11/05/2017
16:26:39
Index du forum Scène Internationale Diplomatie internationale

[Gorae Man - Empire du Nord] - Le Lion et la Baleine

1731
Leeminjin



Le soleil déclinait lentement sur l’horizon quand le convoi du Pavillon de la Lanterne arriva sur le tarmac réservé de l’aéroport international de Haesim. L’air était frais, traversé d’une lumière dorée qui adoucissait les silhouettes des montagnes au loin et faisait scintiller les eaux de la baie des Baleines, visibles entre les structures de verre et d’acier du terminal diplomatique.

La Coordinatrice des Affaires étrangères, Lee Min-jin, était déjà sur place. Elle portait ce jour-là un hanbok de deuil : une robe longue ivoire, ourlée de bleu nuit profond. Les plis de l’étoffe tombaient comme des lignes d’eau calme, et le silence qui l’entourait semblait prolonger ce geste vestimentaire — un deuil sans jugement, un recueillement sans voix levée pour les victimes civiles impériales.

À ses côtés, une délégation réduite, choisie avec soin : représentants du cercle diplomatique, interprètes, agents de liaison, et quelques jeunes venus observer l’événement dans le cadre de leur formation. Aucune bannière ne claquait au vent. Ce jour-là, Gorae Man avait préféré le respect à l’apparat. En lieu et place d’un tapis rouge, un discret chemin de tissus naturels brodés à la main avait été déroulé, orné de motifs évoquant la paix, l’écoute et la fraternité entre les peuples.

Au loin, l’avion impérial amorçait sa descente.

Quand les portes de l’appareil s’ouvrirent enfin, la Coordinatrice s’avança seule, calme et droite, sur les dalles claires de l’aire d’accueil. Ses pas étaient lents, mesurés, portés par cette gravité douce qui sied aux gestes diplomatiques. Elle s’inclina légèrement, selon l’usage gorémanien, puis leva les yeux vers la personne qui descendait la passerelle.

Sa voix, à la fois douce et nette, franchit la distance avec une clarté sans tension :

— Soyez le bienvenu à Haesim, Excellence.
Le sol de Gorae Man vous est ouvert comme un havre, en ces temps d’épreuve.
Puisse cette rencontre tracer un chemin vers la coopération.
Nous sommes honorés de vous recevoir.


Elle se tut, le regard serein, et attendit que le moment suive son cours.
6773
https://presse-fr.eglisedejesus-christ.org/media/400x400/Scott.jpg
Constantin de Santre, Duc du Grand-Lac

Lorsque le duc Constantin de Santre monta à bord du Héron Impérial, appareil d’État modifié pour le transport diplomatique, les brumes du matin de Valenceau qu'il avait quitté quelques heures plus tôt, où le duc était en réunion de famille, capitale marquisale du berceau de sa maison et qui s’attardaient sur les contreforts du marquisat de Santre-sur-Ïote, son berceau natal, s'étaient dissipées une fois arrivé à Argenlune, sa capitale ducale. Il y avait là quelque chose de profondément symbolique, presque ancestra. Cet homme né au cœur des hautes terres, forgé par les tempêtes du sud, quittait pour un temps les vallées de l’Empire meurtri pour porter, au-delà des mers, des terres et des océans, la voix de la continuité et de la raison impériale.

Né en 1943, Constantin de Santre incarnait cette génération intermédiaire, pétrie de rigueur morale et de bon goût, chez qui la mémoire des guerres et des promesses de la reconstruction post-dictature et post-conflits se rencontraient dans une élégance calme et désarmée. Un homme vieillissant, mais toujours vif d'esprit pour qui la noblesse impériale se devait de tenir son rang, son honneur, son esprit. Grand, affable, toujours droit sans jamais être rigide, ses cheveux gris soigneusement rabattus derrière les tempes, il n’avait ni la stature martiale de ses cousins ayant pris militaires bien que cavalier et escrimeur émérite du temps de sa jeunesse, ni la langue tranchant des jeunes diplomates formés à Estham, mais une autorité tranquille, presque pastorale, forgée dans l’administration loyale de son marquisat montagneux et les salons feutrés des ambassades où il avait servi autrefois, préférant le verbe élégant et lyrique à la franchise brute et dénuée d'élégance que certains prônent.

Ce matin-là, il volait vers Haesim, la capitale du Gorae Man, cette nation nazumi florissante, étirée entre traditions millénaires et futur industriel prospère. Tandis que le Héron prenait de l’altitude, glissant au-dessus des nuages comme une plume sur un lac d'argent, les conseillers du duc et du Ministère s’activaient en silence. On parlait bas, par respect pour les nouvelles d’Estham.

Sept cents missiles. Le chiffre, indécent, gargantuesque, flottait dans toutes les pensées, mais personne ne le prononçait. Le duc s’était contenté d’une brève phrase : « Le feu n’éteint pas la parole. » Puis il avait ouvert un dossier, déjà annoté à l’encre bleue.

Dans le calme feutré de la cabine, les sujets de discussion défilaient. L’Empire du Nord, engagé avec ses alliés de l’Organisation des Nations Démocratiques dans une riposte encadrée et déterminée à l’encontre de la Principauté de Carnavale, avaient ensemble déployé presque mille cinq cents avions militaires dans la plus grande campagne aérienne de l'histoire de ce monde pour mettre un terme à la menace constante que faisait peser la Principauté sur le monde. L'Empire entendait, nonobstant la situation dramatique de sa capitale, maintenir sa capacité de projection diplomatique, son rayonnement mondial et sa vocation d’acteur global de la paix et du progrès au service de l'Humanité. La guerre n’annulait pas l’avenir, elle rappelait simplement sa fragilité dans le trouble ordre des choses en place actuellement.

Et c’est précisément au nom de cet avenir, encore incertain, mais plein de promesses, que le Duc de Santre avait été mandaté pour ouvrir un cycle nouveau de relations diplomatiques avec le Gorae Man, dont la croissance rapide et l’évolution institutionnelle attiraient depuis plusieurs années l’attention de l’appareil impérial. Cette première rencontre, si elle ne sera peut-être pas la plus marquée en termes de décisions prises, car les relations profondes ne se construisent pas en une rencontre, et bien qu'elle n'aborderait surement que peu la question militaire, portait l’ambition d’un dialogue fondateur, calme, pragmatique et avant tout humain.

Les domaines à explorer étaient nombreux et l'équipe diplomatique mixte entre le Duché et le Ministère s'afférerait sur des questions d'ordre :

- Économique. Car l’Empire souhaitait proposer des partenariats équilibrés, notamment dans les secteurs manufacturiers à forte valeur ajoutée, la logistique, l'agro-transformation, l'automobile et les services numériques. Il serait question d'envisager les implantations d’entreprises nordistes sur le sol goraéen pour soutenir son développement et sa production sur son sol national, de protocoles d’investissements bilatéraux, de garanties d’arbitrage commercial et d'accords maritimes et marchands préférentiels.

- Technologique et éducatif. L’Empire, pionnier dans plusieurs domaines clefs (énergies propres, ingénierie lourde, domaine pharmaceutique...), envisageait de proposer une coopération approfondie : licences industrielles contrôlées, transferts encadrés de technologie civile, échanges conjoints entre universités, bourses de recherche et création d’écoles nordistes d’enseignement supérieur au Gorae Man avec en retour des écoles Gorémaniennes sur le territoire de l'Empire, pour former de nouvelles générations à la pointe des technologies pour ensuite faire bénéficier l'économie Gorémanienne de ces avancées et savoirs, et renforcer les liens entre les deux pays.

- Culturel. Sur ce point, il s’agirait de poser les fondations d’un partenariat symbolique et durable, à travers l’organisation croisée d’expositions, l’installation d'un Centre Culturel Impérial sur le territoire de la démocratie nazumi et l'ouverture d'un centre similaire Gotémanien dans une ville de l'Empire ainsi la mise en valeur de la culture goraéenne dans les musées impériaux, en partenariat avec les conservateurs des deux pays. Ce geste, d’apparence simple, visait à reconnaître l’identité du Gorae Man comme une richesse propre et digne d’attention, hors du prisme classique des relations asymétriques, et tisser des liens d'intérêts et d'amitié entre les peuples.

Enfin, sur le plan sécuritaire, les dossiers seraient évoqués avec la prudence nécessaire à une première rencontre et ne dépasseraient pas les déclarations d'attention. Il ne s’agirait pas d’accords militaires ni de traités de défense. Cela serait bien trop tôt, bien trop risqué alors que les deux pays explorent le potentiel de leurs relations, d'autant que l'Empire est actuellement engagé dans une campagne militaire vaste et intense pour délivrer les populations kabaliennes de l'entreprise coloniale Carnavalaise et faire tomber son gouvernement criminel et génocidaire. Mais, il s'agirait d'évoquer une coopération à moyen et longs termes, d’ouvrir des canaux d’échange discrets sur les questions de formation, de sécurité maritime, de lutte contre la cybercriminalité et les trafics, dans l’idée, dans le futur, de bâtir une confiance mutuelle solide et graduelle qui permettrait de coopérer sur ces sujets.

Lorsque le Héron entama sa descente vers Haesim, le duc rabattit le dossier, leva les yeux vers la lumière d’orient qui perçait les nuages, et soupira légèrement. Ce n’était pas l’époque des effusions. L’Empire avait saigné, mais l’Empire parlait encore. Et dans cette voix, ce jour-là, il y avait celle de la civilisation nordiste tout entière. L'avion descendit et ralentit jusqu'à s'arrêter. Alors, le duc descendit en premier, suivi d'une poignée de conseillers. Il sourit à la Coordinatrice des Affaires étrangères, Lee Min-jin, et inclina la tête en réponse à sa salutation. Il balaya le site du regard, photographiant mentalement le lien pour analyser sa symbolique lorsqu'il en aura l'occasion.

Constantin de Santre - « Je suis ravi d'être ici, Excellence, l'honneur est partagé à l'occasion de cette main tendue par nos deux nations pour se rapprocher. Je peux sentir au goût de l'air et à l'énergie qui s'écoule en nous que le Gorae Man est bien un havre, comme vous l'avez si bien dit, et que son essence nous fais ressentir la solidarité que vous nous avez déclarée durant ces heures sombres et douloureuses. »
3068
Le salut et les formules d'usages échangés, les délégations se mirent en mouvement avec fluidité, comme une danse réglée et répétée. Les personnels diplomatiques et agents d’escorte se répartirent en silence dans les véhicules aux vitres teintées, sobres mais bien entretenus du cortège officiel.

Lee Min-jin monta naturellement dans la voiture aux côtés du Duc Constantin de Santre. Avec eux, un interprète et un agent du cercle de sécurité prenaient place en silence. Le moteur s’ébroua, et bientôt le convoi s’élança sur les routes qui serpentent entre les bassins de rétention, les parcs arborés et les voies rapides de la périphérie de Haesim.

Le décor filait par les vitres : lotissements modernes, serres urbaines, rizières de toit. Le ciel, quant à lui, déclinait vers le bleu, laissant peu à peu place à la lueur des lampadaires.

La conversation à bord, polie mais brève, fut celle de deux diplomates qui se découvrent — quelques remarques sur la pureté de l’air, l’élégance du hanbok ou le déroulement du voyage aérien. Rien de plus. Mais pour qui observait bien, il y avait une chose étrange : le cortège avait bifurqué, quittant la route principale menant au quartier diplomatique de Gwanghwa-dong.

Le convoi descendit vers les abords de la zone portuaire, là où les grues de chargement dessinent leur silhouette filiforme contre la lumière orangée du soir. À mesure qu’ils approchaient, on distinguait l’activité modeste mais réelle d’un entrepôt aux portes grandes ouvertes, devant lequel plusieurs silhouettes s’affairaient.

La voiture de tête ralentit. Puis s’immobilisa.

Lee Min-jin descendit la première après qu'on lui eut ouvert la portière. Elle ajusta un pli de sa tenue, puis se tourna vers le Duc, inclinant légèrement la tête.

— Pardonnez ce détour non annoncé, Excellence.

Elle attendit qu’il la rejoigne avant de reprendre, tout en marchant à ses côtés en direction de l’entrepôt.

— Il est de coutume, chez nous, qu’un hôte reçoive un présent de bienvenue. Le vôtre n’était pas d’un format que l’on peut remettre sur un tarmac… alors, nous avons préféré vous y conduire directement.

À mesure qu’ils s’approchaient, la lumière intérieure révélait des visages, des gestes, une atmosphère de calme. À l’intérieur du vaste hangar réaménagé, plusieurs zones étaient organisées de façon méthodique : sous une verrière latérale, un groupe composé de femmes âgées, d’étudiants et d’artisans tissait et nouait des bandages selon des méthodes traditionnelles à base de fibres de coton et d’écorces ; plus loin, un atelier herboriste s'affairait autour de plantes médicinales triées, séchées, puis conditionnées ; ou encore à l’arrière, une unité mobile de don du sang avait été installée, où circulaient en silence infirmiers et bénévoles.

Des caisses étiquetées attendaient leur fermeture. À l’extérieur, plusieurs containers déjà chargés étaient scellés sous la supervision d’un officier civil. L’odeur de tisane chaude et de copeaux d’écorce flottait dans l’air.

Lee Min-jin s’arrêta devant la ligne de chargement, et se tourna à nouveau vers l’ambassadeur.

— Lorsque nos diplomates ont appris ce qu’avait vécu Estham, ils ont transmis l’émotion au cercle du soin, qui l’a fait suivre aux cercles agricoles, puis aux artisans. Très vite, un réseau de volontaires s’est mobilisé.
Voici le fruit de leur initiative : un modeste convoi humanitaire, destiné aux hôpitaux de votre Empire, probablement débordés par un afflux de blessés et de malades. Il partira ce soir même.


Elle marqua une pause, puis ajouta d’un ton plus grave :

— Nous n’avons pas d'étendards à brandir, mais nous savons coudre, extraire, soigner et écouter.
Haut de page