Posté le : 04 août 2025 à 14:10:44
7479
Émile Baudry se tenait debout avec cette aisance tranquille propre à ceux qui savent mettre les autres à l’aise. Son allure détendue contrastait subtilement avec la gravité du moment. Vêtu d’un costume sombre, sobre mais bien ajusté, il avait choisi de ne pas porter de cravate, arborant une chemise blanche ouverte au col, un détail discret, révélateur d’un homme à la fois professionnel et accessible. Son visage glabre, éclairé par un regard vif et attentif, exprimait une chaleur sincère. Chaque expression, chaque sourire, trahissait une proximité naturelle, celle d’un homme habitué à dialoguer plutôt qu’à déclamer, à écouter autant qu’à parler.
Près de lui, Solenn Cariou offrait un contraste aussi net que complémentaire. D’un maintien droit, presque immobile, elle incarnait la rigueur et la maîtrise. Son tailleur vert foncé, taillé avec précision, soulignait la dignité de sa fonction et son attachement profond aux responsabilités qu’elle portait. Ses cheveux tirés en un chignon net encadraient un visage concentré, où rien n’était laissé au hasard. Dans ses yeux, dans la précision de ses gestes, transparaissait une force tranquille, une volonté de défendre les intérêts du Neved avec calme et détermination.
À eux deux, ils formaient un équilibre. Émile, par sa chaleur et sa simplicité, Solenn, par sa discipline ferme et réfléchie. Deux voix différentes, mais une même parole, celle d’un pays prêt à prendre sa place, sans s’imposer, mais sans s’effacer.
Émile Baudry se leva calmement, sa présence captivant immédiatement l’attention dans la salle. Il adopta un ton officiel, empreint d’une chaleur sincère, et posa un regard direct sur les consuls d’Achos, Ceredig Wathen et Wynn Maddocks.
"Messieurs les consuls, amis du Neved, permettez moi de vous adresser mes remerciements les plus sincères. Votre invitation est un honneur, et, nous retrouver ici, sur les terres Achosienne procure sentiments et émotions indescriptibles mais nobles."
Il élargit ensuite son regard vers l’ensemble de l’assemblée, engageant tous les participants d’un geste ouvert de la main.
"Mesdames, Messieurs, représentants des nations celtes et des diasporas qui portent nos cultures dans tous les hémisphères de notre globe, je vous salue avec respect et fraternité. C’est un honneur de partager ce moment avec vous, réunis par notre volonté commune de préserver et de faire vivre ce patrimoine précieux."
La voix d’Émile, claire et posée, s’élevait avec assurance tout en gardant cette proximité humaine, comme un appel à l’unité dans la diversité.
Lorsque Émile regagna doucement son siège, un léger silence se posa, vite comblé par la voix nette et posée de Solenn Cariou. Restée debout, elle prit la parole avec cette assurance tranquille qui lui était propre, son regard ancré dans celui des représentants présents autour de la table.
"Si nous sommes ici aujourd’hui, ce n’est pas par nostalgie. Ce n’est pas non plus pour agiter un drapeau du passé ou pour figer notre culture dans une vitrine. C’est parce qu’il existe, devant nous, des menaces bien réelles et profondément actuelles. L’uniformisation croissante du monde. L’influence massive et continue des grandes cultures dominantes. Le temps, qui use lentement la mémoire. Et surtout, ce silence insidieux qui s’installe lorsqu’on cesse de se souvenir."
Elle marqua une pause brève, puis reprit, plus grave encore :
"Le Neved le sait bien. Nous avons passé des siècles repliés sur nous-mêmes, observant de loin un monde en mouvement, parfois par prudence, parfois par peur. Peur de perdre ce que nous étions. Peur de nous voir dilués dans un flot qui ne laissait plus de place aux voix singulières. Cette peur n’a pas disparu. Mais aujourd’hui, nous croyons qu’il est temps de faire face. Non pas en imposant notre culture, jamais. Mais en la préservant, en la partageant, avec ceux qui veulent l’entendre, la découvrir, l’aimer."
La salle, baignée par une lumière dorée, semblait suspendue aux mots calmes mais fermes de la ministre. Une tension douce mais palpable flottait dans l’air, faite d’émotion retenue et de lucidité partagée.
Solenn redressa légèrement les épaules, laissant glisser son regard sur la grande table de chêne.
"Le Neved est favorable, sans ambiguïté, à la fondation d’une organisation interceltique telle que vous l’avez proposée. L’idée est juste, nécessaire, attendue depuis longtemps. Elle nous rassemble autour de ce que nous avons en commun, mais elle doit aussi respecter ce qui nous distingue. Mais avec cet enthousiasme viennent des craintes. Nous ne voulons pas faire de la culture un étendard qu’on impose, ni une obligation qu’on applique. Nous ne sommes pas ici pour convaincre. Nous ne sommes pas là pour convertir. Nous sommes là pour partager, pour transmettre, et pour laisser la liberté d’écouter à ceux qui en ont le désir. Notre histoire, nos chants, nos mots anciens et nouveaux, nos silences aussi, n’ont de valeur que s’ils sont reçus avec respect et curiosité, non avec devoir ou culpabilité."
Solenn marqua une brève pause. Puis, sans changer de posture, elle reprit, plus ancrée encore dans la proposition.
"Et parce que nous croyons qu’un tel projet ne peut reposer uniquement sur de beaux principes, nous souhaitons aussi, en toute transparence, partager nos idées concrètes."
Elle effleura les feuilles devant elle du bout des doigts, sans les lire.
"Le Neved est convaincu que pour préserver nos cultures, nous devons mobiliser tous les outils à notre disposition. Ceux venus d’hier comme ceux d’aujourd’hui. Les manuscrits, les contes, les chants. Mais aussi les réseaux, les bases de données, les plateformes numériques, les applications pédagogiques. Ce n’est pas une opposition entre tradition et modernité : c’est une alliance, une complémentarité. L’un nourrit l’autre. Et l’un sans l’autre, aujourd’hui, ne suffit plus.
Nous devons investir. Dans des programmes éducatifs transnationaux, dans des festivals qui font se rencontrer les artistes et les publics, dans des bourses qui permettent aux jeunes de nos peuples d’apprendre leur langue, d’étudier leur histoire, de voyager entre nos territoires. Nous devons créer des ponts, pas des murs. Des lieux de mémoire vivants, ancrés dans le présent.
Et nous ne devons pas oublier celles et ceux qui sont loin de nos terres, mais qui portent encore nos noms, nos souvenirs, nos accents mêlés à d’autres. Les diasporas sont un fil invisible, parfois fragile, mais précieux. Elles doivent avoir leur place pleine et entière dans cette organisation. Non pas comme archives lointaines, mais comme acteurs vivants du présent.
Ce que nous proposons, ce n’est pas une réponse unique. Ce sont des moyens partagés. Des initiatives concrètes. Un engagement commun, respectueux des rythmes de chacun. Pour que nos cultures ne soient ni sanctuarisées, ni diluées, mais vécues. Et vivantes."
Émile s’était légèrement penché en arrière durant l’intervention de Solenn, attentif, les mains croisées. Lorsque le silence s’installa de nouveau, il se redressa lentement, puis se leva dans un mouvement fluide, sans brusquer l’instant. Il jeta un regard calme à Solenn, empreint d’un respect évident, puis s’adressa à la salle.
"Je n’ai pas grand-chose à ajouter… et c’est sans doute le meilleur signe. Quand on porte une parole claire, il faut savoir la laisser résonner sans l’écraser."
Il laissa passer un léger sourire, complice, presque tendre.
"Mais si je devais conclure… je dirais simplement que nous ne sommes pas venus avec des certitudes. Nous sommes venus avec un espoir. Celui que, malgré nos histoires différentes, nos accents, nos drapeaux, nos choix politiques parfois divergents… quelque chose nous relie encore. Et que ce quelque chose mérite d’être transmis.
Vous savez, on parle souvent d’identité comme d’un héritage. C’est vrai. Mais c’est aussi une responsabilité. Et parfois, cette responsabilité est fatigante. Parce qu’elle demande du soin. De la nuance. Du temps. On aimerait que tout soit simple. Mais ce n’est pas simple. Rien ne l’est. Et c’est très bien ainsi.
Ce que nous sommes ne tient pas dans un discours. Ni dans un musée. Ni même dans un chant. Ça tient dans des gestes qu’on répète sans toujours savoir pourquoi. Dans des mots qu’on prononce parfois mal. Dans une émotion qu’on ressent quand on entend une mélodie venue de loin. C’est fragile. Mais c’est là."
Il leva doucement la main, comme pour en désigner la présence, invisible mais commune.
"Alors oui, nous sommes prêts à marcher avec vous. À réfléchir. À construire. À rêver un peu, même. Pas pour faire revivre un passé figé, mais pour s’assurer qu’il laisse encore une trace dans ce monde. Pas pour faire du bruit… mais pour ne pas disparaître en silence."
Puis, son regard balaya l’assemblée une dernière fois.
"Merci de nous accueillir. Merci de nous écouter. Et surtout… merci d’être là."
Il regagna sa place, dans un calme simple, presque intime, tandis que la lumière déclinante jetait sur la table des reflets d’ambre et d’or.