11/05/2017
22:39:51
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[Encyclopédie - Histoire] - Les Parchemins du Destin

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« Le passé n'est pas un fardeau, mais une lanterne que nous portons pour éclairer le chemin de l'avenir. »
– Jeong Hyeon, philosophe du XXème siècle



Introduction

Bienvenue devant les Parchemins du Destin (운명 의 두루마리 - Unmyeongui Durumari). Ce n'est pas une simple chronologie, mais le souffle des époques, le murmure des voix qui ont façonné Gorae Man. Ici, vous trouverez les récits de nos origines, les drames de nos divisions, les triomphes de notre union, et la sagesse tirée des défis qui ont mené à notre Grand Réveil. Chaque parchemin est une page de notre mémoire collective, portant les marques de notre évolution, de nos erreurs et de notre quête perpétuelle d'harmonie.

À Gorae Man, nous croyons que l'histoire est un fleuve ininterrompu, ses courants nous apportant les leçons d'hier pour éclairer les choix d'aujourd'hui. Des premières migrations de nos ancêtres le long des côtes de la Péninsule de la Griffe, aux épreuves qui ont précédé l'unification sous l'égide de la princesse Min So-yeon, chaque événement a ciselé l'âme de notre nation.


Sommaire

Frise chronologique
L'épopée de Min So-yeon
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« L'histoire est un fleuve où chaque tournant façonne le lit de l'avenir. Comprendre ses courants, c'est naviguer avec sagesse. »
– Jae-hyun, historiographe XIXème siècle



L’histoire de Gorae Man est celle d’un peuple qui, face aux tempêtes, a choisi l’harmonie. Ancrée entre mer et montagne, façonnée par le sel, le vent, les mots et les idées, cette nation a traversé les siècles sans jamais renier son attachement à l’équilibre, à la sagesse et à une quête patiente du juste et du beau. Le fil de son histoire est tendu entre les épreuves et les élans, chaque ère marquant une étape vers une société résolument originale.

Frise chronologique des ères de Gorae Man

-1000 à 50 : L’ère des fondations (기원 시대 – Giwon Sidae)

-1000 : Les premiers murmures.
Les premiers peuples s’installent sur les rives de l'océan du levant qui deviendra la Baie des Baleines. Ces communautés maritimes développent des rites liés à la mer, au ciel, aux ancêtres, et instaurent un mode de vie basé sur le partage des ressources, l’écoute des saisons, et la transmission orale.

-600 : Apparition des maîtres-lanterniers (등불 장인 (Deungbul Jangin).
Ces figures sages, navigateurs, poètes et éclaireurs, deviennent les premiers à placer des lanternes le long des récifs et des caps, pour guider les navires vers les ports de la baie. Ce geste, à la fois pratique et symbolique, devient fondateur dans la mémoire collective.

-500 : Fondation du royaume de Haesim.
Plusieurs communautés unissent leurs forces autour de la cité portuaire de Haesim, qui devient capitale d’un royaume émergent. Une première structure politique codifie la propriété des terres, les usages coutumiers, et une charte de bienveillance sociale (précurseur du principe d’harmonie).

-50 : Apogée des premiers rois.
L’unification territoriale progresse, les arts nautiques s’épanouissent, et des écoles de philosophie s’ouvrent, posant les bases d’un humanisme autochtone.

50 à 300 : L’ère des divisions (분열 시대 – Bunyeol Sidae)

50–150 : Guerres des hautes crêtes.
Les tribus montagnardes de l’intérieur, menacées par l’expansion du royaume de Haesim, se regroupent sous la bannière du Sangun, une alliance confédérale attachée à l’autonomie et aux anciens rites. Plusieurs décennies de conflits éclatent.

150–250 : Temps des corsaires indépendants.
Tandis que la terre est troublée, la mer devient le théâtre d’une autre fracture : d’anciens marchands et pêcheurs se muent en flibustiers organisés (Hae-ryong, “Dragons de la mer”), contournant l’autorité royale et établissant des havres insulaires libres. Certains historiens verront en eux les prémices d’une pensée libertaire et maritime.

250–300 : Effondrement et désunion.
Le royaume de Haesim se désagrège sous les coups croisés de la guerre, de l’exode et de l’anarchie. Des régions entières échappent à toute structure centrale.

300 à 350 : L’ère de l’unification (통일 시대 – Tongil Sidae)

300 : Le serment de la baie.
Par un acte de diplomatie audacieuse et un sacrifice personnel légendaire, Min So-yeon parvient à réunir les factions déchirées.

305 : Les premiers cercles.
Inspirés des traditions orales et du modèle communautaire des insulaires, des cercles de parole et de décision sont institués dans les villages.

320–350 : Consolidation.
Une trame de justice, d’éducation, et de délibération collective se tisse. Une figure spirituelle, Maître Go Sa-jin (고사진), philosophe errant, consigne les premiers “Préceptes de l’Harmonie”, synthèse morale qui influencera profondément la culture gorémanienne.

350 à 1600 : L’ère des transmissions (전승 시대 – Jeonseung Sidae)

400–800 : Temps des cités-rayons.
Des villes rayonnantes se développent autour de bibliothèques, de chantiers navals et de jardins. La philosophie de l’équilibre se cristallise dans la triade vertueuse : liberté – devoir – harmonie. L’écriture syllabique native, le gochunmun, voit le jour vers 710.

810–1200 : L’ère des hautes voiles.
Les grandes expéditions maritimes relient Gorae Man à d’autres civilisations insulaires et continentales. L’influence des philosophies d’outre-mer renforce la vision d’un monde interdépendant. Mais il n’y a jamais d’annexion extérieure ni d’empire.

1300–1600 : Temps des tempêtes et du retrait.
Une série de famines, de catastrophes naturelles et de tensions internes affaiblit le tissu politique.

1600–1800 : L’ère des équilibres retrouvés (균형 시대 – Gyunhyeong Sidae)

1610 : Pacte des trois arches.
Les trois plus anciens cercles (montagne, port, et vallée) scellent un accord pour rétablir un système commun de médiation. C’est la renaissance d’un idéal de gouvernance par la coopération plutôt que la centralisation.

1700–1800 : Renaissance culturelle.
La poésie des phares, les arts du bois flotté, les cercles d’enseignement philosophique connaissent un âge d’or.

1800–1990 : L’ère silencieuse (침묵 시대 – Chimmuk Sidae)

1800–1870 : Stabilisation modeste.
Le pays se ferme partiellement aux influences extérieures et connaît une stabilité douce, mais sans essor technologique majeur. On parle parfois d’une “stase contemplative”.

1870–1950 : Modernisation partielle.
Des efforts d’ouverture lente sont menés : amélioration des infrastructures, réforme de la navigation, premiers échanges diplomatiques formels. Une Constitution monarchique voit le jour.

1950–1990 : Le déclin des anciens modes.
Les formes de représentation traditionnelles s’essoufflent. La jeunesse se détourne des assemblées, et les taux de participation chutent. Le système semble à bout de souffle.

1990 à 2010 : L’ère de la grande stase (대정체 시대 – Daejeongche Sidae)

1990 : Tournant du silence.
Le taux de participation aux élections chute sous les 20 %. Les institutions n’ont plus de légitimité populaire.

1995–2005 : Période de vacance.
L’absence de gouvernements efficaces entraîne un mouvement d’auto-organisation locale. Les “Cercle-Refuges” se multiplient dans les quartiers, donnant naissance à des formes d’entraide et de gestion directe.

2005–2010 : Montée des veilleurs.
Anciens enseignants, marins retraités, philosophes, bibliothécaires – toutes et tous participent à une vaste redéfinition collective de la gouvernance.

2010 à aujourd’hui : L’ère du grand réveil (대각성 시대 – Dae Gakseong Sidae)

2010 : Le serment des veilleurs.
Une assemblée populaire signe un nouveau texte fondateur inspiré du serment de la baie de 300, cette fois-ci en nommant officiellement le Gorae Man comme nation moderne.

2012 : Adoption
La nouvelle constitution, fondée sur les principes d’harmonie, de participation directe et de liberté responsable, voit le jour. Le nom “Gorae Man” devient officiel.

2016 : En cours
La gouvernance en cercles est pleinement fonctionnelle, et la nation renaît comme modèle de démocratie communautaire, laïque et enracinée dans sa propre mémoire.
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« L’ombre de la paix se dessine parfois sous le voile du mensonge. »
– Jeong-ho, auteur de la biographie de la princesse, XIIème siècle




L’Épopée de Min So-yeon


Vers l’an 290, les terres qui formeraient plus tard Gorae Man n’étaient qu’un champ de fractures. Depuis plus de deux siècles, elles tremblaient sous les coups des armes et des serments brisés. Le royaume de Haesim, jadis maître de la côte et du cœur du territoire, voyait son influence se rétracter. Ses institutions vieillies, sa noblesse divisée et son armée affaiblie par les guerres incessantes peinaient à contenir les menaces qui l’encerclaient.

Au sud, les montagnes abritaient des clans anciens, présents bien avant l'arrivée des peuples marins, enracinés dans des traditions ancestrales. N’ayant jamais accepté le joug haesimien, ces montagnards menaient une guerre d’usure depuis plusieurs générations, frappant par escarmouches et se repliant dans les replis inaccessibles de leurs crêtes. Malgré leurs dissensions internes, les plus puissants d’entre eux nourrissaient l’ambition de chasser à jamais l’influence de la capitale.

Au nord, sur les eaux froides de la baie des baleines, un autre type de défi avait surgi quelques décennies après. Des pêcheurs, ruinés par la guerre et les impôts, s’étaient mués en pirates, puis en seigneurs maritimes. Ils établirent des havres libres, le long des côtes rocheuses et des criques. De ces repaires naquirent de véritables villes maritimes, gouvernées par des codes d’honneur aussi rigoureux que brutaux. Refusant toute autorité terrestre, ces pirates formaient une confédération volatile, divisée en lignées rivales.

Malgré sa lente érosion, le royaume de Haesim ne s’effondra pas totalement. Il subsistait, fier et épuisé, grâce à la division de ses ennemis. Les montagnards et les marins rebelles, bien que puissants, se regardaient en chiens de faïence. Jamais ils ne s’étaient alliés, car tout les opposait : leur mode de vie, leurs valeurs, leurs territoires. Cette discorde sauva Haesim à maintes reprises.

C’est dans ce contexte fragile que naquit la princesse Min So-yeon, fille du roi Jin-mu. Elle fut, dès l’enfance, l’objet de nombreuses légendes. On disait qu'elle était d’une intelligence rare, dotée d’un esprit d’analyse peu commun et d’un charisme énigmatique. Sa beauté, souvent écrite par les poètes, n’était qu’une facette d’un éclat plus profond : celui d’une jeune femme née pour penser au-delà de son siècle.

Ce chapitre relate une légende tissée d’incertitudes, un mythe national fondateur dont certains fragments furent confirmés bien plus tard par des archives, des lettres secrètes et des objets retrouvés. Le nom de Min So-yeon résonne aujourd’hui comme celui de la mère de l’unité, son destin fut celui d’une conspiratrice solitaire, d’une stratège du silence, et d’une femme qui choisit de tout perdre pour que d’autres puissent s’unir.


La beauté des promesses

La princesse Min So-yeon fut l’objet d’un engouement rare, même pour une fille royale. Sa renommée ne s’étendait pas seulement à Haesim, mais jusqu’aux cimes les plus reculées des montagnes et aux criques les plus secrètes de la baie des baleines. Sa beauté, selon les récits de l’époque, avait « la douceur d’une lune d’automne et la clarté d’un cristal plongé dans l’eau calme ».

À la cour de Haesim, elle attira inévitablement l’attention des plus grandes familles. Les fils des maisons nobles, ambassadeurs, généraux ou lettrés, se pressaient pour demander sa main. C’était la coutume : une princesse, surtout unique héritière, devait sceller une alliance en épousant l’un des siens. Mais So-yeon resta muette, polie, distante. Elle écoutait, mais ne promettait rien. Ce serait lors d’un banquet, en l’an 293, qu’elle déclina officiellement toutes les propositions, en déclarant :

« Je n’épouserai pas un homme d’apparat. Je donnerai ma main et mon trône à celui qui saura faire taire les tambours de guerre. »

Cette réponse, jugée impudente à l’époque, fut interprétée comme une marque d’idéalisme naïf. En vérité, selon plusieurs historiens modernes, c’est à cette époque qu’elle commença à mettre en œuvre le dessein qui changerait l’histoire de la baie. Car dans le secret des échanges diplomatiques, la princesse Min So-yeon avait déjà rencontré deux hommes qui ne venaient pas de Haesim.

Le premier était Baek Gun, seigneur d'une puissante coalition du sud. Chef d’un des plus anciens lignages montagnards, il avait été convié à Haesim sous bannière de trêve, pour négocier un échange de prisonniers. On rapporte qu’il avait été surpris par la droiture de So-yeon, et qu’elle, en retour, avait vu en lui un homme capable de rassembler les clans divisés.

Le second était Hae Ji-sang, capitaine de la flotte libre de Gwangpo, figure montante de la confédération pirate. Il avait escorté une délégation pour discuter d’un cessez-le-feu le long des routes maritimes. Plus jeune et plus flamboyant que Baek Gun, il avait le verbe souple, les manières presque princières, et une intelligence tactique redoutée même à Haesim. So-yeon, dit-on, discuta longuement avec lui en privé sous prétexte d’un échange culturel.

Ce que l’histoire officielle ne dit pas, mais que certaines lettres retrouvées trois siècles plus tard semblent confirmer, c’est qu’à chacun de ces hommes, Min So-yeon fit une promesse.

À Baek Gun, elle aurait dit :
« Si tu parviens à unir les montagnes, je te donnerai mon nom, ma main, et l'héritage de Haesim. »

À Hae Ji-sang, elle aurait murmuré :
« Si tu unifies les villes libres de la mer, je te rejoindrai, et ton fils régnera sur les terres comme sur les flots. »

Baek Gun redoubla ses campagnes d’unification dans les vallées du sud, tandis que Hae Ji-sang mit au pas les pirates indépendants, créant une force navale cohérente jamais vue auparavant. Quant à la cour de Haesim, elle ignorait tout. Officiellement, la princesse demeurait fidèle à la tradition et au royaume. Officieusement, elle tissait une trame plus vaste que personne ne pouvait soupçonner.

Le fils de trois royaumes

L’an 299 marqua un tournant silencieux dans l’histoire de la baie. Dans le secret du palais, à l’écart des regards, la princesse Min So-yeon donna naissance à un fils. Aucune annonce officielle ne fut faite dans l’immédiat. Certains serviteurs évoquèrent des visites nocturnes de la princesse dans les quartiers isolés du palais, d’autres affirmèrent avoir vu une silhouette masculine s’éclipser dans les jardins, toujours escortée discrètement. On parla d’un amant, d’un noble de Haesim qu’elle aurait choisi en secret pour assurer une lignée de sang royal, hypothèse soutenue par ceux qui affirment que jamais une princesse n’aurait risqué d’enfanter hors caste. D’autres, au contraire, virent dans les traits du nourrisson l’ombre du chef montagnard Baek Gun, ou le regard de Hae Ji-sang.

Ce que l’histoire confirme avec plus de certitude, en revanche, ce sont les deux lettres rédigées de la main de Min So-yeon, et retrouvées plus de deux siècles plus tard dans les archives scellées d’un monastère. Elles portaient les sceaux personnels de la princesse, et furent datées du sixième jour après la naissance.

À Baek Gun, elle écrivait :
« Tu as tenu ta promesse. Les clans des montagnes parlent désormais d’une seule voix. J’ai porté ta bannière dans mon cœur comme je porte maintenant dans mes bras l’avenir du royaume. Notre fils sera l’héritier des monts et des vallées. Je tiendrai ma promesse. »

À Hae Ji-sang, elle écrivait :
« Tu as bâti, non pas une armée, mais un peuple de la mer. Tu as fait naître l’ordre dans les vagues. Cet enfant que j’ai mis au monde sera tien devant les hommes. Il héritera des vents, des ports et des routes du nord. Mon serment sera accompli. »

Chacune des lettres fut envoyée, sans que les destinataires ne sachent que l’autre avait reçu une lettre semblable. Aucun n’avait vu l’enfant encore, mais chacun savait que la princesse tenait parole. Aucun des deux hommes ne put douter qu’il s’agissait de son fils. Plus tard, chacun signa dans sa langue et dans sa coutume un acte d’héritage, stipulant que ce fils hériterait du pouvoir consolidé de leur royaume respectif.

Ainsi, sans levée d’armée, sans bataille, le fils de la princesse devenait en droit le successeur désigné des montagnes, des mers et de Haesim.

Le mariage sans époux

Le printemps de l’an 300 fut annoncé comme celui du renouveau. Depuis des mois, les signes d’un tournant se multipliaient. Les offensives des montagnards s’étaient arrêtées. Les navires pirates, autrefois si fréquents dans la baie des baleines, s’étaient faits rares. Puis le palais royal annonça l’imminence du mariage princier.

Mais aucun nom ne fut publié. Nulle bannière familiale ne fut hissée aux côtés de celle des Min. La rumeur enfla : la princesse allait épouser un homme venu de loin. D’autres murmuraient qu’il s’agissait d’un ancien noble revenu d’exil. Les plus audacieux parlèrent d’un mariage symbolique avec la nation elle-même. Mais nul ne soupçonna ce que la princesse avait réellement planifié.

Car, en secret, la princesse fit parvenir à Baek Gun, le roi des montagnes, et à Hae Ji-sang, roi des mers, une convocation solennelle. Elle leur écrivait :
« La paix que vous avez bâtie mérite d’être scellée par une promesse accomplie. Vous m’avez offert l’unité de vos peuples. Je vous offre ma main. »

Chacun fut accueilli dans un palais séparé, à l’abri des regards, escorté discrètement, sans fanfare. Aucun ne fut informé de la présence de l’autre. À l’aube du sixième jour, les deux souverains furent conduits, chacun par une voie différente, vers un navire royal qui devait les mener sur l’île de Hyeonju. C’est là, disait-on, que la cérémonie serait célébrée.

À mi-chemin entre Haesim et Hyeonju, le navire sombra.

Officiellement, une tempête soudaine et brutale avait surpris la traversée et précipité le naufrage. Aucun des trois passagers principaux ne fut retrouvé. Des décennies plus tard, un manuscrit retrouvé dans des archives scellées rapportait une autre version. On y lisait :

« Les deux rois furent abattus dès qu’ils posèrent pied sur le pont. Les lames étaient cachées dans les manches des gardes. La princesse observa, muette, puis ordonna qu’on sabote la coque. »

Loin d’un accident, le naufrage apparaissait désormais comme un sacrifice volontaire. La princesse savait qu’aucun des peuples ne reconnaîtrait jamais son autorité si elle-même survivait seule. Avant son départ, elle avait signé des documents officiels, scellés des sceaux de Baek Gun et de Hae Ji-sang, chacun reconnaissant l’enfant comme son successeur, ignorant que quelques rues plus loin, son rival signait un document similaire.

L’enfant fut alors présenté aux peuples trois jours plus tard. Il fut proclamé héritier du trône de Haesim, des montagnes et de la baie.

Mais la paix ne fut pas immédiate. Ici ou là, quelques chefs de clan refusèrent de se soumettre à un nourrisson. Dans les contreforts de l'est, un ancien rival de Baek Gun déclara que l’enfant n’avait que le sang de la trahison. Sur les îles extérieures, un capitaine corsaire proclama un royaume libre et refusa d’honorer le serment de son roi. Ces poches de dissidence furent contenues, non par les forces de Haesim seules, mais par les propres hommes des défunts rois, qui, fidèles à leurs serments, firent taire la discorde.

La régence s’organisa et un conseil fut instauré, composé de l’ancien chambellan du palais royal, d'une matriarche montagnarde et d'un navigateur de la cité pirate de Jeokhwan. Ensemble, ils gouvernèrent au nom de Min Hyo, le prince scellé par les trois bannières. Leurs décisions furent lentes, prudentes, souvent contestées, mais le pays resta uni.

Ainsi s’éteignit Min So-yeon dans le silence des profondeurs, laissant derrière elle un royaume pour la première fois uni et un héritier, à la fois fils de tous et de personne.
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« La voix la plus forte est celle qui n'a plus besoin d'être prononcée, car elle a déjà fait écho dans les cœurs. »
– Attribué à Maître Go Sa-jin




La voie de Go Sa-jin


Né vers l’an 323 dans une famille de lettrés modestes dans les hautes collines bordant Haesim, Go Sa-jin (고사진) vit le jour dans un royaume encore fragile. Moins d’une génération auparavant, la tragique disparition de la princesse Min So-yeon avait permis l’unification du royaume de Haesim, mais les tensions entre anciens rivaux – les clans montagnards, les marins des cités libres et les nobles de la vielle capitale – restaient vives. C’est dans ce contexte de paix encore vacillante que le jeune Go Sa-jin reçut une éducation rigoureuse, marquée par la lecture des textes anciens, la contemplation des lois naturelles et l’observation attentive des relations humaines.

Très tôt, il s’illustra par une sagesse rare, alliant calme et acuité. Refusant les honneurs précoces, il parcourut le pays durant sa jeunesse, offrant ses services comme scribe, tuteur, conseiller, parfois même simple ouvrier, afin d’observer la vie des humbles comme celle des puissants. Ce périple, que la tradition appelle 오풍의 여정 - O-pung-ui Yeo-jeong, le voyage des Cinq Vents, aurait duré près de douze ans. C’est au cours de cette errance volontaire qu’il formalisa sa pensée autour d’un principe central : l’harmonie.

Selon ses écrits, l’harmonie n’est ni l’absence de conflit, ni la simple addition des volontés, mais l’ajustement juste et vertueux de chacun avec tous les autres, dans le respect de la liberté, de la mesure et du bien commun.

Revenu à Haesim vers l’an 358, il fonda 하얀 갈대 집 - Ha-yan Gal-dae Jip, la Maison du Roseau Blanc, une école philosophique qui attira rapidement disciples, magistrats et jeunes nobles. Sans jamais briguer de fonction, Go Sa-jin accepta d’être envoyé en mission par la régence, en tant que médiateur pour aider à la résolution des conflits. Il refusa à plusieurs reprises les titres nobiliaires qu’on voulut lui accorder, affirmant que “le roseau penche sans jamais plier, et n’a pas besoin de blason pour être utile au vent.”

Il mourut paisiblement à l’âge de 61 ans. Ses disciples collectèrent ses enseignements dans un recueil appelé 풍언 - Pung-eon, Paroles dans le Vent, considéré aujourd’hui comme l’un des textes fondateurs de la culture gorémanienne. Quelques décennies plus tard, son influence devint telle qu’une grande partie des médiateurs, enseignants, et juges revendiquèrent son héritage. Ce courant, structuré mais non dogmatique, devint la base de ce que l’on appelle aujourd’hui la Philosophie de l’Harmonie.


La Philosophie de l’Harmonie (조화철학 – Johwa Cheolhak)

Ni culte, ni religion au sens divin, la Philosophie de l’Harmonie est une voie morale, sociale et politique née de l’enseignement de Maître Go Sa-jin. Elle constitue encore aujourd’hui le fondement éthique de la société gorémanienne. Ses principes fondateurs s’organisent autour de cinq piliers majeurs :

  • 1. La Vertu (덕 – Deok) : la disposition intérieure à choisir le juste et le bien, non par contrainte mais par inclination.
  • 2. La Justice (의 – Ui) : l’équilibre entre les droits de chacun et le devoir envers tous.
  • 3. La Liberté Responsable (자유 – Jayu) : la liberté de penser, d’agir, de choisir, tant qu’elle s’inscrit dans la considération de l’autre.
  • 4. La Bienveillance (인 – In) : le soin porté à autrui, à soi-même, et au vivant.
  • 5. L’Harmonie (조화 – Johwa) : la résultante de toutes les autres, un état dynamique où les différences s’ajustent sans s’écraser.

  • Les applications concrètes de cette philosophie sont nombreuses au quotidien :
  • Dans la justice, on cherche la réparation et la réconciliation avant la punition.
  • Dans la politique, la prise de décision par consensus est vue comme une application directe de l’harmonie.
  • Dans les relations sociales, le principe de la "face" (surface honorable que chacun porte) est protégée par les formes, le respect et la pudeur.
  • Dans le quotidien, la politesse, le respect des aînés, l’écoute et la modération sont hautement valorisés.

  • Cette philosophie a donné naissance aux 화관 – Hwagan, littéralement les pacificateurs, qui sont aujourd'hui souvent associés au bureau national du médiateur, où ils jouent un rôle crucial dans la résolution des conflits et la prévention des ruptures d'harmonie, incarnant l'application vivante des principes de Go Sa-jin. Elle imprègne également l’art, l’urbanisme, l’organisation du travail, les fêtes traditionnelles et même les jeux éducatifs enseignés dès l’école.
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    « Quand le ciel est voilé, ce n’est pas la lumière qui disparaît, mais le regard qui ne sait plus la voir. »
    – Proverbe gorémanien



    Un royaume devenu république : naissance et déclin d’un modèle importé

    La période qui précède la Grande Stase est celle d’un long glissement, imperceptible d’abord, puis de plus en plus visible, vers un affaissement des structures traditionnelles du pouvoir. Le royaume de Haesim, fort de son histoire millénaire, entre dans une ère de modernisation à partir de 1870. Face à sa nouvelle ouverture au monde, le pays entreprend une série de réformes : infrastructures modernisées, administration centralisée, premières relations diplomatiques avec d’autres états.
    L’un des tournants majeurs de cette période est l’adoption d’une Constitution monarchique. Le souverain conserve son rôle symbolique et rituel, garant de l’unité du peuple, mais les affaires du royaume sont peu à peu confiées à un gouvernement civil, composé de ministres et d’un premier ministre. Inspiré des modèles parlementaires occidentaux, un système de démocratie représentative se met en place : partis politiques, élections régulières, justice séparée du pouvoir exécutif, et une administration professionnelle.
    Ce système est officiellement proclamé comme démocratie présidentielle constitutionnelle quelques années après. Le souverain devient un monarque symbolique et la vraie autorité repose désormais sur un président élu au suffrage universel, à la tête d’un appareil étatique complexe, articulé autour de ministères, d’agences et de juridictions spécialisées.

    Si les institutions prennent une apparence moderne et structurée, elles restent marquées par de profondes contradictions. La vie politique se rigidifie très vite autour de quelques partis dominants. Le parlement devient un théâtre de blocages et d’alliances opaques. La justice, bien que proclamée indépendante, est perçue comme lente, coûteuse, et souvent déconnectée des réalités sociales.
    Surtout, le rôle des gouvernants change profondément. Là où les anciens rois régnaient à vie, avec pour devoir de transmettre un royaume prospère à leurs enfants, les hommes et femmes politiques modernes ne gouvernent plus que par mandat limité. Leur souci devient souvent moins celui de la postérité que celui de la réélection. Le court-termisme s’installe. Les promesses électorales prolifèrent, mais les engagements s’évaporent dès que les urnes sont closes. Les fonctions de pouvoir deviennent des carrières, et non plus des charges. Le clientélisme prospère. Le cynisme aussi.
    L’administration, quant à elle, s’épaissit dans une logique de gestion plus que de service : multiplication des démarches, paperasse paralysante, absence de clarté dans les procédures. La fiscalité augmente pour financer cette machine, mais les infrastructures vieillissent, les écoles sont inégalement réparties, et l’accès aux soins devient de plus en plus inéquitable.
    Les années 1970 et 1980 sont alors traversées par un sentiment diffus de déconnexion. Si le Gorae Man développe les échanges mondiaux, si ses ports fonctionnent et ses lois s’accumulent, le lien entre la population et l’état semble se distendre. Le vote devient un rituel sans conviction. Le langage politique se vide de sens. Les partis se succèdent, mais l’impression demeure : rien ne change vraiment.

    C’est dans ce contexte que la jeunesse, en particulier, commence à se détourner massivement de la chose publique. Les jeunes diplômés quittent le pays pour tenter leur chance ailleurs. Ceux qui restent ne s’identifient plus ni aux partis, ni aux institutions. Le sentiment de lassitude devient générationnel. C’est ce vide de représentation, ce sentiment d’être gouvernés par des absents ou des indifférents, qui constitue le terreau sur lequel s’ouvrira l’ère de la Grande Stase. Non pas une révolte en armes, non pas une prise de palais, mais une érosion silencieuse, massive, résolue : celle d’un peuple qui, sans rompre la loi, refuse de jouer les règles d’un jeu truqué.


    Le tournant du silence

    On appelle souvent l’élection législative de 1990 : « la journée des urnes vides ». Au matin, les bureaux de vote de Haesim ouvrirent comme à leur habitude : les drapeaux étaient hissés, les isoloirs dressés, les télévisions publiques prêtes à diffuser un scrutin « décisif pour la stabilité nationale ». Pourtant, dès les premières heures, chacun comprit que quelque chose avait basculé : les files d’attente habituelles n’existaient plus. À Yeongsan, les assesseurs notèrent moins de vingt votants la première heure, à Pahyang, un responsable de bureau relata n’avoir tamponné que trois cartes d’électeurs avant midi.
    Lorsque, dans l’après-midi, les radios annoncèrent un taux de participation national provisoire de 18,7 %, ce fut le choc. Le soir même, les journaux titraient : « Le peuple s’est tu ». La puissante coalition libérale, pourtant victorieuse sur le papier, comprit qu’elle venait d’hériter d’un mandat vide. Dans son discours d’ouverture de session, le président Kim Yun-jun parla d’« un appel muet »… sans proposer de réponse. Au palais Donghye, le roi demeura silencieux, son rôle n’était plus que symbolique, mais son mutisme résonna comme un aveu d’impuissance.

    Dans les semaines qui suivirent, des professeurs commencèrent à refuser de suivre le programme national dicté par le ministère. Des agents des impôts cessèrent de percevoir certaines taxes locales, déclarant qu’ils ne pouvaient plus « financer une machinerie qui ne sert pas ceux qui la nourrissent ». À Haesim, des chauffeurs de tram firent circuler les rames sans composter les billets des voyageurs. Interrogés, ils répondirent : « le service public, c’est vous qui le payez déjà ».
    La présidence tenta d’abord de minimiser : création d’une « commission pour la revitalisation citoyenne », réunions télévisées avec des « experts » triés sur le volet, menaces discrètes contre les fonctionnaires récalcitrants. Mais l’effet fut inverse : chaque annonce officielle semblait souligner la distance entre le discours et la réalité. En coulisse, certains députés proposèrent d’abaisser le quorum législatif ou de rendre le vote obligatoire.

    À mesure que la désaffection s’étendait, l’état, bien qu’encore debout dans ses structures, vacillait dans ses fonctions. Entre 1991 et 1993, les grèves gagnèrent tous les secteurs publics : enseignants, cheminots, éboueurs, techniciens du réseau, employés hospitaliers. Ce ne furent pas des grèves militantes ou bruyantes, mais des absences calmes, tenaces, souvent sans mot d’ordre. À Yeoryang, les ordures s’amoncelèrent pendant trois semaines dans les ruelles du centre historique ; à Samdo, des quartiers entiers furent privés d’électricité plusieurs jours, faute de personnel pour relancer un transformateur tombé en panne.
    Les supermarchés furent peu à peu vidés. Non par panique, mais par assèchement logistique. Les chaînes d’approvisionnement n’avaient plus les bras pour les faire fonctionner. Là encore, personne ne cria famine, mais on vit apparaître des partages spontanés : des maraîchers ouvrirent leurs granges, des pêcheurs distribuèrent leurs prises sur les quais.

    C’est dans ce contexte de ralentissement systémique que naquirent les premiers Cercles-Refuges. À Seoryang, un ancien hangar portuaire fut transformé en dépôt de vivres, dortoir d’urgence et école improvisée. À Biokji, une ancienne salle de karaoké désaffectée abrita une « cuisine populaire », alimentée par des dons du marché nocturne. Le mot “Cercle” s’imposa naturellement : les gens se réunissaient en cercle pour décider, cuisiner, enseigner, réparer, et parfois pleurer ensemble.
    Plus que des centres d’entraide, les Cercles-Refuges furent les premières ébauches d’une nouvelle manière de gouverner : directe, locale, horizontale. Ils ne revendiquaient rien, mais construisaient tout. Et, sans l’avoir prémédité, ils venaient de faire germer les graines de la société qui allait succéder à la Grande Stase.


    La période de vacance

    De l’extérieur, le pays semblait encore doté de toutes les structures d’un état : un président élu (avec moins de 10 % de participation), une assemblée divisée entre partis, un premier ministre. Mais derrière cette façade persistait une vérité nue : plus personne n’y croyait, ni les électeurs, ni même les élus. La plupart des candidats aux élections étaient des technocrates désignés par les milieux financiers ou les partis les plus riches. Le roi, vestige symbolique d’un passé révolu, ne prononçait plus que des discours creux lors des cérémonies officielles. Les ministères étaient devenus des coquilles vides. Nombre de fonctionnaires démissionnèrent, d’autres continuaient à se rendre au travail mais refusaient de signer les décisions, ou les faisaient traîner pendant des mois.

    Face à ce vide, les Cercles-Refuges devinrent des centres de stabilité. Leur fonctionnement coopératif, fondé sur le consensus et l’échange de compétences, séduisit bien au-delà des premières zones en difficulté. Même dans les quartiers plus aisés, des cercles d’enseignement, de santé communautaire, ou d’approvisionnement local virent le jour.
    On vit apparaître des cercles de métiers (enseignants, ouvriers, soignants), des cercles de quartiers, des cercles de jeunes et même des cercles de retraités. Certains se réunissaient dans des salles abandonnées, d’autres dans des temples désaffectés, des bibliothèques municipales, ou des entrepôts.
    Des réseaux informels mais structurés se mirent à relier les cercles entre eux. Des conseils de coordination virent le jour à l’échelle d’un arrondissement, puis d’une ville, puis parfois d’une région. À Haesim, une “assemblée de transition” parallèle se réunissait chaque mois, regroupant des représentants de plus de 200 cercles. Son objectif n’était pas de renverser le pouvoir officiel – mais de pallier son inaction.

    Le gouvernement tenta d’abord de réagir. En 1996, une loi décréta la dissolution de toute organisation citoyenne non déclarée. Mais aucun tribunal ne parvint à faire appliquer la mesure. La police, débordée, mal payée, et en grève, refusa de procéder à des arrestations.
    Dans les zones rurales, les cercles reprirent même le contrôle de certaines infrastructures : gestion des réseaux d’eau, entretien des routes, création de petites monnaies locales. La télévision officielle perdit plus de 60 % de son audience, les médias étant accusés de collaboration avec le pouvoir. Des bibliothèques ouvertes 24h sur 24, animées par des bénévoles, devinrent les nouveaux lieux de débat et d’éducation populaire.


    La montée des veilleurs

    Ils ne portaient pas d’uniformes. Ils ne prétendaient à aucun pouvoir. Et pourtant, là où ils passaient, les cercles les écoutaient. Les Veilleurs, comme on les surnomma, n’étaient ni désignés ni élus. Ils étaient reconnus. C’était une reconnaissance lente, tacite, mais unanime. Certains étaient des maîtres d’école, d’autres d’anciens navigateurs, des philosophes errants ou des juges démissionnaires. Ils marchaient de ville en ville, sans mandat ni mot d’ordre, et s’installaient dans les bibliothèques ouvertes, les anciens temples, ou les places publiques où les cercles se réunissaient.
    Leur rôle n’était pas de diriger, mais de transmettre. Ils racontaient ce qu’ils avaient vu ailleurs, conseillaient sans jamais imposer, posaient des questions là où d’autres voulaient donner des réponses. On les consultait comme on consulterait une boussole, pour s’assurer que l’on ne se perdait pas dans l’ivresse de l’autonomie.
    Avec eux, une éthique commune se cristallisa : respect du consensus, refus de la vengeance, sobriété dans les décisions. Les principes de la philosophie de l’harmonie, jusque-là épars, trouvèrent une voix et une présence.

    À la capitale, le palais présidentiel continuait de fonctionner, mais comme une horloge dont plus personne ne regardait l’heure. En 2007, la fin du mandat présidentiel approchait. Les partis politiques traditionnels, discrédités, peinaient à présenter des candidats. Plusieurs se retirèrent.
    Finalement, un technocrate modéré, ancien ministre du budget, se présenta seul. Il fut élu avec 4,3 % de participation. Lors de son investiture, les caméras retransmirent la cérémonie à une audience inférieure à celle d’un tournoi local de jeux traditionnels.
    Incapable de nommer des ministres, aucun haut fonctionnaire ne voulant rejoindre un gouvernement sans pouvoir, le président activa l’Article 42 de la Constitution : la proclamation de l’état d’urgence et la concentration des pouvoirs exécutifs.

    En mai 2008, une directive présidentielle fut envoyée à l’état-major : appliquer la loi martiale, rétablir l’ordre constitutionnel, dissoudre les cercles non reconnus, et procéder à des arrestations dans les zones dites autonomes.
    Mais l’armée, déjà fragmentée, refusa d’agir. Les premiers bataillons déposèrent les armes dans leurs casernes. Dans certaines bases, les soldats quittèrent l’uniforme pour rejoindre les cercles de leurs quartiers.
    Le président ordonna l’arrestation des officiers insubordonnés, mais la police refusa. Le 14 juin 2008, l’ensemble du personnel du ministère de l’intérieur démissionna en bloc. Il n’y eut ni violence, ni fuite. Le président resta seul dans ses bureaux, sans administration, sans armée, sans institutions.

    Aucun coup d’État ne fut proclamé. Aucun drapeau ne fut remplacé. Simplement, le pouvoir central cessa d’être une source d’autorité. Les cercles, déjà autonomes, ignorèrent les dernières déclarations gouvernementales. Les veilleurs appelèrent à ne pas humilier les anciens responsables, mais à leur offrir la possibilité de réintégrer la société comme simples citoyens. Dans les mois qui suivirent, la présidence ne publia plus rien.

    L’année 2010 marqua officiellement la fin de la Grande Stase. Non parce qu’un nouveau pouvoir fut instauré, mais parce qu’un nouvel esprit avait germé. Les cercles les plus expérimentés commencèrent à se coordonner à l’échelle nationale. Des chartes de principes furent proposées, puis affinées. Un nouveau mot émergea dans les conversations : “concorde”, puis “équilibre”, puis “Gorae Man” – le pays des baleines, le nom ancien du peuple, repris pour signifier un avenir réconcilié.
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    CHRONIQUES DU ROYAUME DE HAESIM
    Chapitre 1 : la naissance du royaume





    « Le véritable pouvoir ne naît pas seulement de la force qui soumet, mais aussi de la main tendue qui unit. »
    – Maxime tirée des Tablettes de l'Unification.




    Bien avant la naissance de la nation de Gorae Man, la terre était morcelée. Vers l'an - 600, le paysage était constellé de petits clans dispersés, chacun ancré à son territoire. Dans les pics escarpés du nord, vivaient les tribus montagnardes, farouches et isolées, dont la subsistance dépendait de la chasse. Le long des côtes, les communautés de pêcheurs vivaient au rythme des marées, tandis que dans les plaines fertiles du sud, des hameaux agricoles cultivaient les sols riches arrosés par les fleuves Nunmuls. Ces entités, souvent modestes chefferies ou familles élargies, commerçaient rarement entre elles et se méfiaient des étrangers. Il n'existait alors aucune culture commune, seulement des coutumes locales et des allégeances familiales.


    Haesim : naissance d'un carrefour fluvial et maritime

    C'est dans ce contexte de fragmentation que la destinée commença à se dessiner. Vers l'an -580, au point stratégique où le puissant fleuve Daenun, l'un des bras majeurs des Nunmuls, rencontrait la vaste Baie des Baleines, les premiers bâtisseurs jetèrent les fondations d'un modeste comptoir. Cette nouvelle implantation, baptisée Haesim – "Cœur de la Mer" – bénéficiait d'une position exceptionnelle : un accès fluvial profond vers l'intérieur des terres et une ouverture directe sur les routes maritimes.

    Très vite, Haesim devint un carrefour vital. Les navires à fond plat remontaient le Daenun, apportant les récoltes des plaines lointaines, tandis que les navires côtiers déchargeaient leurs prises et leurs marchandises étrangères. La ville grandit de manière exponentielle, devenant le port le plus important de la région. C'est là que les clans des montagnes, guidés par la nécessité du commerce, commencèrent à descendre de leurs hauteurs, échangeant peaux, bois et minerais contre les céréales et les outils de fer venus des plaines ou par la mer. Haesim devint le premier lieu de rencontre entre ces mondes jusqu'alors séparés.


    L'épreuve du grand froid

    Mais la prospérité ne dura pas sans épreuves. Vers l'an -505, la région fut frappée par une série de catastrophes climatiques sans précédent. Un été de sécheresse dessécha les récoltes des plaines et tarit les sources des montagnes. Puis, un hiver d'une rigueur inouïe s'abattit en suivant, gelant les fleuves et couvrant les terres d'une neige implacable pendant des mois. D'autres calamités s'ensuivirent, des épidémies portées par la faim et le froid. La famine se répandit, emportant de nombreuses vies et déchirant le mince tissu social des petits clans.

    Cette période de désolation naturelle engendra une ère de profonds troubles socio-politiques. Le désespoir poussa des clans de montagnards, affamés et privés de ressources, à descendre en masse de leurs sommets. Ils ne venaient plus pour commercer, mais pour survivre, leurs regards fixés sur les terres plus clémentes et plus riches de la Baie des Baleines.


    Le temps des conflits et l'émergence de Haesim comme arbitre

    Des conflits violents éclatèrent alors. Les clans montagnards affamés commirent des pillages contre les petites villes et villages de la baie, cherchant nourriture et abri par la force. Les communautés côtières, moins préparées à la guerre, étaient prises entre le marteau et l'enclume.

    Haesim, par une providence mêlée de prévoyance, avait été relativement épargnée par les désastres climatiques. Sa position de carrefour commercial lui avait permis d'accumuler de vastes réserves de céréales et de biens. Les greniers de la ville, remplis grâce à son statut de centre de stockage régional, lui conféraient une richesse et une résilience inégalées. Cette prospérité relative, et sa force défensive, lui permirent de ne pas être submergée par les raids.

    Face au chaos grandissant, Haesim s'imposa naturellement comme l'unique pouvoir capable d'apporter l'ordre. Le chef de Haesim, le Jonjoo (존주) Ha Jinu offrit alors une aide militaire aux clans de la baie, menacés par les incursions montagnardes, s'affirmant comme l'arbitre incontournable de la région.


    Le pacte de l'eau salée : alliance et soumission

    C'est dans ce climat de crise que le Jonjoo Ha Jinu proposa un accord audacieux. Il convoqua les chefs des clans de la baie et les représentants des tribus montagnardes les plus influentes pour sceller le Pacte de l'Eau Salée (염수 계약 - Yeomsu Gyeyak).

    Ce pacte était une proposition d'unification sous l'égide de Haesim :
    Aux clans de la Baie des Baleines, épuisés par les raids, Ha Jinu offrit la protection inconditionnelle de sa cité et de ses troupes entraînées, en échange de leur allégeance et de la reconnaissance de Haesim comme capitale.
    Aux clans montagnards, ravagés par la famine et le froid, il proposa des terres fertiles et cultivables dans les vallées de la Baie des Baleines – un privilège inespéré – en échange de leur allégeance et de l'abandon des raids.

    Face à la promesse de sécurité et de survie, plusieurs clans de la baie et des montagnes acceptèrent ce pacte audacieux, voyant en Haesim non pas un simple conquérant, mais un sauveur capable de rétablir un ordre vital.


    L'émergence du royaume et la naissance du premier roi

    Avec ses nouveaux vassaux, Haesim ne tarda pas à agir. Ha Jinu mena ses forces, renforcées par les milices des clans ralliés, pour repousser militairement les clans récalcitrants qui refusaient de se soumettre au Pacte de l'Eau Salée. Les tribus montagnardes qui persistaient dans les pillages furent repoussées avec vigueur dans leurs hauteurs inhospitalières, leurs accès aux plaines fermement contrôlés. Des villages côtiers qui avaient refusé l'allégeance à Haesim furent conquis par la force et leurs terres, parfois, offertes à un chef de clan montagnard qui, lui, avait loyalement rejoint l'alliance, scellant ainsi les nouvelles fidélités par le partage et le besoin mutuel.

    En l'an -498, voyant l'ordre rétabli et un vaste territoire désormais uni sous son autorité, le Jonjoo Ha Jinu fut proclamé le premier Wang (왕) du Royaume de Haesim (해심 왕국 - Haesim Wangguk). Centré initialement sur le sud de la Baie des Baleines et l'embouchure du fleuve Daenun, ce nouveau royaume, né de la crise et de la nécessité, jeta les bases de ce qui deviendrait, des siècles plus tard, la nation de Gorae Man, forgeant ses premières leçons d'unité et de survie collective face à l'adversité.
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    CHRONIQUES DU ROYAUME DE HAESIM
    Chapitre 2 : la dynastie fondatrice des Ha





    « Le royaume s’étendit comme un arbre : ses racines dans la baie, ses branches dans les plaines, et ses feuilles caressant les crêtes. Mais vint un hiver où l’arbre ne sut plus écouter le vent. »
    – Dae Cheong, archiviste royal.



    [justify]La fondation du royaume de Haesim remonte à l’année –498, date à laquelle les clans de la baie des Baleines, soutenus par certains chefs montagnards du sud-est, acceptèrent de se placer sous l’autorité commune de la cité-état de Haesim. Ce pacte, scellé symboliquement par le partage d’eau de mer dans une coupe de bronze, entra dans les mémoires comme le Pacte de l’Eau Salée (염수의 맹약 – Yeomsu-ui Maengyak), un serment de coexistence et de protection mutuelle face aux menaces extérieures.

    Le nouveau royaume prit pour souverain Ha Jinu (하진우), chef respecté de la cité et descendant de la lignée fondatrice. Ce dernier reçut le titre de Wang (왕), et fonda ainsi la dynastie Ha, qui allait régner sans discontinuer pendant près de cinq siècles.


    I. Ha Jinu (하진우) – Le Fondateur

    Règne : de -498 à -462

    C'est en l'an -498 que les chefs de clan de la baie des baleines se rassemblèrent à la falaise de Nohae, sur les hauteurs de Haesim, pour sceller le Pacte de l'Eau Salée. La coupe circula de main en main, remplie d'eau salée, en signe d'alliance entre les peuples du sel, du vent et de la montagne.

    Le chef de la cité, Ha Jinu, fut proclamé premier Wang (roi) de Haesim. Stratège autant que diplomate, il mena une série de campagnes contre les clans récalcitrants, tout en renforçant les alliances par mariages et serments mutuels. Il fit ériger les premières murailles de pierre autour de Haesim et créa un Conseil des Clans, préfigurant l'organisation par cercles.

    Il mourut à l'âge de soixante-deux ans et fut inhumé sur l'île de Gwaryeong.


    II. Ha Muryang (하무량) – Le Marcheur

    Règne : de -462 à -427

    Fils aîné de Ha Jinu, Ha Muryang avait reçu une formation militaire exigeante. Il délaissa les fastes de la cour pour parcourir le territoire à pied, de villages en rizières, de monts en forêts. Il fit construire les premières routes royales empierrées et initia la levée locale des troupes.

    Sous son règne, le royaume s'étendit vers l'est : les plaines fertiles furent irriguées, les villages fluviaux rattachés à la couronne. Il fut aussi l'artisan des premiers traités commerciaux avec les peuples du levant.

    Son règne fut marqué par la stabilité et une discipline rigoureuse. Il meurt dans un petit palais d’hiver sur les berges du Daenun.


    III. Ha Injae (하인재) – Le Réformateur

    Règne : de -427 à -399

    Troisième souverain du royaume, Ha Injae était un homme austère, passionné par le droit et les principes. Il fit compiler les premières tablettes de loi en bois gravé, appliquées sur l'ensemble du territoire royal. Les juges itinérants furent déployés jusqu'aux vallées les plus reculées.

    Il réprima avec fermeté une tentative de sécession dans l'ouest et renforça le rôle des administrateurs civils au détriment des chefs militaires. Il institua une taxe fluviale sur les marchandises transportées sur les Nunmuls.

    Père d'une unique fille, Soyeon, il prépara son accession au trône en réformant les rites d'intronisation.


    IV. Ha Soyeon (하소연) – La Dame des Monts

    Règne : de -399 à -377

    Fille unique de Ha Injae, Ha Soyeon accéda au trône par absence d'héritier masculin, avec l'accord solennel des chefs de clan.

    Elle se rendit personnellement dans les montagnes du sud, gagnant la faveur des clans semi-indépendants par sa bravoure et sa connaissance et son respect des coutumes locales. Elle renforça l'échange entre les cercles montagnards et la capitale, et encouragea la création de maisons de la paix, des lieux de médiation permanente.

    Elle meurt sans enfant, probablement empoisonnée par une faction noble de la plaine, ce qui n'empêcha pas que son nom devienne vénéré dans les montagnes.


    V. Ha Seokjin (하석진) – Le Stratège

    Règne : de -377 à -341

    Petit-neveu de Ha Injae, choisi par les clans et l’armée, Seokjin redonna au royaume une orientation martiale. Connu pour ses batailles contre des pillards venus du nord, il fit fortifier la côte occidentale et développa les arsenaux de sel pour réguler le commerce et financer l’armée.

    Il introduisit un impôt militaire appelé cheonbu (천부), prélevé sur les terres nobles, provoquant une crise de confiance avec les anciens clans. Mais il mourut en paix, dans son palais, respecté comme un roi stratège et visionnaire.


    VI. Ha Myeongho (하명호) – Le Bâtisseur

    Règne : de -341 à -310

    Premier fils de Seokjin, Ha Myeongho hérita d’un royaume sécurisé et stable. Il consacra son règne au développement des infrastructures : construction de nouveaux ports, extension des routes pavées jusqu’aux contreforts montagnards, et creusement de canaux secondaires pour améliorer l'irrigation.

    Il fit également ériger les premiers entrepôts royaux à blé, anticipant les mauvaises récoltes. Sa politique pragmatique fut saluée par les cercles marchands, mais jugée trop timide par la noblesse militaire.


    VII. Ha Doyun (하도윤) – Le Médiateur

    Règne : de -310 à -278

    Neveu de Myeongho, Doyun arriva au pouvoir à la suite d’un compromis entre clans, après un différend successoral. Il se présenta comme l'homme du dialogue. Son règne vit la stabilisation des relations entre clans ruraux et citadins.

    Il institua les Assemblées de Conciliation, des rencontres régulières entre chefs de clan, pour traiter des litiges locaux. Il fut aussi l’un des premiers à tenter une réforme du mode de nomination des gouverneurs provinciaux.

    Son règne paisible renforça les équilibres internes, mais contribua à l’endormissement progressif de l’appareil militaire.


    VIII. Ha Wonsaeng (하원생) – Le Roi Lettré

    Règne : de -278 à -249

    Erudit admiré, Ha Wonsaeng fit de la cour de Haesim un foyer de culture. Il fonda des écoles, centres d’enseignement mêlant philosophie, mathématiques, médecine et art oratoire. Les concours d’admission aux fonctions civiles furent introduits sous son règne.

    Les cercles savants, favorisés, gagnèrent en influence. Mais cette centralisation des savoirs à Haesim éloigna encore un peu plus les régions périphériques du cœur du pouvoir.

    Il mourut entouré de ses élèves, vénéré comme le plus sage des souverains Ha.


    IX. Ha Gajin (하가진) – Le Sourcier

    Règne : de -249 à -220

    Ha Gajin était obsédé par les eaux. Ingénieur de formation, il lança de grands travaux hydrauliques, créa des digues, des barrages, et organisa la cartographie complète des bras des Nunmuls. Il fut aussi le premier à envisager une division territoriale rationnelle des provinces.

    Bien qu’apprécié par les agriculteurs, il se heurta aux montagnards, qu’il négligea dans sa vision administrative. Plusieurs incidents éclatèrent dans les zones forestières, prémices des fractures futures.


    X. Ha Nayeon (하나연) – La Dame Fidèle

    Règne : de -220 à -193

    Fille unique de Gajin, Ha Nayeon monta sur le trône après l’assentiment des généraux, à condition d’épouser un noble des plaines. Son règne fut marqué par une tension permanente entre indépendance personnelle et influence de son époux, qui tenta à plusieurs reprises de faire annuler son autorité.

    Ha Nayeon imposa son style : ferme, tranchant, et d’une éloquence redoutée. Elle réprima plusieurs soulèvements, mais refusa d’utiliser l’armée contre les montagnards en colère.

    Elle mourut sans héritier.


    XI. Ha Seungri (하승리) – Le Tempéré

    Règne : de -193 à -160

    Cousin éloigné de Nayeon, ancien ambassadeur à l’est, Seungri tenta de restaurer la confiance entre les composantes du royaume. Il multiplia les visites provinciales, rétablit des assemblées locales et fit relâcher plusieurs prisonniers politiques.

    Mais il ne parvint pas à réformer l’administration centrale, ni à contenir les factions militaristes de Haesim. Son règne calme fut vu comme celui d’un roi de transition.


    XII. Ha Hyunjin (하현진) – L’Ombre du Palais

    Règne : de -160 à -129

    Hyunjin était un souverain secret et cérébral. Son règne vit l’essor d’un pouvoir bureaucratique centralisé, où les décisions étaient dictées par les scribes et les archivistes de Haesim. Le roi, lui, restait cloîtré dans ses appartements, se fiant aveuglément aux rapports polis et édulcorés de son administration.

    L’armée fut négligée, les cercles ruraux marginalisés, et les doléances des provinces lointaines, notamment des montagnes, restaient non entendues, noyées dans un océan de paperasse. C’est durant son règne que les tensions dans les montagnes redevinrent visibles. Plusieurs villages se déclarèrent autonomes dans les régions du sud-est, loin des yeux de la capitale.


    XIII. Ha Gwon (하권) – Le Décrêteur

    Règne : de -129 à -91

    Fils de Hyunjin, Ha Gwon hérita d'un royaume où la bureaucratie était devenue une entité quasi autonome. Plutôt que de briser ce carcan, il s'y complut, croyant fermement que l'ordre et la prospérité se mesuraient à la quantité de décrets et de règlements émis par le palais. Il signait des édits sur tout, des normes de construction des greniers à riz à la couleur autorisée pour les tenues de cour, sans jamais quitter Haesim pour voir la réalité de son royaume.

    Son règne fut marqué par une paralysie progressive. Les réformes, aussi nombreuses fussent-elles sur le papier, ne parvenaient jamais à s'appliquer sur le terrain, étouffées par des couches de procédures et des registres interminables. La méfiance grandit entre les provinces et la capitale, et l'éloignement du peuple de ses dirigeants devint palpable. Les mouvements d'autonomie dans les montagnes s'intensifièrent, ignorés ou sous-estimés par une administration incapable de voir au-delà de ses propres rapports.


    XIV. Ha Seon (하선) – L'Aveuglé

    Règne : de -91 à -45

    Ha Seon succéda à son père dans un royaume miné par son inertie. Élevé dans l'opulence et la formalité du palais, il avait une vision idéalisée du pouvoir. Il s'efforça de maintenir l'apparence de l'ordre, convaincu que la force du royaume résidait dans la perfection de son administration et la minutie de ses archives. Il passa ses journées à classer les documents, à optimiser les chaînes de commandement théoriques et à organiser de fastueuses cérémonies.

    Pendant ce temps, le réel pouvoir des fonctionnaires locaux diminuait, remplacé par des directives descendantes souvent inadaptées. Les impôts, levés par une machine administrative vorace, pesaient lourdement sur les populations rurales qui ne voyaient aucun bénéfice en retour. Les patrouilles militaires étaient rares et le banditisme augmenta dans les zones reculées. Seon refusa de voir les signaux d'alarme, persuadé que le calme de Haesim reflétait celui du royaume tout entier, et que les troubles occasionnels n'étaient que des anomalies insignifiantes, vite réglées par les bons papiers.


    XV. Ha Eun (하은) – Le Dernier des Ha

    Règne : de -45 à -30

    Dernier souverain de la dynastie, Ha Eun fut un roi sincère, cultivé, mais profondément naïf face aux jeux de pouvoir. Il tenta une politique de réconciliation ambitieuse avec les montagnards, ayant enfin pris conscience de la fracture qui minait son royaume : retrait partiel de l’administration lourde des zones reculées, restauration des cérémonies locales, et création d’assemblées locales semi-indépendantes pour redonner la voix au peuple.

    Ses efforts furent non seulement lents à porter leurs fruits, mais ils furent surtout mal vus à Haesim. Les partisans de l'armée, frustrés par la faiblesse passée et la perte de leur influence, réclamaient une guerre préventive contre les montagnards, qu'ils considéraient comme des rebelles irrécupérables. La vieille garde bureaucratique, quant à elle, voyait d'un mauvais œil cette remise en question de leur système.

    Lors d’un banquet d’hiver, alors que la neige recouvrait la capitale d'un silence trompeur, le roi et ses héritiers furent assassinés. Certains accusèrent les rebelles des montagnes d'en être les auteurs, d'autres pointèrent du doigt les partisans de l'action militaire, mais la vérité resta enfouie sous les cendres de la confusion.

    Ainsi s’éteignit la dynastie Ha, après 468 ans de règne (de -498 à -30). Le royaume entra alors dans une nouvelle ère de troubles, un vide de pouvoir exacerbé par des décennies de négligence, prélude à la guerre des Trois Versants et à l’ascension de la dynastie Min.
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    CHRONIQUES DU ROYAUME DE HAESIM
    Chapitre 3 : l'avènement des Min





    « Ce que la hache coupe, la racine s'en souvient. »
    – Propos attribués au Sangun.



    Lorsque le roi Ha Eun et ses fils furent assassinés, sans laisser d'héritier direct, les clans nobles entrèrent en débat pour désigner un successeur parmi les cousins de sang royal. Mais ces discussions s'éternisèrent, les clans étaient divisés, et le royaume sombra dans l'indécision.
    Pendant ce temps, un général expérimenté, Min Tae-jin, commandant d'une armée affaiblie par les réformes pacifistes, prit l'initiative. Déclarant vouloir venger l'affront fait à la couronne, il mena ses troupes dans les montagnes et réprima les poches rebelles avec une brutalité inégalée.
    Ses victoires rapides et sa démonstration de force eurent un double effet : ses partisans gagnèrent en confiance, ses opposants redoutèrent son retour. Craignant une guerre civile et désireux de rétablir l'ordre, les clans finirent par le reconnaître comme souverain.

    Vers l'an -20, Min Tae-jin fut proclamé Wang, fondant ainsi la dynastie Min (민씨). Contrairement à ses prédécesseurs, il établit une monarchie plus féodale, recentrée sur la puissance du roi et le contrôle militaire, au détriment de la bureaucratie héritée des Ha. Son règne marqua le début d'une paix forcée et d'un nouvel ordre autoritaire, posant les fondations d'un conflit à venir entre les trois grandes forces du Gorae Man : la montagne, la mer, et la plaine.


    Héritage de la répression et montée du Sangun

    Période : de -10 à 50

    La répression ordonnée par Min Tae-jin marqua profondément les peuples des montagnes. Des villages entiers furent détruits, les chefs traditionnels exécutés, et les survivants réduits au silence par la peur. La génération qui connut ces années sombres se referma sur elle-même, mais leurs souvenirs transmis par récits et chants murmurés dans l’ombre des forêts.

    Min Tae-jin mourut dans son palais de pierre, laissant le trône à son fils Min Gyun, qui poursuivit son œuvre en maintenant la surveillance étroite des régions montagneuses. Le royaume, sous son règne, connut une stabilité de façade, mais le ressentiment couvait dans les vallées profondes.
    Ce fut vers les années 40, alors que Min Jiseok montait sur le trône, que les premiers signes d’une réorganisation montagnarde furent détectés. Dans les grottes de Jeongmae et les forêts du versant nord, des réunions secrètes se tinrent entre anciens, chamans et jeunes meneurs. Un nom revenait sur toutes les lèvres : Sangun (산군), le "Seigneur des Montagnes".

    Le Sangun n’était pas un roi, ni un chef de guerre au sens traditionnel. Il était une figure symbolique et unificateur mystique, à la fois stratège, législateur coutumier et guide spirituel. Certains disent qu’il était un survivant des purges de Min Tae-jin, d’autres un orphelin élevé par les esprits de la montagne. Sous sa bannière, les tribus brisées trouvèrent un langage commun. Il fit renouer les anciens pactes entre vallées, et instaura un code de solidarité inter-clans fondé sur la mémoire des souffrances et la promesse de ne plus jamais se soumettre.

    En l’an 50, après des décennies de préparation, la montagne se souleva. Des signaux de fumée furent visibles depuis Haesim. Le royaume entrait dans la guerre des Trois Versants.


    Un siècle de guerre : la montagne contre la plaine

    Période : de 50 à 150

    Ce conflit, d’abord perçu à Haesim comme une nouvelle révolte périphérique, s’enlisa rapidement dans une guerre longue, imprévisible et sanglante. Les troupes royales, habituées à la discipline des plaines et aux affrontements en terrain ouvert, furent déroutées par la mobilité, la ruse et la connaissance du terrain des montagnards. La stratégie du Sangun reposait sur des raids éclairs, des embuscades dans les cols, des saboteurs infiltrés, et un système complexe de relais dans les villages forestiers. Chaque attaque visait à faire vaciller la logistique et à saper le moral de l’ennemi, sans chercher à contrôler durablement les villes ou les axes majeurs.

    Min Jiseok tenta de renforcer son autorité en nommant des gouverneurs militaires dans les zones frontalières, mais ces hommes, souvent incompétents ou corrompus, aggravèrent la situation. Plusieurs commandants furent tués ou trahis. Haesim répondit par des purges internes et un durcissement des lois.

    Vers l’an 70, Min Jiseok céda le trône à son fils Min Jeong, qui hérita d’un royaume divisé, d’un trésor épuisé, et d’une guerre sans fin. Sous son règne, quelques victoires furent remportées, mais les tribus restaient insaisissables. À mesure que la guerre s’éternisait, la population des plaines s’appauvrit, les récoltes manquèrent, et l’idée d’une guerre juste s’effrita.

    Le Sangun, devenu figure mythique, ne se montrait plus. Il laissa place à une génération de chefs montagnards inspirés par sa mémoire. Certains voulaient négocier, d’autres poursuivre la lutte jusqu’au bout. Le camp montagnard commença à se diviser, affaiblissant temporairement leur résistance.

    À la veille du deuxième siècle, un fragile statu quo s’installa : la montagne restait inviolée, mais n’avait pas vaincu. La plaine tenait ses villes, mais ne contrôlait plus ses frontières. Une guerre plus inattendue encore allait alors surgir de l’horizon salé : celle de la mer.


    L'appel de la mer : émergence des Hae-ryong

    Période : de 150 à 200

    Alors que le conflit contre les montagnards s'enlisait depuis près d'un siècle, un nouveau foyer de tension émergea là où on ne l'attendait plus : sur les côtes et les îles du nord. Écrasées par les taxes de guerre, privées de leurs jeunes enrôlés de force, et frappées par des années de mauvaises pêches, plusieurs communautés de pêcheurs sombrèrent dans la pauvreté et la colère.

    Ce fut sur l’île de Haegwan que tout bascula. Des familles entières, ayant perdu foi dans le royaume, se regroupèrent autour d’un ancien marin nommé Jo Baekho, qui refusa de livrer ses fils à la conscription. Avec quelques embarcations de fortune, ils attaquèrent le convoi royal chargé de mener les conscrits à Haesim. D’autres villages côtiers, inspirés par leur geste, en firent autant.

    Très vite, une nébuleuse de clans corsaires se forma. Ils se baptisèrent eux-mêmes Hae-ryong (해룡), les Dragons de la Mer. Ni pirates sans foi ni simples rebelles, ils revendiquaient la protection des communautés maritimes, le droit au commerce libre et la fin des prélèvements militaires imposés par les Min.

    La riposte du roi Min Hyoseok fut brutale. En 173, il lança une expédition navale personnelle vers Haegwan. Mais selon la légende, le navire royal fut percuté par une baleine géante et sombra corps et bannière dans la baie des baleines. Le roi ne fut jamais retrouvé. Cet épisode fut interprété comme un signe des esprits marins, une sanction divine contre l’arrogance du pouvoir terrestre. La baleine devint ce jour un symbole protecteur.

    La bannière royale disparue et le sceau impérial englouti, le pouvoir des Min perdit son autorité morale sur la mer. Des dizaines de ports de pêche, jusque là apeurés par les conséquences possibles de la révolte, se joignirent à la cause des Hae-ryong. Le royaume pirate, né de la misère et du sacrilège, devint une puissance mouvante et insaisissable.

    Mais tout comme la montagne, la mer n’était pas unie : les Hae-ryong étaient un archipel de clans rivaux, parfois alliés, souvent divisés. Des chefs charismatiques émergèrent, fondèrent des pactes, établirent des codes de navigation, mais aucune autorité unique ne domina l’ensemble.

    À la fin du deuxième siècle, Haesim faisait face à une double guerre asymétrique : une montagne insoumise à l’intérieur, et une mer rebelle à l’extérieur. Une guerre qui allait s'éterniser encore plus d'un siècle. C’est dans cette époque troublée que naîtra celle qui allait, par la ruse plus que par la force, réunir les trois versants du royaume : Min So-yeon.
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