Posté le : 14 août 2025 à 06:17:36
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Durant la prise de parole des Kintanais, Pierre Lore et ses conseillers présents dans la salle firent plusieurs fois la moue, notamment lorsque la représentation étrangère parla du défilé militaire et le défendit. Le défilé militaire était purement et simplement une erreur qui n’aurait jamais dû avoir lieu, et tout le monde dans cette pièce le savait. Pourtant, les représentants de la Nouvelle-Kintan faisaient semblant de ne pas voir le problème, ce qui posa quelques soucis aux yeux de Pierre Lore. Il observa avec attention ses collègues de la Grande République, qui parlèrent plusieurs fois entre eux, tandis que la diplomatie teylaise resta silencieuse. Pierre Lore prenait des notes de manière effrénée et en était déjà à sa deuxième page sur son bloc-notes.
Après la prise de parole de ses amis velsniens, du moins pensait-il qu’il existait une bonne entente sur le sujet entre les deux délégations au vu des échanges de missives, il fit un signe de tête aux Velsniens, comme pour dire : "Merci pour votre intervention." Il toussa légèrement, appliqua du gel hydroalcoolique sur ses mains, puis prit enfin la parole.
- Je rejoins la diplomatie velsnienne sans grande surprise, Vos Excellences. Permettez-moi, si vous le voulez bien, de répondre à quelques points soulevés par Son Excellence Xpiayoc Ah-Muzencab. L’Aleucie ne constitue pas un continent sur lequel nous sommes le plus ancrés économiquement, diplomatiquement ou autrement. Toutefois, nous entretenons des relations sur ledit continent, notamment à travers l’Empire démocratique et parlementaire du Nord, la Grande République de Westalie, et bien entendu la République de Lermandie. Nous avons également d’excellentes relations avec l’Icamie, une nation somme toute surprenante, mais à bien des égards valeureuse. J’ai moi-même eu l’occasion de rencontrer ses dirigeants lors d’une visite au sein de l’Alliance pour la Sécurité Économique Aleucienne. Je m’égare, mais je souhaite souligner que nous disposons néanmoins d’informations sur ce continent et que nous ne sommes pas dupes. La décision d’installer une base militaire sur le sol de l’Everia est une décision souveraine, Votre Excellence, et relève d’une décision purement souveraine.
Si l’Union et Empire des Cités d’Akaltie estime qu’une base militaire étrangère sur le sol de l’Everia constitue une menace, c’est son droit. Elle aurait pu éviter de transgresser le territoire souverain de l’Everia, dont la légitimité est reconnue par tous ici, Vos Excellences, y compris par les nations liées à l’Union et Empire des Cités d’Akaltie. La souveraineté nationale de chacune des nations doit être respectée, et c’est aussi pour cette raison que nous portons un regard différent du vôtre sur le défilé de la Nouvelle-Kintan. Je ne vais pas rappeler tout le contexte, mais voici l’avis du Royaume de Teyla sur ce point précis : si votre argumentaire est véridique concernant le défilé militaire, alors, dans ce cas, Votre Excellence, nous ne pouvons tolérer un tel acte, bien qu’il s’agisse d’un acte souverain. En revanche, contraindre par la force un mouvement politique n’est pas l’idée que je me fais de l’autonomie, de l’indépendance des actions, comme vous le réclamez, ni de la diplomatie.
Il y a bien une dimension coloniale dans la relation akalto-kintanaise, au vu de cet argument. Les cas de la Nouvelle-Kintan et de l’Everia, bien que distincts dans leur nature exacte, illustrent tous deux le même principe fondamental : le respect de la souveraineté territoriale et de l’autonomie nationale. Qu’une armée étrangère s’occupe d’envoyer un message sur un sujet purement national nous interpelle, Votre Excellence. Cela démontre bien que la relation n’est ni saine ni équilibrée, et que le statut de la Nouvelle-Kintan reste celui d’un territoire à décoloniser. Ne pas reconnaître cela reviendrait à rendre caduques les efforts de l’Union et Empire des Cités d’Akaltie, ainsi que ceux de l’Empire Anticolonial en matière de décolonisation.
Selon le droit akaltien, la province serait un territoire extranational, ce qui entraîne toutes les conséquences que nous connaissons. La Nouvelle-Kintan se doit d’obtenir, si ce n’est son indépendance, une plus grande autonomie vis-à-vis de l’Union et Empire des Cités d’Akaltie et de l’Empire Anticolonial. Dans la continuité de la diplomatie velsnienne, ce statut extranational et ce protectorat doivent cesser juridiquement afin que la Nouvelle-Kintan redevienne pleinement indépendante aux yeux du monde, Vos Excellences. La question coloniale ne peut être détachée de ces deux statuts, qui empêchent la Nouvelle-Kintan d’être une composante souveraine à part entière de l’Empire Anticolonial, dont le statut est lui-même étrange vis-à-vis de l’Union et Empire des Cités d’Akaltie, mais nous respectons ce statut et le reconnaissons.
Pierre Lore prit en main son petit bloc-notes et relut quelques passages de celui-ci. Il regarda ensuite les représentants velsniens, leur sourit, puis déclara :
Excellences velsniennes, votre seconde demande est très pertinente. Cependant, comme nous l’avons discuté au préalable, il ne faut pas oublier que la Nouvelle-Kintan doit pouvoir assurer sa défense. Imposer une telle mesure, et cela vaut aussi pour les deux statuts particuliers de la Nouvelle-Kintan, immédiatement ou dans le mois qui suivrait, ne serait ni cohérent ni productif. La Nouvelle-Kintan doit être en mesure de bâtir une industrie de la défense indépendante ou, à défaut, être économiquement capable d’effectuer des achats d’armes. La construction d’une économie indépendante et/ou d’un complexe militaro-industriel tout aussi indépendant prend du temps. Ainsi, fixer un délai me semble nécessaire. Il revient à la Nouvelle-Kintan de proposer un délai qu’elle estime approprié. Dans une telle situation, deux à trois ans semblent pertinents aux yeux du Gouvernement de Sa Majesté. Qu’en pensent tous les acteurs présents dans cette pièce ?
À ce propos, nous pourrions peut-être proposer des accords de partenariat, ainsi que la vente de licences entre les industriels akaltiens, velsniens et teylais. Je précise qu’il s’agit d’une proposition parmi d’autres, et qu’un refus ne remettrait pas en cause un accord. Le caractère souverain de la décision appartient à la Nouvelle-Kintan.
Toutefois, les industries de la défense velsniennes et teylaises figurent parmi les meilleures au monde, et les deux nations bénéficient d’un réseau international lié respectivement à la Ligue de Velcal (HRP : Velsna pas encore dans l'ONC lors de la rencontre) et à l’Organisation des Nations Démocratiques. L’indépendance, pour être véritable et durable, ne peut être précipitée au point de laisser une nation vulnérable. Bâtir des capacités de défense autonomes, qu’il s’agisse d’une industrie nationale ou de la capacité économique d’acquérir des équipements sur le marché international de l'armement, demande du temps. Deux à trois ans nous semblent constituer une fenêtre réaliste pour permettre à la Nouvelle-Kintan de poser ces fondations essentielles à sa souveraineté pleine et entière. Mais je le répète, le choix final du délai doit revenir à la Nouvelle-Kintan elle-même, car c’est elle qui en supportera les conséquences et en tirera les bénéfices.
Quant à notre proposition de partenariat, elle s’inscrit précisément dans cette optique de soutien à l’autonomie. L’idée n’est pas d’imposer, mais d’offrir une voie vers cette indépendance capacitaire. La combinaison des industries teylaises et velsniennes offre des synergies nouvelles et garantira une stabilité régionale ainsi que l’indépendance pleine et entière de la Nouvelle-Kintan.
Quant au cas très particulier de la Principauté catholique de Saint-Alban, nous sommes en discussion constante avec cette nation partenaire du Royaume de Teyla. Toutefois, nous nous éloignons de toute provocation que la diplomatie saint-albanaise aurait pu commettre. Comme vous le savez, les capacités militaires de Saint-Alban sont inexistantes, et le Royaume de Teyla en est littéralement l’armée. Ayez l’assurance, Votre Excellence Xpiayoc Ah-Muzencab, que le Royaume de Teyla ne lancera aucune action hostile ou offensive à votre encontre sur demande de la Principauté catholique de Saint-Alban. Nous nous contenterons de répondre à tout acte hostile. Si la diplomatie de la Nouvelle-Kintan a besoin de plus d’informations sur ce sujet, le Royaume de Teyla se tiendra à sa disposition pour y répondre.
Sur le reste, le Gouvernement de Sa Majesté est entièrement aligné avec les propositions velsniennes.
Pierre Lore regarda tour à tour les deux délégations, il avait terminé sa prise de parole.