
Gare Centrale de Gelestal
Le soleil était au beau fixe ce matin de mai, les températures douces annonçaient une journée agréable. Les annonceurs météo avaient néanmoins prévu le retour des nuages dès le lendemain, et de la pluie dès le Surlendemain, le gris des murs se mêlerait alors à celui du ciel. Les habitants de l’ancienne capitale Vietique s’amusaient à dire que leur ville était invisible par temps gris. Matilda soupira, les yeux levés au ciel. Depuis sa prise de pouvoir, un an auparavant, de nombreux travaux avaient débuté dans tout le pays, Gelestal n’y faisait pas exception. De grands projets avaient littéralement inondé les bureaux de la mairie, de nombreux proposaient la destruction pure et simple des symboles de l’ancienne Vietie. La chose n’était pas faisable à chaque fois, que ce soit pour des raisons culturelles ou tout simplement pratiques, car certains de ces bâtiments étaient habités. Et puis l’opinion publique était aussi à prendre en compte. Bien que les nostalgiques de la Vietie ne soient plus très nombreux, ils l’étaient suffisamment pour représenter une réelle nuisance dans l’avancement des projets. La tenue de cette réunion entre deux anciens ennemis de la Vietie dans son ancienne capitale était aussi un message destiné aux nostalgiques de ce pays en général, à Cuvilier en particulier. En effet, celui-ci, en cavale depuis un an, semblait avoir réussi à établir un front commun au sein du groupe “Vietie Renaissance”, groupe désormais considéré comme terroriste.
*il va falloir que j’en parle aussi, de ce gros sac* se dit Matilda. Après tout, Cuvilier nourrissait à l’encontre de la Lermandie un ressentiment assez vif, au point de dresser des plans d’attaque contre ce pays lorsqu’il était à la tête de l’armée Nebrownienne.
Matilda baissa les yeux et les posa sur le bâtiment qui l’entourait : la Gare Centrale de Gelestal. Vestige de la période de la République Vietique, ce bâtiment était un des rares à ne pas avoir été détruit lors de l’ère de la dictature communiste, en raison de la catastrophe logistique qu’aurait entraîné des travaux aussi colossaux en son sein, sans doute. Le grès rose dont elle était constituée avait foncé avec le temps, et l’usage intempestif de la vapeur et du Diesel, lui donnant une couleur rouge-marron qui tranchait au milieu des bâtiments gris typiques des constructions communistes. Sa forme aussi tranchait, toute en lignes effilées et pointes montant vers le ciel, là où la tendance générale des bâtiments autour était plutôt du style “cubes de béton posés au cordon”, alignés comme à la parade.
- Le train du Président Duval est annoncé au poste 5, Générale, dit le chef de gare, descendu de son bureau pour l’occasion.
- Dans combien de temps sera-t-il là ? Demanda Matilda
- Dans deux minutes répondit-il après avoir rapidement consulté sa montre
La nouvelle se répandit tel un murmure derrière Matilda. En plus d’elle, de ses conseillers, de son ordonnance et garde du corps Fira Mynooc et de quelques membres de sa Garde Présidentielle (des volontaires de son ancienne Brigade portant l’uniforme de l’ancienne Garde Présidentielle, pré Kellem), de nombreux industriels et investisseurs avaient fait le déplacement pour rencontrer des homologues Lermandiens. On voyait, par exemple, les deux dirigeantes de la SNCF, le PDG de la firme LANATA, celle des F2N (Fonderies Nationales Nebrowniennes) et celui de la CNM (Compagnie Nebrownienne de Motorisation) entre autres. Bien évidemment, Ernest le lui avait dit, les rencontres diplomatiques de ce genre étaient toujours l’occasion de faire des affaires. Ce dernier se tenait légèrement en retrait, derrière elle, souriant mais légèrement tendu. Matilda eut un sourire en coin : elle n’était pas seule à ne pas être à l’aise. Mais au moins, elle n’était pas engoncée dans son uniforme de parade. Elle avait longuement hésité à le revêtir, mais l’avait finalement jugé beaucoup trop pompeux pour ce qu’elle attendait de cette rencontre diplomatique. De plus, elle était tenue, par le protocole militaire, d’afficher ses décorations, chose qu’elle détestait profondément. Elle était donc vêtue de son habituelle tenue de service courant, un treillis camouflage dans lequel elle se sentait particulièrement à l’aise. Elle avait néanmoins coiffé le béret de son arme.
Un chuchotement généralisé derrière elle la tira de ses réflexions. Regardant par dessus son épaule, elle vit que tous les regards s’étaient tournés vers la voie, au loin, aux premières aiguilles avant l’entrée en gare. Tournant les yeux à son tour, elle vit le train Présidentiel Lermandien qui franchissait le pont juste avant le Poste 1, poste d’aiguillage commandant toutes les aiguilles de la gare. Elle s’étira brièvement et soupira un bon coup, essayant de chasser l’anxiété qui commençait à monter. Elle se souvint de sa surprise lorsqu’elle avait appris que le Président Lermandien était assez jeune pour être son fils, mais chassa cette pensée. Après tout, s’il en avait les compétences, qu’importe qu’il soit jeune ou non, tant qu’il menait son pays de manière efficace. Un autre coup d'œil lui montra la locomotive de tête du train Lermandien qui venait de passer le bout du quai.
*Tiens, une rame tractée… ça aurait sûrement plu à Noroît* se dit Matilda
- Dommage que Nono ne soit pas là, dit Ernest, derrière elle, une rame tractée, ça lui aurait sans doute beaucoup plu
- Tu sais qu’il déteste ce surnom, lui répondi Matilda par dessus son épaule, mais je me suis fait la même réflexion
- Il aurait juste été intenable en suppliant pour visiter, caméra au poing, repris Ernest
- Chasse le naturel et il revient au galop conclu Matilda, un sourire en coin
- Il a dit la même chose à ton sujet ce matin, c’est marrant, continua Ernest, ne te mets pas trop de pression, la Lermandie est une nation qui nous a toujours été globalement favorable, tout ce qui ressortira de cette réunion sera positif
Le sourire de la générale de Brigade s’élargit. Son mari semblait avoir expressément demandé à son ami de lui confirmer son soutien et sa confiance face à cet évènement. Ce n’était pas juste des mots, elle le sentait, tout comme elle sentait le soutien d’Ernest, qui était devenu un ami pour elle aussi, avec le temps. Le train s’avançait vers le bout du quai, ralentissant progressivement. La Gare Centrale de Gelestal était une gare Terminus, Matilda et la foule qui l’accompagnait attendaient en bout de quai.
- Une CC-720 ?
- La version originale, les CC-720 sont, pour certaines, une production sous licence des MBM-D-72000 Lermandiennes
Ernest pouffa. Il savait que son ami Noroît adorait les locomotive en profil “nez cassé”, il devait en avoir tellement parlé que sa femme avait retenu les info déballées sur le matériel. Le train Lermandien s’arrêta dans un crissement de frein, métal contre métal produisant un son strident guère agréable à l’oreille. L’odeur du métal chaud caractéristique s’éleva en même temps que l’hymne Lermandien, joué par la fanfare d’une unité motorisée, le détachement de la garde présidentielle se figeant dans une présentation des honneurs impeccable.
Une porte s’ouvrit, laissant le passage au jeune président Lermandien. Par pur réflexe, Matilda porta la main au béret, un salut impeccable pour le jeune dirigeant. Puis, elle lui tendit la main.
- Monsieur le Président Duval, c’est un réel plaisir de vous recevoir et de vous rencontrer. Avez-vous fait un bon voyage ?