Jusqu’alors paisible recoin de la région ultramarine de Tairopototo, Lua Pele Liilii vivait au rythme lent des marées, des marchés matinaux et des veillées pour touristes fortunés, bercées de chants de ukulélé et de senteurs de fleurs de tiaré. Nichée entre falaises verdoyantes et lagons translucides, la ville n’avait jamais accueilli plus d’un représentant d’une autre colonie ou deux directeurs mineurs venus profiter d’un séjour discret.
Aussi, l’annonce soudaine de la venue de sept puissantes délégations diplomatiques, sur ordre direct de l’empereur Tadashi IV, provoqua un petit séisme dans les ruelles sablonneuses et les esprits insulaires.
La Déléguée Keahi, femme énergique au franc-parler inimitable, convoqua en urgence le conseil des rois au Fale Fono, la grande maison communautaire au toit de pandanus. Devant les rois coutumiers, les pêcheurs, les artisans et les jeunes des écoles de danse, elle déclara avec autorité :« On n’a pas de grands bâtiments ici, mais on a le cœur grand. Et ça, c’est suffisant ! »

La Fale Fono de Lua Pele Liilii, lieu de tenue des discussions
La ville se lança alors dans une course effrénée contre la montre. On tissa des kilomètres de guirlandes de fleurs, importées de toute la région. Les artisans façonnèrent en urgence des nattes neuves, des assises en rotin, des paravents en tapa décorés de symboles tairopototiens. Les femmes du marché central mirent sur pied un véritable festin impérial, mêlant produits locaux — thon rouge, bananes rouges, feuilles de taro farcies — aux saveurs ylmasiennes glanées dans les épiceries tenues par des métros, nom donné aux ylmasiens installés depuis plusieurs générations dans les régions périphériques de l’Empire.
Les collégiens et lycéens furent réquisitionnés pour apprendre en deux jours les hymnes des nations invitées. Leurs grands frères et sœurs répétaient inlassablement les danses traditionnelles qui devaient être présentées aux dignitaires étrangers. Les écoliers, eux, peignaient des panneaux de bienvenue, parfois maladroitement orthographiés mais débordant de sincérité.
Le seul héliport fut élargi. Une piste provisoire, faite de sable compacté, fut construite dans un champ périphérique par l’unique régiment du génie de Tairopototo. Un poste de sécurité temporaire fut installé en centre-ville, sous la supervision discrète de l’Agence Nationale pour la Police, mais sur ordre strict de Tadashi IV, aucun soldat ne devait porter d’arme visible, comme en temps normal dans le reste de l’Empire.
Quant à l’empereur lui-même, il arriva deux jours avant les autres, accompagné de son épouse, l’impératrice Katherine Iʳᵉ, et de leur fils aîné, le prince héritier Leonhardt. Plutôt que de loger dans la résidence administrative, le couple impérial préféra une modeste maison d’hôtes en bois et bambou, les pieds nus sur les lattes chaudes du plancher. Tadashi se mêla à la population locale, écoutant les anciens raconter les légendes de Tairopototo, participant à un atelier de colliers de coquillages, riant à gorge déployée à la tombée de la nuit.

Vue panoramique sur une crique de Lua Pele Liilii
Le soir, autour d’une table simple, éclairée aux torches, le couple impérial partageait le repas des insulaires avec une chaleur désarmante. Pourtant, dans les coulisses, ses conseillers réévaluaient sans relâche les tensions au Nazum, les alliances mouvantes, les provocations récentes et les revendications territoriales en suspens.Mais l’empereur restait fidèle à sa vision :« Si on commence par faire peur, on finit par le feu. Mais si on commence par la fête… peut-être qu’on pourra avancer sans tirer. »
Lua Pele Liilii se tenait prête. Derrière les sourires, l’île retenait son souffle, espérant que sa beauté suffirait à apaiser les ambitions des puissants.
Lua Pele Liilii, le jour de la rencontre
Sous un ciel opalin, à la mi-journée, les premiers dignitaires étrangers atterrirent sur la piste provisoire de sable de Lua Pele Liilii. Cette ville tranquille, entre mer et montagne, connue pour ses plages paradisiaques et ses marchés exotiques, devenait, l’espace de quelques jours, le cœur battant d’un continent inquiet.
La petite fanfare municipale entonna une mélodie entraînante, mêlant percussions en noix de coco et flûtes de bambou. Une brise douce faisait claquer les drapeaux des nations participantes, dressés au sommet de mâts en bois noués de guirlandes d’hibiscus.
L’empereur Tadashi IV, vêtu d’une chemise à fleurs bleu et corail et d’un pantalon de lin ivoire, accueillait les délégations sous un grand auvent tressé de feuilles de pandanus. À ses côtés, l’impératrice Katherine Iʳᵉ, radieuse dans une robe légère à motif floral, portait une couronne de fleurs blanches sur son chignon blond, ses célèbres talons dorés brillant sous le soleil. Leur fils, le prince héritier Leonhardt, magnifique jeune homme blond à la beauté légendaire, portait une chemise en lin ouverte sur une carrure athlétique, un pantalon tergal couleur saumoné-paupiette, et des tongs. L’ensemble était… inoubliable.
Les premiers à arriver furent les Kah-tanais, venus en hélicoptère, la proximité géographique jouant en leur faveur. Tandis que la logistique suivait par la route, la délégation officielle goûta avec soulagement au climat plus sec et doux de ce côté de l’île, loin de l’humidité oppressante qui règne de l’autre côté des montagnes.
Les Stranéens furent les suivants. En tenue semi-formelle, ils étaient visiblement charmés par la beauté des lieux. Tairopototo n’avait pas usurpé sa réputation de perle tropicale de l’Empire.

Logements des délégations
Puis arriva le Shogun du Fujiwa, vêtu d’un kimono estival en coton. Il évita soigneusement les autres dignitaires, préférant flâner près des buffets de fruits tropicaux et taquiner les serveuses en paréos fleuris avec un sourire entendu.
Les Wanmiriens arrivèrent ensuite, dans la plus grande discrétion. Leur jet léger se posa sans éclat. Vêtements sobres, salutations brèves, quelques bouchées prises par politesse. Pas de discours, mais une présence tranquille.
L’arrivée du Grand Ling, elle, fut tout sauf discrète : un gigantesque avion gouvernemental souleva un épais nuage de sable à l’atterrissage, sans émouvoir personne. La délégation, somptueusement vêtue, distribua généreusement cadeaux et amulettes aux officiels burujois, tout en se ruant avec enthousiasme sur le buffet d’accueil.
Enfin vinrent les Jashurians, sans doute les plus excités à l’idée de visiter Tairopototo. Leur arrivée, ponctuée de rires et de chants, fit frémir l’air de fête. Conscients de la réputation paradisiaque de l’île dans leur propre pays, où Lua Pele Liilii est régulièrement élue « destination de rêve absolue », ils profitèrent de chaque instant. Les danseuses et danseurs d’accueil furent accueillis avec des yeux brillants, et leur enthousiasme communicatif détendit aussitôt l’atmosphère.
La délégation du Myaikho, elle, arriva… plus tard. Leur avion avait connu un problème de train d’atterrissage en phase de roulage, les forçant à rebrousser chemin à peine cinq minutes après le départ. Le temps de réparer, redécoller et rejoindre Lua Pele, trois bonnes heures s’étaient écoulées. Ils furent accueillis avec chaleur et moqueries bienveillantes.

Jeune danseur amateur local accueillant les délégations