Histoires dodécaliotes - Trame principale de la Dodécapole (RP)
Posté le : 14 jui. 2025 à 10:16:27
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Posté le : 14 jui. 2025 à 10:26:36
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(Gina Di Grassi, 2017)
Nous, qui sommes les dépositaires de l'héritage de Dame Fortune, nous n'avons que peu à envier aux autres peuples, car ceux qui sont nés avant nous ont tout donné. Du moins, ils nous ont donné de quoi jouer notre propre rôle dans cet immense puzzle qu'est le génie de Fortuna. Celle ci a donné à chacun d'entre nous un petit quelque chose, nous qui sommes des filles isolées, laissées à nous même sur des rivages barbares. Velsna, Apamée, Adria, Volterra, et même des villes impies comme Cortonna, nous avons ce génie en commun, qui nous poussent à nous rencontrer encore et encore. En rien c'est une décision de notre fait de nous regrouper, de nous rassembler et de nous disputer, tout est l’œuvre de cette force que l'on ne peut ni toucher, ni sentir, qui se manifeste par le désir irrépressible de la cité parfaite: la cité qui sera la mieux gouvernée, la cité qui sera la plus brillante par le talent individuel de ses citoyens aggloméré en un grand génie collectif....A chaque sujet, il y a dispute et vive compétition...avant de nous rappeler qu'il n'y a qu'entre nous que nous sommes dignes de concourir. Bien entendu, cela fait longtemps que la lumière de Velsna a quelque peu éclipsé les autres, mais il faut bien nous rappeler d'où nous venons, et cela, nous ne le constatons que lorsque nous revoyons nos frères par delà les côtes, à l'occasion de grands rassemblements. Ces rassemblements, que l'on peut appeler "fêtes", "célébrations" ou encore "jeux", ceux là seuls nous rappellent à notre nature commune. Ils existent depuis aussi longtemps que nos fondations, et en sortir vainqueurs est parfois plus important que de remporter une guerre. Sans conteste, les plus importants d'entre eux sont les jeux confédéraux de Dame Fortune, que la cité d'Apamée a l'honneur d’accueillir depuis toujours.
Il est de ces rendez vous qu'il ne faut en aucun cas manqué, de ces rencontres où se décident des tractations commerciales et politiques débutées parfois des années en amont. Les jeux, car j'ai déjà eu la chance d'y assister, sont parmi les plus belles journées de l'année, lorsqu'elle se produit, car les meilleurs évènements, nous le savons, sont les évènements rares, et les jeux confédéraux de Dame Fortune sont de ceux là: ils se produisent une fois tous les trois ans, au cœur des beaux étés. Pour les lecteurs parmi ceux qui n'ont point assister à ces spectacles, je dirai simplement que les jeux confédéraux surpassent en magnificence les plus belles fêtes que nous avons à Velsna: par leur grandeur, ils surpassent la fête de la San Stefano, et par le bruit qu'ils font, ils surpassent la Carnaval de Velsna et de Fortuna réunis. C'est un rassemblement, non pas des seuls velsniens, mais de toutes les nations du monde fortunéens, de toutes les patries qui viennent afficher leur grande fierté et leurs couleurs, au travers des athlètes qui rivalisent entre eux pour les honneurs et la gloire. Atteindre collectivement les plus grands exploits par le biais de l'individu, qu'y a t-il de plus fortunéen que cela, et quelle belle manière de nous reconnaître entre nous. Parmi ces festivités, il y a des épreuves plus populaires que d'autres, que les dodécaliotes viennent voir autour de grands stades, emplissant les gradins comme des foules sans fin. On vient ainsi commenter entre hommes et femmes de bonne famille, les duels du pugilat qui mettent aux prises des héros forts comme des bœufs. On vient d’extasier devant la passion des coureurs de fond, qui font des tours de stade à une si grande vitesse que l'on en oublierait presque, avec les exploits sportifs, ceux de la technologie et des machines. On vient admirer le lancer des poids que les héros d'aujourd'hui exécutent pour faire pâlir ceux de jadis. On termine la journée sur les quais de la cité d'Apamée, et au terme d'une semaine de fête, de disputes et parfois d'amour, on se sépare, et chaque cité reprend son existence... C'est vraiment la plus belle des vies de témoigner de cette grande manifestation de la civilisation au beau milieu de la Manche Blanche barbare et sans loi. Un écrin de civilités au cœur d'une mer dominée par des tyrans rimauriens, des grattes papiers tanskiens et des sauvages achosiens. Mais bien entendu, à ces fêtes s'ajoutent les fameuses tractations politiques, car les aléas de la cité passent par là. Et ceux que je vous conte sont de ceux qui font démarrer mon histoire. Que pensiez vous ? Que je passerai tout un récit à vous évoquer le corps des athlètes ? Non, loin de là, lecteurs.
Je puis vous parler d'exploit physique et d'amour, mais ce n'est pas là mon but, car les jeux confédéraux sont aussi le point d'où partent les disputes. Tous les quatre ans, ces journée sont l'occasion à Apamée de montrer sa magnificence à toutes les autres villes, car c'est là l'un des quelques privilèges que la patrie de la démocratie a conservé sur Velsna: on ne peut pas détrôner un épicentre culturel et civilisationnel à moins de le mettre en ruine. Apamée est de ces cités qui n'ont que peu d'ennemis. Elle vit au rythme des décisions de son assemblée de citoyens, qui est une synthèse étrange entre notre Sénat et nos comices. La seule et unique démocratie directe de la Manche Blanche, si l'on exclut les pirates socialistes de Kotios. Bien sûr, il y a eu des rivalités et des guerres, mais elles appartiennent au passé. Cependant...ces dernières années ont vu quelques changements, en apparence mineurs, mais qui ont radicalement changé la donne. Les apaméens étaient jusque là le poumon de cette petite confédération lâche de cités états, qui ne devaient qu'une protection toute théorique aux gens de Velsna. Mais comme pour beaucoup de choses, la guerre civile des triumvirs est venu faire des secousses, et les tyrans qui ont tenté de prendre la cité sur l'eau ont fait des enfants. Au début, ce n'était qu'une tendance, un bruit de fond dans le vent, presque un souffle. Mais l'arrivée au pouvoir d'un certain aventurier en la cité de Volterra, la deuxième plus importante de la Dodécapole a été un coup de tonnerre immense, et a raisonné comme un avertissement contre les populistes et les démagogues en la ville d'Apamée. Aussi, la préparation de ces fêtes là, celles de 2016, avaient un goût amer en bouche: on connaissait l'homme, on savait que quelque chose allait se produire, mais on ne savait pas quand et comment, car il était de ces gens dont on ne peut deviner les pensées tant celles ci partent en tous sens.Mais avant que ceux ci ne soient donnés, Apamée caressait encore cet espoir fou d'entretenir avec le nouveau maître de Volterra des relations presque normales. On était même prêts à oublier que Lograno était de ces tyrans aventuriers qui prennent le pouvoir sans avoir la moindre des légitimités. On était prêts à de grands sacrifices pour que la paix dans la confédération de la Dodécapole soit assurée et perenne, parce qu'en ces lieux, on sait que le commerce a plus de poids dans les cœurs que la démocratie. Si les volterrans ont accepté cet homme, en quoi est-ce notre problème ? C'était alors la mentalité des plus conciliants des dodécaliotes, apaméens compris.
Les apaméens, bien entendu, n'étaient pas les seuls à surveiller Salvatore Lograno du coin de l’œil, car Velsna, après la guerre civile, revenait forte et puissante, et ses yeux se tournaient à nouveau vers ses petites sœurs qu'elle avait ignoré par la force des choses et le poids de ses propres maux. La Dodécapole, même si ses cités ne le croisaient sur très peu, étaient toujours sous le regard de l'hégémon nommé parmi ses membres, en la personne de son excellence le sénateur Adolfino Agricola. Moi même, j'ai connu cet homme il y a quelques années, car il était l'un des compagnons du sénateur mon père, et qu'il rendit des services à la République en se battant contre le tyran Scaela. Mais je le sais fort bien: il n'est pas un politicien, et je suis d'avis que ses épaules ne sont pas assez larges pour la hauteur de la tâche, car être hégémon de la Dodécapole est fort plus complexe que d'être compagnon de tente, et de tirer sur le mal. Non, il faut parler avec, et négocier avec. La Dodécapole, c'était là douze cités, douze intérêts différents donc, et autant d'égos à ne pas blesser, à ne pas froisser, et à traiter avec le plus grand des respects. Aussi, son absence aurait été perçue indéniablement comme la plus grande des insultes à l'égard des villes dont en théorie, il doit défendre de l'étranger et du barbare. Comme les apaméens, il avait hâte de s'entretenir pour la première fois avec ce Lograno dont on racontait tant d'histoires: comment il eu commencer sa vie en mercenaire, comment il participa à la guerre des triumvirs, comment il prit par la ruse et avec quelques hommes d'armes la deuxième des brillantes cités de la Dodécapole.
Il passa les premières journées dans une certaine solitude, car l'hégémon n'est souvent là que pour ce qu'on lui reproche, et pas pour ce qu'on lui admire chez lui. Pourtant, ainsi que je l'ai dit, Adolfino Agricola avait de grandes qualités: il est courageux, en premier lieu. Cela, je l'ai appris par mes yeux et les dires de la compagnie qu'il dirigeait sous les ordres du sénateur mon père lors des combats d'Hippo Reggia. Mais il n'était que peu avenant et il ne parlait pas comme les grands rhéteurs velsniens et appaméens, et cela desservait fort sa cause quand il s'agissait de politique. Heureusement, il avait à son sens réussi à se faire bien voir en commentant abondamment les jeux auprès de divers membres de l'assemblée citoyenne d'Apamée avec qui il passa une grande partie du séjour. Il fit même en privé, l'occasion d'un grand banquet, une démonstration de sa force au lancer de poids. Mais tous ici savaient qu'il n'était point là uniquement pour la beauté du spectacle, car on le vit s'entretenir longuement avec le vénérable Patrizio Psisitrati, le plus grand de tous les apaméens, selon les velsniens. Le vieil homme lui parla une nuit durant, autour du meilleur des vins, et des meilleures pâtisseries, et il eut des mots évocateurs sur la suite des évènements, que je tâche ici de retranscrire d'après les dires les plus fiables que j'ai trouvé pour les conter:
"Lograno, cet homme. Il est de ceux qui ne sont pas motivés par la concorde et les accomplissements, de l'homme en tant qu'esprit collectif, mais avant tout par les siens. Tu n'obtiendras rien de lui, Adolfino, tout comme les appaméens n'auront rien de lui, si ce n'est le même mépris que tout ce qu'il voue à ce qui lui fait obstacle. En un sens, il est un fortunéen si brillant qu'il pense n'avoir besoin de personne pour s'accomplir, car oui, et c'est mes mots, Salvatore Lograno est un jeune homme des plus vifs, cela, je le sais de source sûre, bien davantage que nous deux."
Ainsi étaient le verbe du vieux Pisitrati, que l'on appelait ici "le père de la démocratie", qui était peu avare de doutes concernant les possibilités pour les apaméens, les velsniens et les volterrans de s'entendre. Mais Agricola ne désarmait jamais, c'était là l'une de ses qualités, et il répondit laconiquement au vieux apaméen:
Rusé ou pas, Agricola était persuadé de sa force en abordant ces jeux. Après tout, Velsna n'était-elle pas la plus brillante des filles de Fortuna ? Ses flottes n'étaient-elles pas sur toutes les mers, et ne rivalisaient-elles pas avec celles de la cité-mère, celle qui les a toutes enfantées ? Ainsi était le langage d'Agricola, de ce sénateur court sur pattes, aux cheveux aussi bouclés que ceux d'un afaréen du nord, avec qui il partageait ce teint mât qui le rendait reconnaissable parmi tous ici. Confiant, il l'était, et il avait de grandes raisons de l'être. Mais parfois, Agricola l'est tout simplement trop: trop audacieux, et pas suffisamment lecteur de la situation. Les jours sui suivirent seraient l'occasion d'une grande désillusion.
Les jeux défilèrent les uns après les autres, et cette autre journée, celle qui suivit la nuit passée à boire et à manger avec les appaméens les plus influents et les plus nobles, avait pourtant démarré de la plus belle des manière. Agricola chercha à remplir ses devoirs du mieux qu'il pouvait en rencontrant, si possible, les représentants et citoyens de chaque cité. Elles étaient toutes là, celles qui avaient envoyé cadeaux et athlètes, à l'exception notable de Cortonna, mais qui était un absent habituel. Cette cité renfermée sur elle même n'entretenait plus aucune relation d'aucune sorte avec ses consœurs, et son importance négligeable faisait qu'on la laissait en paix. Mais en dehors de cette contrariété routinière, il y avait là tout le portrait de famille. Les occitans de Srombola sur l'Oronte avaient rapporté" une multitude de présents, dont certains pour l'hégémon. De nombreux parmi cette patrie étaient mercenaires dans l'armée velsnienne, aussi, Agricola était en terrain ami. Les oligarchies de la péninsule apaméenne lui ont fait tout aussi bon acceuil, même si le représentant de l'une d'entre elles lui a tenu la jambe durant un laps de temps bien trop long pour que cela soit agréable à supporter. Mais la meilleure surprise resta probabllement l'arrivée des délégués d'Adria à ce grand rassemblement, car de plus brillante cité, il y avait bien peu, et meilleure compagnie, il n'y avait guère mieux que celle de cette charmante Marina Moretti. Celle ci ne lui avait pas adressé la parole qu'il cherchait sa compagnie salutaire pour se soutirer à celle des occitans. De beau, elle avait beaucoup de choses, mais on disait surtout que c'était là l'une des dirigeantes les plus cultuvées et avenantes par ses mots de la Dodécapole. Mais plus prosaïquement, Adria constituait l'un des endroits les plus stratégiques de la Dodécapole. Un haut lieu de l'éducation, certes, mais qui surtout, fonde sa richesse sur le passage du Canal qui porte son nom. Adria était une voix au sein de la confédération, qu'il ne fallait pas négliger, en aucune circonstance, peut-être même presque autant qu'Apamée.
Se déplaçant au travers de la foule comme une anguille, Agricola avait en face de lui une quarantenaire gracieuse qui ne disait pas son âge, et qui était habitée d'une vive élégance, qui dépassait de loin la vulgarité que peuvent avoir les gens de bonne famille qui tentent sans succès de faire transparaître pareille félicitée, du corps comme de l'esprit. On me dit ainsi que le sénateur et hégémon Agricola d'inclina bien bas devant elle, plus bas qu'il ne l'avait fait pour les délégués des autres cités conviées. Et lui fit savoir toute son admiration en quelques mots maladroits qui étaient ceux d'un homme d'armes davantage qu'un homme de lettres:
Nul ne nie votre prestance et la pertinence de vos conseils, votre excellence Moretti, et je suis bien aise de vous voir enfin en face de moi, car il j'en ai fort besoin pour assurer la concorde entre toutes ces cités. Alors, aurais-je votre concours.
La doyenne de l'université d'Adria marqua une pause, et un temps de reflexion. On attendait, pendus à ses lèvres le changement des traits de son visage, comme un amant attend sa dulcinée à sa fenêtre. Et l'audience, mais surtout Agricole, furent soulagés de la voir sourire et rayonner. Elle fit savoir ton son plaisir partagé au sénateur par des mots d'une grande justesse:
Les deux personnages illustres se retrouvaient là sur bien des points, et Marina Moretti fut la première personne à se montrer réellement soulagée de voir l'hégémon de la Dodécapole se retrouver devant elle. Il se devait d'être ainsi par les hasards que dame fortune nous donne, et elle s'empressa de faire part de ses impérieuses inquiétudes à Agricola:
La dame avait des mots durs pour le protecteur de Volterra, probablement ces mauvais mots avaient de bonnes raisons, mais Agricola pensait comme un homme de guerre qui faisait fi de la manière dont on parvient au pouvoir, et le velsnien tenta de se rappeler de tous ses défauts, mais aussi de ses qualités qu'il avait en grand nombre:
La quarantenaire était bouche bée, et ne s'attendait probablement pas à de tels mots si emprunts de prudence et de tact. Une part d'elle était irritée, car elle avait déjà fait sa propre opinion de l'homme qu'était Lograno, mais une autre part était admirative du fait que l'homme nommé hégémon par la République fut marqué par une telle compréhension des choses. Car il fallait bien le dire: protéger, même de manière nominale la Dodécapole est comme surveiller douze mondes différents. Connaître les pensées des velsniens ne suffisait pas, tout comme connaître les pensées des apaméens ou des volterrains seuls. Il fallait s'accorder avec les pensées communes de toutes ces sensibilités, et ne faire aucun perdant, ou le moins possible. Et ce qui fit Agricola par ces mots était de montrer que le bruit de ses sabots étaient plus doux que ce que la doyenne d'Adria pensait. Qu'à cela ne tienne: Agricola découvrira Lograno par lui-même. Ce furent sans doute là les mots d'esprit qui virent à la grande femme. Les deux enfants de Fortuna, l'un court sur pattes et pas à sa place, l'autre élancée et gracieuse, restèrent là devant le lancer de poids, à admirer hommes et femmes de ce petit monde que constituait les douze cités se défier, et ils échangèrent sur beaucoup de choses, parfois même incongrues et privées. Des plaisanteries qui ne sont pas dignes des oreilles de mes lecteurs, dont je sais l'appétit plus grand pour les nobles mots. Mais à la prudence des apaméens, Agricola trouva le soutien de la dame d'Adria salvateur, car c'était là une parole bien solitaire.
L'hégémon attendit ainsi toute la journée durant avec sa petite suite, après avoir fait ses adieux à Moretti, qui partait vaquer à ses autres tractations, soucieuse qu'elle était de perpetuer des liens forgés grâce à son fameux canal, et aussi pour s'assurer comme chaque année que Cortonna, la cité honnie d'Adria, n'ait pas envoyé de représentants, même si de son vivant, celle-ci ne l'a jamais fait. Salvatore Lograno, lui, possèdait une grande passion, outre les coups d'état et les coups de main meurtriers: se faire languir de ses opposants comme de ses partisans. Lograno n'était pas apparu des festivités, et cela faisait déjà trois jours que celles ci avaient commencé. Viendrait-il seulement ? Quel interêt avait-il à le faire, au fond ? Lui qui aimait tant provoquer, insulter, et qui estimait si peu les dirigeants des autres cités de la Docécapole. Mais d'une manière ou d'une autre, il fallait croire qu'il avait bel et bien entendu parler de l'apparition d'Adolfino Agricola au rassemblement, car il fallu attendre les grandes scènes de diner qui avaient lieu au crépuscule, dans toute la cité, pour que finalement, Agricole ne vienne le trouver dans l'endroit le plus incongru et surprenant qui fut pour faire la rencontre de cet individu.
Il y avait à Apamée la plus belle basilique, peut-être, de la Dodécapole, dédiée à Santa Lucia, patronne des victimes de guerres et des causes perdues. De belle nuit, sa façade fut magnifique, toute illuminée aux yeux de tous. Desesperant de ne voir qui que ce soit aux alentours des amphithéâtres, Agricola se résigna, et dans son errance, éloignée de sa suite, il fit une entrée curieuse dans cet édifice, peut-être plus beau encore que la basilique San Stefano. Juste de quoi bruler un cierge, une bonne excuse pour contempler les vitraux et les statues de Santa Lucia, qu'elles soient de pierre, de marbre ou de bois. Mais ce soir là, le sénateur ne fut pas le seul à avoir eu l'idée de s'y réfugier dans une solitude salutaire, car un certain personnage avait, probablement guidé par Dame fortune, eu la même idée.
Cet homme...oui, c'était bien lui. Il se tenait là, seul, devant une porte baroque aux multiples dorures, qui marquait la séparation entre la partie laique et privée de l'église. Il y a avait des statues par dizaines dans cet endroit, des scultptures pleusieurs fois centenaires et des vitreaux magnifiques. Pourtant, il avait fait ce choix de contempler une série de détails somme toute insignifiants. Lograno avait des yeux derrière la tête, et Agricola n'eut pas à s'approcher davantage de lui pour qu'il l'interpelle, ne s'arrêtant pas dans son enquête, sous aucun pretexte et sous aucune condition:
- Me cherchiez vous ? Vous êtes l'hégémon ? Je me trompe ? Je ne me trompe jamais...
- C'est là ma personne que vous avez en face de vous, ou plutôt derrière vous, excellence. C'est un plaisir...
- Cessez donc de mentir, excellence. Personne n'aime me voir, mais je ne leur en veux pas. Ces gens sont si peureux, si sensibles au changement, qu'ils me voient volontiers comme un ennemi avant même de me parler. Mais vous, je vois que avez eu la curiosité nécessaire de me parler, quant bien même je vous conspue en public, quant bien même a seule existence remet votre autorité en cause. Mais sachez ceci: je n'ai aucune animosité pour vous, en tant que personne, tout comme je n'en avais aucune pour les gens qui m'ont précédé au pouvoir à Volterra. C'est avant tout pour leur fonction que j'ai une grande haine et une grande colère. Tout comme la vôtre. Savez vous pourquoi j'ai renversé les anciens maîtres de Volterra ? Parce que les gens de ma ville étaient des individus qui pensaient petits, dans une petite cité, elle même dans une petite patrie. Le manque d'ambition, c'est cela qui terrifie en toutes choses, le manque de perspectives. Et les gens de ma patrie n'en ont jamais eu, pas plus que tous ceux qui se trouvent à cette fête ridicule et stupide. Les apaméens, les adriens, les volterrans et même les velsniens...il n'y a pas de patrie qui puisse avoir quelque grandeur parmi toutes les filles de Fortuna, personne pour les réunir sous une même égide. Si Velsna a trop peur de sa propre puissance pour le faire, alors c'est moi le ferait. Que tu sois avec moi ou contre moi ne regarde que toi, hégémon, mais sache le: je veux tout, et tout le temps.
Ainsi étaient là les mots évocateurs, les premiers que s'échangèrent les deux hommes. Parmi tous ceux de cette journée que l'hégémon a croisé, ceux de la doyenne d'Adria furent les plus justes, mais il fallait qu'Agricola vérifie ces dires par lui-même, qu'il s'assure de ce qu'il avait en face de lui, et maintenant, il savait: il reconnu le regard de Scaela dans celui de Lograno. Mais cette malice était fort différente: celle de Scaela était mielleuse, celle de Lograno était impertinente. Il était tant en confiance qu'il ne se cachait pas de ses intentions, et au fond, que pouvait l'hégémon: il n'était que le garant de la défense extérieure de la Dodécapole, qui était-il donc pour s'opposer à une cité lors de querelles internes. Ce n'était pas son rôle, et le volterrain le savait.
Il eu ce sourire, celui de l'homme qui se fichait éperdument de ce que l'on pensait de lui. Agricola se souviendrait longtemps de cette tirade, et nul doute que les deux hommes se croiseraient à nouveau dans un avenir, qu'il soit proche ou lointain. Les jeux confédéraux de la fin de l'année 2016 furent probablement le catalyseur de quelque chose de bien plus grand, une catastrophe qui dépasserait sûrement les deux hommes...
Posté le : 19 jui. 2025 à 19:18:29
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(Gina Di Grassi, 2017)
Nous fortunéens, nous avons toujours été dans l'attente de l'expérience politique, celle qui doit mener chaque cité au parfait. Chaque patrie possède ses solutions à ses propres problèmes, et comme le disait le grand Déria: le but de tout gouvernement de cité est d'amener au beau et au bien. Que ce soit la démocratie apaméenne, la Grande République velsnienne, le consistoire des universitaires d'Adria, et même le gouvernement de nations barbares, comme ceux des teylais, des tanskiens et des rimauriens...nous sommes tous poussés vers nos propres définitions d'un gouvernement parfait. Mais le gouvernement de la cité de Volterra, dépassait le cadre de notre compréhension fortunéenne de la politique. Il n'y avait rien à défendre, rien à y ajouter: c'était comme un immense vide, un immense trou que l'on se complaisait à creuser. Salvatore Lograno, le faquin, il fut certainement le seul prince à ne concevoir du mépris pour la chose du gouvernement, alors même qu'il en avait pris la charge. Il ne concevait pas la politique comme un fait à part entière, comme une fin. Derrière la République libertarienne de Volterra, il n'y avait rien de ce que l'on pourrait qualifier de projet politique: pas mêmes les supposés préceptes des biaggistes libertaires comme Toni Herdonia en fut membre, non... C'était pire, bien pire que cela. Les biaggistes, eux, conçoivent leurs idées dans l'optique que celles ci seraient porteuses d'un grand avenir à l'Homme, quant bien même c'est faux dans les faits.
Le "protecteur" Lograno, lui, était d'une engeance bien plus basse que cela, car il ne croyait en rien, pas même en la politique comme moyen d'atteindre le bien et le beau. La politique n'était pas pour lui un fait social: il ne croyait en rien de tout cela. Il n'était dans les faits, pas plus libertarien que libertaire, et c'était avant tout un homme qui se complaisait dans le pouvoir, et qui ne concevait la politique que dans une optique purement égoïste. Elle était là pour le servir, et non l'inverse. Il n'avait pas plus de sens du devoir civique qu'il n'avait se sentiment d'appartenance envers la ville qu'il gouvernait. Tous ces principes, toutes ces valeurs, jusqu'à l'Histoire même de la ville autrefois prestigieuse sur laquelle il régnait... tout cela devait plier ou se briser à son seul service, sous ses seuls caprices et lubies du moment. Car cela, des lubies, il en avait légion, et elles changeaient bien souvent. Mais toutes étaient dirigées dans un seul but: plus, plus, toujours plus. Chaque jour devait être un gain substantiel, sans quoi il fut inutile de vivre. C'était là son seul moteur: pas une idée, pas idéal, mais lui-même. Un égoïsme sans limites qui le guidait, chaque jour qui passait.
La liberté absolue prônée par Lograno entre les murs de sa cité, quelle était-elle ? Etait-ce là le rêve libertarien de supprimer toute forme d'élection au profit d'une politique d'acclamation et de plébiscite ? A bien des égards, c'était bien là davantage le propre rêve de Lograno que des biaggistes dont il avait profité des années auparavant pour se faire un nom. Lograno n'avait que faire des corpus d'idées politiques, il n'avait que faire des phénomènes sociaux, car il se considérait comme un fait à part entière, une figure messianique, salvatrice, providentielle, presque mystique... La seule loi qu'il reconnaissait ne fut toujours que la sienne, et cela...les habitants de Volterra, dés le premier jour de son règne, le comprirent bien malgré eux. Eux qui avaient ouverts leurs portes à sa troupe de coupe-jarrets, eux qui avaient criaient son nom à en perdre la voix. Voilà qu'ils faisaient les frais de la méchanceté de leur héros. Populaire, il l'était toujours, indéniablement il est sûr. Mais ses méthodes furent de plus en plus reconnues et notées à l'étranger pour ce qu'elles étaient, et qui donnaient à Volterra non pas les airs d'une République libertarienne, mais d'une kleptocratie, sur tous les points.
Il n'y avait point d'autres mots: c'était moins un gouvernement qu'une bande organisée de mercenaires et de voyous qui dirigeait la ville. Salvatore Lograno n'avait certes pas officiellement mis fin aux institutions, il fut plus subtil que cela: non, il est a rendu inutiles, comme c'était là le but des manœuvres de l'un de ses modèles velsniens, le mal nommé Scaela le magnifique. La petite oligarchie de grands propriétaires qui régnait sur la ville fut laissée dans ses prérogatives, et elle avait même le luxe de voter quelques petites choses: entretien des routes et des lieux publics, gestion d'un budget, même entériner des lois...mais dans les faits, il pouvaient subir le véto du chef des voyous quand bon lui semblait, et quand il le désirait. Salvatore Lograno avait laissé intact les vieilles institutions, tout en érigeant un véritable état dans l'état. Si un conseil municipal il existait encore, il était totalement sous sa coupe et son bon désir, et il avait interdit toute forme d'intercession entre ce gouvernement légal, et la force armée de la ville qu'il avait tout bonnement fait dissoudre au profit de sa troupe de mercenaires. Ainsi, Volterra était la première cité fortunéenne, à être techniquement dépourvue de la moindre armée légale, car celle-ci avait été remplacée par la force personnelle de Lograno. Et cette force, parlons en...
Force...mais on aurait pu aussi la nommer "troupe", "bande", "gang" constitué de tous les pires voyous et soudards que les guerres dans le monde fortunéen avaient pu produire jusqu'alors. Son armée n'avait pas de nation, et ses soldats était de toutes les patries possibles et imaginables. Du monde fortunéen civilisé comme des nations barbares, des plus fréquentables aux plus infames. Dans leurs quartiers, qu'ils avaient volé aux habitants de Volterra, on y parlait le velsnien comme l'achosien, le fortunéen d'Apamée comme celui de la cité-mère, le tanskien comme le rimaurien. C'était là une association des plus grands margoulins que la Terre eut portée. Et ils avaient pris le contrôle d'une cité millénaire, et pas n'importe laquelle; la deuxième plus grande et peuplée de la Dodécapole, si l'on ne prenait pas compte de Velsna.
Dans le reste de la Dodécapole, on hésitait, on ne savait pas comment parler à cet individu qui sortait tant du lot, qui n'était ni un homme de noble naissance ou de nobles intentions. Il n'avait alors eu que des mots et des discours, pas des actes: il parlait de transformer profondément la Dodécapole, en une autre chose qu'une simple entité brouillonne aux yeux du reste du monde. Il rêvait grand, car cet homme aux grands rêves était à la tête d'un petit royaume. Il gouvernait Volterra, mais la méprisait tout autant. Tout n'était pour lui qu'un ensemble d'outils vers une destinée bien plus grande que celle vers laquelle il se dirigeait à l'origine. Cet aenir injuste qu'on lui prédestinait dans les ruelles de cette petite ville pathétique dans laquelle il est revenu pour y jeter les bases de ce qu'il veut: un Empire. Plus grand qu'Apamée, plus grand que Fortuna, plus grand que Velsna...un Empire à l'échelle du monde fortunéen tout entier, pus grand que toutes ces cités n'en ont jamais rêvé. Et pour cela, gouverner ce trou ne suffisait pas, il fallait quitter ces rivages par tous les moyens possibles.
Libertarien dans la théorie, kleptocrate dans les faits, Lograno déposséda de gré ou de force les propriétaires de manufactures, d'entreprises et d'usines afin d'y nommer ses proches aux plus hautes fonctions. Il remplaça simplement une aristocratie qui ne le reconnaissait pas par une nouvelle élite, entièrement soumise à sa volonté.
C'était là son mantra, ce qui le faisait tenir. Pourquoi ? A quelle fin ? A l'heure actuelle, tout le monde l'ignorer, si ce n'était ses proches, et des proches, il en avait peu, très peu, et ils étaient exclusivement dans la troupe d'aventuriers sans terre et de voyous qui constituaient son armée privée avec laquelle il faisait peser la terreur sur les habitants...L'un de ses seconds, le lieutenant Pizzonia, était de ceux là. Le visage dur, le regard impassible, il était de la trempe de son chef, et comme tous les autres, l'estimait comme Dame Fortune elle même. Salvatore Lograno avait ce charisme, cet air impérieux qui pouvait convaincre n'importe qui le suivre. Pizzonia avait été de tous les larçins et de toutes les escroqueries. Il exécutait toujours les travaux les plus infâmes de l'homme, car l ne fallait, en aucune circonstance que l'on rapproche ce dernier du crime: le protecteur de Volterra soignait son "image", si jamais il en eut une un jour. Il était de ceux qui connaissait le mieux les désirs et les ambitions de Lograno, et il pouvait déjà tirer des conclusions des évènements à venir: les cités de la Dodécapole auraient le choix entre l'alliance, et la violence. Cette même violence que l'ancienne élite de Volterra a fait les frais, aux mains de cette milice de mercenaires. Mais cette détermination à la tâche, cette ambition...pour le moment, les autres membres de la Docécapole n'en prenaient pas la mesure, si ce n'est l'hégémon Agricola, avec qui il avait eu une conversation des plus éclairantes lors des jeux confédéraux. Mais même là, son discours avait semblé celui d'un possédé, aux contours flous, et dont on ne savait pas si il était véritablement porteur de consistance au delà des menaces à peine voilées.

Le Condotierre Pizzonia, bras droit cryptobro de Lograno
Il y a les déclarations d'intentions, et il y a des actes. Au grand malheur du reste de la Dodécapole, leurs habitants allaient apprendre que les déclarations de Salvatore Lograno sont toujours suivies d'actes. L'homme se donne toujours le moyen de ses ambitions. Il faut tout réussir, et tout le temps. L'armée de Lograno, n’était pas qu'une simple troupe de coupes-jarrets avinés: c'était devenu une véritable armée de plusieurs milliers d'hommes, organisée, bien équipée, et surtout...fidèle aux convictions de leur chef. Une armée de véritables individualistes, une armée de l'égoisme, du pillage organisé et du crime. Lograno possédait, de plus, le critère de légitimité le plus important aux yeux d'hommes comme ceux là: la théologie de la victoire, la conviction que l'homme qu'ils suivent ferait la même chose que eux feraient, qu'il s'exposerait aux mêmes dangers. Car Lograno fut peut-être un homme mauvais, mesquin, vil, un assassin...mais on ne pu jamais contester son courage, et les velsniens l'admiraient timidement pour cela. Ses hommes, qu'il appelait "mes frères" étaient les gardiens de son égoïsme: des pillards de biens, mais également de capitaux numériques, à tel point qu'on les nomma bientôt "les crytpobros".
Mais avoir une armée ne suffisait pas. Celle ci ne pourrait traverser la mer en bouée, afin d'accomplir son office. Apamée n'allait pas de conquérir avec des bateaux de pêche, Adria n'allait pas perdre son canal sans une action navale, pas plus que le reste de la Dodécapole allait se soumettre à un prince sans frégate. Salvatore Lograno a besoin d'une armada, alors il la trouvera, quoi qu'il en coûte, que ce soit en argent, en parole ou en gages. C'est ainsi qu'il en eut l'idée: si il n'avait point de flotte, alors, il en ferait venir une à elle. Ses hommes écumeraient les eaux de la Manche blanche, de la Leucytalée, et plus loin s'il le faut, pour trouver les meilleurs navires et les meilleurs équipages à qui confier une lettre de marque, moyennant argent et armes. Une flotte de corsaires et de flingues à louer...
Il entra tout d'abord en contact avec des capitaines indépendants de la Dodécapole, puis des contacts velsniens, strombolains, fortunéens et landrins...puis icamiens et wanmiriens...il fallait trouver du monde, coûte que coûte, afin de réaliser le rêve...le doux rêve. Ainsi commencèrent les efforts de Volterra pour se doter d'une flotte. Les chantiers navals furent restaurés, les installations portuaires furent ouvertes au tout venant, du moment qu'ils réussissaient à négocier une lettre de marque, et on entendit de nouveau les fonderies des arsenaux de la cité, qui s'ouvrirent pour servir un seul homme.
Posté le : 20 jui. 2025 à 17:49:41
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(Gina Di Grassi, 2017)
Qu'ils étaient beaux, qu'ils étaient brillants, qu'ils étaient étincelants, les défenseurs de la cité d'Adria. De bons citoyens: dévoués et vigoureux à la tâche. On savait Adria forte de ses monuments et de ses institutions, mais on la sait moins guerrière, moins agressive que beaucoup de ses consœurs. Elle n'en avait jamais vraiment eu besoin, pas depuis des centaines d'années. Même au sein de la Dodécapole, dirigée de fait par un hégémon velsnien, elle n'était que rarement contributrice de la paix et de la guerre. Les affaires temporelles de la guerre n'intéressaient que peu ses élites, qui depuis tout ce temps, s'étaient habitués au fait que la cité ne jouais plus aucun rôle militaire. Il y avait bien une milice locale, une petite armée citoyenne d'à peine 1 000 hommes, dont le rôle central fut de surveiller les allées et venues du Grand Canal d'Adria, mais une petite troupe de citoyens en armes. La ville était la plus orientale de la Dodécapole: isolée et dort éloignée du cœur de la confédération, en Manche Blanche centrale. Et pourtant, l'or sur ses toits, l'opulence de cette ville était chose à surveiller, car si Volterra la dépassait en nombre, Adria faisait figure de second inattendu dans le déploiement de sa fortune et de sa richesse. Elle était un haut lieu universitaire, doublé d'un lieu de passage, et faisait figure de place bancaire notable. Cette prospérité était autrefois garantie par la protection du Pharois, bien davantage que par Velsna qui était pourtant à la tête de la confédération, et gare à celui ou celle qui s'avisait de toucher les protégés des goujats des mers.
Ce temps, hélas, était terminé, et les nuages s'accumulaient à l'horizon. Cette fois ci, ce n'était pas une menace extérieure qui était en cause: le problème venait tout droit du cœur de la Dodécapole Fortunéenne. Le problème avait un nom et un visage, que la doyenne des universités, Marina Moretti, avait vu de ses yeux pour la première fois lors des jeux confédéraux. Ce qui devait être une grande fête, célébrant l'union et la concorde des cités s'est révélée être une illusion qui n'a tenue que les deux jours des épreuves, jusqu'à la venue...de l'autre, celui qui avait le visage de la malice. Apaméens, velsniens et adriens avaient pu assister à la pitoyable mise en scène du "cryptobro des cryptobros", à ses faux sourires, à ses histoires à dormir debout.
La doyenne Moretti, parmi tous les membres des délégations, fut la première à pointer du doigt ce facteur d'instabilité nouveau qu'était l'homme qui avait paradé devant elle, avec moult cadeaux empoisonnés trois jours durant. Bien plus alerte que les appaméens ou les velsniens à ce sujet, elle l'était indéniablement. Si elle tenait en estime l'hégémon Agricola et le corps civique d'Apamée, elle avait été quelque peu déçue par le manque de réaction de ceux-ci à l'occasion de cette démonstration de pouvoir dont cet homme s'était gaussé devant tout le monde. Le vieux Pisistrati, le père de la démocratie apaméenne, lui avait paru vieilli, passif et bien trop à l'écoute de cet escroc. C'était presque à en croire que tout le monde avait oublié la façon dont le "prince de la crypto" était arrivé au pouvoir à Volterra: par la subversion, le pillage et le meurtre. Cela, et à sa grande surprise, personne ne lui a dit: aucun magistrat apaméen n'avait pipé mot. Quant à l'hégémon court sur pattes, il avait donné de lui l'image d'un homme qui ne savait pas dans quoi il s'embarquait. Quant bien même je connais Adolfino Agricola, j'appris moi même qu'il ne fit pas grande impression, et qu'il figura aux jeux confédéraux, fort chahuté par sa rencontre nocturne avec celui qui fut le catalyseur de toutes les inquiétudes.
Pour Marina Moretti cependant, cette rencontre avait fait figure d'une révélation: en cas de conflit interne à la Dodécapole, il y avait peu de chances que l'hégémon, dont le rôle est de la défendre des menaces étrangères uniquement, ne puisse faire quoi que ce soit. Et celui-ci n'avait pas donné l'image d'une personne souhaitant faire changer ce rôle traditionnel. Il fallait donc prendre des mesures propres à ses intérêts, à défaut de disposer d'individus capables de le faire à sa place. Le bruit enflait et couvait dans toute la confédération des petites cités-états: Salvatore Lograno ne resterait pas assis sur ses acquis, et il préparait d'ores et déjà à faire venir en sa cité, toute la lie de la Terre, des pays barbares du Nazum jusqu'au monde fortunéen. Volterra s'armait, ce qu'elle n'avait pas fait depuis des décennies. Apamée commençait à peine, elle, mais ce fut suffisant pour convaincre la doyenne de faire de même. Le remilitarisation progressive des cités-états de la Dodacapole, sans nul doute, était un phénomène inouï et sans commun évènement dans l'Histoire récente. Et il fallait remonter beaucoup plus loin pour retrouver pareille occurrence.
Car oui, cela faisait fort longtemps que Velsna faisait la police au sein de la Confédération, qu'elle avait le monopole de la violence sur la mer, quoique non entériné par la loi mais plutôt par les faits, tandis que sur terre, la plupart des cités n'en disposaient que dans le meilleur des cas, de leurs traditionnelles milices, amplement suffisantes pour faire régner l'ordre sur des territoires restreints. Et cela a suffit tout ce temps, car d'enjeux liés à la guerre, la Dodécapole n'en avait plus. Mais Salvatore Lograno a tout chamboulé: il a rappelé à toutes les cités à quel point elles étaient vulnérables. A quel point il avait été aisé pour cet homme de rien de s'emparer de toute une ville, par des moyens fallacieux. La donne avait changée, et cela, Moretti avait été la première à le sentir. Il le fallait, c'était une nécessité: des armes et des soldats pour les tenir, le besoin était impérieux. Il faudrait bien plus que la milice communale pour arrêter un nouveau Lograno, ou même celui-ci, si il avait bien dans l'idée de renverser la table de la Dodécapole.
C'est ainsi que le Directoire des universités d'Adria, prit le 12 février, une décision inédite: la reformation du "bataillon sacré", un nom sonnant comme venant du fond des âges. Adria, en effet, n'a pas toujours été sans défense. Jusqu'à la prise de contrôle de la Dodécapole par Velsna, elle disposait de ses propres traditions militaires, de ses propres coutumes gagnées par les armes. Avant que Velsna ne se pose en protectrice, il y eu une armée adrienne, et dont l'un des corps constitués fut ce que l'on nomma "le bataillon sacré". Pas une simple milice, ni une troupe de mercenaires, mais un régiment, formé à la façon des fortunéens, dans une rigueur et une discipline remarquable: entièrement dévouée à la défense de la ville, et entièrement dévoué. Non, l’erreur de Volterra de convoquer en ses murs l'origine du mal ne sera pas reproduite par Adria. Si la cité doit se défendre, elle le fera avec ses enfants, pas des étrangers qui pilleront la ville dés qu'ils en verront l'avantage.
L'idée du bataillon sacré, fait surface d'un monde vieux de sept siècles, un régiment au sein duquel les gens les plus notables de la cité y envoyait leurs enfants, pour y constituer le dernier rempart de la cité en cas de la plus grande des crises. On dit ainsi cela d'eux, dans les récits de Lazziano Di Canossa, historien parmi le historiens:
Bien entendu, c'était là un ancien récit que je ne fais que rapporter. La guerre a bien changée, mais ce que recherchait Marina Moretti n'était pas tant la formation et la condition de ses soldats, mais l'esprit qui allait de pair avec. Ce bataillon sacré présent devrait se conformer aux réalités du monde, et son recrutement serait bien plus large qu'il ne le fut. Toutefois, il fallait bien davantage que toute la bonne volonté du monde pour équiper cette force. Cela faisant bien longtemps que la cité d'Adria n'était plus pourvoyeuse de sa propre défense, qu'elle ne produisait plus rien de ce qui la protégeait: il fallait alors repartir de zéro. Ainsi, en désespoir de cause, Moretti ne pouvait se tourner que vers des alternatives menues. Si l'expertise de la manufacture manquait cruellement à la cité, d'argent il fallait dire que la cité n'en disposait pas tant qu'il n'y paraissait, car son gouvernement le dépensait bien largement ailleurs, et que tous ses membres n'eurent pas la sagacité de Moretti quant à la menace que fut le prince de la crypto. Acheter à l'étranger fut donc hors de question tant les prix s'étaient envolés. Quant au recours à Velsna, la doyenne voulait l'éviter à tout prix, car elle savait qu'une dette envers la cité sur l'eau ne s'effaçait jamais vraiment: elle avait encore l'illusion, la douce illusion qu'Adria pouvait peser seule. Aussi, il n'y avait que les hommes et les femmes de la Fabrique d'armes de la cité d'Apamée: le moulin à balles. Si il fallait payer ces parleurs qu'étaient les apaméens, et si ceux-ci prenaient tant à la légère la montée en puissance d'un Lograno, alors, elle le ferait à leur place...
Posté le : 09 août 2025 à 19:51:50
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Gina Di Grassi (Avril 2017)

Aucune cité fortunéenne, qu'elle soit velsnienne ou dodécaliote n'est éloignée de la mer de plus de 250 kilomètres. La mer est le plus grand de tous les dieux, et le plus beau des éléments. Bleue, verte ou noire, elle n'a jamais trompé nos sens, nous qui la comprenons comme on aurait le don de parler à une sœur ou une mère conciliante. L'eau ne nous permet pas seulement de survivre, elle n'irrigue pas seulement notre corps, elle fait vivre tout ce microcosme que nous avons construit de rien. Velsna, Umbra, Strombola, Apamée, Adria, Volterra...nulle d'entre nous ne peut survivre sans elle, elle qui a fait notre richesse et notre opulence, elle qui nous a donné nos plus belles victoires. Nul doute: Dame Fortune, qui nous guide sur les flotes a contribué bien à sa hauteur de nos succès contre le pays des achosiens, en des temps reculés. Le jour où la mer cessera de nous sourire, ce sera alors la fin de notre ville. Il n'est pas pour rien que lorsque les mercenaires de l’expédition des 10 000 eurent rentrer de Teyla sur les genoux et sur les mains, là encore dans des temps anciens, ceux-ci se soient écrié à l'unisson "Talhassa !": car depuis tous les points de l'océan, la mer peut nous emmener chez nous. L'eau est rassurante, et elle nous évoque instinctivement la chaleur du foyer, et notre maison.
Cette eau, elle entour tout aussi bien le reste de la Dodécapole que Velsna, et elle a dans ces contrées le même sens que dans la nôtre....mais également le même enjeu. Importante pour leur survie, tout autant que pour la notre, ce qui ne va pas sans les caprices et les soucis qui s'imposent à ces cités, dans des mesures moindres que nous autres, disons le nous. La plupart des cités fortunéennes de la Manche Blanche, Velsna incluse, ont été sciemment implantées sur des presqu'îles et de petites péninsules, à la façon des petits comptoirs commerciaux que la plupart étaient, et qui ont grandit en attirant à la fois gens de la cité mère et gens des régions avoisinantes. Hormis Velsna, aucune d'entre elle n'a développée un arrière pays, ce qui les rendait d'autant plus dépendantes de la mer. Ainsi, les cités de Dodécapole se sont toujours écharpées sur le contrôle des routes commerciales de leurs environs directs. La naissance de l'ère des grands états nations les a quelque peu laissé dans l'ombre, si bien que peu se souviennent aujourd'hui de leur caractère erratique et prompt à la bataille dés lors que leurs affaires sont menacées. Toujours, les considérations militaires suivent les considérations commerciales et marchandes. Et la situation dans laquelle était fichée la confédération ne laissait point de doute sur cette réalité: les cités s'armèrent pour faire la guerre.
Le délitement progressif de l'autorité de l'hégémon Adolfino Agricola, qui s'est accompagné de l'annonce de son départ prochain de la présente fonction fut un accélérateur d'un phénomène auquel tous s'attendaient. Car il ne faut point parler d'une flotte lorsqu'on évoque la Dodécapole, mais d'une multitude. Toutes les cités ont un passé lié à la mer, et font grands contes de leurs exploits. Par le passé, Apamaée a tenu tête aux velsniens, au lendemain des guerres celtiques. Adria a défendu son détroit contre les pirates...mais l'éveil des états nations il y a deux siècles de cela, a plongé ces entités dans une grande torpeur, et toutes, de la plus petite à la plus grande, ont fini par déléguer leur défense côtière à la cité velsnienne, qui également est devenue quasiment la seule contributrice à la flotte de maintien de l'ordre de l'hégémon de la Dodécapole. Seulement voilà..les temps ont changé, et l'annonce de l'hégémon Agricola a fort perturbé les cités, qui se sont souvenues qu'il était parfois bien de disposer de sa propre souveraineté sur les eaux. Velsna ne sera pas toujours là, et il suffit d'un instant de faiblesse momentanée pour qu'un ambitieux bouscule un équilibre séculaire, et c'est exactement ce que Salvatore Lograno inspire. Quant à la flotte de l'hégémon, elle n'est là en théorie, que pour se charger des étrangers, et laisser les cités dodécaliotes à leurs querelles. Sa fonction impose une forme de neutralité, une interdiction de s’immiscer dans ce qui ne le regarde pas, au risque d'être taxé de tyrannie: le pire des crimes, la plus grande des ignominies.
Aussi, on assiste là à une dynamique préoccupante depuis plusieurs semaines: les arsenaux se remettent lentement en état de marche, les chantiers navals sont réorganisés, pas seulement dans la principauté de Lograno, mais dans toute la Dodécapole: de la théocratie de Cortonna au canal d'Adria, en passant par les installations du Grand Port de Santa Regina d'Apamée. Les carnets de commandes sont remplis, et pas seulement pour les cités, car au même moment, Velsna fait face à un pic de production similaire, qui la pousse à vendre à l'étranger d'anciens modèles, chose rare, car d'ordinaire, même les plus anciens vaisseaux trouvent leur place dans la Marineria. Une nouvelle qui tombe à pic pour tous les acteurs de la Dodécapole, qui tenteront probablement de s'arracher ce matériel.
Il est probable que la cité d'Apamée s'en saisisse de quelques uns, peut-être également la cité d'Adria et quelques autres, mais le grand évènement de cette séaucne demeurera sans doute le réarmement de la flotte de l'hégémon, qui n'était plus considérée que comme une simple force de parade anachronique, car il fallait bien le dire: Adolfino Agricola n'avait jusque là le titre de protecteur que le nom. Il fallu donc attendre la multitude de ses plaintes, et son découragement qui s'ensuivit, et qui mena à son annonce annonciatrice de tout le malheur à venir, pour que la cité velsnienne prenne un acte fort, très probablement pour convaincre Agricola de s'accrocher encore un peu à son poste. La carotte arrivait légèrement trop tard, mais sous une forme bien alléchante: huit patrouilleurs, auparavant affectés à la Classis I de la côté velsnienne, passant ainsi sous le commandement. Le Sénat velsnien ordonna ainsi le 14 avril 2017 la création de la Classis VII Dodécalopolis, une forme autonome de son propre gouvernement ne répondant qu'à l'hégémon, mais pour être honnête... seul le temps nous aurait dit à cet instant si cela eut été une bonne chose, que se confier tant de pouvoir à un homme en train de le perdre. Si le don des cités était la principale source par laquelle l'hégémon faisait l'acquisition, celui-ci n'avait fait l'objet de telles largesses depuis bien longtemps, et peu doutaient qu'il n'y avait aucun lien avec les troubles au devant desquels nous nous dirigions alors.
Ces troubles, même les plus petites cités les sentaient venir, aussi sûrement que l'on sentait en tous points de la Manche Blanche, la brise marine caressant les joues et léchant les cheveux de tous les enfants de Fortuna. Le savoir faire, quand il n'est pas exploité, se perd comme autant de récoltes que l'on oublie de moissonner, et de champs qui tombent en friche. Les arsenaux d'Apamée, de Volterra et d'Adria étaient à plein régime, mais on ne reconstruit pas une flotte en une nuit, et il fallait donc faire reposer son destin sur les épaules du plus offrant qui serait en capacité de palier à ce manque. De toutes parts, on commençait à voir poindre le bout de leur nez des capitaines, des vaisseaux étrangers voguant sous pavillon de telle cité: la Dodécapole était sur le point de devenir une terre propice au mercenariat, mais également à la guerre de course. Ce serait le duel des audacieux, des esprits libres fendant les vagues...un air de déjà vu dans des eaux autrefois dominées par des corsaires et des pirates légendaires. Le temps des pharosi n'était pas si loin... encore en 2014, la ville d'Adria s'acquittait tribut à leur égard. La guerre informelle et le pillage en règle ont toujours figuré dans le langage de ces petites entités territoriales belliqueuses composant cette fédération lâche: Apamée, Volterra et Adria souvent sur la défensive, et toutes les autres autour...attendant qu'une cargaison arrive au mauvais endroit et au mauvais moment.
Le vent se lève sur la Dodécapole, et les richesses attendent avec patiente ceux qui seront assez audacieux pour s'en emparer...
HRP:
Effets:
- L'hégémon de la Dodécapole se voit livrer huit patrouilleurs, formant l'esquisse d'une flotte fédérale renouvelée.
- Adria, Volterra et Apamée acquièrent chacune deux patrouilleurs par des moyens détournés (échange d'armes entre Apamaée et Velsna).
- Les cités de la Dodécapole débutent une production de navires et amorcent une guerre de course de façon officieuse. Le recrutement de corsaires est ouvert.
