Histoires dodécaliotes - Trame principale de la Dodécapole (RP)
Posté le : 14 jui. 2025 à 10:16:27
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Posté le : 14 jui. 2025 à 10:26:36
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(Gina Di Grassi, 2017)
Nous, qui sommes les dépositaires de l'héritage de Dame Fortune, nous n'avons que peu à envier aux autres peuples, car ceux qui sont nés avant nous ont tout donné. Du moins, ils nous ont donné de quoi jouer notre propre rôle dans cet immense puzzle qu'est le génie de Fortuna. Celle ci a donné à chacun d'entre nous un petit quelque chose, nous qui sommes des filles isolées, laissées à nous même sur des rivages barbares. Velsna, Apamée, Adria, Volterra, et même des villes impies comme Cortonna, nous avons ce génie en commun, qui nous poussent à nous rencontrer encore et encore. En rien c'est une décision de notre fait de nous regrouper, de nous rassembler et de nous disputer, tout est l’œuvre de cette force que l'on ne peut ni toucher, ni sentir, qui se manifeste par le désir irrépressible de la cité parfaite: la cité qui sera la mieux gouvernée, la cité qui sera la plus brillante par le talent individuel de ses citoyens aggloméré en un grand génie collectif....A chaque sujet, il y a dispute et vive compétition...avant de nous rappeler qu'il n'y a qu'entre nous que nous sommes dignes de concourir. Bien entendu, cela fait longtemps que la lumière de Velsna a quelque peu éclipsé les autres, mais il faut bien nous rappeler d'où nous venons, et cela, nous ne le constatons que lorsque nous revoyons nos frères par delà les côtes, à l'occasion de grands rassemblements. Ces rassemblements, que l'on peut appeler "fêtes", "célébrations" ou encore "jeux", ceux là seuls nous rappellent à notre nature commune. Ils existent depuis aussi longtemps que nos fondations, et en sortir vainqueurs est parfois plus important que de remporter une guerre. Sans conteste, les plus importants d'entre eux sont les jeux confédéraux de Dame Fortune, que la cité d'Apamée a l'honneur d’accueillir depuis toujours.
Il est de ces rendez vous qu'il ne faut en aucun cas manqué, de ces rencontres où se décident des tractations commerciales et politiques débutées parfois des années en amont. Les jeux, car j'ai déjà eu la chance d'y assister, sont parmi les plus belles journées de l'année, lorsqu'elle se produit, car les meilleurs évènements, nous le savons, sont les évènements rares, et les jeux confédéraux de Dame Fortune sont de ceux là: ils se produisent une fois tous les trois ans, au cœur des beaux étés. Pour les lecteurs parmi ceux qui n'ont point assister à ces spectacles, je dirai simplement que les jeux confédéraux surpassent en magnificence les plus belles fêtes que nous avons à Velsna: par leur grandeur, ils surpassent la fête de la San Stefano, et par le bruit qu'ils font, ils surpassent la Carnaval de Velsna et de Fortuna réunis. C'est un rassemblement, non pas des seuls velsniens, mais de toutes les nations du monde fortunéens, de toutes les patries qui viennent afficher leur grande fierté et leurs couleurs, au travers des athlètes qui rivalisent entre eux pour les honneurs et la gloire. Atteindre collectivement les plus grands exploits par le biais de l'individu, qu'y a t-il de plus fortunéen que cela, et quelle belle manière de nous reconnaître entre nous. Parmi ces festivités, il y a des épreuves plus populaires que d'autres, que les dodécaliotes viennent voir autour de grands stades, emplissant les gradins comme des foules sans fin. On vient ainsi commenter entre hommes et femmes de bonne famille, les duels du pugilat qui mettent aux prises des héros forts comme des bœufs. On vient d’extasier devant la passion des coureurs de fond, qui font des tours de stade à une si grande vitesse que l'on en oublierait presque, avec les exploits sportifs, ceux de la technologie et des machines. On vient admirer le lancer des poids que les héros d'aujourd'hui exécutent pour faire pâlir ceux de jadis. On termine la journée sur les quais de la cité d'Apamée, et au terme d'une semaine de fête, de disputes et parfois d'amour, on se sépare, et chaque cité reprend son existence... C'est vraiment la plus belle des vies de témoigner de cette grande manifestation de la civilisation au beau milieu de la Manche Blanche barbare et sans loi. Un écrin de civilités au cœur d'une mer dominée par des tyrans rimauriens, des grattes papiers tanskiens et des sauvages achosiens. Mais bien entendu, à ces fêtes s'ajoutent les fameuses tractations politiques, car les aléas de la cité passent par là. Et ceux que je vous conte sont de ceux qui font démarrer mon histoire. Que pensiez vous ? Que je passerai tout un récit à vous évoquer le corps des athlètes ? Non, loin de là, lecteurs.
Je puis vous parler d'exploit physique et d'amour, mais ce n'est pas là mon but, car les jeux confédéraux sont aussi le point d'où partent les disputes. Tous les quatre ans, ces journée sont l'occasion à Apamée de montrer sa magnificence à toutes les autres villes, car c'est là l'un des quelques privilèges que la patrie de la démocratie a conservé sur Velsna: on ne peut pas détrôner un épicentre culturel et civilisationnel à moins de le mettre en ruine. Apamée est de ces cités qui n'ont que peu d'ennemis. Elle vit au rythme des décisions de son assemblée de citoyens, qui est une synthèse étrange entre notre Sénat et nos comices. La seule et unique démocratie directe de la Manche Blanche, si l'on exclut les pirates socialistes de Kotios. Bien sûr, il y a eu des rivalités et des guerres, mais elles appartiennent au passé. Cependant...ces dernières années ont vu quelques changements, en apparence mineurs, mais qui ont radicalement changé la donne. Les apaméens étaient jusque là le poumon de cette petite confédération lâche de cités états, qui ne devaient qu'une protection toute théorique aux gens de Velsna. Mais comme pour beaucoup de choses, la guerre civile des triumvirs est venu faire des secousses, et les tyrans qui ont tenté de prendre la cité sur l'eau ont fait des enfants. Au début, ce n'était qu'une tendance, un bruit de fond dans le vent, presque un souffle. Mais l'arrivée au pouvoir d'un certain aventurier en la cité de Volterra, la deuxième plus importante de la Dodécapole a été un coup de tonnerre immense, et a raisonné comme un avertissement contre les populistes et les démagogues en la ville d'Apamée. Aussi, la préparation de ces fêtes là, celles de 2016, avaient un goût amer en bouche: on connaissait l'homme, on savait que quelque chose allait se produire, mais on ne savait pas quand et comment, car il était de ces gens dont on ne peut deviner les pensées tant celles ci partent en tous sens.Mais avant que ceux ci ne soient donnés, Apamée caressait encore cet espoir fou d'entretenir avec le nouveau maître de Volterra des relations presque normales. On était même prêts à oublier que Lograno était de ces tyrans aventuriers qui prennent le pouvoir sans avoir la moindre des légitimités. On était prêts à de grands sacrifices pour que la paix dans la confédération de la Dodécapole soit assurée et perenne, parce qu'en ces lieux, on sait que le commerce a plus de poids dans les cœurs que la démocratie. Si les volterrans ont accepté cet homme, en quoi est-ce notre problème ? C'était alors la mentalité des plus conciliants des dodécaliotes, apaméens compris.
Les apaméens, bien entendu, n'étaient pas les seuls à surveiller Salvatore Lograno du coin de l’œil, car Velsna, après la guerre civile, revenait forte et puissante, et ses yeux se tournaient à nouveau vers ses petites sœurs qu'elle avait ignoré par la force des choses et le poids de ses propres maux. La Dodécapole, même si ses cités ne le croisaient sur très peu, étaient toujours sous le regard de l'hégémon nommé parmi ses membres, en la personne de son excellence le sénateur Adolfino Agricola. Moi même, j'ai connu cet homme il y a quelques années, car il était l'un des compagnons du sénateur mon père, et qu'il rendit des services à la République en se battant contre le tyran Scaela. Mais je le sais fort bien: il n'est pas un politicien, et je suis d'avis que ses épaules ne sont pas assez larges pour la hauteur de la tâche, car être hégémon de la Dodécapole est fort plus complexe que d'être compagnon de tente, et de tirer sur le mal. Non, il faut parler avec, et négocier avec. La Dodécapole, c'était là douze cités, douze intérêts différents donc, et autant d'égos à ne pas blesser, à ne pas froisser, et à traiter avec le plus grand des respects. Aussi, son absence aurait été perçue indéniablement comme la plus grande des insultes à l'égard des villes dont en théorie, il doit défendre de l'étranger et du barbare. Comme les apaméens, il avait hâte de s'entretenir pour la première fois avec ce Lograno dont on racontait tant d'histoires: comment il eu commencer sa vie en mercenaire, comment il participa à la guerre des triumvirs, comment il prit par la ruse et avec quelques hommes d'armes la deuxième des brillantes cités de la Dodécapole.
Il passa les premières journées dans une certaine solitude, car l'hégémon n'est souvent là que pour ce qu'on lui reproche, et pas pour ce qu'on lui admire chez lui. Pourtant, ainsi que je l'ai dit, Adolfino Agricola avait de grandes qualités: il est courageux, en premier lieu. Cela, je l'ai appris par mes yeux et les dires de la compagnie qu'il dirigeait sous les ordres du sénateur mon père lors des combats d'Hippo Reggia. Mais il n'était que peu avenant et il ne parlait pas comme les grands rhéteurs velsniens et appaméens, et cela desservait fort sa cause quand il s'agissait de politique. Heureusement, il avait à son sens réussi à se faire bien voir en commentant abondamment les jeux auprès de divers membres de l'assemblée citoyenne d'Apamée avec qui il passa une grande partie du séjour. Il fit même en privé, l'occasion d'un grand banquet, une démonstration de sa force au lancer de poids. Mais tous ici savaient qu'il n'était point là uniquement pour la beauté du spectacle, car on le vit s'entretenir longuement avec le vénérable Patrizio Psisitrati, le plus grand de tous les apaméens, selon les velsniens. Le vieil homme lui parla une nuit durant, autour du meilleur des vins, et des meilleures pâtisseries, et il eut des mots évocateurs sur la suite des évènements, que je tâche ici de retranscrire d'après les dires les plus fiables que j'ai trouvé pour les conter:
"Lograno, cet homme. Il est de ceux qui ne sont pas motivés par la concorde et les accomplissements, de l'homme en tant qu'esprit collectif, mais avant tout par les siens. Tu n'obtiendras rien de lui, Adolfino, tout comme les appaméens n'auront rien de lui, si ce n'est le même mépris que tout ce qu'il voue à ce qui lui fait obstacle. En un sens, il est un fortunéen si brillant qu'il pense n'avoir besoin de personne pour s'accomplir, car oui, et c'est mes mots, Salvatore Lograno est un jeune homme des plus vifs, cela, je le sais de source sûre, bien davantage que nous deux."
Ainsi étaient le verbe du vieux Pisitrati, que l'on appelait ici "le père de la démocratie", qui était peu avare de doutes concernant les possibilités pour les apaméens, les velsniens et les volterrans de s'entendre. Mais Agricola ne désarmait jamais, c'était là l'une de ses qualités, et il répondit laconiquement au vieux apaméen:
Rusé ou pas, Agricola était persuadé de sa force en abordant ces jeux. Après tout, Velsna n'était-elle pas la plus brillante des filles de Fortuna ? Ses flottes n'étaient-elles pas sur toutes les mers, et ne rivalisaient-elles pas avec celles de la cité-mère, celle qui les a toutes enfantées ? Ainsi était le langage d'Agricola, de ce sénateur court sur pattes, aux cheveux aussi bouclés que ceux d'un afaréen du nord, avec qui il partageait ce teint mât qui le rendait reconnaissable parmi tous ici. Confiant, il l'était, et il avait de grandes raisons de l'être. Mais parfois, Agricola l'est tout simplement trop: trop audacieux, et pas suffisamment lecteur de la situation. Les jours sui suivirent seraient l'occasion d'une grande désillusion.
Les jeux défilèrent les uns après les autres, et cette autre journée, celle qui suivit la nuit passée à boire et à manger avec les appaméens les plus influents et les plus nobles, avait pourtant démarré de la plus belle des manière. Agricola chercha à remplir ses devoirs du mieux qu'il pouvait en rencontrant, si possible, les représentants et citoyens de chaque cité. Elles étaient toutes là, celles qui avaient envoyé cadeaux et athlètes, à l'exception notable de Cortonna, mais qui était un absent habituel. Cette cité renfermée sur elle même n'entretenait plus aucune relation d'aucune sorte avec ses consœurs, et son importance négligeable faisait qu'on la laissait en paix. Mais en dehors de cette contrariété routinière, il y avait là tout le portrait de famille. Les occitans de Srombola sur l'Oronte avaient rapporté" une multitude de présents, dont certains pour l'hégémon. De nombreux parmi cette patrie étaient mercenaires dans l'armée velsnienne, aussi, Agricola était en terrain ami. Les oligarchies de la péninsule apaméenne lui ont fait tout aussi bon acceuil, même si le représentant de l'une d'entre elles lui a tenu la jambe durant un laps de temps bien trop long pour que cela soit agréable à supporter. Mais la meilleure surprise resta probabllement l'arrivée des délégués d'Adria à ce grand rassemblement, car de plus brillante cité, il y avait bien peu, et meilleure compagnie, il n'y avait guère mieux que celle de cette charmante Marina Moretti. Celle ci ne lui avait pas adressé la parole qu'il cherchait sa compagnie salutaire pour se soutirer à celle des occitans. De beau, elle avait beaucoup de choses, mais on disait surtout que c'était là l'une des dirigeantes les plus cultuvées et avenantes par ses mots de la Dodécapole. Mais plus prosaïquement, Adria constituait l'un des endroits les plus stratégiques de la Dodécapole. Un haut lieu de l'éducation, certes, mais qui surtout, fonde sa richesse sur le passage du Canal qui porte son nom. Adria était une voix au sein de la confédération, qu'il ne fallait pas négliger, en aucune circonstance, peut-être même presque autant qu'Apamée.
Se déplaçant au travers de la foule comme une anguille, Agricola avait en face de lui une quarantenaire gracieuse qui ne disait pas son âge, et qui était habitée d'une vive élégance, qui dépassait de loin la vulgarité que peuvent avoir les gens de bonne famille qui tentent sans succès de faire transparaître pareille félicitée, du corps comme de l'esprit. On me dit ainsi que le sénateur et hégémon Agricola d'inclina bien bas devant elle, plus bas qu'il ne l'avait fait pour les délégués des autres cités conviées. Et lui fit savoir toute son admiration en quelques mots maladroits qui étaient ceux d'un homme d'armes davantage qu'un homme de lettres:
Nul ne nie votre prestance et la pertinence de vos conseils, votre excellence Moretti, et je suis bien aise de vous voir enfin en face de moi, car il j'en ai fort besoin pour assurer la concorde entre toutes ces cités. Alors, aurais-je votre concours.
La doyenne de l'université d'Adria marqua une pause, et un temps de reflexion. On attendait, pendus à ses lèvres le changement des traits de son visage, comme un amant attend sa dulcinée à sa fenêtre. Et l'audience, mais surtout Agricole, furent soulagés de la voir sourire et rayonner. Elle fit savoir ton son plaisir partagé au sénateur par des mots d'une grande justesse:
Les deux personnages illustres se retrouvaient là sur bien des points, et Marina Moretti fut la première personne à se montrer réellement soulagée de voir l'hégémon de la Dodécapole se retrouver devant elle. Il se devait d'être ainsi par les hasards que dame fortune nous donne, et elle s'empressa de faire part de ses impérieuses inquiétudes à Agricola:
La dame avait des mots durs pour le protecteur de Volterra, probablement ces mauvais mots avaient de bonnes raisons, mais Agricola pensait comme un homme de guerre qui faisait fi de la manière dont on parvient au pouvoir, et le velsnien tenta de se rappeler de tous ses défauts, mais aussi de ses qualités qu'il avait en grand nombre:
La quarantenaire était bouche bée, et ne s'attendait probablement pas à de tels mots si emprunts de prudence et de tact. Une part d'elle était irritée, car elle avait déjà fait sa propre opinion de l'homme qu'était Lograno, mais une autre part était admirative du fait que l'homme nommé hégémon par la République fut marqué par une telle compréhension des choses. Car il fallait bien le dire: protéger, même de manière nominale la Dodécapole est comme surveiller douze mondes différents. Connaître les pensées des velsniens ne suffisait pas, tout comme connaître les pensées des apaméens ou des volterrains seuls. Il fallait s'accorder avec les pensées communes de toutes ces sensibilités, et ne faire aucun perdant, ou le moins possible. Et ce qui fit Agricola par ces mots était de montrer que le bruit de ses sabots étaient plus doux que ce que la doyenne d'Adria pensait. Qu'à cela ne tienne: Agricola découvrira Lograno par lui-même. Ce furent sans doute là les mots d'esprit qui virent à la grande femme. Les deux enfants de Fortuna, l'un court sur pattes et pas à sa place, l'autre élancée et gracieuse, restèrent là devant le lancer de poids, à admirer hommes et femmes de ce petit monde que constituait les douze cités se défier, et ils échangèrent sur beaucoup de choses, parfois même incongrues et privées. Des plaisanteries qui ne sont pas dignes des oreilles de mes lecteurs, dont je sais l'appétit plus grand pour les nobles mots. Mais à la prudence des apaméens, Agricola trouva le soutien de la dame d'Adria salvateur, car c'était là une parole bien solitaire.
L'hégémon attendit ainsi toute la journée durant avec sa petite suite, après avoir fait ses adieux à Moretti, qui partait vaquer à ses autres tractations, soucieuse qu'elle était de perpetuer des liens forgés grâce à son fameux canal, et aussi pour s'assurer comme chaque année que Cortonna, la cité honnie d'Adria, n'ait pas envoyé de représentants, même si de son vivant, celle-ci ne l'a jamais fait. Salvatore Lograno, lui, possèdait une grande passion, outre les coups d'état et les coups de main meurtriers: se faire languir de ses opposants comme de ses partisans. Lograno n'était pas apparu des festivités, et cela faisait déjà trois jours que celles ci avaient commencé. Viendrait-il seulement ? Quel interêt avait-il à le faire, au fond ? Lui qui aimait tant provoquer, insulter, et qui estimait si peu les dirigeants des autres cités de la Docécapole. Mais d'une manière ou d'une autre, il fallait croire qu'il avait bel et bien entendu parler de l'apparition d'Adolfino Agricola au rassemblement, car il fallu attendre les grandes scènes de diner qui avaient lieu au crépuscule, dans toute la cité, pour que finalement, Agricole ne vienne le trouver dans l'endroit le plus incongru et surprenant qui fut pour faire la rencontre de cet individu.
Il y avait à Apamée la plus belle basilique, peut-être, de la Dodécapole, dédiée à Santa Lucia, patronne des victimes de guerres et des causes perdues. De belle nuit, sa façade fut magnifique, toute illuminée aux yeux de tous. Desesperant de ne voir qui que ce soit aux alentours des amphithéâtres, Agricola se résigna, et dans son errance, éloignée de sa suite, il fit une entrée curieuse dans cet édifice, peut-être plus beau encore que la basilique San Stefano. Juste de quoi bruler un cierge, une bonne excuse pour contempler les vitraux et les statues de Santa Lucia, qu'elles soient de pierre, de marbre ou de bois. Mais ce soir là, le sénateur ne fut pas le seul à avoir eu l'idée de s'y réfugier dans une solitude salutaire, car un certain personnage avait, probablement guidé par Dame fortune, eu la même idée.
Cet homme...oui, c'était bien lui. Il se tenait là, seul, devant une porte baroque aux multiples dorures, qui marquait la séparation entre la partie laique et privée de l'église. Il y a avait des statues par dizaines dans cet endroit, des scultptures pleusieurs fois centenaires et des vitreaux magnifiques. Pourtant, il avait fait ce choix de contempler une série de détails somme toute insignifiants. Lograno avait des yeux derrière la tête, et Agricola n'eut pas à s'approcher davantage de lui pour qu'il l'interpelle, ne s'arrêtant pas dans son enquête, sous aucun pretexte et sous aucune condition:
- Me cherchiez vous ? Vous êtes l'hégémon ? Je me trompe ? Je ne me trompe jamais...
- C'est là ma personne que vous avez en face de vous, ou plutôt derrière vous, excellence. C'est un plaisir...
- Cessez donc de mentir, excellence. Personne n'aime me voir, mais je ne leur en veux pas. Ces gens sont si peureux, si sensibles au changement, qu'ils me voient volontiers comme un ennemi avant même de me parler. Mais vous, je vois que avez eu la curiosité nécessaire de me parler, quant bien même je vous conspue en public, quant bien même a seule existence remet votre autorité en cause. Mais sachez ceci: je n'ai aucune animosité pour vous, en tant que personne, tout comme je n'en avais aucune pour les gens qui m'ont précédé au pouvoir à Volterra. C'est avant tout pour leur fonction que j'ai une grande haine et une grande colère. Tout comme la vôtre. Savez vous pourquoi j'ai renversé les anciens maîtres de Volterra ? Parce que les gens de ma ville étaient des individus qui pensaient petits, dans une petite cité, elle même dans une petite patrie. Le manque d'ambition, c'est cela qui terrifie en toutes choses, le manque de perspectives. Et les gens de ma patrie n'en ont jamais eu, pas plus que tous ceux qui se trouvent à cette fête ridicule et stupide. Les apaméens, les adriens, les volterrans et même les velsniens...il n'y a pas de patrie qui puisse avoir quelque grandeur parmi toutes les filles de Fortuna, personne pour les réunir sous une même égide. Si Velsna a trop peur de sa propre puissance pour le faire, alors c'est moi le ferait. Que tu sois avec moi ou contre moi ne regarde que toi, hégémon, mais sache le: je veux tout, et tout le temps.
Ainsi étaient là les mots évocateurs, les premiers que s'échangèrent les deux hommes. Parmi tous ceux de cette journée que l'hégémon a croisé, ceux de la doyenne d'Adria furent les plus justes, mais il fallait qu'Agricola vérifie ces dires par lui-même, qu'il s'assure de ce qu'il avait en face de lui, et maintenant, il savait: il reconnu le regard de Scaela dans celui de Lograno. Mais cette malice était fort différente: celle de Scaela était mielleuse, celle de Lograno était impertinente. Il était tant en confiance qu'il ne se cachait pas de ses intentions, et au fond, que pouvait l'hégémon: il n'était que le garant de la défense extérieure de la Dodécapole, qui était-il donc pour s'opposer à une cité lors de querelles internes. Ce n'était pas son rôle, et le volterrain le savait.
Il eu ce sourire, celui de l'homme qui se fichait éperdument de ce que l'on pensait de lui. Agricola se souviendrait longtemps de cette tirade, et nul doute que les deux hommes se croiseraient à nouveau dans un avenir, qu'il soit proche ou lointain. Les jeux confédéraux de la fin de l'année 2016 furent probablement le catalyseur de quelque chose de bien plus grand, une catastrophe qui dépasserait sûrement les deux hommes...
Posté le : 19 jui. 2025 à 19:18:29
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(Gina Di Grassi, 2017)
Nous fortunéens, nous avons toujours été dans l'attente de l'expérience politique, celle qui doit mener chaque cité au parfait. Chaque patrie possède ses solutions à ses propres problèmes, et comme le disait le grand Déria: le but de tout gouvernement de cité est d'amener au beau et au bien. Que ce soit la démocratie apaméenne, la Grande République velsnienne, le consistoire des universitaires d'Adria, et même le gouvernement de nations barbares, comme ceux des teylais, des tanskiens et des rimauriens...nous sommes tous poussés vers nos propres définitions d'un gouvernement parfait. Mais le gouvernement de la cité de Volterra, dépassait le cadre de notre compréhension fortunéenne de la politique. Il n'y avait rien à défendre, rien à y ajouter: c'était comme un immense vide, un immense trou que l'on se complaisait à creuser. Salvatore Lograno, le faquin, il fut certainement le seul prince à ne concevoir du mépris pour la chose du gouvernement, alors même qu'il en avait pris la charge. Il ne concevait pas la politique comme un fait à part entière, comme une fin. Derrière la République libertarienne de Volterra, il n'y avait rien de ce que l'on pourrait qualifier de projet politique: pas mêmes les supposés préceptes des biaggistes libertaires comme Toni Herdonia en fut membre, non... C'était pire, bien pire que cela. Les biaggistes, eux, conçoivent leurs idées dans l'optique que celles ci seraient porteuses d'un grand avenir à l'Homme, quant bien même c'est faux dans les faits.
Le "protecteur" Lograno, lui, était d'une engeance bien plus basse que cela, car il ne croyait en rien, pas même en la politique comme moyen d'atteindre le bien et le beau. La politique n'était pas pour lui un fait social: il ne croyait en rien de tout cela. Il n'était dans les faits, pas plus libertarien que libertaire, et c'était avant tout un homme qui se complaisait dans le pouvoir, et qui ne concevait la politique que dans une optique purement égoïste. Elle était là pour le servir, et non l'inverse. Il n'avait pas plus de sens du devoir civique qu'il n'avait se sentiment d'appartenance envers la ville qu'il gouvernait. Tous ces principes, toutes ces valeurs, jusqu'à l'Histoire même de la ville autrefois prestigieuse sur laquelle il régnait... tout cela devait plier ou se briser à son seul service, sous ses seuls caprices et lubies du moment. Car cela, des lubies, il en avait légion, et elles changeaient bien souvent. Mais toutes étaient dirigées dans un seul but: plus, plus, toujours plus. Chaque jour devait être un gain substantiel, sans quoi il fut inutile de vivre. C'était là son seul moteur: pas une idée, pas idéal, mais lui-même. Un égoïsme sans limites qui le guidait, chaque jour qui passait.
La liberté absolue prônée par Lograno entre les murs de sa cité, quelle était-elle ? Etait-ce là le rêve libertarien de supprimer toute forme d'élection au profit d'une politique d'acclamation et de plébiscite ? A bien des égards, c'était bien là davantage le propre rêve de Lograno que des biaggistes dont il avait profité des années auparavant pour se faire un nom. Lograno n'avait que faire des corpus d'idées politiques, il n'avait que faire des phénomènes sociaux, car il se considérait comme un fait à part entière, une figure messianique, salvatrice, providentielle, presque mystique... La seule loi qu'il reconnaissait ne fut toujours que la sienne, et cela...les habitants de Volterra, dés le premier jour de son règne, le comprirent bien malgré eux. Eux qui avaient ouverts leurs portes à sa troupe de coupe-jarrets, eux qui avaient criaient son nom à en perdre la voix. Voilà qu'ils faisaient les frais de la méchanceté de leur héros. Populaire, il l'était toujours, indéniablement il est sûr. Mais ses méthodes furent de plus en plus reconnues et notées à l'étranger pour ce qu'elles étaient, et qui donnaient à Volterra non pas les airs d'une République libertarienne, mais d'une kleptocratie, sur tous les points.
Il n'y avait point d'autres mots: c'était moins un gouvernement qu'une bande organisée de mercenaires et de voyous qui dirigeait la ville. Salvatore Lograno n'avait certes pas officiellement mis fin aux institutions, il fut plus subtil que cela: non, il est a rendu inutiles, comme c'était là le but des manœuvres de l'un de ses modèles velsniens, le mal nommé Scaela le magnifique. La petite oligarchie de grands propriétaires qui régnait sur la ville fut laissée dans ses prérogatives, et elle avait même le luxe de voter quelques petites choses: entretien des routes et des lieux publics, gestion d'un budget, même entériner des lois...mais dans les faits, il pouvaient subir le véto du chef des voyous quand bon lui semblait, et quand il le désirait. Salvatore Lograno avait laissé intact les vieilles institutions, tout en érigeant un véritable état dans l'état. Si un conseil municipal il existait encore, il était totalement sous sa coupe et son bon désir, et il avait interdit toute forme d'intercession entre ce gouvernement légal, et la force armée de la ville qu'il avait tout bonnement fait dissoudre au profit de sa troupe de mercenaires. Ainsi, Volterra était la première cité fortunéenne, à être techniquement dépourvue de la moindre armée légale, car celle-ci avait été remplacée par la force personnelle de Lograno. Et cette force, parlons en...
Force...mais on aurait pu aussi la nommer "troupe", "bande", "gang" constitué de tous les pires voyous et soudards que les guerres dans le monde fortunéen avaient pu produire jusqu'alors. Son armée n'avait pas de nation, et ses soldats était de toutes les patries possibles et imaginables. Du monde fortunéen civilisé comme des nations barbares, des plus fréquentables aux plus infames. Dans leurs quartiers, qu'ils avaient volé aux habitants de Volterra, on y parlait le velsnien comme l'achosien, le fortunéen d'Apamée comme celui de la cité-mère, le tanskien comme le rimaurien. C'était là une association des plus grands margoulins que la Terre eut portée. Et ils avaient pris le contrôle d'une cité millénaire, et pas n'importe laquelle; la deuxième plus grande et peuplée de la Dodécapole, si l'on ne prenait pas compte de Velsna.
Dans le reste de la Dodécapole, on hésitait, on ne savait pas comment parler à cet individu qui sortait tant du lot, qui n'était ni un homme de noble naissance ou de nobles intentions. Il n'avait alors eu que des mots et des discours, pas des actes: il parlait de transformer profondément la Dodécapole, en une autre chose qu'une simple entité brouillonne aux yeux du reste du monde. Il rêvait grand, car cet homme aux grands rêves était à la tête d'un petit royaume. Il gouvernait Volterra, mais la méprisait tout autant. Tout n'était pour lui qu'un ensemble d'outils vers une destinée bien plus grande que celle vers laquelle il se dirigeait à l'origine. Cet aenir injuste qu'on lui prédestinait dans les ruelles de cette petite ville pathétique dans laquelle il est revenu pour y jeter les bases de ce qu'il veut: un Empire. Plus grand qu'Apamée, plus grand que Fortuna, plus grand que Velsna...un Empire à l'échelle du monde fortunéen tout entier, pus grand que toutes ces cités n'en ont jamais rêvé. Et pour cela, gouverner ce trou ne suffisait pas, il fallait quitter ces rivages par tous les moyens possibles.
Libertarien dans la théorie, kleptocrate dans les faits, Lograno déposséda de gré ou de force les propriétaires de manufactures, d'entreprises et d'usines afin d'y nommer ses proches aux plus hautes fonctions. Il remplaça simplement une aristocratie qui ne le reconnaissait pas par une nouvelle élite, entièrement soumise à sa volonté.
C'était là son mantra, ce qui le faisait tenir. Pourquoi ? A quelle fin ? A l'heure actuelle, tout le monde l'ignorer, si ce n'était ses proches, et des proches, il en avait peu, très peu, et ils étaient exclusivement dans la troupe d'aventuriers sans terre et de voyous qui constituaient son armée privée avec laquelle il faisait peser la terreur sur les habitants...L'un de ses seconds, le lieutenant Pizzonia, était de ceux là. Le visage dur, le regard impassible, il était de la trempe de son chef, et comme tous les autres, l'estimait comme Dame Fortune elle même. Salvatore Lograno avait ce charisme, cet air impérieux qui pouvait convaincre n'importe qui le suivre. Pizzonia avait été de tous les larçins et de toutes les escroqueries. Il exécutait toujours les travaux les plus infâmes de l'homme, car l ne fallait, en aucune circonstance que l'on rapproche ce dernier du crime: le protecteur de Volterra soignait son "image", si jamais il en eut une un jour. Il était de ceux qui connaissait le mieux les désirs et les ambitions de Lograno, et il pouvait déjà tirer des conclusions des évènements à venir: les cités de la Dodécapole auraient le choix entre l'alliance, et la violence. Cette même violence que l'ancienne élite de Volterra a fait les frais, aux mains de cette milice de mercenaires. Mais cette détermination à la tâche, cette ambition...pour le moment, les autres membres de la Docécapole n'en prenaient pas la mesure, si ce n'est l'hégémon Agricola, avec qui il avait eu une conversation des plus éclairantes lors des jeux confédéraux. Mais même là, son discours avait semblé celui d'un possédé, aux contours flous, et dont on ne savait pas si il était véritablement porteur de consistance au delà des menaces à peine voilées.

Le Condotierre Pizzonia, bras droit cryptobro de Lograno
Il y a les déclarations d'intentions, et il y a des actes. Au grand malheur du reste de la Dodécapole, leurs habitants allaient apprendre que les déclarations de Salvatore Lograno sont toujours suivies d'actes. L'homme se donne toujours le moyen de ses ambitions. Il faut tout réussir, et tout le temps. L'armée de Lograno, n’était pas qu'une simple troupe de coupes-jarrets avinés: c'était devenu une véritable armée de plusieurs milliers d'hommes, organisée, bien équipée, et surtout...fidèle aux convictions de leur chef. Une armée de véritables individualistes, une armée de l'égoisme, du pillage organisé et du crime. Lograno possédait, de plus, le critère de légitimité le plus important aux yeux d'hommes comme ceux là: la théologie de la victoire, la conviction que l'homme qu'ils suivent ferait la même chose que eux feraient, qu'il s'exposerait aux mêmes dangers. Car Lograno fut peut-être un homme mauvais, mesquin, vil, un assassin...mais on ne pu jamais contester son courage, et les velsniens l'admiraient timidement pour cela. Ses hommes, qu'il appelait "mes frères" étaient les gardiens de son égoïsme: des pillards de biens, mais également de capitaux numériques, à tel point qu'on les nomma bientôt "les crytpobros".
Mais avoir une armée ne suffisait pas. Celle ci ne pourrait traverser la mer en bouée, afin d'accomplir son office. Apamée n'allait pas de conquérir avec des bateaux de pêche, Adria n'allait pas perdre son canal sans une action navale, pas plus que le reste de la Dodécapole allait se soumettre à un prince sans frégate. Salvatore Lograno a besoin d'une armada, alors il la trouvera, quoi qu'il en coûte, que ce soit en argent, en parole ou en gages. C'est ainsi qu'il en eut l'idée: si il n'avait point de flotte, alors, il en ferait venir une à elle. Ses hommes écumeraient les eaux de la Manche blanche, de la Leucytalée, et plus loin s'il le faut, pour trouver les meilleurs navires et les meilleurs équipages à qui confier une lettre de marque, moyennant argent et armes. Une flotte de corsaires et de flingues à louer...
Il entra tout d'abord en contact avec des capitaines indépendants de la Dodécapole, puis des contacts velsniens, strombolains, fortunéens et landrins...puis icamiens et wanmiriens...il fallait trouver du monde, coûte que coûte, afin de réaliser le rêve...le doux rêve. Ainsi commencèrent les efforts de Volterra pour se doter d'une flotte. Les chantiers navals furent restaurés, les installations portuaires furent ouvertes au tout venant, du moment qu'ils réussissaient à négocier une lettre de marque, et on entendit de nouveau les fonderies des arsenaux de la cité, qui s'ouvrirent pour servir un seul homme.
Posté le : 20 jui. 2025 à 17:49:41
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(Gina Di Grassi, 2017)
Qu'ils étaient beaux, qu'ils étaient brillants, qu'ils étaient étincelants, les défenseurs de la cité d'Adria. De bons citoyens: dévoués et vigoureux à la tâche. On savait Adria forte de ses monuments et de ses institutions, mais on la sait moins guerrière, moins agressive que beaucoup de ses consœurs. Elle n'en avait jamais vraiment eu besoin, pas depuis des centaines d'années. Même au sein de la Dodécapole, dirigée de fait par un hégémon velsnien, elle n'était que rarement contributrice de la paix et de la guerre. Les affaires temporelles de la guerre n'intéressaient que peu ses élites, qui depuis tout ce temps, s'étaient habitués au fait que la cité ne jouais plus aucun rôle militaire. Il y avait bien une milice locale, une petite armée citoyenne d'à peine 1 000 hommes, dont le rôle central fut de surveiller les allées et venues du Grand Canal d'Adria, mais une petite troupe de citoyens en armes. La ville était la plus orientale de la Dodécapole: isolée et dort éloignée du cœur de la confédération, en Manche Blanche centrale. Et pourtant, l'or sur ses toits, l'opulence de cette ville était chose à surveiller, car si Volterra la dépassait en nombre, Adria faisait figure de second inattendu dans le déploiement de sa fortune et de sa richesse. Elle était un haut lieu universitaire, doublé d'un lieu de passage, et faisait figure de place bancaire notable. Cette prospérité était autrefois garantie par la protection du Pharois, bien davantage que par Velsna qui était pourtant à la tête de la confédération, et gare à celui ou celle qui s'avisait de toucher les protégés des goujats des mers.
Ce temps, hélas, était terminé, et les nuages s'accumulaient à l'horizon. Cette fois ci, ce n'était pas une menace extérieure qui était en cause: le problème venait tout droit du cœur de la Dodécapole Fortunéenne. Le problème avait un nom et un visage, que la doyenne des universités, Marina Moretti, avait vu de ses yeux pour la première fois lors des jeux confédéraux. Ce qui devait être une grande fête, célébrant l'union et la concorde des cités s'est révélée être une illusion qui n'a tenue que les deux jours des épreuves, jusqu'à la venue...de l'autre, celui qui avait le visage de la malice. Apaméens, velsniens et adriens avaient pu assister à la pitoyable mise en scène du "cryptobro des cryptobros", à ses faux sourires, à ses histoires à dormir debout.
La doyenne Moretti, parmi tous les membres des délégations, fut la première à pointer du doigt ce facteur d'instabilité nouveau qu'était l'homme qui avait paradé devant elle, avec moult cadeaux empoisonnés trois jours durant. Bien plus alerte que les appaméens ou les velsniens à ce sujet, elle l'était indéniablement. Si elle tenait en estime l'hégémon Agricola et le corps civique d'Apamée, elle avait été quelque peu déçue par le manque de réaction de ceux-ci à l'occasion de cette démonstration de pouvoir dont cet homme s'était gaussé devant tout le monde. Le vieux Pisistrati, le père de la démocratie apaméenne, lui avait paru vieilli, passif et bien trop à l'écoute de cet escroc. C'était presque à en croire que tout le monde avait oublié la façon dont le "prince de la crypto" était arrivé au pouvoir à Volterra: par la subversion, le pillage et le meurtre. Cela, et à sa grande surprise, personne ne lui a dit: aucun magistrat apaméen n'avait pipé mot. Quant à l'hégémon court sur pattes, il avait donné de lui l'image d'un homme qui ne savait pas dans quoi il s'embarquait. Quant bien même je connais Adolfino Agricola, j'appris moi même qu'il ne fit pas grande impression, et qu'il figura aux jeux confédéraux, fort chahuté par sa rencontre nocturne avec celui qui fut le catalyseur de toutes les inquiétudes.
Pour Marina Moretti cependant, cette rencontre avait fait figure d'une révélation: en cas de conflit interne à la Dodécapole, il y avait peu de chances que l'hégémon, dont le rôle est de la défendre des menaces étrangères uniquement, ne puisse faire quoi que ce soit. Et celui-ci n'avait pas donné l'image d'une personne souhaitant faire changer ce rôle traditionnel. Il fallait donc prendre des mesures propres à ses intérêts, à défaut de disposer d'individus capables de le faire à sa place. Le bruit enflait et couvait dans toute la confédération des petites cités-états: Salvatore Lograno ne resterait pas assis sur ses acquis, et il préparait d'ores et déjà à faire venir en sa cité, toute la lie de la Terre, des pays barbares du Nazum jusqu'au monde fortunéen. Volterra s'armait, ce qu'elle n'avait pas fait depuis des décennies. Apamée commençait à peine, elle, mais ce fut suffisant pour convaincre la doyenne de faire de même. Le remilitarisation progressive des cités-états de la Dodacapole, sans nul doute, était un phénomène inouï et sans commun évènement dans l'Histoire récente. Et il fallait remonter beaucoup plus loin pour retrouver pareille occurrence.
Car oui, cela faisait fort longtemps que Velsna faisait la police au sein de la Confédération, qu'elle avait le monopole de la violence sur la mer, quoique non entériné par la loi mais plutôt par les faits, tandis que sur terre, la plupart des cités n'en disposaient que dans le meilleur des cas, de leurs traditionnelles milices, amplement suffisantes pour faire régner l'ordre sur des territoires restreints. Et cela a suffit tout ce temps, car d'enjeux liés à la guerre, la Dodécapole n'en avait plus. Mais Salvatore Lograno a tout chamboulé: il a rappelé à toutes les cités à quel point elles étaient vulnérables. A quel point il avait été aisé pour cet homme de rien de s'emparer de toute une ville, par des moyens fallacieux. La donne avait changée, et cela, Moretti avait été la première à le sentir. Il le fallait, c'était une nécessité: des armes et des soldats pour les tenir, le besoin était impérieux. Il faudrait bien plus que la milice communale pour arrêter un nouveau Lograno, ou même celui-ci, si il avait bien dans l'idée de renverser la table de la Dodécapole.
C'est ainsi que le Directoire des universités d'Adria, prit le 12 février, une décision inédite: la reformation du "bataillon sacré", un nom sonnant comme venant du fond des âges. Adria, en effet, n'a pas toujours été sans défense. Jusqu'à la prise de contrôle de la Dodécapole par Velsna, elle disposait de ses propres traditions militaires, de ses propres coutumes gagnées par les armes. Avant que Velsna ne se pose en protectrice, il y eu une armée adrienne, et dont l'un des corps constitués fut ce que l'on nomma "le bataillon sacré". Pas une simple milice, ni une troupe de mercenaires, mais un régiment, formé à la façon des fortunéens, dans une rigueur et une discipline remarquable: entièrement dévouée à la défense de la ville, et entièrement dévoué. Non, l’erreur de Volterra de convoquer en ses murs l'origine du mal ne sera pas reproduite par Adria. Si la cité doit se défendre, elle le fera avec ses enfants, pas des étrangers qui pilleront la ville dés qu'ils en verront l'avantage.
L'idée du bataillon sacré, fait surface d'un monde vieux de sept siècles, un régiment au sein duquel les gens les plus notables de la cité y envoyait leurs enfants, pour y constituer le dernier rempart de la cité en cas de la plus grande des crises. On dit ainsi cela d'eux, dans les récits de Lazziano Di Canossa, historien parmi le historiens:
Bien entendu, c'était là un ancien récit que je ne fais que rapporter. La guerre a bien changée, mais ce que recherchait Marina Moretti n'était pas tant la formation et la condition de ses soldats, mais l'esprit qui allait de pair avec. Ce bataillon sacré présent devrait se conformer aux réalités du monde, et son recrutement serait bien plus large qu'il ne le fut. Toutefois, il fallait bien davantage que toute la bonne volonté du monde pour équiper cette force. Cela faisant bien longtemps que la cité d'Adria n'était plus pourvoyeuse de sa propre défense, qu'elle ne produisait plus rien de ce qui la protégeait: il fallait alors repartir de zéro. Ainsi, en désespoir de cause, Moretti ne pouvait se tourner que vers des alternatives menues. Si l'expertise de la manufacture manquait cruellement à la cité, d'argent il fallait dire que la cité n'en disposait pas tant qu'il n'y paraissait, car son gouvernement le dépensait bien largement ailleurs, et que tous ses membres n'eurent pas la sagacité de Moretti quant à la menace que fut le prince de la crypto. Acheter à l'étranger fut donc hors de question tant les prix s'étaient envolés. Quant au recours à Velsna, la doyenne voulait l'éviter à tout prix, car elle savait qu'une dette envers la cité sur l'eau ne s'effaçait jamais vraiment: elle avait encore l'illusion, la douce illusion qu'Adria pouvait peser seule. Aussi, il n'y avait que les hommes et les femmes de la Fabrique d'armes de la cité d'Apamée: le moulin à balles. Si il fallait payer ces parleurs qu'étaient les apaméens, et si ceux-ci prenaient tant à la légère la montée en puissance d'un Lograno, alors, elle le ferait à leur place...
Posté le : 09 août 2025 à 19:51:50
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Gina Di Grassi (Avril 2017)

Aucune cité fortunéenne, qu'elle soit velsnienne ou dodécaliote n'est éloignée de la mer de plus de 250 kilomètres. La mer est le plus grand de tous les dieux, et le plus beau des éléments. Bleue, verte ou noire, elle n'a jamais trompé nos sens, nous qui la comprenons comme on aurait le don de parler à une sœur ou une mère conciliante. L'eau ne nous permet pas seulement de survivre, elle n'irrigue pas seulement notre corps, elle fait vivre tout ce microcosme que nous avons construit de rien. Velsna, Umbra, Strombola, Apamée, Adria, Volterra...nulle d'entre nous ne peut survivre sans elle, elle qui a fait notre richesse et notre opulence, elle qui nous a donné nos plus belles victoires. Nul doute: Dame Fortune, qui nous guide sur les flotes a contribué bien à sa hauteur de nos succès contre le pays des achosiens, en des temps reculés. Le jour où la mer cessera de nous sourire, ce sera alors la fin de notre ville. Il n'est pas pour rien que lorsque les mercenaires de l’expédition des 10 000 eurent rentrer de Teyla sur les genoux et sur les mains, là encore dans des temps anciens, ceux-ci se soient écrié à l'unisson "Talhassa !": car depuis tous les points de l'océan, la mer peut nous emmener chez nous. L'eau est rassurante, et elle nous évoque instinctivement la chaleur du foyer, et notre maison.
Cette eau, elle entour tout aussi bien le reste de la Dodécapole que Velsna, et elle a dans ces contrées le même sens que dans la nôtre....mais également le même enjeu. Importante pour leur survie, tout autant que pour la notre, ce qui ne va pas sans les caprices et les soucis qui s'imposent à ces cités, dans des mesures moindres que nous autres, disons le nous. La plupart des cités fortunéennes de la Manche Blanche, Velsna incluse, ont été sciemment implantées sur des presqu'îles et de petites péninsules, à la façon des petits comptoirs commerciaux que la plupart étaient, et qui ont grandit en attirant à la fois gens de la cité mère et gens des régions avoisinantes. Hormis Velsna, aucune d'entre elle n'a développée un arrière pays, ce qui les rendait d'autant plus dépendantes de la mer. Ainsi, les cités de Dodécapole se sont toujours écharpées sur le contrôle des routes commerciales de leurs environs directs. La naissance de l'ère des grands états nations les a quelque peu laissé dans l'ombre, si bien que peu se souviennent aujourd'hui de leur caractère erratique et prompt à la bataille dés lors que leurs affaires sont menacées. Toujours, les considérations militaires suivent les considérations commerciales et marchandes. Et la situation dans laquelle était fichée la confédération ne laissait point de doute sur cette réalité: les cités s'armèrent pour faire la guerre.
Le délitement progressif de l'autorité de l'hégémon Adolfino Agricola, qui s'est accompagné de l'annonce de son départ prochain de la présente fonction fut un accélérateur d'un phénomène auquel tous s'attendaient. Car il ne faut point parler d'une flotte lorsqu'on évoque la Dodécapole, mais d'une multitude. Toutes les cités ont un passé lié à la mer, et font grands contes de leurs exploits. Par le passé, Apamaée a tenu tête aux velsniens, au lendemain des guerres celtiques. Adria a défendu son détroit contre les pirates...mais l'éveil des états nations il y a deux siècles de cela, a plongé ces entités dans une grande torpeur, et toutes, de la plus petite à la plus grande, ont fini par déléguer leur défense côtière à la cité velsnienne, qui également est devenue quasiment la seule contributrice à la flotte de maintien de l'ordre de l'hégémon de la Dodécapole. Seulement voilà..les temps ont changé, et l'annonce de l'hégémon Agricola a fort perturbé les cités, qui se sont souvenues qu'il était parfois bien de disposer de sa propre souveraineté sur les eaux. Velsna ne sera pas toujours là, et il suffit d'un instant de faiblesse momentanée pour qu'un ambitieux bouscule un équilibre séculaire, et c'est exactement ce que Salvatore Lograno inspire. Quant à la flotte de l'hégémon, elle n'est là en théorie, que pour se charger des étrangers, et laisser les cités dodécaliotes à leurs querelles. Sa fonction impose une forme de neutralité, une interdiction de s’immiscer dans ce qui ne le regarde pas, au risque d'être taxé de tyrannie: le pire des crimes, la plus grande des ignominies.
Aussi, on assiste là à une dynamique préoccupante depuis plusieurs semaines: les arsenaux se remettent lentement en état de marche, les chantiers navals sont réorganisés, pas seulement dans la principauté de Lograno, mais dans toute la Dodécapole: de la théocratie de Cortonna au canal d'Adria, en passant par les installations du Grand Port de Santa Regina d'Apamée. Les carnets de commandes sont remplis, et pas seulement pour les cités, car au même moment, Velsna fait face à un pic de production similaire, qui la pousse à vendre à l'étranger d'anciens modèles, chose rare, car d'ordinaire, même les plus anciens vaisseaux trouvent leur place dans la Marineria. Une nouvelle qui tombe à pic pour tous les acteurs de la Dodécapole, qui tenteront probablement de s'arracher ce matériel.
Il est probable que la cité d'Apamée s'en saisisse de quelques uns, peut-être également la cité d'Adria et quelques autres, mais le grand évènement de cette séaucne demeurera sans doute le réarmement de la flotte de l'hégémon, qui n'était plus considérée que comme une simple force de parade anachronique, car il fallait bien le dire: Adolfino Agricola n'avait jusque là le titre de protecteur que le nom. Il fallu donc attendre la multitude de ses plaintes, et son découragement qui s'ensuivit, et qui mena à son annonce annonciatrice de tout le malheur à venir, pour que la cité velsnienne prenne un acte fort, très probablement pour convaincre Agricola de s'accrocher encore un peu à son poste. La carotte arrivait légèrement trop tard, mais sous une forme bien alléchante: huit patrouilleurs, auparavant affectés à la Classis I de la côté velsnienne, passant ainsi sous le commandement. Le Sénat velsnien ordonna ainsi le 14 avril 2017 la création de la Classis VII Dodécalopolis, une forme autonome de son propre gouvernement ne répondant qu'à l'hégémon, mais pour être honnête... seul le temps nous aurait dit à cet instant si cela eut été une bonne chose, que se confier tant de pouvoir à un homme en train de le perdre. Si le don des cités était la principale source par laquelle l'hégémon faisait l'acquisition, celui-ci n'avait fait l'objet de telles largesses depuis bien longtemps, et peu doutaient qu'il n'y avait aucun lien avec les troubles au devant desquels nous nous dirigions alors.
Ces troubles, même les plus petites cités les sentaient venir, aussi sûrement que l'on sentait en tous points de la Manche Blanche, la brise marine caressant les joues et léchant les cheveux de tous les enfants de Fortuna. Le savoir faire, quand il n'est pas exploité, se perd comme autant de récoltes que l'on oublie de moissonner, et de champs qui tombent en friche. Les arsenaux d'Apamée, de Volterra et d'Adria étaient à plein régime, mais on ne reconstruit pas une flotte en une nuit, et il fallait donc faire reposer son destin sur les épaules du plus offrant qui serait en capacité de palier à ce manque. De toutes parts, on commençait à voir poindre le bout de leur nez des capitaines, des vaisseaux étrangers voguant sous pavillon de telle cité: la Dodécapole était sur le point de devenir une terre propice au mercenariat, mais également à la guerre de course. Ce serait le duel des audacieux, des esprits libres fendant les vagues...un air de déjà vu dans des eaux autrefois dominées par des corsaires et des pirates légendaires. Le temps des pharosi n'était pas si loin... encore en 2014, la ville d'Adria s'acquittait tribut à leur égard. La guerre informelle et le pillage en règle ont toujours figuré dans le langage de ces petites entités territoriales belliqueuses composant cette fédération lâche: Apamée, Volterra et Adria souvent sur la défensive, et toutes les autres autour...attendant qu'une cargaison arrive au mauvais endroit et au mauvais moment.
Le vent se lève sur la Dodécapole, et les richesses attendent avec patiente ceux qui seront assez audacieux pour s'en emparer...
HRP:
Effets:
- L'hégémon de la Dodécapole se voit livrer huit patrouilleurs, formant l'esquisse d'une flotte fédérale renouvelée.
- Adria, Volterra et Apamée acquièrent chacune deux patrouilleurs par des moyens détournés (échange d'armes entre Apamaée et Velsna).
- Les cités de la Dodécapole débutent une production de navires et amorcent une guerre de course de façon officieuse. Le recrutement de corsaires est ouvert.
Posté le : 30 sep. 2025 à 18:37:59
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Gina Di Grassi (Septembre 2017)

"Que l'amour soit maudit, car il nous détourne du reste de l'univers. Des choses de la politique comme de la vie, des choses de la paix et de la guerre. Maudit soit l'amour, car c'est là chose bien trop belle à ressentir, qui fait paraître tous les autres fruits bien fades, et rend le reste de notre existence futile. Que je regrette d'aimer.". Pietro Balbo, le grand Pietro Balbo, depuis le fond des âges, nous rappelle sans cesse la justesse des choses. Lui qui vivait il y a près de 800 ans, sa langue est toujours aussi acérée, et ses mots raisonnent encore dans l'enceinte des nobles sénateurs. Pietro Balbo, toi qui a vaincu les achosiens aux Grandes plaines, toi qui a tant sacrifié pour finalement être vaincu par ce sentiment si simple, un ennemi si doux.
Nous célébrons l'amour à chacune de nos festivités, l'amour de notre cité et de nos proches à chaque fête de San Stefano qui clôt la fin de l'année, l'amour de nos amis et des choses simples de l'alcool et des jeux. L'amour est toujours la chose la plus facile à aborder avec les étrangers, avec le rire et le désir, sans doute, thématique universelle qui a fait la renommée des plus grandes histoires. Aussi, c'est non sans fascination pour celle de la Dodécapole que j'eu à ajouter celle-ci à mon récit, qui se construisait progressivement devant mes yeux, mes yeux grands ouverts comme des lanternes.
Tout d'abord, lecteur, je puis te décrire en premier lieu le point de vue de ces yeux que sont les miens. C'est là le témoignage limité de ma personne, qui ne suis guère omnisciente. Mais je puis dire que ce jour du 17 septembre 2017, l'air changea d'odeur, et le ciel changea de couleur. Adria était encore plus belle qu'à l'accoutumée, et nous nous apprêtions, avec les braves enfants d'Achosie du Nord que nous étions, à partir pour la guerre, pour la cité de Cortonna. Je me souviens encore de la moiteur de cet air sur les quais, car c'est là que je vis poindre à l'horizon des navires. Ils étaient grands, très grands, et on cru reconnaître l'étendard du soleil rouge au loin, le soleil de l'hégémon de la Dodécapole. L'étonnement était le même chez mon commandant illustre, Mardonios, qu'il l'était pour moi, et il vint entre nous toutes les questions auxquelles nous pourrions penser: que diable l'hégémon, lui qui depuis des mois était muré dans le silence, venait faire aux confins orientaux de la Dodécapole ? Lui qui était à quai depuis tout ce temps, qui voyageait de ville en ville pour se quérir des dernières pensées de ses anciens protégés, lui qui s'apprêtait à les quitter pour les rivages achosiens, qu'il avait choisi aux dépens de tous les autres.
Sa dernière venue remontait à moins d'un an, peu après les jeux confédéraux de Dame Fortune, où ce dernier avait rencontré Marina Moretti, la gardienne d'Adria, pour la première fois. Ses navires s'arrimèrent, et en sorti devant mes yeux son excellence, le Sénateur Adolfino Agricola, Hégémon démissionnaire de la Dodécapole. Lui que l'on pensait en retrait et en attente de trouver un successeur à sa fonction...lui se tenait là, tout fier devant nous. Il vint à mon commandant et le salua noblement. C'était la première fois depuis la Guerre des Trumvirs que je le vis de si près, lui qui avait combattu bravement pour mon excellence père. Il tait courtaud, les cheveux frisés, d'un noir de jais, mais bien avenant. Il me reconnu, s'inclina et m'embrassa la main droite, avant d'expliquer les raisons de sa venue, celle d'une simple visite de courtoisie à l'attention de son excellence Doyenne, Marina Moretti. Nous l'avons donc escorté jusqu'au bâtiment du Rectorat, où elle tenait réunion. Adolfino Agricola, que je pensais si sage, était au pas pressé, et refusa d'attendre la fin de la réunion des doyens d'Adria. Malgré nos protestations, il fit irruption dans la salle et informa à tous de sa présence. Il aperçu son excellence Moretti, et c'est à cet instant que je le vis: le maudit amour, et le maudit désir. La séance fut écourtée, sans que Moretti ne proteste d'un mot, puis, on nous dit de nous retirer. Durant trois jours, le Sénateur Agricola est resté à Adria, car nous l'avons accompagné à plusieurs cérémonies publiques, jeux et festivités en l'honneur de Dame Fortune. Toujours il resta en compagnie de la Doyenne, et on ne le vit pas pressé de partir. Au bout du troisième jour, il fut temps de dire adieu à Adria, et la flotte de l'Hégémon reparti. Mais car les temps étaient aux changements, et parce que son excellence Agricola était peut-être rongée par autre chose, elle revint finalement deux jours plus tard, pour y rester définitivement.
Cela est tout ce que mes yeux peuvent dire, mais je puis vous dire également ce que les autres hommes et femmes, plus importants que moi, ont pu en dire. L'Hégémon Agricola avait déserté sa propre fonction avant sa fin effective. Tout comme il avait renoncé à sa fonction de Stratège militaire d'Achosie du Nord, pour laquelle il voulu pourtant quitter la Dodécapole en premier lieu. Il avait fui pour les bras de la Doyenne Moretti, qui le prit en étreinte. Scandale et ignominie de voir un sénateur velsnien déserter sa propre patrie, avec une bonne part de sa flotte qui plus est. Au nom de l'amour (mais probablement de la politique également), il abandonna donc les siens et les promesses de pouvoir dans l'occident velsnien, pour faire basculer toute la Dodécapole dans le domaine de l'incertain. Cette flotte qu'il commandait, ce n'était pas la sienne, c'était celle de toutes les cités coalisées de la confédération. Toutes ces villes dont les déserteurs faisaient affront aux leurs par leur absence. Partir ainsi, avec plusieurs patrouilleurs, corvettes et frégates, emportant nombre de fortunéens du nord dans une aventure douteuse et piégeuse. C'était plus désormais là une flotte confédérale, mais une flotte de brigands et d'hors la loi. Moi qui pensais son excellence Agricola commandant soumis, j'eus raison. Mais je m'étais trompé sur l'identité de son maître, ou de sa maîtresse, en l'occurence.
Velsna, Apamée, Volterra et toutes les cités, chaque navire volé était là un affront impardonnable fait à leur nom et à leur prestance. J'eus entendu depuis l'autre bout de la Manche Blanche, le Sénat velsnien hurler et appeler à la trahison. L'assemblée des citoyens d'Apamée mugir et gronder. Le maître de Volterra médire et lorgner davantage sur le titre d'hégémon. Adolfino Agricola, était devenu en l'espace de trois jours un personnage maudit par son engagement, maudit par le Sénat des Mille des sages velsniens, car il déshonorait la patrie. Maudit par les autres dodécaliotes, car il les avait volé, et avait rapporté le tout à la dame d'Adria.
Les volterrans et les apaméens, n'avaient pas le temps, pour l'heure de se pencher sur la question, car ils étaient avec leurs propres batailles. Mais la désertion d'Agricola leur avait fait braqué les yeux sur la cité d'Adria, et les avait rappelé à son existence. Que celle ci avait son rôle a jouer, et que la Doyenne Moretti, que l'on soupçonna un temps de mollesse, avait déployé son jeu. Que Volterra et Apamée s'entredéchirent, c'était là une manœuvre gagnante dans toutes les issues pour Marina Moretti. Elle avait rapporté dans sa couche, et en compagnie d'Adolfino Aricola le tiers de la flotte confédérale.
J'entendis plus tard, que le Sénat de Velsna s'était réuni en urgence, pour dégrader Adolfino Agricola de son titre de sénateur, et le décréter ennemi de la République. Au grand détriment de la faction de son excellence mon père, qui lui avait confiance, car il avait été brave face au tyran Scaela en son temps. De tous les hommes, son excellence Matteo Di Grassi fut l'un des plus affectés par son acte, car il était davantage fils que confrère pour lui, et qu'il ne supporta jamais que l'on trahisse sa confiance, et son affection. Adolfino Agricola ne serait jamais un personnage illustre. Son courage ne serait jamais reconnu. Il ne serait jamais promis à la gloire du commandement en Achosie. Il n'en avait que faire, car il avait choisi l'amour.
Effets:
- Si Adolfino Agricola se considère toujours hégémon de la Dodécapole, il n'est plus reconnu comme tel par la plupart des cités de la confédération, Velsna en premier.
- D'ici quelques jours, Adolfino Agricola devrait, sauf retournement miraculeux, être déchu de tous ses commandements par le Sénat velsnien, et décrété "ennemi de la République et du peuple velsnien".
- La flotte confédérale, la "Classis VII Dodecapolis" est dissoute de fait: Agricola conserve le tiers de la flotte qu'il adjoint à la cité d'Adria, tandis que les autres navires dont les capitaines ont refusé de le suivre retournent à leurs cités respectives.
- Un congrès dodécaliote devrait être convoqué après la fin de l'Acte I de l'intrigue pour désigner un nouvel hégémon, et déterminer la conduite à suivre à l'égard d'Adolfino Agricola et d'Adria.
- Les relations entre Adria et les cités de Volterra et d'Apamée sont désormais épouvantables.
Bonus:

Average historien velsnien à propos de l'évènement
Posté le : 14 oct. 2025 à 20:58:43
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Gina Di Grassi (Octobre 2017)

L'océan s'agite. Les vagues enflent. C'est comme un chant, un sifflement qui bourdonne au loin, et qui ne cesse jamais. Le tempo varie au rythme des vagues. On dit que les anciens pensaient que Dame Fortune leur parlait par cet intermédiaire, il faut "faire chanter la mer". C'est elle qui nous apporte notre fortune et nos biens, et lorsque celle ci ne nous les ramène pas, elle nous permet de les atteindre au moyen de navire, de s'en emparer avant de repartir chez nous.
De nos jours, il n'est guère plus que quelques croyances éparses, davantage des réflexes pavloviens, des habitudes davantage que des rîtes, pour faire rappeler au monde l'importance de Fortuna dans nos existences. Le temps passe, et les croyances aussi, elles cèdent la place au folklore, qui cède ensuite sa place à l'oubli. Mais il y avait toujours des hommes, de ma connaissance même, qui redoutaient encore les colères de la fortune, qui lui attribuaient leurs victoires et leurs échecs, et recueillaient leurs espoirs.
Beaucoup d'hommes de la République et des cités fortunéennes pensaient ainsi: il n'y a guère de bon ou de mauvais camp, car Dame Fortune décide du vainqueur et du perdant. Seul le plus malin, le plus prévoyant et parfois le plus retord décide du camp de la vertu à posteriori des évènements. Voilà donc pourquoi nous n'accordons que peu d'honneurs à la cause des perdants, car leur situation reflète la volonté de Dame Fortune.
De telles croyances étaient encore vivaces parmi les soldats, parmi l'élite des petites campagnes et de province. Elles faisaient part intégrante de la compétition aristocratique, et "régulait" en quelque sorte les ambitions de chacun, car Dam Fortune punit l'echec aussi sévèrement que ses récompenses sont grandes. Peu osent la défier. Mais lorsque cela se produit, cela n'est le fruit que d'hommes et de femmes d'exception, celles et ceux que notre République craint, car ce sont là les individus les plus incontrôlables seulement qui peuvent la défier, les mêmes qui défient nos institutions. Ceux là, alternativement, on les traite de fou ou de génie, mais il n'y a guère d'entre deux entre ces deux conditions. C'est exactement de cette race que la personne de Salvatore Lograno se tient.
Toi, lecteur, toi qui connait la réputation de l'Homme, tu sais de lui qu'il est aventurier, escroc et charlatan. Tu sais qu'il est la foi investisseur et voleur, qu'il est beau parleur et tueur avec un couteau dans le dos. A la vérité, Salvatore Lograno était par bien des choses tout ce que Dino Scaela avait toujours voulu être, en son profond. Dino Scaela a perdu la faveur de Dame Fortune car il était noyé dans ses propres obsessions et des névroses: il était si proche de rétablir le règne de Léandre, si proche qu'il en perdait la notion de la réalité de la condition des Hommes. Il idéalisait un passé qui n'existait plus, qui n'avait peut-être jamais existé. Il se parait dans de la soie et des bijoux, et imitait nos anciens avec autant de drôlerie qu'un vulgaire macaque pourrait le faire. Il fétichisait, avec une ardeur plus grande même que les garants des institutions qu'il condamnait. Certains kah tanais auraient dit de lui qu'il était un paradoxe, pour le peu que j'estime leur philosophie pompeuse et déterministe.
Salvatore Lograno était d'une toute autre race, il en était certain de cela, malgré son admiration de Scaela. Lograno était lucide, malgré ses apparences, lucide par rapport aux attentes des hommes et des femmes de son entourage. Il lisait dans les yeux de ses interlocuteurs comme dans un un livre ouvert, il estimait leurs désirs, et il leur proposait que tous ceux ci se réalisent en échange de la fidélité. C'était là une chose que le traître Scaela n'eut jamais conçu: la réalisation que la vision que nous donne Dame Fortune de l'avenir ne concerne que nous, et que nous ne la partageons pas tous. Fortuna a vaincue Scaela, car il a été aveuglé. Lorgano, lui, était persuadé de toujours voir clair, d'avoir une vision périphérique des choses, du dehors. L'apparence de Scaela était son être, l'apparence de Lograno était sa coquille.
On pouvait croire que Salvatore Lograno n'était pas un homme un pieux, qu'il n'était qu'un amateur de tout ce qui brille, un amasseur compulsif, un ancien mercenaire sous stimulants. Il était grand tort à celui qui sous-estimait l'homme, ce que j'ai toujours affirmé sans la moindre réserve. Indigne il était, idiot il n'était pas, et profonde étaient ses pensées. Lograno était pieux, tant et si bien qu'il se qualifiait comme le plus croyant des Hommes. Il était en amour de Fortuna, et se considérait comme son plus grand serviteur. Vraie ou fausse, cette dévotion lui donnait une foi qui transparaissait et venait rejallir sur la loyauté inébranalble de ses seconds et officiers les plus proches, qui buvaient les paroles d'un prince dont je n'a point connu de plus habile avec les mots:
" Incroyant ? Moi ? Qui connait Dame Fortune que je la connais ? Le fou de Vittorio Vinola, qui s'est donné aux étrangers en pensant qu'ils allaient le sauver ? Le pâle Di Grassi, dont Fortuna a affublé de tant de qualités au point de lui donner la victoire, mais dont il ne se sert pas ? Dino Scaela ? Qui s'est enroulé dans des vieilles idoles pour se dire plus pur que les autres ? Je connais tous ces hommes, je m suis battu pour eux, en échange de miettes. J'ai vu le bain de sang du Néorion. J'ai vu la bataille de Velathri...et je n'y ai vu que des hommes faibles. J'ai vu des gens prier pour la victoire, la supplier à genoux, lui consacrer de l'argent à n'en plus finir. "Dame Fortune, donne moi la victoire ! Dame Fortune, donne moi de quoi manger ! Dame Fortune, protège moi des morpions !". Ces gens ne savaient pas comment honorer Dame Fortune: on ne prie la Fortune, on prend les opportunités qu'elle met sur notre chemin, on arrache ce qui appartient à d'autres, pas parce qu'on le mérite, pas au nom d'idéaux étriqués qui ont condamné mes prédécesseurs. On prend car on peut prendre. Voilà pourquoi je suis l'homme le plus pieux qu'il soit: lorsque les autres hommes me voient, ils prient. Ils prient de toutes leurs forces quelque chose qu'ils ne comprennent pas, à s'en faire exploser les veines des deux mains. Et parce qu'ils prient, je les tue. Les hommes prient Dame Fortune à mon contact, et je les tue, parce qu'ils sont EUX, des incroyants. Je l'ai fait en Dodécapole, je l'ai fait en plaine velsnienne, je le ferai entre les murs d'Apamée. Fortuna ne donne pas, elle tend, et on prend."
Salvatore Lograno était ainsi.
Posté le : 17 oct. 2025 à 22:07:42
Modifié le : 18 oct. 2025 à 00:10:00
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Gina Di Grassi (Novembre 2017)

Les hommes de bien ne foulent pas cette terre par grand nombre, et à de nombreuses occurrences. Qui pourrait croire que parmi tous les tyrans de ce monde, parmi tous les aventuriers roublards, parmi tous les requins se cachant sous les traits de la politique...qui pourrait croire que parmi eux se nichent parfois des hommes de bien. Et que signifie donc "être un homme de bien ?". J'en eus rencontré plusieurs, qui partageaient des caractères communs, qui éveillaient chez leurs pairs une grande confiance: des hommes et des femmes dotés d'un sens du détachement absolu, des individus démontant une générosité sans limites et sans en attendre en retour....qui écoutent attentivement à chacune des paroles qui leur est adressée et prennent compte de tous les avis. Ils ne sont guère nombreux, mais je puis dire que son excellence Adolfino Agricola était de ceux là: un homme de bien, que tout le monde fortunéen considérait comme un traître.
Son idylle avec son excellence Moretti était à peine cachée, et ils prenaient guère de gêne à la dissimuler à notre vue. C'était un élan naturel qui ne semblait pouvoir être contenu: les hommes de bien sont-ils ceux qui étaient honnêtes avec leurs propres sentiments ? Je n'ai point de réponse à apporter à cette question, malgré toute ma recherche. Mais étrangement, et au mépris de ma bonne éducation qui m'avait enseigné le respect des engagements et de la parole donnée, Agricola évoquait à mes pensées une grande empathie vis à vis de son sort, et une incompréhension. Comment un homme de bien pouvait-il être un traître dans la foulée ? La loi était-elle seulement juste ? Déserteur, il l'était indéniablement, mais déserteur pourquoi ? Il m'était difficile de comprendre comment un Homme que l'on qualifiait partout et en tout temps de prometteur, tant prometteur qu'il avait été promis à un commandement militaire illustre en Achosie, pouvait avoir fait le choix de l'infamie. Il était appelé à devenir un grand, et l'un des hommes les plus riches de Velsna. Le renoncement volontaire à la gloire et à la richesse était aussi inexplicable que fascinant, car il induisait un homme qui se fichait des richesses matérielles, et qui n'avait que faire de sa position. Alors peut-être, peut-être qu'Adolfino Agricola était un homme authentiquement bon et vertueux.
Homme bon, il l'était peut-être, mais malheureusement, les grandes choses de la politique ne nécessitent pas la bonté, mais la grandeur. Pas la grandeur d'âme mais la grandeur des ambitions personnelles, alliées à une grande vision et un devoir à la servitude de la République. Servile, il ne l'était point, car il avait brisé les chaînes de velours qui le liait à Velsna. Mais il fallait distinguer le bon et le bien. J'estimais Adolfino Agricola en tant qu'Homme mais j'eus été très longtemps indécise sur ses qualités de prince. Il y a peu d'hommes bons en politique, car la politique est la nécessité du mensonge et de la duplicité dans des temps où la morale inflige davantage de souffrance qu'elle n'en guérit. Aussi, il est nécessaire de se montrer mauvais pour assurer le bien, ce que les Hommes bons sont moins disposés à faire.
Quoi qu'il en soit, Adolfino Agricola, en renonçant à son commandement et aux honneurs du Sénat, s'était improvisé Homme politique dans une autre cité par la force des choses, et était devenue le bras armé de la personne qui nous aviosn juré de défendre, ce qui n'était pas sans nous mettre dans l'embarras, car nous restions tout de même des citoyens de la cité velsnienne, et lui restait un traître. Le Maître Mardonios tentait toutefois de garder sa consistance, et il ordonna à tous de faire montre de respect envers l'homme, malgré une gêne réciproque et visible par tous, et il m'avait formellement interdit de révéler ma présence ou mon identité à cet "Homme bon". Aussitôt Agricola poserait le pied en la patrie des velsniens, qu'il se ferait traîner jusqu'au Sénat par les pieds, et probablement emprisonné pour le reste de ses jours dans la prison des soupirs. Je craignais alors son regard, car celui-ci, qui s'était battu sous les ordres du Sénateur mon père en plaine velsnienne, aurait pu faire de ma personne son otage pour négocier une porte de sortie avec ce dernier, car c'était là ce qu'un bon Prince aurait fait. Mais c'était avant tout l'opération future de Cortonna que nous voulions cacher de lui, par crainte d'un refus de sa part.
Bon Prince ou mauvais prince, j'eus l'occasion de finalement découvrir l'Homme politique à l'occasion de l'une de mes dernières journées en la cité d'Adria, avant notre grand départ pour l'expédition de Cortonna. On me demanda souvent de décrire la ville qu'était Adria sous la gouvernance commune de Marina Moretti "l'érudite", et d'Adolfino Agricola "le bon", et je dirais de ce temps que c'était une ville toujours en fête, et que ne dormait jamais. Chaque coin de rue cachait une procession festive, ou un défilé pompeux. C'était une ville arrogante, renforcée par une flotte et de fiers marins venus de toutes les cités, qui étaient loyaux à Agricola davantage qu'à la cité. Ils étaient ses compagnons d'infortune et de desertion, et de patrie, ils n'avaient plus que lui. Agricola dilapidait l'argent en quantité de largesses et de cadeaux à notre intention, car il nous savait velsniens, et il craignait une trahison ou une désertion de notre part. C'était là compréhensible, mais cela n'avait effleuré l'esprit de Maître Mardonios. Ce qui n'était pas dépensé en cadeaux à notre attention l'était en divertissements et de fêtes pour l'armée que nous formions alors. Cette troupe tenue par la loyauté envers un homme davantage qu'envers un pays.
Adria était République, mais il y eut tant d'argent d'Agricola coulant dans les rues de la ville que Marina Moretti et lui formaient un couple à l'ampleur d'une royauté. Ils étaient devenus les princes éclairés d'un petit phare au bout du bout de la Manche Blanche. Riche, lumineux, mais honnis par tout ce qui se trouvait dans le noir. Toutes les cités fortunéennes par delà la mer considéraient désormais Adria avec méfiance pour avoir accueillit le traître. Alors celui-ci essayait de se le faire pardonner en distribuant son argent propre à la foule, en plus de nous, et il tentait de nous divertir par de grands combats, qu'il nommait tournois. Un jour, il fit aménager une grande tribune, toujours avec ses florius qu'il dépensa sans compter, et de grands gradins temporaires tel un théâtre qu'il réserva pour nous tous, "son armée" ou du moins ses troupes et celles de la cité d'Adria réunies, afin qu'elles se donnent en combat honorable. Comme nous escomptions à ce qu'il distribue encore son amour sous la forme d'or, nous nous y rendîmes dans l’espoir d'y gagner notre prix qui n'était en rien mérité, fruit de la crainte d'un Homme.
L'estrade où Agricola se dressait en compagnie de Marina Moretti ressemblait à une cour, la cour de deux individus se constituant leur clientèle par la puissance de l'or. Il y avait là des soupirants au plus proche, des membres de sa flottes, puis plus loin, des adriens plus méfiants, qui assistaient désemparés au spectacle d'un étranger ayant donner assez d'or à chaque citoyen de cette ville pour que ceux ci n'aient plus à travailler durant des mois. Il était beau, il est vrai, avec des cheveux bouclés d'une belle couleur, et un teint vivant, rougit par un alcool joyeux. Il n'avait point changer depuis notre précédente rencontre car je le savais expansif et festif, et dans cette foule, il ne m'avait point reconnu parmi tous ses suivants.
Il donna ses combats les uns après les autres selon la règle du muletto velsnien, et désigna du doigt les volontaires qui se devaient d'être masqués suivant la tradition de cet art, et distribua des prix aux gagnants. Les kotioides n'avaient point l'habitude de ces combats, mais s'en sortirent honorablement face à notre petite troupe. Comme un éclair inspiré par Dame Fortune, je décida alors de découvrir par moi-même si Adolfino Agricola était un bon prince, au désespoir de Maître Mardonios qui tenta de retenir mon bras. Je m'avança donc au devant de toutes ses troupes lorsque Agricola manda deux autres combattants. Parmi les kotioides, le Professeur Bishop s'avança au même instant, guidé lui-aussi par Fortuna. Sachant les kotioides peu accoutumés au canif velsnien, je demanda un couteau émoussé, mais je ne fus pas en reste de la bravoure du professeur, qui en plus d'être érudit brillant, fut finalement combattant adroit qui ne démérita point face à la lame. Tous les combats au muletti sont courts, mais l'intensité des coups faillit me renverser de mes appuis. Je mis finalement le professeur à terre, à qui je tendis la main pour qu'il se relève.
Je gagnai ainsi les honneurs devant toute une assemblée, et on m'appela à m'avancer parmi les Grands de son estrade, au devant d'Adolfino Agricola, qui m'applaudit longuement avec une enthousiasme qui me fit passer pour héroïne. Ainsi me parla t-il:
"Tu as bien combattu ! J'ai déjà vu des kotioides se faire vaincre dans de tels duels, mais jamais d'une façon aussi éclatante."
Son éloge fut tempéré par Moretti, à ses côtés, qui vanta tout autant la force et le courage du kotioide Bishop. Son excellence Agricola acquiesça, pour mieux me percer à jour:
" Bien entendu ma chère, mais il ne peut y avoir qu'un champion ! Retire donc ton masque, que je puisse te voir et t’encenser."
Gênée, je retirai le masque qui sauvegardait Agricola de ma présence, pour que nous nous retrouvâmes face à face, et que "l'Homme bon" constate par lui-même, ne pouvant plus reculer quant aux éloges qu'il pouvait m'adresser:
" Gina Di Grassi. Avance toi. Je peux t'accorder une faveur de tout ce que tu peux désirer. Si c'est en mon pouvoir, alors tu l'auras."
Une faveur inattendue: bien que je fusse la fille de l'un des hommes qui l'avait proclamé ennemi, il n'en fit rien, et resta pendu à mes lèvres jusqu'à ce que je fasse affaire de sa réponse. Me vint alors des mots de défi, encore, car je voulais
" Oui, de faveur j'en ai une, excellence. Intègre moi à ta garde personnelle. Et il ne t'arrivera jamais rien qui puisse porter atteinte à ta personne."
Même Marina Moretti fut abasourdie de l'entendre, et cela laissa l'homme bon dans le silence, avant que sa surprise laisse place, à mon étonnement, à un grand sourire et à des applaudissements nourris:
"...Accordé. Lève toi, Gina Di Grassi, garde personnel !"
Il emboîta mon pas, et m'indiqua la direction vers laquelle il marchait. Plutôt que de questionner la raison de ma présence, il complimenta mes talents et me couvra de gloire, alors qu'il aurait pu faire de moi une monnaie d'échange pour avancer sa cause. J'en arrivai alors à la conclusion qu'homme de bien Agricola était, mais de prince il n'avait pas les attributs.
Posté le : 18 oct. 2025 à 18:51:45
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Gina Di Grassi (Novembre 2017)

Ambiance hiver sur Adria
De son excellence Agricola je pus voir beaucoup, car dés lors que je l'impressionnai à la face du monde, et que je me dévoilais à lui, il pris grand égard pour ma personne. Jamais il ne me menaça de l'emprisonnement, pas même lorsque sa tête fut appelée à décorer les rostres de la tribune des orateurs de la République, et jamais il ne montrait de haine pour ceux qui l'avaient condamné à Velsna. Il se percevait toujours comme notre compatriote, et prétendait toujours se battre pour la cité. J'en doutais toutefois, et je prit bien soin de lui dire avec la franchise qui était la mienne, et qui était certainement la raison de sa confiance envers moi. Un jour, il me demanda, quelque peu plaisantin, mais avec cette réserve qui traduisait une grande peur:
Je me penchai vers lui pour lui dire la vérité:
" Je pense, excellence, que les nôtres vous traîneraient en triomphe tout du long du Grand Canal de Velsna, les mains attachées dans le dos en vous présentant à la foule, sous leurs quolibets. Ensuite, nos compatriotes vous emporteraient dans la prison des soupirs, en arrière du Palais des Patrices. Ils vous y enfermeraient et jetteraient la clé dans le Grand Canal. Je vous souhaite de remporter votre cause excellence, sans quoi vous ne sortirez jamais de cette prison. Vous y mourrez du grand âge, ou bien, un jour, des hommes parviendraient devant votre cellule avec des couteaux pour se soulager de votre existence. Il y a des crimes que l'on pardonne, mais pas celui de la trahison, pas même pour l'amour d'une femme."
Son excellence resta silencieux un temps et se reposa sur la rambarde d'un escalier en pointant l'horizon, le regard vers le Canal d'Adria qui venait réunir la Manche Blanche et la mer glacée du Nazum. Il sourit, et me répondit ainsi:
" Alors dans ce cas, je tâcherai de faire vaincre ma cause. Le procès en trahison de m'intéressent guère, pas même à mon adresse. Mais toi, excellence Gina, à qui je donne de la valeur à tes mots: suis-je un traître ?"
J'aurais voulu lui mentir à cet instant, et lui dire que ce n'était point le cas, mais cela aurait été contraindre ma nature:
" Je le crains, excellence. Mais je suis payée par ce traître pour veiller sur sa personne, alors cette question n'est guère pertinente, et je ne puis soulager votre mauvaise conscience."
Il me peinait ainsi de lui présenter ma pensée, mais cela aurait été bien plus malicieux de me garder de ce qui occupait mon esprit à sa vue. Son excellence était bon dans ses mots et ses actes auprès de ceux qui collaboraient avec lui, et même le commandant Mardonios ne se plaignit plus passé les premiers émoluments ayant suivi la révélation de mon identité. Nous étions payés comme des mercenaires, et voici alors qu'Adolfino Agricola nous paya comme une garde personnelle, sans pour autant que nous endossions cette tâche Le "mauvais prince", en revanche, fit quérir ma présence à de nombreuses reprises, m'invitant à sa table en ma qualité d'excellence honorable de bonne famille davantage que suivant ma pauvre fonction d'aide de camp.
Son excellence Agricola était un personnage courtois, bien que parfois maladroit, et curieux de bien des choses, sans pour autant me considérer comme un pion. J'étais son obligée, il respectait le rapport qui était le nôtre, d'employeur à employé, de patron à client. D'otage je n'avais rien, pas plus que de faire-valoir, et ma condition ne changea en rien. Lorsque nous étions à sa table, bien souvent durant de soirées où l'alcool était généreux, car l'homme, aux côtés de son excellence Marina Moretti, il avait des questions à nous qui ne portaient point sur la politique la plupart du temps. Il parlait souvent d'Histoire et de société des Hommes, et Moretti, car elle était fort éduquée, bien davantage que moi, lui répondait bien souvent de manière plus développée que son complice. L'homme et la femme réunissaient autour d'eux des esprits qui faisaient de l'ombre à tout ce qui n'était pas de leur monde, mais je me sentais respectée malgré les écarts de nos connaissances que mon paternel n'avait jamais daigné m'enseigner, car ils m'écoutaient et je les écoutais.
Nous festoyâmes des jours durant, et vivions bien à cette cour construite sur mesure par son excellence Moretti pour nous autres, les seuls garants de leur survie, tant politique que physique. Il était improbable que Velsna, du haut de tous ses problèmes, tenta de prendre d'assaut Adria pour un seul homme, quand bien même il était honni de tous...du moins, c'était ce que je pensais, jusqu'à ce que la grande Histoire, qui avait laissé en paix ce couple tragique d'Adria pour aller tourmenter les volterrans et les apaméens, daigna s'intéresser à eux de nouveau.
Une fois encore, un soir, on prit la peine de m'inviter à l'un de ces banquets somptueux, où les plats étaient plus nombreux encore que dans les palazzi velsniens au luxe le plus insolent, et on me fit grand accueil, comme si je fus membre du Directoire d'Adria. Mais cette fois-là, l'humeur eu changée: il y avait le faits sans les sourires, et les débats sans le plaisir. On murmura à mon oreille qu'il y avait eu grand changement en Dodécapole, et que Velsna avait bougé un pion, une nouvelle qui fit grand mal au cœur de son excellence Agricola. Là encore, et même lorsque mes employeurs voulaient m'épargner le spectacle de la politique, je demandai aux deux amants, Moretti et Agricola, les nouvelles du monde. Les deux visages étaient fermés, mais son excellence Agricola fut bien trop bon pour refuser de me donner la vérité, et me rendit avec vertu la franchise que je lui avais donné:
" Je puis te dire, excellence Di Grassi, que notre patrie ne m'a pas oublié. Et j'ai eu grand mal de constater que de grands moyens ont été employés pour m'éliminer. Ces excellences du Sénat des Mille, dans leur langue si subtile, m'ont demandé la mort par la personne que ceux ci ont envoyé pour régenter les cités dodécaliotes. Toi qui le connais, parle moi donc de cet Altarini, et dis moi quel genre d'homme est-il. Je le sais fortunéen de cœur, mais froid de l'esprit, et étriqué. Que signifie donc son arrivée auprès des cités d'après toi ? Nous écoutons tous tes conseils et tes avis, alors fais comme tu le fais à l'accoutumée."
Je pouvais en dire beaucoup et pour longtemps, et je m’efforçai d'être brève, sans pour autant y parvenir.
"Excellence. Je puis voir plusieurs choses en Dom Altarini. Et la première est sur sa personne: c'est un homme violent, grossier, et qui ne fait point de subtilité dans ses jugements. Cela, vous qui étiez sénateur, vous connaissez souvent ses humeurs. Vous le savez comme moi, qu'il est l'un des hommes les plus infâmes que Dame Fortune ait porté sur les flots. Vous connaissez donc très bien le sort que celui-ci vous réserve, la haine qui est sienne de votre personne, pour avoir signé le traité de réconciliation avec les achosiens l'année passée. Il vous déteste, et n'est pas ici uniquement pour loyauté à notre cité, mais pour satisfaire son désir de votre mort."
Son excellence s'enfonça dans son dossier, et il lâcha la main de son amante lorsque ses oreilles eurent bu mes paroles dures. Il souriait toujours, et en posant son regard sur ma personne, ne pu s'empêcher de montrer son accord:
"Oui, c'était là une réponse à laquelle je m'attendais, ma dame. Sa personne est connue, pour mon malheur le plus grand. J'ai été témoin de ses colères, de sa haine à l'écoute des mots que j'ai eu pour Achos, et dont je pensais chaque syllabe. Je signerais ce traité cinq fois de plus, si je pouvais le faire, car il était à mon sens une nécessité pour notre cité. Je suis peut-être un traître, mais je pense avoir rendu plus grand service à ma cité que cet homme. Ce qui m'intrigue davantage que la petitesse de l'esprit d'Altarini, toutefois, est la raison pour laquelle nos compatriotes l'ont laissé dans ce commandement/ Même temporaire et faible de pouvoir, qui sait ce qu'un Altarini peut faire à cette confédération..."
De réponse j'en eus plusieurs, et j’enseignai chacune à son excellence Agricola:
" Certes. Dom Altarini est honni de tous, excellence, mais c'est peut-être ici la raison de sa nomination. Nos compatriotes tiennent en piètre estime la position d'hégémon, et je dois bien l'admettre avec gêne, que c'est probablement pour cela également qu'ils vous ont nommé à cette fonction. Les excellences Hommes du Patrice tiennent en piètre estime Dom Altarini, mais les élections arrivent, et c'est là beaucoup plus commode de nommer cet homme loin de la reine des cités, et régenter quelque terre perdue pendant que la campagne bat son plein, et qu'il ne peut pas y participer. Votre excellence n'est pas entièrement responsable de sa nomination, j'en suis certaine, mais je pense également que personne en notre patrie peut ignorer la haine qu'il voue à votre personne. Altarini saisira n'importe quelle occasion pour tendre sa main sur votre gorge, mais je doute que les velsniens aient interêt à ce qu'il réussisse trop rapidement. Aussi, il aura probablement peu de moyens à sa disposition. Vous l'entendez: cette position n'est pas qu'un cadeau à son adresse et une punition à la vôtre, c'est aussi une punition à la sienne. Vous deux défiez la République dans une manière qui vous est propre: vous par la désertion, lui par sa brutalité, et il serait de l'interêt du Conseil communal velsnien que vous échouiez tous les deux."
Son excellence ne dit rien, à part avec un grand sourire saluant ma présence d'esprit, et il tendit son verre vers ma personne, pour saluer ce fait:
"Excellence Di Grassi: tu as l'esprit acéré, et je me demande bien pourquoi tu perds ton temps à errer avec une bande de mercenaires, alors que tu pourrais briller davantage que moi, son excellence Moretti et tous les membres de cette cour réunis. Mais cessons la politique, et profitons de ce dont nous pouvons profiter. Les jours qui viennent seront longs, et moins confortables que celui-ci. "
Posté le : 19 oct. 2025 à 14:41:42
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Gina Di Grassi (Novembre 2017)

C'était là une réflexion que j'eus entendu à nombreuses reprises durant mon séjour parmi les citoyens de la ville d'Adria, et qui me rappelait à mon statut d'étrangère. Comme si cette ville venait me tapoter sur l'épaule, et donner le goût de ne pas être à ma place. A des égards, Adria me donnait le souvenir de l'Achosie du Nord, où j'eus passé mon enfance. Les coutumes de cette patrie là sont plus barbares et rustres qu'ici, certes, mais finalement, l'Achosie du Nord et Adria partageaient une situation similaire, et une relation au monde fortunéen et au monde barbare des plus ressemblantes. Nous sommes en ces deux patries, à deux des horizons du monde, où les coutumes fortunéennes et barbares viennent se rencontrer, que ce soit dans la paix ou la guerre. Les cités d'Achosie du Nord gardant l'occident, et Adria gardant l'orient. La ville regardait des deux côtés de la péninsule d'Albe, elle recevait de l'occident et de l'orient tout à la fois, dans un creuset de civilisation où les commerçants albigeois, pharosi et velsniens venaient à se rencontrer, à à échanger et à repartir de leur côté. C'était là l'extrême limite de la Dodécapole, celle qui subissait ses atermoiements et ses secousses politiques en dernier, la plupart du temps. A l'image du combat de coqs entre apaméens et volterrans qui le l'affectait pas encore, à l'image des accusations de trahison des velsniens à l'encontre d'Agricola qui n'avait pas encore affecté la bonne marche de la cité. La ville se fermait pour l'instant à un conflit qui avait à cœur de tenter de l'agripper et de l'emmener dans la grande danse de l'Histoire.
Désormais, Adria et ses hautes tours de pierre, ses campaniles parmi lesquels on comptait les plus sublimes du monde des enfants de Fortuna, avait ajouté à ses défenseurs tous les fidèles de celui qu'on appelait "traître Agricola", non sans l'appréhension d'une partie de son élite intellectuelle, qui avait bien conscience de la signification d'un tel retournement. Tout le monde n'était pas aussi enthousiaste que Marina Moretti à l'idée d’accueillir ces fugitifs, car c'était là pour eux, et à raison, le signe que la Dodécapole et ses luttes étaient entrés dans la cité orientale par la grande porte, et avec l'assentiment de la Grande Doyenne de la ville. Velsna fulminait dans son coin d'occident pour le moment, sans pour le moment intenter à quoi que ce soit, mais tout le monde savait, son excellence Moretti la première, que les velsniens se souvenaient toujours des affronts, quant bien même la punition mettrait des années à se profiler sur l'horizon pâle de la Manche Blanche. Alors Moretti cherchait tant bien que mal une solution, enfermée dans son bureau, parfois seule, parfois aux côtés du réfugié Agricola, une solution à cet isolement que la politique était en train d'imposer à Adria. Velsna pouvait, si elle le souhaitait, bloquer toute ambition de grandeur à cette cité, et même pire, appuyer les velléités de grandeur d'Apamée ou de Volterra par vengeance. Nul ne savait à cet instant quelle serait l'ampleur de la réponse à la défiance de la doyenne des universités d'Adria, si ce n'est que Dom Altarini, de grand elignée mais de piètre morale, venait en Dodécapole imposer l'ordre avant qu'un nouveau congrès n'ait lieu pour désigner son remplaçant. Il fut déjà probable à ce moment que la parole d'Adria n'y pèserai pas pour grand chose, et que la condition fixée par les velsniens quant à une reconaissance de la cause de justice de Moretti serait la tête d'Agricola.
La cité, elle, continuait de vivre, tout comme Marina Moretti faisait vivre le Directoire: en lui imposant la vue d'un Agricola, dont on ignore si il était pour elle un amant sincère ou un outil politique. Les deux s'étaient bien trouvés, mais on eut tendance dans cette Histoire, à minorer l'intelligence de cette femme au profit de l'audace de l'ancien sénateur velsnien, dont le succès de sa cause pourtant, était conditionné à sa propre réussite. Aussi, je prendrais soin dans ces lignes de m'attarder sur ce que je peux dire de cette femme que je pensa extraordinaire dés notre première rencontre.
Durant cette période de flottement, il est grande faute de penser que la Doyenne des universités ne fut qu'un prolongement de la volonté Agricola. Bien au contraire, celui-ci savait pertinemment, je le pense, que sa position n'était rien sans son approbation. Elle était le lien entre lui et le Directoire scientifique de la cité, qui était le seul pourvoyeur des fonds nécessaires à l'entretien de la petite armée et flotille à sa disposition. Elle est était son unique soutien, et par bien des manières, il était plus dépendant d'elle que l'inverse, et je connais assez bien l'historiographie de ma patrie, et les déformations que mes compatriotes velsniens sont prêts à faire pour marginaliser le rôle d'une femme dans un épisode de la grande Histoire. Les deux amants fonctionnaient de pair, et étaient comme les deux face d'une même pièce. L'un procurait la légitimité de la guerre, l'autre celle de la politique et de l'argent, et il est bien des situations durant lesquelles celle-ci a sauvé les positions d'un Agricola ne connaissait pas les manières de la politique.
Elle fut plus méfiante que le velsnien à mon adresse au début, lorsque mon nom de famille lui attirait la méfiance, à juste titre: il ne fut pas secret, et ne se cacha pas auprès de moi qu'elle m'aurait compter parmi des otages de luxe pour sauver sa cause, malgré toutes les interjections de l'ancien hégémon, car elle était bien meilleure que son complice pour sonder les coeurs des gens de la politique. Mais progressivement, elle substitua les regards méfiants par des conversations courtes et courtoises. Lorsque nous nous croisâmes en de très rares occasions, au détour de l'une de ses sorties publiques, il fut courant de nous incliner l'une devant l'autre, et notre estime commune grandit, par des paroles simples dans un premier temps, puis par des conversations enrichissantes. Le partage de ses préoccupations laissait entrevoir une personne dévouée à ses proches, comme Agricola, mais prenant toutefois compte de la réalité de la politique dont celui-ci était dénué, et appréciant mes avis. Elle me dispensa ainsi, au détour d'un festival populaire auquel elle était apparue de quelques paroles allant dans ce sens.
- Gina, fille de Matteo, ai-je selon vous fait une erreur d’accueillir Agricola dans ses murs ?
- Indéniablement, excellence.
- Pensez vous donc que la vie de son excellence Adolfino n'a point de valeur pour le laisser dans le malheur ?
- Je ne dis point cela, son excellence est fort bon dans ses agissements, bien qu'il défie la loi de manière éhontée. J'évoquais votre cause, et oui, je le pense qu'abriter cet homme entre vos quatre murs est une immense erreur.
- Certes, sur ce point, je suis en accord et c'est un juste constat, mais Adolfino apporte avec lui des hommes et des navires. N'est-ce pas une compensation pour l'opprobre ?
- Des hommes, cela se trouve, des navires, cela se construit. La parole d'Adria en revanche, il n'y en a qu'une, et vous avez dilapidé sa valeur pour son excellence Agricola. Ne le prenez point avec de l'hostilité, excellence, mais vous aurez tout à gagner à distinguer vos intérêts et ceux de son excellence Adolfino. Vous avez à cœur de a survie et la prospérité de votre cité, Adolfino a à cœur de sa survie en tant qu'homme. Si d'aventure vous sombriez dans la détresse, je vous conjure de penser à votre cité avant de penser à sa personne, et d'être prête à vous détourner de lui.
- Certes. Je ferai bon usage de ces mots...
Son excellence Moretti n'appréciait que peu nos conversations, car elle voulait certainement y entendre autre chose de moi. Elle n'aimait pas mes mots, mais revenait souvent en écouter d'autres, et tirer de moi d'autres paroles. Il fut malheureux que je n'ai point eu sa culture et sa science pour m'entretenir d'autres choses que cela: j'aurais aimé être capable de lui évoquer les vieilles littératures, parler de ce qui se fait de par l'univers, et des sciences auxquelles les grands du monde s'adonnent. Ou bien, que serait-il advenu de notre relation si j'avais été capable de pointer du doigt l'un des nombreux bustes en marbre rhémien parsemant ses collections privées, et m'étendre sur la signification de chacun de leurs détails avec elle, sous un regard admiratif et passioné. Hélas, notre condition et notre éducation nous empêchèrent de trouver d'autres points communs, et je ne fus jamais rien de plus qu'une diseuse de bons conseils de la politique. Je ne doute pas toutefois, d'avoir conversé avec l'une des très rares bonnes âmes du monde fortunéen, et n'éprouve d'autre regret que de ne pas avoir suffisamment profité de sa personne.
Posté le : 20 oct. 2025 à 19:17:16
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Gina Di Grassi (Novembre 2017)

On l'oublie souvent, car les étrangers ne pensent qu'une patrie ne peut être que d'un bloc monolithique et grisâtre, froide structure où toutes les décisions sont prises par un léviathan terrifiant, gouvernant par la tyrannie, imposent leurs vues à des peuples qui ne présentent qu'un seul visage. Ces étrangers oublient souvent que les Hommes libres n'ont pas besoin de tels artifices, de ces faux états qui régentent par la masse et la standardisation, par les normes immuables. La Dodécapole est une patrie d'Hommes libres, oui, qui se gouvernent eux même contre les vents et les marées de la politique internationale, dans les limites de ce qu'il est possible d'exercer comme souveraineté dans un monde qui en ignore les principes. J'ai eu beaucoup parler des cités d'Adria, d'Apamée et de Volterra dans mon récit jusqu'à maintenant, mais pourtant, cela ne reflète pas la complexité des rapports de force dans la confédération que forment chacun de ses états. Dans cette histoire, il n'a jamais été question d'un triomphe d'une patries sur les deux autres, mais sur l'ensemble de la Dodécapole, et il est vain de penser que toutes ces cités, qui n'ont pas le loisir du choix de leurs alliances par leur petite puissance, n'ont pas d'importance dans l'histoire que je conte.
Au contraire, la patrie des dodécaliotes ne trouva de solution que dans le recours à toutes ces cités: celles que l'on pense souvent impuissantes sont pourtant, prises ensemble, les pions d'un grand échiquier, et jouent un rôle conséquent dans la transmission du pouvoir véritable entre les trois patries d'Adria, de Volterra et de Fortuna. Nul puissance ne se construit seule et contre tous. Lecteurs, je vous ai raconté l'Histoire des grands, mais je ne puis la continuer dans vous faire le récit des petits. Cortonna, Castel Estrech, Strombola sur l'Oronte, Cnide, Muthna, Nuevo Fortuna et Porto Rosso... De tous ces pays, je n'ai évoqué que les deux derniers, et guère sous des traits qui peuvent faire penser à des pays de bien et de grandeur. La Dodécapole s'embrasait progressivement: les grandes patries commençaient à s'agiter, mais qu'en était-il des petits ? Y avait-il parmi les petits de ce monde davantage de sagesse que parmi les grands, au delà du carnage de Porto Rosso ? Pourquoi donc personne ne faisait rien lorsque Porto Rosso et Nuevo Fortuna eurent recours aux armes ? Pourquoi personne ne tenta de convaincre les mercenaires d'Adria de ne point organiser une folle aventure en s'en prenant à Cortonna ? Pourquoi personne ne daigna s'inquiéter davantage des desseins malicieux de Salvatore Lograno ?
Dans tout ce vacarme, pourtant, certains ont protesté, d'autres ont fait le mort et la sourde oreille, et quelques uns se sont jetés à bras ouverts dans l'étreinte de la guerre. Par nos latitudes, on appelait ces cités "les petits dieux", dans un mélange subtil d'ironie et d'une pointe de sincérité. Ironie car il était vrai que ces petits dieux n'étaient pas maîtresses de leur destin dans la plupart des cas qui se présentaient à elles, mais sincères tout à la fois, car il ne pouvait être concevable l'idée de nommer un hégémon dodécaliote sans l'assentiment d'une majorité d'entre elles. Si elles n'avaient pas droit à leur chance de,le faire elles mêmes, elles étaient en capacité d'empêcher une cité plus grande qu'elles de le faire. Ainsi, avant même le commencement des affrontements, la loyauté de ces cités eut été le plus grand soucis de tous "les grands": il fallait satisfaire ces petits dieux, quitte à en ménager certains pour en abandonner d'autres. Il ne fallait point l'oublier, que certaines querelles entre ces nations remontaient à un temps, parfois, où la photographie et les armes à feu n'existaient point. Aussi, rallier tout cet univers avec des mots serait une condamnation à l'echec, et de choix difficiles s'imposaient, car la fortune des petits dieux est concomitante de celle des grands.
Si Porto Rosso et Nuevo Fortuna posaient à Apamée le premier de ces questionnements, ce ne serait là que le premier de beaucoup de dilemmes qui allaient venir se tenir entre les patries dodécaliotes et la gloire de nominer un hégémon de sa cité. Porto Rosso et Nuevo Fortuna étaient désormais en guerre, et tous savaient pertinemment de quoi il en retournait, bien avant une simple querelle de cadastre et de territoires frontaliers, bien avant une question de fierté... Il en allait de la domination d'Apamée sur sa propre péninsule, sur ces villes qu'elle pensait sujets loyaux tous deux. Que ces deux cités se détournent de leur affectation vis à vis des apaméens, et c'est Apamée elle même qui se sentirait menacée de les voir se rapprocher de rivaux bien plus dangereux qu'une simple esclandre de voisinage. La Dodécapole était ainsi faite: de petits évènements en apparence anodins, l'horreur banale, étaient pris par tous pour des opportunités politiques menant à des conséquences bien plus grandes.
Qu'en était-il donc des autres patries ? Nous évoquons beaucoup Nuevo Fortuna et Porto Rosso, et leur guerre, que je considère, moi, comme l'un des déclencheurs d'une lutte plus grande, mais il ne fallait point oublier d'avoir une vision large, car les autres "petits dieux" n'étaient point en reste. A l'instant où cette guerre de voisinage se produisait sous les fenêtres d'Apamée, un petit groupe d’aventuriers, celui que nous constituions, avec le commandant Mardonios pour chef, s'apprêtait à opérer "un braquage" d'une patrie quelque peu oubliée de tous, et qui par ce fait, était le terrain d'essai idéal, dans le but de bâtir la puissance d'Adria,et sa légitimité à l'hégémonie.
Cortonna était de ces patries au passé glorieux, mais qui prenait la poussière, car personne n'avait daigné rénover sa puissance depuis fort longtemps, et la ville avait progressivement été oubliée par la grande Histoire. Malheureusement, nul malheur n'est plus grand qu'une nation condamnée au néant par cette dernière, et qu'on revient subitement replacer dans la lumière, car l'éclat la plupart du temps, en fait de la fumée. Pourtant, la cité avait été influente autrefois: pas tant du point de vue de l'argent et de la gloire des armées que de sa position religieuse. Cortonna était alors, jusqu'au temps du XVème siècle, le siège d'un évêché ayant prise sur toute la Dodécapole, incluant également la cité velsnienne, elle même qui du haut de son orgueil que l'on sait fort grand, devait envoyer des clercs poser un genou à terre devant l'évêque de Cortonna. Les habitants de cette patrie, naturellement, ne se concevaient pas autrement que comme les dépositaires de l'autorité des papes de Catholagne, et avec raison.
Mais le temps ne fut pas tendre avec Cortonna, et la cité dés cette époque, commença à entrer en sommeil. Dans un premier temps, ce fut la position de son évêque qui fut mise en danger par les velléités de grandeur de Velsna, qui se substitua de son autorité, et intercéda auprès des papes pour l'institution d'un clergé velsnien indépendant du reste de la Dodécapole. Dans un second temps, ce furent Adria, Apamée et Volterra qui firent de même, et morcelèrent l'ensemble ecclésiastique entre toutes. Dés lors, la cité, dont le prestige ne se reposait que sur la figure des évêques, commença à faner, et lorsque le XXème siècle arriva, on cessa tout simplement de prier, ou du moins, la question de la religion devint de plus en plus secondaire dans les grands enjeux du pouvoir dodécaliote et velsnien. On s'en référait à dieu et sa morale encore, mais d'une manière détachée, comme partout en Eurysie. Le coup de grâce fut porté par la construction du grand canal d'Adria, faisant se rejoindre la Manche blanche et les eaux du Nazum, et qui détournèrent ce qui restait de son commerce vers les eaux de la capitale des érudits. Lorsque débute mon récit, Cortonna n'était donc plus qu'une petite ville parmi d'autres cités de la Dodécapole, entrée dans le rang, dont les élites rabougries veillaient sur un cadavre. De gloire il n'était plus question, seulement d'une survie précaire.
Cortonna était seule, sans alliés, car sa prétention historique était devenu un handicap, comme dans toutes le situations où l'on se pense centre du monde lorsque l'on ne dispose guère des moyens d'arriver à la fin. Gouvernée d'une part par une oligarchie passéiste et d'autre part par un clergé toujours directement nommé depuis la Catholagne, figé dans le temps comme une peinture sur une toile, dont l'éclat se caille par peur de dénaturer l’œuvre d'origine. La cité n'avait pas même daignée se rendre aux différents congrès dodécaliotes depuis plusieurs décennies, sans que l'on fasse remarque de sa disparition. Elle était, à tout point de vue, le ventre mou de cette confédération, et une cible de choix d'ambitions plus grandes qu'elle. Un tremplin. qui conservait quelques atouts de la puissance, des breloques à mettre dans une vitrine, à exposer en signe d'un prestige qui est associé à tous les désirs du pouvoir. Détentrice d'une puissance obsolète et dépassée, c'était là indéniable, mais la portée symbolique de son alignement était tout autre chose.
Or, parmi toutes les cités de la Dodécapole, peu d'autres entretenaient autant d'inimitié avec la patrie des évêques que celle des chercheurs. Adria et Cortonna se vouaient une haine séculaire qui depuis bien longtemps, avait tourné à l'avantage de cette dernière. D'une part, c'était en faute d'Adria que les quais de Cortonna s'étaient vidés de leurs cargos. Et d'autre part, il y avait là une portée symbolique de voir la cité qui s'est enrichie par le biais des savoirs profanes porter le coup de grâce à sa rivale, dont la dernière des fiertés reposait sur l'héritage de la religion. Si officiellement, les autorités d'Adria n'avaient pas fait part depuis longtemps de leurs velléités hostiles vis à vis de leurs adversaires historiques du versant oriental de la Dodécapole, certains individus gravitant autour des cercles de pouvoir du Directoire des universités ne cachaient guère leurs vues, et il avait émergé de leurs esprits une idée folle.
Apamée et Volterra bombaient le torse de leur côté, et personne ne regardait du côté de l'orient. Les cités dodécaliotes étaient pendues aux lèvres de leurs deux consœurs en lutte ouverte d'influence, et certains dans la cité des chercheurs, se plaignirent que celle ci ne fit rien pour profiter de son avantage temporaire. Mais c'était mal connaître les mercenaires dont s'étaient entourés son excellence Marina Moretti, qui avaient leurs propres desseins dans l'espérance que leurs employeurs soient toujours vivants pour les payer lorsque la fin de ce chapitre de leur Histoire serait clos. Les achosiens du nord et les kotioides, à l'ombre des faubourgs d'Adria, paraissaient avoir déjà décidé du sort de Cortonna: le congrès dodécaliote approchait à grands pas, et une voix était une voix, même celle d'une théocratie isolationniste et méprisable. Il était ainsi décidé que de gouvernement, Cortonna devait en changer, avec pour volonté de se débarasser du clergé sclérosé des apaméens.
C'est dans ces temps que j'entendis le commandant Mardonios évoquer pour la première fois la fameuse idée, celle du "braquage de Cortonna". Oui, c'était là un nom puissant, inspiré par San Stefano lui-même pour désigner ce qui ne serait rien de plus que le croisement entre un coup d'état, et la prise d'une ville dans la plus grande des stupeurs. Un coup de main meurtrier digne des grandes épopées et de l'audace digne de récits que l'on me lisait, lorsque je fus rien qu'une enfant, la tête jointe à l'épaule du sénateur mon père. Des exploits qui me font dire que la ruse est le propre des gens de notre patrie, et surpassent de loin toutes les épreuves de force que l'on nous impose. Porto Rosso et Nuevo Fortuna étaient à sang déjà, et pour longtemps, mais nous espérâmes de notre côté, qu'au contraire, ce "braquage" soit une œuvre si fulgurante, comme un éclair dans la nuit, qu'elle laissa tous les acteurs de notre pièce de théâtre devant le fait accompli que la cité d'Adria commençait sa marche en avant.
Posté le : 24 oct. 2025 à 19:27:41
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Gina Di Grassi (Novembre 2017)

Sinistre réputations, sinistres souvenirs. Les hommes et les femmes à qui j'ai tenu la compagnie durant ce temps de la guerre dodécaliote étaient du tout venant: des Hommes bons, des Hommes qui tentèrent de faire le bien, ou d'autres qui se sont persuadés de le faire, ou de l'avoir fait. Des Hommes avec des regrets, d'autres qui n'en éprouvèrent pas le moindre. Le temps des dodécaliotes fut un tel déferlement de fureur, qu'il est fort possible que les derniers l'eurent largement emporté sur les premiers. Parmi ceux qui cherchaient la justice, les montagnes d'or ont attiré les moins méritants, et les plus vils des esprits. Pour ceux qui se pensaient être l'exception, ils se sont rendu compte bien vite que les principes, dans des temps de conflit, étaient un luxe qu'il n'était point possible de toucher ne serait-ce que de la pointe du doigt.
J'ai longuement évoqué le nommé Lograno, cette figure fascinante et terrifiante, que j'eus gardé en mémoire car elle exprimait à mon sens toute la violence de ces temps de troubles. De pauvre homme, il devint mercenaire, de mercenaire il devint prince, et de prince il devint tyran. Le temps était aux gens de basse extraction, qui s'élevèrent par dessus leur ancienne condition pour tenter de toucher le soleil. Mais si je parla bien souvent de Salvatore Lograno, j'eus encore épargné à mes lecteurs la bassesse de ses premières armes, qui donna au monde fortunéen et au monde celte une préfiguration de sa cruauté. En tant que conteuse d'histoires, je cherchais longtemps des témoins de cette partie de sa vie, si peu connue et empreinte de mystères. Comment un si petit homme devint si grand et menaçant pour tous les gens de bien. Pour voir au delà de ce brouillard, je fis quérir alors des Hommes qui avaient connu les époques où il commença à faire parler de lui, dans les forêts celtes, et où j'étais bien trop jeune pour me souvenir moi-même.
L'île celtique des années 1990 et 2000, était l'endroit où tous les mercenaires du monde fortunéen se retrouvèrent au moins une fois, comme un rendez vous avec la mort à la lisière de l'univers. Ce fut un temps de violence, comme ces barbares savent très bien l'administrer: l'Achosie du nord, ma patrie, fut en sang lorsque j'étais encore trop jeune pour savoir écrire. Ce que le sénateur mon père ne me conta point par pudeur et pour m'en épargner les horreurs, ce fut mon commandant, Mardonios, qui me l'apprit durant notre séjour à Aria, lui qui avait participé à cette "Guerre de l'AIAN". Le reste de l'île fut en proie à tout autant de malheurs, la patrie des barbares menkiens subissait elle aussi les affres de la mort en ces temps-ci, et attira par la même le Commandant Mardonios, qui avait tout juste fini ses affaires en Achosie du Nord. En fin d'année de 1997, il prit alors le bateau, et se rendit en pays menkien. Leur patrie était déchirée par des groupes de bandits et de voyous qui se donnaient une légitimité bâtie sur les idées au nom desquelles ils se battaient. Dans un temps où le grand Lorenzo eut imposé son pouvoir sur les loduariens, certains d'entre eux prétendaient se battre au nom de "la République de l'amour humain". Tandis que d'autres avaient regardé les tyrans listoniens, et s'étaient dit que c'était peut-être leur manière de gouverner qui fut la plus efficiente. Le peuple menkien, dans ce qu'il appelle encore aujourd'hui "la guerre occulte", était balloté et sans attendre de salut d'un gouvernement qui n'existait plus que sur le papier.
Le commandant Mardonios, par ses exploits connus en pays achosien, fut alors reçu par ce gouvernement menkien en plein désespoir, et lui donna lettre de marque pour exercer son courroux en leur nom: "Tuez les bruns, et brûlez les rouges", tel était la seule indication de ceux qui n'avaient que trop hâte de retrouver leur tranquillité. C'est en ces temps là que Mardonios, le plus grand des mercenaires, fit la rencontre d'un jeune homme de Volterra, qui dans cette ville celte de Kery's, se mit à genoux devant lui, l'implorant d'intégrer sa compagnie si prestigieuse. Il avait les yeux lumineux, le teint pâle et était volontaire de tout, déjà très brillant du haut de ses 17 années d'existence. Mardonios aimait prendre sous son aile de tels gens, sans foyer, sans famille et sans argent: l'existence qu'il menait était, malheureusement, l'échappatoire de beaucoup fuyant une misère plus grande encore. C'est ainsi que Salvatore Lograno a fait son entrée dans la grande Histoire: en tant que sans-rien, que Mardonios couva, habilla et arma, non seulement d'un fusil, mais de ses connaissances de la guerre, car ce serait là mentir de dire que Lograno n'était que cruauté, il était également intelligence et ruse nécessaire pour survivre à cette vie sans cadeaux.
Le Commandant Mardonios m'a dit, m'a avoué à quel point les combats de la Guerre occulte étaient d'un autre âge, où l'honneur n'existait plus. Il me confessa qu'il avait rendu toute la violence qu'on lui donna, qu'il tua des êtres qui n'étaient pas encore hommes, ou qui n’étaient pas encore femmes. Il me dit aussi, que Lograno grandit et apprit à ses côtés de cette terreur, qu'il en absorba les influences, qu'il comprit l'efficacité de la peur pour obtenir des informations et un avancement pour personne. Lograno était fait pour ce métier, mais il savait également se faire aimer, si bien qu'il se retrouva en quelques mois à la tête d'un petit groupe de dix membres de la compagnie du vieux chef. Il partageait avec eux son eau, sa nourriture, ses butins et ses prises, et eux, lui donnaient sa loyauté. Mardonios fut fier de lui à cet instant, mais que ne serait pas ses regrets quelques temps après l'avoir fait entrer dans ce monde, où ce jeune homme était bien trop doué pour son propre bien.
Mardonios, le plus grand des mercenaires, imposait certaines règles, tenta d'instituer un cadre à la violence, mais dans des temps où les frontières étaient aussi floues, il était difficile de surveiller, de constater les choses. Ces limites, comme toutes les autres, Salvatore Lograno les ignorait. De limites, il n'en avait jamais connu aucune, et celle de l'autorité de Mardonios fut la première qu'il franchit dans cette jeunesse qui préfigurait un avenir violent. Mais de cette violence, on ne pouvait dire qu'elle n'avait pas de but à son sens, qu'elle fut aveugle. Ce serait là une erreur lorsqu'on est son ennemi, que de penser que la fureur que Salvatore Lograno administre était gratuite. Dans son esprit, à cette époque lointaine, ce n'était déjà pas le cas. Et le commandant m'a fait part de l'épisode qui l'a convaincu de ce fait, et qui a laissé une marque suffisamment profonde dans son être pour qu'il s'en rappela jusqu'aux quais d'Adria, deux décennies plus tard.
C'était là au début du millénaire, lorsque les gens du gouvernement menkien reprirent l'avantage sur les bandits, et que Lograno eut été sous l'aile de Mardonios depuis quelques années. Ceux-ci s'étaient alors risqué de faire de la petite guerre asymétrique, rouges et bruns, mais sans avoir l'étoffe et le talent des achosiens de l'AIAN, si bien que l'armée impériale des celtes les prit en tenaille, les deux groupes, qui non sans ironie refluaient en désordre depuis deux directions différentes vers la même ville que l'on pensait peuplée de leurs sympathisants. Les combats furent nombreux et l'objet d'une grande fureur. Les muscadins de Mardonios payèrent me tribut de cette bataille, qui ressemblait grandement à celle que livre la sénateur mon père contre les achosiens, plusieurs années plus tôt à la Falaise rouge. Désirant plus que tout sa part du butin, le jeune Lograno se présenta devant Mardonios et lui ft la requête de prendre les rouges et les bruns par surprise de nuit, sans attendre l'armée régulière du Saint Empire. Le vieux chef fut réservé, car de salaire, leurs employeurs avait déjà promis. Aussi, Lograno fit montre de grandiloquents discours, arguant qu'un gain plus grand encore fut possible en atteignant la ville avant ceux-ci. Mardonios refusa encore une fois, mais apprit la nuit qui suivit, que le mot "non" n'est guère souvent connu de l'homme.
De belle nuit, Lograno prit avec lui les hommes fidèles de la compagnie, et entreprit de prendre rouges et bruns de Menkelt dans leur sommeil, mais pas seulement. Il prit les bandits par surprise, mais aussi tous les civils, hommes, femmes, enfants et vieillards, tout ce qui marcha et parla, susceptible d'abriter un grand butin. Il réussit sa prise admirablement, mais ce qui suivi ne fut pas digne d'éloges, car même chez les mercenaires, ce qui advint cette nuit paraissait cruel.
Ceux qui refusaient de donner leurs richesses, par ironie, eurent la mort la moins douloureuse, les abattant dans les règles qui étaient les siennes. Vint ensuite ceux qui donnèrent suffisamment, qui furent les seuls épargnés, à qui il les laissa partir avec une tape sur la joue gauche à chacun. Seulement, il ne laissa disposé que ceux qui s'étaient portés volontaires de leurs propres richesses. Ceux qui avaient dénoncé les richesses des autres, rouges, bruns comme civils, il les garda avec lui, et il chercha à donner un sens à ce qu'il apprêtait à leur faire.
" Vous, bruns. Vous professez le triomphe de la force et de la volonté. Pensez vous pouvoir continuer dans cette croyance lorsque ma botte est sur votre gorge ? Vous vouliez la barbarie, me voilà.
Vous, rouges. Vous professez la République de l'amour humain, mais regardez moi. Pensez vous qu'il est possible de l'atteindre alors que j'existe, et que vous partagez votre air avec moi ?
Vous, pauvres gens. Sachez que que vous mourrez que parce que je suis capable de vous donner la mort, et que vous êtes incapables de la fuir."
La suite de cette histoire, je ne la raconterai pas dans le détail, car elle fut si cruelle qu'il convient d'épargner mes lecteurs d'une telle ignominie qui défia toutes les lois de la guerre, même celles reconnues parmi les mercenaires et gens de peu de foi. Lograno commença ses jeux macabres. Il fit attacher les prisonniers trois par trois, un brun, un rouge et un civil dans chaque groupe. Il traça deux lignes dans la terre avec son pied, à quelques encablures de distance: à son tir, tous devaient se ruer d'une ligne à l'autre jusqu'à ce qu'il ne resta plus qu'un groupe. A chaque allée et venue, le dernier groupe se fit abattre par l'homme lui même. Ils commencèrent la course à cinquante, ils la finirent à trois, qu'il laissa partir. Les autres furent entassés par les hommes et les femmes de Lograno dans un fossé à l'écart de la ville.
Au petit matin, Salvatore Lograno et son groupe revinrent au camp du commandant Mardonios, fiers et le torse bombé d'autant de prises de guerre. Lorsque Mardonios lui demanda d'où il avait fait irruption, il lui pointa la ville fumante du doigt, et dit qu'il avait "tout fait tout réglé". Croyant peut-être à une étreinte et l'affection du commandant, il lui montra les cadavres, dont il fit très fier. Mais cette requête d'amour ne fut accueillie que par le dégoût, et un violent coup dans son visage d'ange. Mardonios le fit tenir par ses hommes, et le passa à tabac. Aucune partie de son corps ne fut épargnée par sa colère, mais le commandant jugea qu'il eut été trop bon de le tuer de cette manière. Aussi, et parce qu'il était animé de cet étrange code d'honneur qui ne le rendait pas moins violent que Lograno, il le fit se relever et lui lança un couteau de muletti à ses pieds, lui intimant de se défendre. Le combat fut court: diminué, jeune et inexpérimenté, Mardonios le taillada de part en part jusqu'à ce qu'il s'écroule, et qu'il perda beaucoup de sang qui coula sans discontinuer de ses plaies. Mardonios le fit jeter dans la fosse où Lograno avait lui-même entassé ses victimes, avant de repartir sans regarder derrière lui.
C'est ainsi qu'assez injustement, et parce que le vieux chef n'a jamais daigné donner sa version au reste du monde, qu'il se fit appeler "tueur de menkeltiens" par le tout venant, sans justice pour sa personne qui n'avait pas été responsable de ce crime. Il quitta Menkelt sans même chercher à être payé, et n'y retourna jamais.
Lorsque je demanda au commandant de se confier quant à cette histoire, je remarqua néanmoins qu'il était tiraillé par le regret d'avoir fait de nombreuses erreurs en ce temps: il exprima en premier lieu le regret de ne pas s'être assuré que Lograno soit bien mort, pour qu'ensuite, il eut des remords de l'avoir amené à cette existence misérable qui était trop bien faite pour lui, avant d'affirmer que Salvatore Lograno aurait mérité une autre vie, et qu'il était bien trop tard pour lui. Mais pas à un seul instant, il en voulait à ceux qui le surnommait par le funeste fait d'armes que quelqu'un d'autre avait fait en son nom. Ces paroles que j'ai soutiré une seule fois, il m'a dit à cet instant que ce serait la dernière fois qu'il en ferait allusion, et que personne ne mérite que l'on raconta ces horreurs.
A cette conversation, j'ai suivi le cours de mes pensées, en allant plus loin, et en me répétant à moi-même qu'il était peut-être de notre faute à tous, en un tout, si des hommes tels que Lograno existent, et qu'il était notre faillite, en tant que groupe.