation pensaient certains conseillers. Était-ce là de l'arrogance, une démonstration à peine voilée du militarisme velsnien ou un simple plaisir personnel d'un aristocrate velsnien, le personnel à bord n'en avait pas la certitude, et il n'en était plus désormais plus question. Porte-avions cela serait.

La délégation en elle-même était à son plus simple appareil, façon de parler. La première ministre, Jaka Lakkas, le ministre des Affaires étrangères et des Droits humains, Mar Loftsson, ainsi que deux conseillers politiques de haut rang, et le conseiller militaire de la première dame du pays. En visite, il ne servait généralement à rien, et l'on attendait de lui qu'il ne serve à rien. C'était tout, et l'on ne voulait pas faire plus. A l'exception des grandes conférences internationales ou des visites longuement organisées, il était rare de voir la diplomatie tanskienne se déplacer en nombre. Un ministre, quand ça n'était pas un chef de délégation locale, et quelques conseillers. Plus rare encore était la présence de la Première ministre à des séances de négociations. Et puis de toute manière, le lieu ne permettait pas de faire atterrir un appareil gouvernemental dans tous les cas.
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Mare Nostrum !

Hélicoptère


Angel Rojas fulminait tout seul dans l'hélicoptère qui l'amenait sur le lieu de la rencontre, à savoir le porte-avions, le tout nouveau-né de la flotte velsnienne. Son regard, dur et acéré, balayait les paysages urbains teylais de la capitale. Manticore était belle aux yeux d'Angel Rojas, elle l'était encore plus vue du ciel. Il voyait s'éloigner la Résidence Faure au loin, entourée des bâtiments d'acier et de béton et des tours de verre marquant l'entrée dans l'ère moderne de la capitale manticorienne. Cette capitale, disait-on, de l'amour, avait été celle de l'amour pour Angel Rojas aussi. Il était tombé amoureux de la vie urbaine, de la société urbaine. Il était aussi tombé amoureux de sa compagne actuelle. Ils avaient beau former un couple, ils n'étaient pas mariés et avaient chacun leur appartement. Ils n'habitaient pas ensemble et ils étaient heureux. Un mode de vie pour les couples de plus en plus présent au Royaume de Teyla selon les dernières enquêtes. La vision de la famille traditionnelle n'avait jamais réellement été ancrée dans l'esprit teylais. Elle s'envolait dans les oubliettes du mode de vie teylais ces dernières années.

Elle était assise là, sur un banc d’un des nombreux parcs de la capitale teylaise. Son dos droit, ses mains croisées sur ses genoux, et ses yeux levés vers le ciel la faisaient paraître comme une femme élégante, mais distante. Elle s'appelait Iséa et il avait souri lorsqu'il avait entendu son prénom la première fois. Elle fulminait toute seule sur son banc à l'époque. Un policier de la Police Royale avait eu la mauvaise idée de s'adresser de manière peu élégante à cette femme. À cette époque, Angel Rojas était un homme de pouvoir, un juge d'instruction spécialisé dans la lutte anti-corruption. Il était le visage, non politique, le plus célèbre au Royaume de Teyla à cette époque. Il est allé parler à Iséa. Il lui avait promis de retrouver ce policier et d'avoir une discussion avec lui, une promesse qu'il avait tenue. À chaque départ lointain, Iséa avait l'habitude de revenir sur ce banc, dans ce même parc. Le parc avait changé de nombreuses manières, mais le banc, lui, était toujours le même, comme l'attestaient le cœur d'un jeune couple avec les initiales "J+R" toujours présent. Il avait été ce jour-là un homme de justice, mais c’était en homme d'honneur qu'il s'était installé à côté de cette femme pour lui venir en aide, pensa-t-il.

Mais Angel Rojas n'avait pas le temps de repenser à cette scène de sa vie. Il fulminait, oui, il fulminait tout seul parce que les Velsniens lui avaient peut-être mis à l'envers. Dans la missive adressée à la diplomatie velsnienne, le Royaume de Teyla avait très clairement signifié que toute rencontre diplomatique effectuée sur le porte-avions serait refusée par le Royaume de Teyla. Il n'était pas contre participer à l'inauguration, mais le fait qu'on allait devoir se poser directement sur le porte-avions était mauvais signe et il était probable que la rencontre ait lieu sur le porte-avions. Dans le même temps, Angel Rojas voyait mal la diplomatie velsnienne faire une aussi grossière erreur diplomatique. Nul doute que la diplomatie velsnienne savait qu'elle allait perdre des points envers le Royaume de Teyla et la République Fédérale de Tanska si elle osait.

Au loin, on entendait le gros "boom" signifiant que les chasseurs teylais avaient dépassé le mur du son. Il leva instinctivement les yeux vers le ciel. Deux chasseurs teylais fendaient l'air en formation serrée pour protéger l'hélicoptère de la délégation teylaise. Les chasseurs allaient disparaître lorsque l'hélicoptère ne serait plus dans l'espace aérien du Royaume de Teyla, laissant l'escorte aux chasseurs velsniens pour éviter toute méprise militaire. Alors qu'Angel Rojas, pour se calmer, plongea dans l'écoute d'un podcast sur la Manche-Silice qui avait pour nom "Manche-Silice, l'histoire d'une nation particulière". Une façon de continuer à prendre des informations sur cette nation alors que le Saint-Empire de Karty et le Royaume de Teyla avaient énervé la Tri-République, une chose que n'aurait jamais pensé possible le Royaume de Teyla.

En face d'Angel Rojas, Lucie Jaunette se tenait droite, lunettes sur son nez alors qu'elle regardait le programme à l'ordre du jour. Elle cherchait à comprendre ce que pourraient bien trouver les Velsniens comme proposition pour avantager l'Illirée tout en limitant l'influence des nations de l'Organisation des Nations Démocratiques. L'initiative velsnienne était intéressante pour le Royaume de Teyla, mais il n'avait pas oublié la non-volonté de cette nation de prendre position en faveur du Royaume de Teyla après un acte hostile contre lui et la République Fédérale. La mention de l'Illirée dans la missive concernant cette initiative, alors qu'il existait mille autres nations plus légitimes à être présentes, montrait l'audace de la diplomatie velsnienne mais qu'elle restait sur une ligne toujours à la limite quant aux intérêts du Royaume de Teyla.

Pierre Lore était assis à la droite d'Angel Rojas et lisait le protocole pour penser à autre chose que son envie de vomir. Il avait la peur de l'avion, alors être suspendu dans les airs à travers une seule hélice, c'était la goutte de trop pour sa santé, pensa-t-il. Il soupira de soulagement en lisant dans le protocole que tout contact physique était interdit. Ça allait faciliter son image auprès des Velsniens. Enfin, il n'y avait qu'à espérer qu'un accord ne soit pas conclu. La bise, carrément, lut-il avec dégoût. Lucie Jaunette rigola en voyant l'expression sur le visage de Pierre Lore. Lui aussi tenta de percer et de deviner les possibles propositions de la Grande République pour assurer la sécurisation de la Manche-Blanche et du commerce qui y transite. Comme l'ont montré les missives sur le sommet de Rusulka, Pierre Lore écarta immédiatement une force et un commandement conjoints entre les trois nations qui seraient représentées. Un départage de zones de patrouille entre les trois nations ? Le partage d'informations ? Possible, pensa Pierre Lore. La lutte contre la piraterie allait être difficile à inclure comme l'avait montré la réaction ferme et moqueuse à l'évocation de ce sujet au sommet de Rusulka.

L'hélicoptère transportant la délégation teylaise, composée de trois personnages, se posa sans difficulté sur le pont du porte-avions velsnien. Alors qu'Angel Rojas, Lore et Jaunette posèrent un pied à terre, Angel Rojas leva la main en signe de salutation envers Mateo Digrassi, démontrant que Mateo Digrassi restait le vrai gouverneur de la Grande République de Velsna pour les Teylais. Il était accompagné de Lucie Jaunette. La délégation teylaise resta groupée comme pour afficher son unité à la vue de la Grande République de Velsna mais aussi, d'une certaine manière, à la vue de la République Fédérale. Angel Rojas semblait être un homme nouveau. Il était souriant, le regard aguicheur. Plus que cela, il semblait même apaisé. Depuis la chute de la Loduarie Communiste, quelque chose s'était reconstruit en lui. Les nuits étaient de nouveau faites de sommeil, les crises d'angoisse se faisaient moins fortes, moins présentes. Il avait pris du poids, mais un poids signe d'un bon vivant retrouvant l'appétit de la vie. Ses dernières semaines étaient parlantes. Il avait enchaîné dix meetings au Royaume de Teyla en plus de ses obligations de Premier ministre. Un homme nouveau se présentait sur ce porte-avions depuis la fin de la Loduarie Communiste.
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Du pont au quai, début de rencontre (partie I)


Il y a du charme dans le quartier de l'Arsenal, pourtant, il n'avait jamais été le lieu d'une rencontre. A la lisière de l'agglomération velsnienne, ses ateliers acceuillaient près des deux tiers de la production militaire navale de la Grande République. Il y avait dans chaque rue, qui ce jour là était pour le moins bondées par l'attention suscitée par la vue d'un porte-avion au loin dans la lagune. Sur le bord des quais, une petite foule composée de cette populace caractéristique de ce quartier modeste, s'amasse devant la vue des avions se posant un à un sur la piste. La première étape d'une rencontre plus tape à l'oeil qu'à l'accoutumée. La majorité des entrevues se déroulant loin de la vue de tous, que ce soit dans les couloirs du Palais des Patrice, dans des propriétés diverses du gouvernement communal, ou à l'étranger.

Sur ce quai, on retrouvait ce fameux tissu social populaire, celui que l'on ne voit que trop rarement lorsqu'on vit uniquement dans le cœur historique de la ville, situé au beau milieu de la lune, perché sur son ilot sillonné par les eaux. Une petite fille coure entre les jambes des adultes. Elle est vive et à le cœur à l'aventure. Elle est pieds nus sur les pavés: pour cause, l'été est étouffant, et la foule et la bulle de pollution propre à chaque grande métropole d'Eurysie de l'ouest ne fait qu'accentuer le phénomène. Elle tente de se glisser entre les barrières pour se diriger vers le quai devant voir l'arrivée prochaine des diplomates. Ses portes sont clauses, et des gardes wanmiriens aussi beaux qu’impressionnants en guettent les accès. Mais elle est rapide, petite, et surtout...comme tous les gamins du quartier, elle est futée, assez pour savoir comment glisser entre les doigts des adultes et grappiller quelque argent. Voilà donc qu'elle se retrouve dans des endroits où elle ne devrait pas être: il n'y a plus d'adultes, juste des gardes allant et venant au bord de l'eau, certains s'arrêtant pour discuter, d'autres pour fumer une dernière cigarette en attendant l'arrivée du gratin. La petite fille s'installe derrière une caisse de stockage, attendant d'être aux premières loges de ces gens qui ne sont pas du même monde qu'elle. Elle compare cela...à de la télévision: on voit les personnages, mais il n'est pas question de les toucher. Alors elle compte la petite monnaie qu'elle a arraché aux passants dans la journée pour s'occuper, et elle chantonne des bribes de refrains populaires qu'elle entend de ça et de là dans la rue...

De la mer, et par la mer, nous sommes nés,
A la mer, le brave Frederico est retourné,
Mon père, mon frère, par Dame Fortune, j'ai juré,
De garder ce repos que tu as mérité.

Au tyran, Frederico a tendu la nuque proprement,
"Je garderai la loi, tu garderas le châtiment,
L'amour de Dame Fortune, qu'il a supplié et prié,
N'a pas trouvé place chez Scaela, que son cœur n'a trouvé.

Bats toi, bats toi, Federico, celui qui a bravé l'épée,
La Fortune a choisi le héros céleste,
Celui dont le sang sur le pavé reste,
Et au corps jeté dans les canaux de notre cité.


Parfois, il est dangereux d'être au centre du tableau, et la petite fille semblait l'avoir intériorisé...


Sur la piste, les délégués tanskiens et teylais étaient accueillis par une haie d'honneur de gardes wanmiriens. Jusqu'à maintenant, ces mercenaires destinés à remplacer les raskenois et la garde des licteurs dans leur rôle protocolaire faisaient du bon travail, même s'ils n'avaient pas connu de véritable baptême du feu. Depuis 2014, toute forme de conflit avait ainsi été évité par la cité, non pas que c'était là une pensée pacifiste, mais plutôt que la guerre était considérée comme un obstacle aux affaires, en particulièrement quand elle se déroule non loin de la maison. Sans aucun doute, cela était en lien évident avec les raisons de ces invitations adressées aux bien nommés deux voisins bordant cette minuscule baie, qui avait été le cœur des préoccupations de ces derniers mois avec cette "maudite nation de l'Ilirée". Les sénateurs velsniens, qui mettent bien souvent plusieurs années à répondre à certaines grandes questions de société, ont décidément été bien surpris et embarrassés de savoir que Valinor n'était plus Valinor, et qu'elle portait un autre nom. Le genre de détail à rendre fous ce "club de vieux garçons". Nonobstant, ce n'était pas tant le changement de nom qui était le plus grave que les conséquences que cela avait donné sur l'ensemble de la région.

Un jeune greffier se joignit aux arrivants, premier contact entre ces gouvernements et un officiel velsnien. Il était jeune, et probablement de bonne famille, comme la plupart des greffiers sénatoriaux dont le recrutement se fait par cooptation. Il s'incline bien bas devant le ministre Lakkas et les autres tanskiens, premiers arrivés. Il prenait sa plus belle et claire voix pour l'annonce du programme de la journée qui allait suivre:
- Excellence ministre Lakkas, excellences ministres et conseillers. C'est un honneur pour le Gouvernement communal de vous accueillir. Un personnel va se charger à votre guise de prendre en charge les affaires que vous jugeriez trop encombrantes pour les garder plusieurs heures. Ces excellences m'ont notifié l'emploi du temps du jour, qui je suis sûr, vous siéra. En premier lieu, nous vous invitons à prendre place pour le discours d'inauguration de son excellence, la Maîtresse du Grand Commerce Julia Cavali qui se déroulera sur le navire. Suite de quoi, l'entrevue proprement dite prendra place dans le quartier de l'Arsenal, dans un hôtel particulier dont la location a gracieusement été accordée par son excellence, le Sénateur-doyen Gabriele Zonta. Celui-ci s'excuse d'ailleurs de ne pas pouvoir se libérer ce jour, pour cause de maladie. Bien entendu, nous ne vous ferons pas l'affront de ne pas entrecouper ces deux étapes par la tenue d'un repas, dont nous espérons que vous le trouverez digne de vos palais respectifs.

Le jeune homme semblait désigner d'un geste de la main des places d'honneur dans l'audience.

Vous places sont déjà assignées, mais je vous prie toutefois d'honorer ces excellences en salutations. Ils sont très pressés de vous voir. Si vous avez besoin de quoi que ce soit d'autre ayant attrait au service, vous pourrez à votre guise et tout au long du séjour le faire savoir au personnel d’accommodement.


Les teylais, à la suite de leurs comparses, eurent droit au même traitement (HRP: je ne vais pas répéter deux fois le même accueil). Sans attendre que les étrangers aient fait un pas en leur direction, les quatre membres du gouvernement communal s'avancent vers eux. Seul Rocco Ascone, en tant que démissionnaire, reste en retrait. Tous semblent s'accorder sur les violons de la Maîtresse du Grand Commerce, qui tend en premier la main aux étrangers. Les plus adroits auront pu voir Di Grassi répondre aux attentions de Rojas par un acquiescement de la tête aussi courtois que discret.


Phase 1: "Parlotte" préliminaire


La cinquantenaire tendit sa main vers les hommes et les femmes de Teyla et de Tanska, passant en premier lieu ses yeux sur Lakkas et Rojas, ses homologues.
- Honorables excellences. C'est un plaisir de faire votre rencontre: je crois bien que c'est la première fois que nous nous rencontrons. Si parmi les miens je ne suis que leur égale, mes prérogatives de Maîtresse du Grand Commerce, en vertu du dossier dont nous allons discuter aujourd'hui, fait que je serai probablement votre interlocutrice principale, même si la présence inestimable de son excellence Di Grassi nous sera tout aussi utile pour les affaires du militaire, qui seront probablement de la partie.

Cavali fit un geste en direction de ses égaux.

Voici son excellence Rocco Ascone, mon compère et Maître des balances. C'est lui qui a la fort harassante tâche de "trouver l'argent".

Ascone était un grand gaillard, pratiquement la soixantaine, sourire enjôleur mais à la réputation parfois bougonne, tenant son éternel cigare qu'il s'apprêtait probablement à allumer si les invités avaient daigné arriver quelques minutes plus tard. Il prit son rôle avec léger, rappelant non sans rire grassement à Rojas que ce dernier avait déjà rencontré un "Maître des Balances" par le passé:
- Excellences. C'est un honneur: j'ai à cœur de "remonter le niveau", comparé aux détenteurs de mon poste que vous auriez déjà eu l'amabilité de croiser.

Pasqual, lui, était beaucoup plus observateur, sans toutefois lâcher un sourire, mais dont la nature était...peu rassurante. On ne savait pas de lui s'il avait déjà sourit autrement qu'en étant forcé par la circonstance durant toute sa vie:
- Excellences, un vrai plaisir de nous voir réunis ici.

Lui, tourna son regard vers le premier ministre tanskien.

Il va de soi que je suis un très grand admirateur de la rigueur législative de ces excellences, en particulier de la loi renseignement que votre gouvernement avait émis en 2013: une véritable avant-garde en ce qui concerne la sécurité des données en ligne et la surveillance des activités des militants communistes ! Si vous êtes mal à l'aise avec les coups de vent, je vous rassure: nous n'allons pas rester sur ce pont très longtemps. Pour ma part, j'ai hâte de mettre pied à terre, je n'ai jamais eu le pied marin.


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Pasqual souriant à l'idée de la surveillance en ligne des communistes tanskiens


Enfin, Di Grassi se réservait pour la fin, et il fut de loin le plus protocolaire de tous ses compères, s'inclinant légèrement vers Rojas et Lakkas:
- Excellences. En premier, je tenais à vous féliciter de la maîtrise de la situation de Valinor/Illirée à laquelle vos deux gouvernements ont pris part. Il est rassurant de voir que la diplomatie a porté ses fruits. Comme vous le verrez sûrement, cette entrevue constitue une suite logique de ce que nous avons pu observer durant ces évènements, et les points sur lesquels nous pourrions améliorer encore cette situation de statut-quo en Manche Blanche. Et quoi de mieux pour cela que de redéfinir les règles de la circulation maritime pour les vaisseaux civils et militaires.

Avant que ma consœur aborde le discours d'inauguration, avez vous des questions sur le programme de cette journée ? "Politiques", j'entends. Ou une idée avec laquelle vous êtes venus nous voir ?

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