11/05/2017
16:17:51
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[Média] - Deungbul, la lanterne du peuple

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ENQUÊTE : les premiers pas des cercles


Six ans. C'est le temps écoulé depuis les premiers murmures du Grand Réveil, et à peine deux ans que notre nouvelle Constitution a formalisé le système dit de la pyramide inversée, ce système de gouvernance où le pouvoir émane de la base, de chaque citoyen, de chaque cercle. Après les années de la Grande Stase, marquées par le désengagement et la méfiance envers les institutions, l'ambition de Gorae Man est sans précédent : bâtir une démocratie où chacun est véritablement acteur de son destin politique, social et économique.

Mais au-delà des textes fondateurs et des nobles principes, comment cette philosophie se traduit-elle dans la vie quotidienne de nos concitoyens ? Les décisions prises dans les cercles sectoriels, qu'ils soient de métier, de passion ou d'intérêt commun, remontent-elles effectivement jusqu'aux niveaux nationaux, l'assemblée des cercles et ses coordinateurs ? La voix du peuple est-elle réellement le moteur de notre politique ? Et dans ce processus de consensus qui nous est si cher, les frictions, les désaccords, voire les impasses, sont-ils surmontés avec l'harmonie que nous recherchons ?

Nos reporters ont parcouru les villes et les campagnes, les ports et les montagnes. Ils ont écouté, observé et dialogué avec des citoyens engagés dans leurs cercles locaux. Cette enquête approfondie vise à éclairer la réalité de la pyramide inversée sur le terrain : ses succès éclatants, ses défis de mise en route, et les ajustements constants nécessaires pour que la promesse du Grand Réveil continue de briller pour tous. Nous chercherons à comprendre comment les décisions se forment, comment les consensus se bâtissent, et comment la volonté de la base est traduite en action concrète par nos représentants.

1. Les voix de la base

Pour comprendre la pyramide inversée, il faut se rendre à la base, là où le pouvoir se forge. Nos reporters ont commencé leur périple dans les assemblées de quartier, véritables cœurs battants de la démocratie gorémanienne, et dans les cercles sectoriels, où les passions et les métiers se rencontrent pour définir des politiques spécifiques.

À Golae Hanggu, un quartier animé de Haesim, nous rencontrons Kim Seon-woo, un pêcheur d'une cinquantaine d'années. Il participe au cercle des pêcheurs, qui a récemment débattu de nouvelles régulations sur les quotas de pêche.

"Avant, la politique, c'était 'eux', là-haut", nous confie-t-il en tirant sur sa pipe. "On votait tous les quatre ans, on râlait, et puis rien ne changeait vraiment pour nous, les gens de la mer. Maintenant, c'est nous qui décidons. Je me suis rendu compte que mes soucis de quotas, ce n'était pas juste mon problème. Mes voisins pêcheurs avaient les mêmes, et ceux d'autres quartiers aussi. Au cercle, on a pu exprimer nos besoins, discuter des données scientifiques sur les stocks, et proposer des ajustements. Bien sûr, ça prend du temps. Il y a des divergences, des anciens qui veulent pêcher comme avant, des jeunes qui voient plus loin. Mais quand on arrive à un consensus, on sait que c'est une décision que tout le monde, ou presque, a pu accepter. C'est ça la vraie force."

Le processus n'est pas sans heurts, reconnaît Seon-woo. "Parfois, une discussion tourne en rond. On passe des heures à débattre d'un point, et la frustration monte. Mais il y a toujours quelqu'un pour rappeler que l'objectif est l'harmonie, pas la victoire. On apprend à écouter différemment, à chercher le point de rencontre plutôt que le compromis."

Plus au nord, dans la vallée de Gughwa, la jeune agricultrice Lee Ji-eun, membre du cercle de l'agriculture, témoigne de l'impact direct des décisions locales. "Notre cercle a proposé un plan pour revitaliser les sols appauvris par des décennies de monoculture intensive. Nous avons demandé un soutien pour la formation en agriculture régénératrice et des incitations pour les cultures diversifiées."

Pour Ji-eun, la différence est palpable. "Avant, on nous envoyait des directives nationales qui ne tenaient pas toujours compte de notre réalité de terrain. Aujourd'hui, c'est notre proposition, bâtie par des agriculteurs pour des agriculteurs, qui est remontée. C'est un sentiment puissant de responsabilité et d'appartenance. On a le sentiment que notre voix, notre expertise, compte vraiment. On sait que les coordinateurs nationaux sont censés être les porte-voix de nos cercles, pas des décideurs indépendants."

Un point de friction récurrent, cependant, est la lourdeur administrative initiale. "Au début, on se noyait un peu dans les procédures pour transmettre nos décisions", admet Park Joon-ho, un enseignant à la retraite qui s'est porté volontaire pour aider à la coordination de l'assemblée de son quartier. "Il fallait s'assurer que chaque cercle avait bien respecté les étapes de la délibération, que le consensus était robuste, avant de transmettre les propositions. La formation aux outils numériques et aux bonnes pratiques de la délibération a été intense pour beaucoup, surtout les aînés. Mais on s'améliore, et les outils deviennent plus intuitifs."

Ces témoignages initiaux soulignent un optimisme mesuré. Si le système est jeune et rencontre encore des défis pratiques de mise en route, la satisfaction de participer réellement aux décisions, d'avoir sa voix entendue et de voir ses propositions prendre forme, est une force motrice puissante. Mais qu'en est-il lorsque ces décisions locales se heurtent à d'autres réalités, ou lorsqu'elles doivent être intégrées dans un cadre national plus vaste ? Comment l'assemblée des cercles et les coordinateurs nationaux gèrent-ils la multitude de voix qui remontent de la base ? Notre enquête se tourne maintenant vers la manière dont cette myriade de propositions est traitée aux niveaux supérieurs.

2. Du local au national : l'épreuve du quotidien

Si la vitalité des cercles locaux est indéniable, la véritable pierre angulaire de ce nouveau régime réside dans sa capacité à faire remonter efficacement ces voix, à les harmoniser et à les transformer en politiques nationales cohérentes. C'est le rôle des garants de la voix, ces délégués élus par leurs cercles respectifs pour les représenter au sein des cercles nationaux, et finalement à l'assemblée des cercles.

Nous avons rencontré Choi Eun-jung, une ancienne bibliothécaire, aujourd'hui garante de la voix pour le cercle de l'éducation. Son rôle est de synthétiser les propositions des innombrables cercles locaux d'enseignants, de parents et d'élèves à travers Gorae Man.

"C'est un défi colossal, mais passionnant", explique-t-elle, son bureau rempli de parchemins numériques et de tablettes interactives. "Nous recevons des centaines de propositions. Du cercle des professeurs de Haesim qui propose de revoir les manuels, au cercle des parents des vallées qui s'inquiète du transport scolaire en montagne, en passant par le cercle des élèves de Pungjeong qui demande plus de cours pratiques. Notre premier travail est de catégoriser, de regrouper et d'identifier les consensus émergents à l'échelle régionale."

La difficulté, précise-t-elle, réside dans la recherche d'une harmonie globale. "Une excellente idée pour un quartier peut ne pas être applicable à l'échelle nationale, ou même entrer en conflit avec les besoins d'une autre région. C'est là qu'intervient le bureau du médiateur et les coordinateurs." Ces derniers facilitent les discussions lorsque le consensus national tarde à émerger. "Leur rôle n'est pas de décider, mais de poser les bonnes questions, de reformuler les propositions, et de s'assurer que chaque voix est non seulement entendue, mais comprise."

Kim Jun-seo, le coordinateurs national à l'économie, nous partage les particularités de son domaine. "L'économie, c'est par nature une question d'équilibres. Une proposition qui favorise une industrie peut en impacter une autre. Par exemple, lorsque le cercle des pêcheurs de Golae Hanggu (celui de Seon-woo !) a proposé d'ajuster les quotas, cela a eu des implications pour les poissoniers, et même le cercle du tourisme et plus particulièrement la restauration. Il ne s'agit pas de rejeter, mais de trouver le point où l'ajustement sert l'harmonie globale sans créer de déséquilibre ailleurs."

Il admet que le processus de consensus national peut être lent et exigeant. "Il y a eu des moments où une proposition restait bloquée pendant des semaines, voire des mois, car aucun consensus robuste ne se dégageait. Parfois, nous devons renvoyer la proposition aux cercles locaux pour qu'ils affinent leur réflexion, qu'ils comprennent les impacts plus larges, et qu'ils proposent des alternatives. C'est une sorte de dialogue permanent entre la base et le niveau national. Ce n'est jamais 'non', c'est toujours 'pas encore', 'comment pouvons-nous l'adapter ensemble ?'"

L'un des succès emblématiques de ce processus est la politique nationale d'approvisionnement en eau. Les cercles des agriculteurs montagnards avaient besoin de dérivation, tandis que les villes côtières craignaient la baisse de leurs nappes phréatiques. Grâce à un travail de longue haleine impliquant par exemple le cercle des ingénieurs, un plan a été élaboré, combinant nouvelles technologies de désalinisation pour les côtes et gestion durable des bassins versants en altitude, le tout sous le principe du "partage équitable de la ressource vitale".

"Le résultat final n'est jamais exactement la proposition initiale de n'importe quel cercle, mais c'est une solution que tout le monde a pu co-construire et soutenir," résume Eun-jung. "C'est l'essence même de notre gouvernance : non pas la décision d'une majorité écrasante, mais l'adhésion collective à une voie commune, même si cela demande patience et persévérance."

Les défis demeurent, bien sûr. La coordination entre les différents niveaux exige une infrastructure numérique robuste et une formation continue des citoyens et des garants. La fatigue démocratique peut parfois pointer son nez face à la durée des délibérations. Mais le sentiment général, tant à la base qu'aux niveaux nationaux, est celui d'une pyramide inversée qui, malgré ses imperfections, respecte fondamentalement sa promesse : celle de faire de la voix du peuple le seul véritable souverain de Gorae Man.
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ANALYSE : La controverse du tourisme sous-marin dans la baie des baleines


hanghaeng


C’est une prouesse technologique que peu auraient imaginée il y a encore quelques années. Depuis trois semaines, une société privée du nom de Hanghaeng propose aux visiteurs une immersion sous-marine dans les eaux profondes de la baie des baleines, grâce à de petites nacelles transparentes à propulsion dites silencieuse. L’objectif ? Observer de près les célèbres baleines qui, chaque année, viennent nager dans les eaux gorémaniennes.

À bord, les premiers passagers parlent d’un émerveillement « quasi-mystique ». Joo Hae-na, venue de Biokji, témoigne : « Voir ces géantes danser dans les courants… c’était comme plonger dans un rêve. » Les images, spectaculaires, circulent déjà sur les réseaux sociaux. Les réservations sont complètes pour les deux prochains mois.

Mais derrière les vitres polies des capsules, la controverse enfle.

Depuis la mise en place de cette nouvelle activité, plusieurs cercles se sont élevés pour exprimer leur inquiétude. Le cercle des mers, réuni à Gwangpo, a tiré le signal d’alerte : « L’accouplement des baleines est un phénomène très sensible aux perturbations sonores et vibratoires, y compris celles inaudibles pour nous mais perceptibles pour elles. La concentration de nacelles dans certaines zones de reproduction est une menace réelle pour la présence des baleines dans la baie. »

Même son de cloche du côté du cercle des pêcheurs : « Si les baleines s’éloignent de la baie, c’est tout l’équilibre écologique qui est menacé. Leur présence régule la population de petits céphalopodes qui dévorent les œufs de poissons. »

À ces critiques, le directeur de la société Hanghaeng répond par la transparence. Son porte-parole, Nam Ji-hun, affirme : « Nos engins sont propulsés sans hélice, sans émission sonore, et avec des dispositifs de répulsion douce pour éviter tout contact. Nous avons déposé tous les plans auprès des autorités. »

Mais la question dépasse la technique.

Dans un pays où la baleine est plus qu’un animal, un symbole culturel et national, le débat prend une tournure éthique. Le cercle de la culture a officiellement demandé une médiation, déclarant que « la présence de la baleine n’est pas une attraction, mais une relation. »

Face à cette montée des voix, la coordination nationale a annoncé l’ouverture d’une commission de consensus regroupant les cercles concernés, professionnels, scientifiques ainsi que les habitants de la baie.

Aucune interdiction n’est envisagée pour le moment. Mais une suspension temporaire des immersions est débattue, le temps d’évaluer l’impact réel de l’activité sur les trajectoires migratoires des cétacés. Le cercle de la mer, regroupement scientifique sur le vivant maritime, pourrait émettre une recommandation décisive.
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PORTRAITS : Les forgerons du renouveau


Dans l’atelier commun de Seolham, le feu crépite, épais et rouge, sur les braises noires du matin. La grande cloche de sécurité vient de retentir et les élèves s’installent à leur poste. Gants en cuir, tablier lourd, lunettes de protection. Puis, le silence est brisé : les marteaux s’abattent, les enclumes chantent. Le métal prend forme.

À première vue, tout cela semble d’un autre âge. Mais il n’en est rien. Car ces jeunes forgerons, à peine sortis de l’école, participent à un projet éminemment moderne : la relance de la métallurgie nationale. Une ambition stratégique pour Gorae Man, qui vise à retrouver la maîtrise de ses outils, de ses pièces détachées, de ses matériaux les plus fondamentaux. À commencer par le fer.

La flamme et les doigts

Hyeon A-reum, 17 ans, élève de la première cohorte, tient son marteau comme d’autres tiendraient un pinceau. Elle a grandi dans une vallée boisée au sud de Biokji. « Mon grand-père taillait le bois. Moi, j’ai voulu tailler le fer. » Elle espère devenir fabricante d’outils agricoles pour les villages reculés de montagne. « Le fer, c’est la force. Mais il faut l’apprivoiser. »

À côté d’elle, Seong Jun-ki, 19 ans, rêve déjà d’électronique. Il soude des lames pour des outils de coupe, mais son regard dérive vers les étagères de prototypes. « Je veux comprendre les matériaux avant de faire voler les machines. Les drones, les bras mécaniques… même les alliages, c’est du feu d’abord. » Il parle vite, mais travaille lentement.

Un feu ancien, un avenir neuf

Ce centre de formation fait partie des sept ateliers pilotes ouverts dans le cadre du programme national de recherche et développement en métallurgie, initié il y a quelques semaines déjà. Un projet ambitieux, lancé à partir d’un constat sévère : au Gorae Man, les métaux sont utilisés, mais rarement produits. Il fallait inverser cette logique. D’où la volonté d’atteindre rapidement un niveau technologique satisfaisant, en reprenant depuis les bases : extraire, purifier, forger.

Gwangpo s’est imposée comme l’un des sites de tête. Ancienne ville pirate, redevenue port industriel, elle a gardé ce mélange d’audace et de rigueur qui fait les bons artisans. Ici, l’acier n’est pas un symbole : il est la matière même du quotidien.

Une pédagogie du feu

Maître O Seong-bae, formateur principal, n’a plus la souplesse de ses élèves, mais sa voix porte au-dessus des bruits. Ancien outilleur naval, il transmet sans détour. « Un bon forgeron apprend du métal. Un mauvais croit qu’il le domine. » Il enseigne aussi la patience. « Il faut chauffer. Plier. Recommencer. Le feu ne pardonne pas la précipitation. »

Dans le cercle du fer, il n’y a pas de classement, ni de compétition. Seulement des binômes, des regards, des erreurs partagées. Et la satisfaction de voir, à la fin de la journée, une pièce fonctionnelle, utile. Un clou. Une tige. Un outil.

Un espoir en fusion

Interrogé par la Lanterne, le coordinateur du cercle sectoriel de la métallurgie, Jo Yoon-hak, se montre prudent. « Nous avons la flamme, mais pas encore le foyer. Le niveau technologique reste insuffisant, les moyens sont modestes, et l’apprentissage prend du temps. Mais la jeunesse répond. Elle est là. Elle forge. »

Pour lui, la force du programme réside dans sa transversalité. « Le fer alimente la construction, l’agriculture, l’électronique. Former des forgerons, c’est irriguer tout le pays. » Mais il rappelle aussi que ce renouveau doit se faire dans le respect de l’environnement et des anciens métiers. « Il ne s’agit pas de remplacer les artisans d’hier. Il s’agit de prolonger leur œuvre, avec de nouveaux outils. »
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ÉCONOMIE : Entre résilience et reconstruction, une économie en quête d’équilibre


Au cœur de la baie des baleines, entre les silos portuaires de Gwangpo et les tours tertiaires de Haesim, les signaux de reprise économique se multiplient, mais les fondations restent fragiles. Avec un produit intérieur estimé à 544 milliards $ , notre nation avance lentement, mais fermement sur la voie du redressement. Pourtant, derrière les chiffres, l’économie gorémanienne conserve les stigmates de sa Grande Stase, et cherche encore son modèle.

Une économie moyenne par sa taille, singulière par ses fondements

Avec un revenu moyen estimé à 12 075 $ par habitant, le Gorae Man se situe dans cette zone grise entre nations émergentes et puissances installées. Un palier exigeant, souvent qualifié par les cercles d’économie comme celui de la « ceinture d’inflexion » : trop avancé pour dépendre d’un développement primaire, pas encore structuré pour rivaliser avec les géants industriels ou technologiques.

Mais la particularité du Gorae Man va bien au-delà des chiffres. Elle est l’une des rares nations au monde à avoir rebâti son modèle économique sur les principes de subsidiarité, d’autogestion et de consensus. Ici, la planification n’est pas centralisée. Elle est le résultat d’une coordination entre cercles professionnels, territoriaux et intergénérationnels. Cela donne un tempo plus lent que dans les systèmes hiérarchiques classiques, mais avec une plus grande résilience aux crises et un ancrage local solide.

Le triangle économique : trois piliers inégaux

La structure de l'économie gorémanienne peut être comparée à un triangle encore en déséquilibre.

🔹 Le secteur primaire, concentré dans les zones rurales, assure une autosuffisance alimentaire dans de nombreux domaines, mais reste peu productiviste. Il préserve les sols, les forêts et la pêche artisanale, au prix d’une modernisation modeste.

🔹 Le secteur secondaire est en pleine reconstruction. La construction navale, relancée à Gwangpo et Haesim, a retrouvé un niveau de compétitivité correct. Des filières métallurgiques, électroniques et robotiques sont en développement, mais restent limitées par l’état encore incomplet des infrastructures.

🔹 Le secteur tertiaire, très concentré dans la mégalopole, domine aujourd’hui l'économie nationale. Services de soin, d’enseignement, d’ingénierie, de médiation, de sécurité ou encore de culture : ils ont fleuri au fil des besoins citoyens, mais peinent à se diffuser au-delà des centres urbains. L'économie numérique, en particulier les services immatériels, progresse vite, mais reste encore tributaire d’une couverture télécom partielle et d’un réseau énergétique fragile.

Les cicatrices de la Grande Stase

Ce qui ce distingue surtout de cette situation, c’est la trace indélébile des décennies de stase. L’écroulement progressif de l’état ancien, entre 1990 et 2010, a provoqué une dislocation des services publics, la chute de la monnaie, et une vague de départs parmi les travailleurs les plus qualifiés. Certaines familles sont encore dispersées à travers le monde.

L’économie moderne du Gorae Man s’est donc reconstruite à la fois sur les décombres de l’ancien système, mais également sur les graines plantées durant l’effondrement : celles des cercles-refuges, des réseaux de partage, des savoirs mis en commun et d’un refus collectif de reproduire les logiques de carrière, de pouvoir ou de profit personnel.

Un futur à construire

Les observateurs sont prudents, mais optimistes. L’indice de confiance des cercles de production est en hausse pour la quatrième année consécutive. Les projets de recherche, soutenus par la coopération entre universités et entreprises citoyennes, visent à renforcer l'autonomie dans les domaines stratégiques : génie civil, télécommunications ou encore de l'énergie. Une chose est sûre : le Gorae Man ne cherche pas à croître pour croître. Le développement économique, ici, est au service de la stabilité sociale et de la dignité collective.
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REPORTAGE : rat des villes et rat des champs


Dans la vallée de Hanjung, à une centaine de kilomètres au sud de Biokji, les collines sont encore couvertes de brume quand nous arrivons. Les chemins sont entretenus, les maisons bien alignées autour d’un grand centre de bois peint. Une antenne sur le toit tente de capter le réseau mais cela ne semble pas troubler l’activité du jour : le cercle local est en séance.
On parle de clôtures à réparer, d’une aide à organiser pour une naissance prochaine, et du futur projet de bibliothèque.

Dans le Gorae Man contemporain, les cercles sont présents partout. La question n’est pas leur disparition, mais leur cadence. À Hanjung, le rythme est celui des saisons, non celui des notifications.

« En ville, ils veulent tout demain. Ici, on prévoit pour la lune prochaine », sourit Jeon Sae-min, une agricultrice de 44 ans, coordinatrice du cercle local depuis trois ans. Elle est née ici, partie à Pahyang pour ses études, revenue sans regrets. « On vote ici aussi, on débat. Mais on prend le temps d’écouter le vieil oncle qui parle lentement. On attend que tout le monde ait entendu. On préfère faire juste, pas vite. »

Cette distinction entre présence institutionnelle et cadence sociale est au cœur des disparités actuelles entre la mégapole et les périphéries rurales. Ce n’est pas le système des cercles qui est inégal : c’est la temporalité du monde.
Dans les districts denses d’Haesim, les votes se tiennent sur plateforme sécurisée, les notifications affluent chaque heure, les cercles se réunissent régulièrement. À Hanjung, un cercle se réunit deux fois par mois. Le délai de remontée des décisions peut atteindre deux semaines. Et pourtant, rien n’est en panne.

Les difficultés existent, bien sûr :
🔹 une mère enceinte doit parcourir trois heures en transport partagé pour accéder à une échographie,
🔹 un artisan peine à transmettre ses devis faute de connexion régulière,
🔹 les jeunes passionnés de robotique ou de design cherchent des horizons plus rapides, plus denses.

Fiche du cercle rural de Hanjung
Région : Sud de Biokji – Vallée de Hanjung
Population couverte : 476 habitants
Altitude moyenne : 640 m
Activités principales :
🔹 Culture vivrière (riz de plateau, radis fermenté, herbes médicinales)
🔹 Artisanat du bois
🔹 Élevage (chèvres, volailles)
Connexion réseau :
🔹 Internet filaire intermittent
🔹 Téléphonie mobile 2G/3G selon les zones
🔹 Accès satellite expérimental en cours de test
Équipements collectifs :
🔹 Maison du cercle (ouverte 6 j/7)
🔹 Dispensaire à mi-temps (2 infirmiers, 1 consultation médicale/mois)
🔹 Bibliothèque
🔹 Salle commune d’activités (chant, danse, arts martiaux, etc.)
Spécificités locales :
– Le cercle pratique la décision au consentement prolongé : tout membre peut demander 48h de délai avant validation finale d’une décision.


Deux temps pour un même pays

Le voyageur qui quitte la grande cité en train rapide croit s’éloigner de la modernité. Pourtant, ce n’est pas le progrès qu’il laisse derrière lui : c’est une certaine façon de le vivre. Car au Gorae Man, les cercles fonctionnent partout. La représentation locale, l’organisation démocratique horizontale, le droit à la parole — tout cela n’est pas réservé aux villes. Et pourtant… tout ne va pas au même rythme.

À Hanjung, dans le sud de Biokji, la réception téléphonique oscille entre le silence et les voix saccadées. Pour participer à une réunion inter-cercle avec les villes voisines, les représentants doivent parfois marcher vingt minutes jusqu’à un point haut, ou attendre la venue mensuelle d'un messager. Ici, une décision urgente peut prendre plusieurs jours à circuler.

« Ce n’est pas qu’on est en retard, » sourit la doyenne du cercle, « c’est qu’on réfléchit avec le cycle de la lune. À quoi bon décider aujourd’hui ce que l’on comprendra mieux demain ? »

Loin de toute fainéantise, la temporalité rurale est un mode de vie. Elle s’ajuste aux saisons, aux récoltes, à la météo. Là où la mégalopole bruine d’informations en continu, les hameaux prennent le temps de trier l’essentiel de l’urgent. Dans les villes, l’information fuse, les cercles territoriaux urbains se réunissent parfois plusieurs fois par semaine. À Haesim ou Pahyang, des outils numériques sophistiqués permettent de voter en ligne, de suivre les réunions en direct, de simuler l’impact d’une décision budgétaire en quelques clics.
Mais ce rythme effréné, s’il permet des ajustements rapides, enferme parfois les citoyens dans une course à la réactivité. « On décide trop vite. Et souvent, on doit réajuster juste après », avoue une coordinatrice de district à Gwangpo.

Il serait faux de dire que la campagne est oubliée. Les cercles nationaux maintiennent un système d’échos retardés, des protocoles d’ajustement différé qui permettent aux zones rurales de s’approprier à leur rythme les grandes orientations. Le Bureau du Médiateur s’assure régulièrement que la parole des Cercles isolés remonte bien.

Le problème n’est donc pas une rupture du lien… mais une différence de tempo.

Et parfois, cette dissonance temporelle crée des tensions. Quand une réforme énergétique pensée pour les quartiers connectés peine à s’adapter aux hameaux hors réseau. Quand les jeunes partent pour les universités de la mégalopole et ne reviennent plus, laissant derrière eux un vide générationnel.

Au fond, c’est peut-être cela que vit le Gorae Man : une nation qui ne se fracture pas entre ville et campagne, mais qui s’étire, doucement, entre deux manières de vivre le même idéal. D’un côté, la lumière vive et instantanée des cités. De l’autre, le sablier patient des vallées.


Reportage à Jeonghuri, un hameau de la montagne d’Eunryu

La route s’arrête bien avant Jeonghuri. Il faut monter à pied pendant une heure sur un sentier de chèvres. Là-haut, la vallée s’ouvre sur une douzaine de maisons accrochées à flanc de colline, adossées à une ancienne scierie aujourd’hui reconvertie en salle commune.
C’est là que se tient, une fois par mois, le cercle territorial de Jeonghuri. Pas de vidéoconférence. Pas de vote numérique. Juste une longue table de bois, une bouilloire, et des bancs.

Ce soir-là, l’ordre du jour est simple : faut-il accepter le soutien logistique d’un groupe de bénévoles venus de Haesim pour installer un relais de réseau mobile au sommet du col ? L’idée séduit les plus jeunes. Les anciens hésitent.

« Ce n’est pas une question de progrès ou de peur », dit un vieil homme au visage tanné par les hivers. « C’est une question de rythme. On doit voir si ce relais changera notre façon de faire. Et s’il faut tout réapprendre, on le fera. Mais pas sans réfléchir. »

Trois heures plus tard, le vote est ajourné. Il faut écrire au cercle cantonal pour poser une question complémentaire. On décide d’attendre le prochain marché, où un messager pourra porter le courrier.


Des jours plus longs que les heures

On ne compte pas le temps de la même manière selon qu’on vit à Haesim ou dans les collines d’Eunryu. Dans les centres urbains, le moindre retard d’une livraison déclenche une réaction en chaîne. Les cercles professionnels s’ajustent à la seconde, les notifications se succèdent, les comités de coordination échangent en temps réel. La notion même d’« instantané » est devenue une norme, une attente silencieuse dans toutes les strates de la vie quotidienne.

Mais dans les zones rurales, on parle encore de "jours utiles". Le courrier collectif circule parfois à dos de mule entre deux villages, les médiateurs locaux organisent des rencontres mensuelles plutôt que des connexions permanentes. Ici, le temps est un espace de respiration. Cela ne signifie pas inertie.

Ce rythme plus lent est en partie structurel. Les connexions réseaux sont moins stables dans certaines zones de montagne. Les cercles doivent organiser leurs délibérations à l’avance, parfois avec plusieurs jours ou semaines d’intervalle. Et cela change tout. La démocratie des cercles, par nature horizontale et décentralisée, ne produit pas les mêmes fruits au même moment partout. Et c’est là sa richesse. Là où certaines démocraties imposent une temporalité nationale uniforme, souvent calquée sur les villes capitales, le Gorae Man tolère la dissonance des vitesses. Il ne force pas à suivre. Il observe, et ajuste.

« Nos réponses mettent plus de temps à arriver, mais elles durent plus longtemps », explique Jo Haran, agriculteur dans la vallée de Pahyang. « À Haesim, on réforme tous les trois mois. Chez nous, on s’engage pour dix ans. »

Il serait faux de croire que cette lenteur freine tout. Dans certains domaines, elle protège. Elle permet aux décisions de mûrir. Elle laisse la place à la médiation, à la transmission intergénérationnelle, à l’ancrage dans les réalités locales. Là où l’innovation est éclair, la tradition devient profondeur.
Mais cette différence temporelle est aussi une ligne de tension. Les jeunes des zones rurales, baignés dans l'imaginaire de la mégalopole, ressentent parfois cette lenteur comme un frein. L’attrait de la ville reste puissant : on y imagine une vie "au rythme du monde", alors que la campagne renverrait à un "rythme du passé".

Ce n’est pourtant pas le passé que vivent les campagnes du Gorae Man. C’est un autre présent, plus vaste, moins fragmenté, plus sensible. Un présent où chaque décision est comme une pierre posée dans un jardin, avec le souci qu’elle tienne l’épreuve des saisons.


La tentation du nord

Le mot est connu de toutes les familles rurales : “monter au Nord”. Il désigne moins une direction géographique qu’un destin social. Car au Gorae Man, le nord, c’est la baie des baleines, c’est Haesim, c’est l’océan, les technologies, les universités, les grandes idées. C’est le miroir tendu à la jeunesse.

Le phénomène n’est pas nouveau. Depuis l’unification, les jeunes adultes quittent régulièrement les vallées, les collines, les hameaux des monts de l’ouest ou de l’est pour aller chercher ailleurs ce qu’ils croient ne pas pouvoir bâtir ici : un avenir plus libre, plus rapide, plus moderne. Une part de vérité existe dans cette aspiration. La mégalopole concentre les réseaux, les soins de pointe, les échanges intellectuels et les opportunités professionnelles. Elle donne l’impression d’accélérer la vie.
Chaque année, les zones rurales voient leur population active diminuer. Pas de façon spectaculaire, pas de façon dramatique. Mais comme une fuite discrète, permanente, parfois irréversible.

« Mon fils est parti à Gwangpo pour devenir ingénieur naval. Il dit qu’ici, il n’y a pas de place pour ses rêves. Il a peut-être raison. Mais moi, j’avais rêvé qu’il reprenne la ferme », nous confie Park In-ja, 64 ans, habitante de la région de Suhoam.

Les cercles ruraux ne sont pourtant pas inactifs. Certains multiplient les initiatives : coopératives agricoles innovantes, accueil d’artisans venus de la ville en quête de sens, écoles alternatives, maisons de santé communautaires. Ces projets fonctionnent. Mais souvent, ils n’ont pas le temps de devenir attractifs avant que les jeunes ne soient déjà partis.
Ce que la campagne offre, elle ne le promet pas tout de suite. Elle le propose dans la durée : autonomie, lien intergénérationnel, enracinement, spiritualité du lieu. C’est une richesse lente, qui ne se donne qu’à ceux qui restent.
Mais qui peut dire aujourd’hui à un jeune adulte qu’il doit « rester » ? Comment s’opposer à l’envie de découverte, à la promesse d’émancipation ? Le problème n’est pas le départ. C’est l’absence de retour.
Certains cercles locaux réfléchissent à une nouvelle idée : le retour en spirale. Partir pour mieux revenir. Aller se former, expérimenter ailleurs, puis ramener ces savoirs et ces rêves dans le village natal. Une forme de migration cyclique, où l'exil devient une étape, pas un adieu.
Cela suppose que les campagnes deviennent capables d’accueillir leurs enfants revenus. Avec des réseaux solides. Des perspectives. Un cadre de vie non seulement agréable, mais vivant.

Quelques chiffres sur les flux migratoires au Gorae Man

🔹 5,2 %
→ Part de la population rurale qui migre chaque année vers l’une des 7 grandes villes de la mégalopole. Ce taux est stable depuis une décennie, mais cumulé, il vide certaines régions de leur génération active.
🔹 62 %
→ Proportion des 18–30 ans vivant en zone rurale qui déclarent envisager un départ "d’ici 5 ans", majoritairement pour études ou emploi.
🔹 31 %
→ Part des jeunes adultes urbains (ayant grandi à la campagne) qui souhaitent un jour "revenir s’installer dans leur région d’origine". Seuls 8 % le font effectivement dans les 10 ans suivant leur départ.
🔹 1er motif d’émigration rurale :
→ L’absence de filières d’enseignement supérieur adaptées aux nouvelles aspirations professionnelles.
🔹 1er motif de non-retour :
→ Le manque de connectivité (réseau, internet, transports) empêchant le télétravail ou les activités modernes à distance.


Expérimentations rurales : entre résilience et renaissance

Alors que les flux migratoires vers la mégalopole semblent inéluctables, certaines zones rurales du Gorae Man refusent de se laisser définir par le déclin. En marge du bruit urbain, des cercles ruraux inventent une autre manière de vivre, expérimentent, tâtonnent, innovent parfois… avec des résultats inégaux mais porteurs de sens.

Dans plusieurs hameaux des monts du Levant et des collines du sud d’Eunryu, des cercles ont orienté leur stratégie vers une revitalisation fondée sur les ressources locales : agriculture écologique, production textile artisanale, transformation forestière, tourisme immersif, etc.
À Donghwa, un village de 400 habitants situé au sud de Biokji, une coopérative a fait le choix d’un modèle économique entièrement circulaire : les déchets organiques sont compostés, les productions agricoles échangées, et l’eau recyclée localement. Le cercle de coordination régional, séduit par l’initiative, a soutenu la construction d’un micro-centre de santé et la mise en place d’un signal haut débit par satellite.

Plutôt que de se battre contre la dispersion géographique, certains territoires misent sur des villages noyaux interconnectés. Dans la région des vallées d’Eonyang, un système d’habitats groupés a vu le jour : trois hameaux voisins se sont dotés d’une cantine commune, d’un service partagé de transport à la demande, et d’une école unique desservant les trois lieux.

Le retard technologique n’est pas une fatalité. Dans le sud-ouest montagneux, la ville de Yeongsan a investi dans un programme de relai numérique pour ses hameaux les plus reculés. Des bornes hybrides permettent désormais l’accès partiel aux outils numériques de base : santé en ligne, délibérations de cercle, administration.
Ce type d’équipement reste coûteux et limité dans sa bande passante, mais il permet d’éviter la coupure complète. À terme, un projet national de constellation de satellites basse orbite vise à mailler tout le territoire en garantissant un accès minimum à tous les cercles.


Les jeunes entre deux mondes

Ils s’appellent Hae-joon, Min-a, Seok-won ou Eun-ji. Ils ont 16, 20 ou 24 ans. Ils vivent à Gwangpo, dans un district excentré de Suhoam, ou dans un hameau accroché aux pentes forestières de l’est. Et tous, d’une manière ou d’une autre, doivent répondre à cette question : "Partir, rester… ou revenir ?"

Dans un pays où l’accès aux universités, aux instituts technologiques, aux incubateurs ou aux pôles de recherche est encore très centré sur la mégalopole, la tentation du départ est forte.
Selon les données, près de 68 % des adolescents ruraux prévoient de s’installer au moins temporairement dans l’une des sept grandes villes. Le motif principal ? L’accès aux études supérieures, puis à l’emploi qualifié.

"Je reviendrai peut-être plus tard, mais je veux d’abord comprendre ce que le monde peut m’offrir."
– témoignage de Jin-seo, 19 ans, originaire d’un village du sud de Yeongsan

Cette dynamique n’est pas nouvelle. Mais elle s’accentue : si les cercles de coordination locaux organisent souvent le transport ou l’hébergement temporaire, les réseaux d’entraide communautaires peinent à compenser la distance croissante entre la vie urbaine et les racines villageoises.

Pourtant, de nombreux jeunes ne coupent pas le lien. Certains retournent régulièrement au village familial pour les fêtes traditionnelles, la saison des récoltes ou même pour participer aux décisions de leur cercle local via les plateformes numériques (quand le réseau le permet).
Des programmes régionaux permettent à des jeunes urbains de revenir ponctuellement en zones rurales, en tant que volontaires formateurs, animateurs ou ingénieurs. L’idée : permettre une réinsertion douce, non contrainte, et parfois redonner envie de revenir pour de bon.

"Je pensais m’installer à Haesim pour de bon. Finalement, j’ai lancé mon atelier de design de papier à Yuhwaseom. Et je ne l’ai jamais regretté."
– témoignage d’Eun-hye, 27 ans, revenue vivre dans le district 6 de la capitale

Cette mobilité rurale-urbaine n’est plus vécue comme un exil par la nouvelle génération. Ils réclament cependant plus de reconnaissance : meilleure couverture numérique pour maintenir le lien, lieux d’accueil dans les villes pour les jeunes ruraux, passerelles vers l’installation en zones moins denses.
Le défi, à long terme, est de réconcilier ces deux mondes, de ne pas faire de la jeunesse un corps en transit, mais une force de liaison entre les temporalités, les espaces et les modes de vie du Gorae Man.


L’interconnexion en chantier

S’il existe un fil rouge qui traverse tous les témoignages, toutes les disparités et toutes les tentatives de rééquilibrage, c’est bien la question de la connexion — au sens le plus large du terme.

Alors que la capitale et les grandes villes bénéficient d’un réseau de fibre optique, d’antennes relais optimisées, de hubs de communication, de larges zones rurales souffrent encore d’une connectivité instable, parfois absente en haute montagne ou en forêt profonde. Il ne s’agit pas seulement d’un confort moderne : sans connexion fluide, les cercles ruraux se trouvent désynchronisés.

Des projets sont en cours : satellites relais, boucles communautaires en maillage autonome, fibre enterrée, mais leur déploiement demande du temps, et parfois une adaptation du terrain.

L’interconnexion, c’est aussi pouvoir se déplacer sans entrave. Là encore, le contraste est fort :
🔹 Les cités de la baie sont desservies par des lignes fluviales, ferroviaires, voire maritimes, en continu.
🔹 Les zones rurales les plus reculées ne disposent parfois que d’une navette hebdomadaire ou de chemins escarpés.

Pour les patients devant se rendre à l’hôpital, pour les enseignants nomades, pour les marchands itinérants, cette accessibilité différée peut changer radicalement la donne. Et elle participe à ralentir, objectivement, le rythme rural.
Il ne s’agit pas seulement de combler un retard. Il s’agit de créer les conditions d’un échange équilibré. Pour que les ressources de la campagne (bois, plantes médicinales, artisanat, sagesse, cohésion) puissent circuler tout autant que les technologies ou les investissements venus de la ville.
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ENQUÊTE : une société apaisée ?


Au premier abord, les statistiques officielles du Bureau National de la Sécurité du Gorae Man brossent le portrait d'une nation où la criminalité est, en apparence, remarquablement basse comparée aux standards mondiaux. Pour cette année 2016 qui est sur le point de se terminer, le taux global de délinquance enregistré s'établissait à seulement 480 délits pour 100 000 habitants, un chiffre qui ferait pâlir d'envie nombre de nations. Pourtant, une analyse plus fine des chiffres sur les dernières décennies révèle une dynamique complexe, intimement liée à l'histoire récente du pays.

Évolution de la criminalité sur la dernière décennie : de la Grande Stase à la stabilité

Le point de bascule se situe il y a tout juste quelques années, à la fin de la Grande Stase. Cette période de troubles profonds, caractérisée par la rupture de la cohésion sociale, l'effondrement des institutions et une défiance généralisée, a vu la délinquance atteindre des sommets jamais égalés depuis l'unification. Les registres de cette époque font état d'une augmentation exponentielle des larcins, des violences inter-clans, des trafics informels et des atteintes aux biens, traduisant le désespoir et l'anarchie. Le taux d'homicides, par exemple, avait alors grimpé à un effrayant 4,5 pour 100 000 habitants, et les délits économiques paralysaient le commerce.

La période de reconstruction qui a suivi, initiée par les fondations du système des cercles et la réaffirmation des principes de Go Sa-jin, a marqué une diminution drastique et progressive de la criminalité. En dix ans, le taux global d'infractions enregistrées a chuté de près de 65%. Le taux d'homicides est ainsi tombé à un niveau infime de 0,6 pour 100 000 habitants, et celui des violences physiques à 25 pour 100 000 habitants. Cette baisse s'explique non seulement par le retour à une gouvernance stable et à des conditions de vie améliorées, mais surtout par des mécanismes de résolution des conflits, qui ont réduit les sources de friction et encouragé la responsabilisation collective. La prévention et la médiation ont supplanté la répression comme première ligne de défense.

Cependant, au cours des cinq dernières années, cette diminution a ralenti, atteignant une sorte de plateau. Les chiffres restent faibles, mais les marges de progrès semblent plus difficiles à obtenir, suggérant que la délinquance résiduelle est peut-être plus ancrée ou plus complexe à éradiquer. Le taux d'élucidation ou de résolution par médiation des affaires enregistrées atteint un taux impressionnant de 92%, preuve de l'efficacité du système à traiter les infractions.

Différences entre la mégalopole et les zones rurales

Comme dans de nombreuses nations, le Gorae Man n'échappe pas à un certain gradient de délinquance entre ses pôles urbains et ses étendues rurales. La mégalopole, qui inclut Haesim et les sept autres grandes cités, concentre environ 80% des infractions enregistrées. Les chiffres y sont en moyenne 2,5 fois supérieurs à ceux des zones rurales et des villages reculés. Cette différence s'explique par la densité de population, l'anonymat relatif, et la plus grande complexité des interactions économiques et sociales. Les délits y sont souvent liés à la fraude, à la cybercriminalité et à de petites agressions.

En revanche, les zones rurales, bien que connaissant moins d'incidents, sont plus susceptibles de voir des conflits de voisinage ou des atteintes à la propriété liés à des usages de ressources (eau, terres). Ces cas sont majoritairement résolus par les cercles locaux avant d'atteindre les instances judiciaires.

Typologie des infractions : une délinquance de l'ombre

La typologie de la criminalité au Gorae Man est révélatrice de sa structure sociétale.

🔹 Violences physiques : elles sont rares, mais leur incidence est prise très au sérieux. La plupart des violences corporelles enregistrées sont des rixes isolées. Les violences intrafamiliales, bien que discrètes, sont une préoccupation croissante, souvent traitées par des médiations familiales intensives avant que la loi n'intervienne. Les agressions graves, avec intention de nuire, sont extrêmement rares et secouent la nation lorsqu'elles surviennent, déclenchant des enquêtes approfondies et des processus de justice longs.

🔹 Délits économiques et fraude : c'est la catégorie la plus fréquente dans la mégalopole. Fraude aux systèmes, falsification de documents commerciaux, détournement de fonds et évasion des contributions aux cercles communautaires. Ces délits, bien que non-violents, sont considérés comme de graves atteintes à l'Harmonie car ils minent la confiance collective et la vertu.

🔹 Cybercriminalité : avec l'avancée technologique du Gorae Man, la cybercriminalité est une préoccupation montante. Hameçonnage, vol de données personnelles (surtout celles liées aux identités des cercles), tentatives d'intrusion dans les réseaux de gouvernance ou de logistique. Bien que la plupart des systèmes soient hautement sécurisés et surveillés, la sophistication des attaques pousse constamment les unités de cyber-sécurité à innover.

🔹 Délits mineurs : vols à l'étalage, petits dommages matériels, troubles à l'ordre public (rarement violents, plutôt liés à des non-conformités aux règles, comme des nuisances sonores ou des rassemblements non autorisés perturbant la quiétude). Ces cas sont presque toujours gérés au niveau du cercle par médiation ou réparation communautaire.

Criminalité organisée et "poches grises" : les ombres persistantes

Officiellement, le Gorae Man n'admet pas l'existence d'une criminalité organisée structurée, telle qu'elle existe dans d'autres nations. Les réseaux mafieux ou les grandes organisations criminelles sont considérés comme incompatibles avec la structure ouverte et la surveillance collective du système en cercles.

Cependant, l'enquête révèle l'existence de ce que certains agents du Bureau National de la Sécurité appellent des "poches grises". Ce ne sont pas des syndicats du crime, mais plutôt des regroupements informels de quelques individus, souvent des exclus du système ou des esprits particulièrement réfractaires, qui opèrent dans les marges.

🔹 Trafic de données sensibles : dans le monde numérisé de Gorae Man, l'information est une monnaie précieuse. Certaines de ces "poches grises" se spécialisent dans la revente d'informations techniques (brevets, plans de prototypes industriels), d'identités virtuelles volées, ou même de "dossiers" sur des coordinateurs.

🔹 Marché noir : bien que le système de distribution soit très efficace, il existe une demande pour des biens interdits (certaines substances euphorisantes, biens de luxe non traçables, technologies convoitées). Ces "poches grises" opèrent à très petite échelle, souvent via des réseaux de confiance limités, et sont constamment traquées par les unités spécialisées.

🔹 Réseaux d'évasion et de dissimulation : Enfin, il existe de petits réseaux qui aident des individus à "sortir du système" – soit en contournant les traçabilités économiques, soit en facilitant le passage illégal des frontières. Ces cas sont considérés comme les plus graves car ils sapent directement les fondements de la cohésion nationale.

Ces "poches grises" sont souvent éphémères et difficiles à démanteler complètement, car elles n'ont pas de structure hiérarchique forte et se recomposent rapidement. Elles représentent un défi constant pour le Gorae Man, rappelant que même une société axée sur l'Harmonie doit rester vigilante face aux pulsions de l'individualisme débridé et à l'attrait des marges.
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DOCUMENTAIRE : quand la montagne se réveille



avalanche



Le jour ne s’était pas vraiment levé ce matin-là. Un épais rideau de neige avalait les reliefs, assourdissait les sons. Dans la région rurale de Daemyeon, à l’extrême sud des hauts-pics de Namwol, les habitants s’étaient réveillés dans un silence blanc. Pas un oiseau, pas une roue. Juste le craquement discret des toits, accablés par la charge des flocons.

Depuis trois jours, la tempête n’avait cessé. Les routes sinueuses, à flanc de falaise, avaient déjà été interdites aux camions la veille. Les écoles fermées. Les patrouilles du cercle de sécurité local (보안회 — Boanhwoe) sillonnaient encore les hameaux à pied, quand les capteurs hydrométéo envoyèrent l’alerte : le manteau neigeux dépassait les seuils critiques. Une avalanche menaçait sur le versant nord, là où se nichait le petit village de Saejae.

À la station de coordination de sécurité, une pièce sans prétention au-dessus de la mairie du district, les membres du cercle consultaient les images satellite et les données du Corps de Surveillance (감시단 — Gamsidan). L’un d’eux murmura, comme pour lui-même :
— La montagne est en train de se réveiller.
Il n’en fallut pas plus pour convoquer la cellule d'urgence de sécurité des cercles de montagne. La décision fut prise en moins de dix minutes : évacuer trois villages. D’autres resteraient en alerte. Les alertes partirent sur les radios locales. On alluma les anciens feux de détresse sur les hauteurs, selon la vieille tradition. Et chacun, en enfilant ses bottes, savait que la nuit serait longue.

Une alerte en trois temps

Au Gorae Man, les dispositifs d’alerte ne se résument pas à une sirène et une ligne téléphonique saturée. Le pays s’est doté d’un Système de Veille des Cimes (봉우리 감시체계 – Bonguri Gamsi Chegye) , combinant capteurs environnementaux, réseaux communautaires et procédures traditionnelles adaptées aux territoires.

Première phase : la veille prédictive.
Dès le 5ème jour de chute de neige consécutive, les capteurs thermiques et sismiques du Gamsidan détectaient des tensions dans le manteau neigeux. Un modèle algorithmique, alimenté en temps réel par la topographie et les données climatiques, estimait une probabilité de 76 % d’avalanche dans les 48 h. Le Cercle de coordination météorologique de Daemyeon, en lien avec la station d’étude des Namwol, déclencha l’alerte orange.

Deuxième phase : l’alerte communautaire.
Une fois l’alerte confirmée, les cercles locaux prirent la relève. Des patrouilles à ski du Boanhwoe distribuèrent des balises personnelles à chaque foyer à risque. À Saejae, plusieurs anciens refusèrent de quitter leurs maisons. Les membres du cercle ne les forcèrent pas, mais laissèrent à chacun des rations et des instructions.
« On ne contraint jamais un ancien à fuir sa montagne », expliqua calmement Sun Hae-sik, responsable de sécurité. « Mais on fait en sorte qu’il ne soit pas seul. »

Troisième phase : déclenchement de l’intervention rapide.
Quand le versant cède, à 22h43, ce n’est pas le chaos, mais une mécanique qui s’enclenche. Les sirènes harmonisées résonnent dans les vallées, les anciens signaux de fumée sont doublés par les flashes lumineux des drones. Le Corps d’Intervention Rapide (긴급대응단 – Gingeup Daeungdan) arrive depuis Haesim et Eunryu, par convoi tout-terrain. Ils ne viennent pas seuls : les Secouristes Volontaires de Namwol (남월화재단 – Namwol Hwajaedan) ont déjà ouvert des pistes en motoneige.
Une ancienne cabane de berger, sur une crête au-dessus du hameau, devient le QG avancé. Dans la nuit blanche, éclairés de halos rouges et bleus, les premiers sauveteurs progressent lentement, à pied, avec leurs chiens et leur souffle.

Les premières heures

Il est 7 h 23 lorsque le vent s’arrête, presque soudainement, comme un souffle repris dans une gorge silencieuse. Le ciel reste chargé, mais la tempête a cessé. Dans la salle du poste avancé, la tension ne retombe pas : elle se transforme. Désormais, il faut agir, avec méthode, rapidité et prudence.
Les premières informations remontées confirment les soupçons de l’équipe : un versant entier s’est effondré dans la haute vallée de Hwangjam, en surplomb du hameau de Doryeong. La coulée a traversé deux lignes électriques, enseveli une portion de route et coupé les communications terrestres avec les villages en amont. La centrale hydroélectrique locale s’est mise en sécurité, privant de courant plusieurs centaines d’habitants. Il faut déployer une intervention sur plusieurs fronts à la fois.

Coordination d’urgence

La première mission est de sécuriser les accès. Une équipe part en éclaireur avec un petit chenillard blindé, équipé d’un radar de stabilité pour détecter les failles résiduelles. Un drone thermique survole la zone, à la recherche de traces de chaleur humaine sous la neige. Pendant ce temps, dans le poste de commandement temporaire, les agents du Corps de Surveillance établissent une cartographie des foyers à risque : lieux isolés, personnes âgées vivant seules, centres médicaux de proximité.
Dans les cercles de la vallée, on s’active également. Chaque village a déjà mis en œuvre son plan hivernal d'entraide : les maisons les plus solides deviennent des points de repli communautaire, les familles rassemblent vivres et couvertures, les personnes formées aux premiers secours sortent leurs brassards.

Une réponse enracinée

Dans le village de Jinseo, isolé mais intact, l’ancien sonne la conque d’alerte – un vieux rituel local, transmis de génération en génération. À ce son rauque, les habitants comprennent que l’entraide commence.
Au même moment, dans la vallée de Sanghwa, une infirmière bénévole prépare le petit dispensaire communautaire pour accueillir d’éventuels blessés. Elle sait que les équipes mettront des heures à arriver jusque-là, si la neige le permet.

Vers 10 h 40, les premiers agents du Corps d’Intervention Rapide atteignent Doryeong par une piste secondaire dégagée à la pelle mécanique. Ils découvrent trois habitations écrasées. Une famille de cinq personnes est retrouvée saine et sauve, réfugiée dans la cave d’un voisin. Deux personnes âgées sont introuvables. Un chien de secours formé au pistage commence à tourner en rond dans la neige, inquiet. Le silence, lourd, retombe.
En fin de matinée, la température chute de nouveau. Il reste peu de temps avant que la lumière décroisse, que les résidus gelés se reforment en glace, et que la fenêtre de sauvetage se referme.

La chaîne de vie

À 14 h passées, une autre journée semble s’amorcer, mais ce n’est qu’un leurre de la météo : le ciel est toujours bas, et la neige tombée la veille continue de fondre lentement, piégeant les routes de glaces traîtresses. Les secours savent que la nuit tombera tôt, et qu’elle sera déterminante.
Dans la salle de coordination de la vallée basse, une table murale numérique représente en temps réel la progression des équipes. Les agents du Corps de Surveillance, épaulés par des volontaires des cercles de sécurité locaux, analysent chaque remontée : saturation des refuges, état des routes, demandes médicales, besoins en générateurs. Les communications sont encore instables, alors certains messages passent par ondes courtes, ou même par messagers en motoneige. Le Gorae Man n’oublie jamais que l’hiver impose une technologie modeste et rustique.

Sur les hauteurs, une ligne de traîneaux électriques légers transportent vivres, couvertures, médicaments. Ces engins, adaptés aux pentes et aux pistes étroites, sont guidés par les cercles montagnards eux-mêmes, habitués au terrain, plus fiables que n’importe quel GPS.
Les agents du Corps d’Intervention Rapide, eux, s’emploient à évacuer les blessés légers par rotation d’hélicoptère, dès qu’une éclaircie le permet. Chaque décollage est une opération minutieuse : balisage à la peinture thermique, stabilisation du sol, sécurisation des abords par les cercles de sécurité.

Au siège national des services de secours, la situation est désormais classée comme "crise interrégionale". Un état-major temporaire est formé, composé de délégués des cercles concernés et des corps spécialisés (notamment les secours hydrométéo). Cette structure temporaire, agile, permet de coordonner l’effort sans centraliser la commande.
La consigne est claire : soutenir les cercles sans les déposséder de leur autonomie. Chaque intervention doit s’adapter au contexte local, à la culture du territoire. Le rôle du centre n’est pas de diriger, mais d’amplifier l’efficacité.

La nuit sur la vallée

Quand le jour cède enfin, ce n’est pas la lumière qui disparaît, mais la sensation de mouvement. Le vent se calme, les flocons cessent de tomber. Le paysage se fige. Les arbres givrent, les toits craquent. Une chape blanche recouvre le Gorae Man rural.
Mais dans les refuges improvisés, personne ne dort vraiment.
Dans la salle commune de Mireuk, la lumière du poêle jette des ombres dansantes sur les murs en bois. Les enfants se sont tus, lovés sous les couvertures. Les adultes parlent à voix basse. Un vieux raconte la dernière grande tempête, celle de 1998. On se rappelle qu’à l’époque, on avait dû creuser des tunnels dans la neige pour atteindre les bêtes. Il y avait moins de moyens, mais déjà cette même solidarité.

À l’extérieur, les équipes s’organisent en patrouilles lentes. Un binôme de Cercles de Sécurité et de Corps d’Intervention Rapide descend une piste secondaire pour rejoindre un groupe de bergers bloqués dans un hameau isolé. Un drone thermique survole la crête : il détecte une source de chaleur là où l’on ne l’attendait pas. Un abri naturel ? Une personne en détresse ? On y enverra quelqu’un au matin.
En plaine, dans un autre refuge, un accouchement a commencé. L’ancienne sage-femme du village est présente, une jeune volontaire du cercle lui sert d’assistante. La communication avec la maternité de district est établie par radio. Tout semble se dérouler normalement. Une nouvelle vie dans le froid.

Le lendemain, entre traces et leçons

Lorsque le soleil revient, il n’éblouit pas : il révèle. Sur la neige encore intacte, les traces des interventions nocturnes dessinent une cartographie silencieuse de l’effort collectif. Des empreintes de bottes, des sillons de luges improvisées, des lignes laissées par les chenilles des drones terrestres. Des marques fragiles, déjà promises à la fonte, mais qui racontent ce que fut cette nuit d’hiver.

Le travail de décrue

Les agents du Corps d’Intervention Rapide commencent les premières reconnaissances matinales. Deux hameaux sont toujours inaccessibles par la route, mais les liaisons radio ont été rétablies. Personne ne manque à l’appel. Un poste avancé est installé dans la mairie de l’un des villages : il servira d’antenne logistique jusqu’à ce que les accès soient dégagés.
Dans le village principal, on déblaye. L’électricité est revenue dans plusieurs quartiers. Le réseau d’eau potable fonctionne, grâce à une canalisation réparée dans la nuit par une équipe locale. L’école reste fermée, mais les enfants sortent jouer dans les amas de neige, inconscients du tumulte qui les a entourés.

Les retours d’expérience

Au centre de coordination de district, les cercles se réunissent pour faire le point. Chaque responsable local fait remonter les besoins observés : un stock de couvertures à renforcer, une liaison radio qui a mal tenu, un manque de signalisation dans une zone de crête. Rien de grave. Mais tout sera noté, évalué, corrigé.
Une équipe du Corps de Surveillance, spécialisée en analyse des crises, mène des entretiens avec les volontaires et les habitants. Le but n’est pas de juger, mais de comprendre. Pourquoi ce chemin a été préféré à un autre ? Pourquoi tel habitant n’a-t-il pas été prévenu plus tôt ? Chaque question éclaire les marges d’amélioration possibles.

Une mémoire en partage

Avant que chacun ne regagne ses foyers, une grande photo est prise devant le Cercle. Pas pour la presse, mais pour l’archive du village. Pour que dans vingt ans, on se souvienne de cette nuit-là. Une tempête n’est jamais un simple événement météorologique : c’est un moment de vérité. Chaque hiver rude, chaque mission de secours, chaque main tendue tisse un peu plus le lien entre les habitants, les cercles et ceux qui veillent.

Une vigilance durable

L’épisode vécu dans les montagnes du sud rappelle que, même dans un pays où la gouvernance par cercles repose sur la proximité et l’anticipation, la vulnérabilité saisonnière demeure une réalité structurelle. Chaque hiver apporte son lot de défis, et les effets cumulés du relief, de l’isolement et du climat rendent certaines zones plus sensibles que d’autres.

Renforcement des capacités locales

L’expérience souligne l’importance d’un renforcement ciblé des infrastructures rurales : stock de matériel, abris d’urgence, relais de communication, cartographie des itinéraires de secours. La doctrine de subsidiarité adoptée par les cercles impose que la première réponse vienne du niveau local ; cela suppose un investissement constant dans la formation, l’équipement et l’évaluation des procédures.

Coordination inter-circulaire

Face aux crises dépassant les capacités d’un seul cercle, les structures inter-circulaires doivent être capables d’agir rapidement sans centralisation excessive. L’existence d’un protocole clair de coordination entre les cercles territoriaux, les corps spécialisés, et les unités d’intervention permet de mutualiser les ressources tout en respectant l’autonomie des communautés.

Préparation et culture du risque

La gestion efficace d’un aléa naturel repose moins sur l’urgence que sur la préparation en amont. L’intégration de la culture du risque dans l’éducation locale, la participation aux exercices de simulation, et l’identification des référents de sécurité au sein des Cercles contribuent à une prévention active et partagée.

Une sécurité à visage humain

Enfin, cet épisode rappelle que la sécurité civile au Gorae Man ne repose pas uniquement sur des moyens techniques. Elle s’appuie sur un modèle communautaire qui valorise la responsabilité mutuelle, la solidarité, et la mémoire collective. C’est cette approche, fondée sur la proximité, qui permet d’envisager les crises non comme des ruptures, mais comme des révélateurs de la robustesse sociale.
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PORTRAIT : des écrans à la lumière, l’ascension d’un génie du code



Hanjihwan



À vingt-trois ans, Han Ji-hwan s’apprête à prendre les rênes de la nouvelle filiale Baramgil (바람길), spécialisée dans le développement de drones civils et industriels. Une trajectoire fulgurante pour ce jeune homme discret, passionné de code, longtemps laissé en marge d’un système éducatif qui ne savait pas l’accueillir.


Un enfant hors cadre

« Je me souviens des salles de classe, mais surtout du bruit, de la fatigue et de l’angoisse », confie Ji-hwan, aujourd’hui installé dans les locaux flambant neufs de Baramgil, à Haesim. Diagnostiqué autiste dès l’enfance, il n’a jamais trouvé sa place dans l’ancien système scolaire du pays, rigide et uniformisé. « Je comprenais vite, mais pas comme les autres. Les enseignants voulaient que je fasse exactement pareil que les autres, au même rythme, sans pause. J’ai fini par décrocher. »

À quinze ans, sans diplôme et sans solution, Ji-hwan s’est réfugié dans ce qui lui apportait du sens : les ordinateurs. Le code est devenu son langage. « Je pouvais passer des nuits entières à créer mes propres jeux, mes programmes. C’était mon école à moi, une école sans maître. »


La révolution des cercles éducatifs

L’arrivée du nouveau système éducatif du Gorae Man, il y a cinq ans, a changé la donne. Les cercles éducatifs, en lien avec les familles et les entreprises locales, ont mis en place des parcours d’apprentissage personnalisés, ouverts à tous les jeunes en rupture scolaire. « Un jour, un médiateur est venu chez moi. Il m’a demandé : ‘Qu’est-ce que tu sais faire ? Qu’est-ce que tu aimes faire ?’ C’était la première fois qu’un adulte me posait cette question. »

Un partenariat a été monté entre le cercle éducatif de son district et Jeonja (전자), le grand groupe industriel spécialisé dans l’informatique. Ji-hwan a intégré une formation en alternance : quelques cours ciblés dans une école adaptée à son rythme, beaucoup de pratique dans l’entreprise, accompagné par un binôme tuteur (un ingénieur et un éducateur spécialisé).

« On a cessé de me demander d’être ‘normal’. On m’a laissé apprendre comme je savais le faire : par projets, en cherchant mes solutions. »


Le génie du code

Très vite, son talent s’est imposé. Il a conçu des algorithmes de navigation pour drones autonomes, capables de cartographier des zones de montagne en temps réel. Ses prototypes ont attiré l’attention des responsables de Jeonja, qui lui ont confié des projets de plus en plus complexes.

« Ji-hwan a une vision qu’aucun de nous n’avait », explique Kim Eun-sook, son mentor technique. « Sa manière de penser hors cadre, que l’ancien système rejetait, est aujourd’hui notre force la plus précieuse. »


Un nouvel avenir

Aujourd’hui, Ji-hwan est nommé directeur technique de Baramgil, filiale chargée du développement de drones civils destinés à l’exploration, à la surveillance des forêts et à la prévention des incendies. Une responsabilité immense, à laquelle il se prépare avec une conviction tranquille.

« Je n’ai jamais eu de diplôme. Mais j’ai eu des gens qui m’ont compris, qui m’ont ouvert une porte. Ce que je veux maintenant, c’est être cette porte pour d’autres jeunes comme moi. »

Son parcours illustre une transformation profonde du pays : un système éducatif centré sur l’élève, une reconnaissance des compétences avant les titres, et une alliance entre l’école, les entreprises et la communauté pour que chaque talent trouve sa place.
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