Date: 21 janvier 2017
Lieu: Palais des Patrices, Quartier San Stefano de Velsna
Les dernières neiges de l'année s'amassaient sur le toit du bâtiment gouvernemental le plus important de la ville. Les choses vont et viennent à Velsna, sans jamais vraiment changer. Les gens évoluant dans l'ombre du Palais des Patrices ont toujours cette appréhension lorsque le soleil vient être caché par l'une de ses cheminées, ou que l'on voit plusieurs de leurs locataires se prendre à l'un de ses balcons, scrutant la foule comme une masse informe. Sur la place San Stefano, presque sur les marches du Sénat, la foule ne désemplit jamais. Le matin, on vient écouter les annonces quotidiennes de sénateurs et représentants qui viennent distribuer argent et largesses. On prend sa place dans un troquet ou un café, entre les silhouettes imposantes de la Basilique de San Stefano et le Palais des Patrice, qui trône face à elle. On voit aller et venir les coursiers sénatoriaux, qui viennent transmettre des nouvelles importantes entre les membres de l'auguste assemblée. Cela peut être pour convaincre untel de voter tel texte de loi, de proposer une alliance de circonstance en commission, oun de jolies lettres d'insultes. Les choses vont et viennent...et cela inclut les étrangers de passage: hommes d'affaires, touristes...mais aussi envoyés et ambassadeurs de nations lointaines.
Aujourd'hui, c'est l'un de ces hommes et de ces femmes qui nous intéresse: en l’occurrence, l'ambassadeur antérien auprès de la Grande République, qui concentrait en ce jour la plupart des attentions. Décidément, bien des gens attendaient de voir son visage poindre l'entrée principale de l'aile sénatoriale du palais. Le "petit salon", pièce servant d'ordinaire à l’accueil du comité de l'organisation des élections sénatoriales, avait été aménagé pour l'occasion sur demande du Maître de l'Arsenal Matteo Di Grassi. Pas la Maîtresse du Grand commerce, ni même un vulgaire ambassadeur ou autre membre du gouvernement communal: non, le Maître de l'Arsenal de la Grande République. Celui-là même qui avait été à l'origine de l'initiation des relations antérinio-velsniennes. Ce dossier, c'était le sien avant toute chose: sa réussite ou son échec étaient à mettre à son crédit au Sénat des Mille. Aussi, il était bien normal de le voir plus crispé qu'à l'accoutumée (oui, c'est possible), plus embarrassé par cette affaire que quiconque, car il en était à l'origine. Son suiveur de toujours, l'imposant sénateur Albirio, avait beau se trouver dans la même pièce que lui, assis dans son coin, comme le ferait un homme de mains, les deux n'échangeaient rien d'autre que des regards. Et ces regards suffisaient à faire comprendre la situation présente: celle de la déception.
Lorsque l'ambassadeur antérinen arriva, on lui indiqua simplement le chemin. Si escorte il y avait, celle-ci n'était assurément pas aussi courtoise qu'elle ne pouvait l'être à l'accoutumée. Certes, il y eu des salutations officielles, et l'éternel défilé protocolaire consistant à attendre d'avoir l'autorisation des sénateurs pour que les membres de l’exécutif puissent entrer dans l'aile sénatoriale. Mais quelque chose manquait par rapport aux autres fois: on ne présenta pas aux envoyés antériniens les nombreuses statues et bustes de marbre de la galerie. On ne prêta pas attention aux remarques, ni même à l’intérêt de l'ambassadeur pour ce qui l'entourait. Définitivement, rien ne paraissait se présenter sous des auspices favorables en ce jour. On fit entrer l'ambassadeur dans le petit salon, lequel se retrouva face à face avec le Maître de l'Arsenal, qui était déjà en place depuis un certain temps, et qui se leva machinalement pour venir le saluer en personne. Le sénateur Albirio, lui, fit de même, et sa poigne fut particulièrement ferme. Il sourit à l'ambassadeur, en lui montrant toutes ses dents, avant de reprendre sa place dans un coin de la pièce. La réprobation de Di Grassi s'exprimait rarement par des gestes distincts ou des parles odieuses. Non, il préférait le silence, ce silence qui en disait long sur les courriers qui avaient été échangés entre les deux entités avant cette rencontre. Ce silence insupportable: dans cette pièce, il en était presque arrivé au point que ambassadeur e pouvait rien voir d'autre que le regard du Maitre de l'Arsenal ne point le lâcher. Rompant un long silence, Matteo Di Grassi daigna faire bouger ses lèvres à l'adresse de l'antérinien.
" Bien le bonjour, excellence. Nous espérons que votre affectation à Velsna vous plaît...il n'y a en théorie aucune raison que ce ne soit pas le cas. Mais, toujours est-il que nous avons été forts surpris et déroutés par la très brusque décision de votre gouvernement, de nous informer du retrait de l'Empire de la Ligue de Velcal. Je serai clair: nous n’émettrons pas la moindre récrimination, ni même le moindre reproche quant à cette action, que d'aucun qualifierais de parjure à votre propre parole. A vrai dire, aucune explication ou raison que vous me donnerez quant à ce revirement soudain ne sera prompt à m'intéresser: nous en connaissons déjà la cause. Nous espérons simplement que vous serez honnête, avec nous et avec vous même. Après tout...nous sommes tous des amis et des alliés, ici présent... Et vous avez bien fait savoir dans votre courrier que vous étiez prêts à quelque menue compensation.
Le Maître de l'Arsenal marqua une pause. Le mot "ami", sonnait là davantage comme une appréhension que comme un soulagement.
...Voyez vous, vous avez une chance incroyable, excellence: il semblerait que ces derniers mois, l'agenda du Gouvernement communal ait changé drastiquement. La Ligue de Velcal a été un pacte utile, pas tant dans un cadre défensif qu'en matière de tissage de liens politiques et économiques. Mais dans le cadre de l'adhésion de la Grande République à l'ONC, il parait être un outil qui doive subir une recomposition, et un changement drastique de son rôle est à prévoir prochainement. Votre gouvernement a acté son retrait de sa participation à cette ligue de défense, certes, mais vous mentionnez également votre volonté de faire perdurer ces liens outre ce cadre. Dans le même temps, la Grande République a, elle-aussi, changée de paradigme politique. Voilà donc ce que je vous propose, et il n'y aura qu'une seule main tendue de ma part: une reconfiguration de nos liens en deux étapes.
En premier lieu, la mise sur pied d'une alliance bilatérale entre nos deux états, qui serait de nature défensive comme l'ont été les termes de la Ligue de Velcal. Mais cet accord bilatéral ne serait que le premier pas d'une démarche de votre part vers un rapprochement, et une candidature visant à une adhésion de votre part au sein de l'Organisation des Nations Commerçantes. Voyez vous, nous travaillons activement à la recomposition d'un véritable pôle, politique, diplomatique et militaire, comme c'était le cas avec la Ligue de Velcal. Mais le projet de la Ligue nous a fait comprendre qu'il nécessitait bien davantage qu'un pacte de défense afin d'incarner cette alternative. Vous le savez, le gouvernement communal se refuse à avoir compte à rendre à qui que ce soit, et je suis sûr que c'est également votre cas. Or, il est impossible de conduire ce type de politique en restant seul au monde, et le cadre de la ligue n'est pas suffisant, non plus. Vous avez adhérez à cette ligue en ayant une volonté de construire une véritable autonomie stratégique, excellence. Aujourd'hui, je vous propose donc de vous embarquer sur un projet qui est relativement similaire. Sauf que cette fois-ci, les acteurs de ce pôle ne seront pas simplement la puissance velsnienne, mais aussi celle de la patrie fortunéenne, celle du Jashuria et surtout, de l'Alguarena. Ce tableau est aguicheur, n'est-ce pas ?
Je vous donne donc une chance d'accorder nos violons, comme nus en avons également informer vos alliés raskenois, qui sont de nos amis les plus proches. L'état du Guadaires a également été informé de cette démarche. Nous savons de source sûre que l'UEE est sur le point de s'engager dans une procédure de dissolution. Aussi, en adhérant à l'ONC, vous serez en mesure de constituer un véritable lobby en interne garantissant l’intérêt des anciens membres de votre bloc, qui pourraient avoir le rôle de vraie tendance, et un poids politique indéniable, auquel nous ajouterions notre soutien systématique.
Voilà ce que je vous laisse sur la table, excellence. Réfléchissez bien. Vous pouvez vous retirer d'ici, et continuer de peser quantité négligeable sur la scène internationale, ou vous pouvez participer avec moi à l'édification d'un pôle de puissance assez important pour contrer n'importe quelle menace à votre porte. L'ONC est l'outil parfait pour arriver à cette fin, rejoignez moi, vous et vos partenaires raskenois et guadairiens. Fortuna est à vos portes, nous sommes déjà quasiment des frères après tout."
Dans le coin de la pièce, le sénateur Albirio daigna enfin bouger sa masse en direction du bureau de Di Grassi. Il se tenait presque au niveau de l'ambassadeur, qu'il dévisageait avec un grand sourire...