25/09/2017
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Le discours de Philippe Géminéon face à l'assemblée des actionnaires des Industries Obéron

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Philippe Géminéon, le directeur de Grand Hôpital, s'exprime face à l'assemblée des actionnaires des Industries Obéron

Philippe Géminéon, directeur de Grand Hôpital


Le partenariat industriel Obéron-Dalyoha a hissé la Principauté de Carnavale bien au-dessus de ce que nos ennemis pouvaient imaginer ! Il ne s'agit plus seulement de tirer un missile dont la charge explosive est nécessairement limitée dans sa portée, voire pire : un missile que l'on intercepte en le faisant exploser en vol. Il s'agit de faire pleuvoir la mort chimique, bactériologique et virologique sur un territoire non pas pour y faire des dégâts matériels, mais humains.

Les missiles Obéron sont de nature hypersoniques et intercontinentaux ce qui signifient qu'ils sortent de l'atmosphère à une vitesse proche de Mach 6. Dans les airs, le missile se divise en une centaine de charge bactériologique qui retombent sur terre en suivant une trajectoire aléatoire contrôlée par IA, empêchant toute interception. Le but n'est pas de détruire par la puissance explosive mais de répandre un cocktail chimico-viro-bactériologique sur sa cible afin de s'attaquer à la vie sous toutes ses formes.

Les Laboratoires Dalyoha m'ont confirmé que ce cocktail est un mélange de Sabat III, de CRAMOISI et d'Hyperborée IV. Nous l'avons appelé... le Prométhée.

La salle applaudit.
Le Prométhée est la réponse radicale et définitive à opposer à ceux qui menacent la Principauté de Carnavale. Par pitié, nous ne l'avons pas tiré sur l'Empire du Nord afin de répondre de façon proportionné à la déclaration de guerre de l'aviation sylvoise et nordiste contre la Principauté. Considérant l'évolution de la situation, Mme. Pervenche Obéron et M. Blaise Dalyoha envisagent aujourd'hui d'autoriser les premiers test Prométhée sur une cible adverse.

Le fonctionnement du Prométhée est à double tranchant : il ne vise pas à saisir d'horreur notre adversaire (pour cela nous privilégions la frappe chimique CRAMOISI dont la coloration rouge persistante mais les effets limités dans le temps frappent davantage les esprits), ce qui mettrait fin à la guerre. Non : il vise à annihiler.

Nous considérons actuellement le potentiel du Prométhée à la destruction d'une grande agglomération, si comme nous le suspectons des mesures de confinement sont rapidement mises en place par les autorités locales. Le Prométhée a cette caractéristique redoutable de fonctionner à rebours. L'adversaire croit avoir détruit le missile, il n'en a en réalité que répandu encore plus la charge virologique.
Le virus Prométhée incube pendant un durée volontairement aléatoire, entre une semaine et deux mois. Il a été conçu pour être hautement transmissible, bien que la personne infectée ne se doute de rien. Pendant la durée de l'incubation, le virus Prométhée a le potentiel de se répandre dans une ville entière par ingestion (micro-goutelettes), par voie aérienne et surtout par voie cutanée. Durant la phase d'incubation, le virus possède ses propres réserve d'énergie, comme un oeuf, ce qui lui permet de résister plusieurs semaines sur une surface sans se réveiller. Il se place sur la peau de celui qui entre en contact avec lui et attend soit d'être ingéré, soit de trouver une micro-lésion cutanée. Lorsque la température corporelle d'un être humain est détecté, le virus entame alors sa phase de réveil.

Toutes ces techniques ont été spécialement mises au point de sorte à maximiser la propagation du Prométhée et empêcher au maximum les contre-mesures sanitaires. Seul un confinement total de la ville touchée permet d'éviter la propagation et le taux de létalité pour un pays mal préparé est de 80 à 95%. Pour un pays qui mettrait en place un confinement immédiat et total d'une durée de sept mois, le taux de létalité redescend à 30%. Cependant l'impact économique et psychologique est dans tous les cas puissamment dissuasif.

En ce qui concerne les symptômes, ils sont avant tout spectaculaire : spasmes, multiples hémorragies internes entraînant des saignements des globes oculaires et de la bouche avec crachat de sang, épilepsie. La mort est soit entrainée par la perte de sang, soit par noyade lorsque les hémorragies atteignent les poumons. Entre l'apparition des premiers symptômes et le décès, il peut se passer entre une demi-journée et une journée pleine. La rapidité du décès nous a motivé à étendre le temps d'incubation pour s'assurer d'une propagation maximum.

J'ai ébauché les grandes lignes, y a-t-il des questions ?


- Combien de tirs Prométhée pouvons nous réaliser à ce jour ?

- De quoi neutraliser définitivement une trentaine de mégalopoles à peu près.

- Pouvez vous nous assurer que l'interception est impossible ?

- Il est possible de détruire le missile mais les charges qu'il contient sont beaucoup plus complexes à intercepter. Elles se subdivisent à deux reprisent et suivent des trajectoires aléatoires. Par ailleurs elles n'ont pas besoin de viser des lieux spécifiques : une charge qui frappe une banlieue moyennement peuplée ravagera une base militaire presque aussi sûrement que si elle l'avait touché de plein fouet.

- Nos ennemis ne risque-t-ils pas d'intercepter le missile à son lancement ?

- Considérant la nature des infrastructures de tir carnavalaise c'est assez improbable, d'autant qu'il n'est pas possible de distinguer un missile Prométhée d'un missile BONNE SANTÉ VIII et que nous opérons plusieurs tirs leurres.

- Le virus ne représente-t-il pas un risque pour Carnavale elle-même s'il venait à s'échapper ou, en cas de tir raté, retomber sur la Principauté ?

- La charge Prométhée est protégée dans un habitacle résistant à la plupart des explosions, elle a été conçue pour ne commencer à s'ouvrir qu'une fois qu'elle a atteint un niveau de pression suffisamment bas pour correspondre à une sortie de l'atmosphère. Autrement dit, si le missile venait à retomber sur la Principauté sans être sorti de l'atmosphère terrestre, la charge ne se répandrait pas. Maintenant pour ce qui est d'une fuite du virus, croyez moi, il y a bien pire dans les Laboratoires Dalyoha, et rien n'en est encore sorti sans que M. Blaise Dalyoha n'en ait donné l'ordre... le complexe des laboratoires s’étend profondément sous l'île de Bourg-Léon et des mesures de sécurité sont prises à plusieurs niveau pour empêcher les accidents. Si toutefois cela devait se produire malgré tout, il aurait fallu au moins l'intervention de Dieu et contre cela, nous presque impuissants.

La salle applaudit.
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Une salle d'opération sous Bourg-Léon
Un jeune médecinDocteur Philippe Géminéon

Quelque part en dessous de Bourg-Léon, dans une salle d'opération, autour d'un patient allongé sur une table, le cerveau découvert. Le docteur Philippe Géminéon regarde à travers les lentilles d'une machine de précision et découpe quelque chose au laser à l'intérieur de la boîte crânienne. Il commente chacune de ses actions pour les expliquer au jeune médecin à ses côtés.

- Si nous incisons juste ici, vois-tu, nous sommes en mesure de déconnecter le tronc cérébral avec la moelle épinière. Le tout est de réussir une incision si fine que le corps ne réalise pas qu'il y a eu opération. Tant que le sujet reste endormi, le cerveau n'est pas en mesure de réaliser qu'il a perdu sa motricité, il faut donc garder le cortex en permanence dans un état d'engourdissement pour éviter le choc. De cette manière, il est possible de séparer le cerveau du reste du corps le temps de procéder à la greffe.

- Le cerveau ne risque pas de manquer d'oxygène ?

- Si, très rapidement, c'est pour ça que l'opération doit se dérouler en un minimum de temps. Chaque geste compte et il faut tout avoir prévu en amont, à commencer bien entendu par l'ablation du cerveau du receveur.

- Avez vous déjà réussi ce genre d'opération docteur ?

Philippe Géminéon grimace en se redressant avant de s'essuyer le front.

- Non, malheureusement. Du moins, pas avec les résultats espérés. Mais nous avançons à grand pas et grâce à Carnavale, nous ne manquons pas de cobayes. C'est ce qui fait défaut à la plupart de nos concurrents : l'occasion d'opérer un sujet humain se présente à eux peut-être une fois tous les cinq ans, et encore, si leurs comités d'éthiques l'acceptent. Ici, nous réalisons en moyenne un essai chaque quinzaine. C'est une chance que nous avons de travailler avec de tels moyens, ne l'oublions jamais.

- Ave Carnavale.

- Ave Carnavale. Peux-tu me passer le haut de la boîte crânienne s'il te plait ?

- Nous allons le refermer ?

- Bien sûr pourquoi ? Tu voudrais le laisser mourir ?

- C'est que... vous avez tranché son bulbe rachidien. Le cerveau est définitivement déconnecté du reste du corps.

- Il n'en mourra pas pour autant. Monsieur Dalyoha le veut en vie. Je me suis contenté de lui infliger un Locked-in syndrome. C'est sa punition pour avoir attenté aux intérêts des Laboratoires, il parait que pour certaines personnes c'est un sort plus dissuasif que la mort...

Le jeune médecin retroussa sa lèvre supérieur et passa au docteur Géminéon le morceau de crâne découpé.

- Un sort désagréable, effectivement, rappelez moi de ne jamais contrarier monsieur Dalyoha.

- Cela n'arrivera pas, je te rassure. Je trie sur le volet les médecins avec lesquels j'accepte de travailler et tes tests étaient excellents. Ton niveau de sociopathie est tout à fait impressionnant.

- Des sociopathes, des psychopathes, plus j'avance dans mes études et plus ma promotion n'est constituée que de savants fous... on pourrait se croire en mauvaise compagnie.

- La plus mauvaise compagnie est aussi la meilleure pour travailler ici. Les Laboratoires ont assez à offrir pour acheter la loyauté de leurs employés : nous savons parfaitement toi et moi qu'aucun autre endroit au monde ne nous donnera de telles opportunités de travail et des moyens aussi illimités. Les Laboratoires prospèrent en garantissant l'épanouissement de leurs résidents. Qui voudrait ruiner un tel endroit ?

- Beaucoup de gens nous haïssent en dehors de ces murs.

- Par ignorance et par peur. Ils nous bénissent quand nous guérissons leurs cancers et si nous parachevons l'immortalité humaine, ils nous vénèreront comme des dieux. Alors, tout sera pardonné. La civilisation occidentale n'a jamais boudé son confort de vie, même bâti sur des charniers. Elle s'empresse d'oublier ses crimes ou de se trouver des excuses dès qu'elle en a l'occasion. La morale n'est pas notre affaire, tout ce qui compte c'est le progrès.

- "Si je regarde en arrière, c'en est fini de moi."

Philippe Géminéon releva la tête avec curiosité.

- Vous connaissez la devise de l'ordre des chirurgiens ? Impressionnant, on vous a initié très jeune à ce que je vois. C'est un grand honneur de rejoindre cette fraternité étudiante, j'en ai moi même été membre dans ma jeunesse, juste après le Chaos. Et connaissez vous la version latine ?

- Si respiciam, mihi finitum est.

- Bien, très bien. "Si je regarde en arrière, c'en est fini de moi." Rien d'autre ne compte que le progrès, avancer sans cesse, tel est le mouvement de la vie, la seul loi naturelle qu'on ne puisse pas transgresser.

- Il y a la mort aussi. Nous devons tous mourir un jour.

- Pour le moment, mais ça ne durera pas. J'en fais mon affaire.
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Au milieu d’un rendez-vous politique, Améthyste Castelage ne peut s’empêcher de fouiner dans les papiers éparpillés sur le bureau du Docteur Philippe Géminéon. Celui-ci lui a demandé plusieurs fois de ne pas le faire mais elle lui a toujours rétorqué que s’il veut garder ses secrets intacts, il ferait mieux de ne pas laisser trainer ses notes à la vue de tous. Elle lui fait aussi remarquer qu’elle n’est pas surprise que Clarâtre Ventmoite ait réussi à collecter des informations sur lui si facilement… cela a le don de le mettre en rogne.

Ce jour-là, l’attention d’Améthyste s’arrête sur un bulletin de note, qui date d’il y a quelques années :

Olivier Métaphore

Améthyste siffle entre ses dents, impressionnée.

- Doué votre étudiant. Balthazar Métaphore ? Joli nom, poétique. C'est assez courant dans les bas-quartiers, c’est votre petit protéger Philippe ? Votre amant ? C’est vrai qu’il est beau garçon.

La question agace Géminéon qui lui reprend le papier des mains.

- Ne touchez pas à tout. J’ai… c’est… cela ne vous regarde pas.

- Maintenant que vous le dites, il y a un air de famille. Un parent ?

Géminéon ne dit rien.

- Un clone ? Mon dieu Philippe, alors c’est à ça que vous ressembliez jeune ? Vous avez dû faire tourner des têtes ! Un clone ! C’est vrai que je ne vous en connais pas…

- C’est parce que c’est le seul clone de moi qui existe.

- Alors c’est cela que Blaise vous a promis ? Un clone de vous-même contre une vie de loyauté ? C’est un peu décevant, presque banal… pourquoi ne pas simplement vous le payer ? Avec votre salaire, vous pouvez vous en offrir une dizaine.

Le professeur Géminéon hésite, le regard perdu qui fixe le visage du jeune homme du document.

- Ce n’est pas un simple clone. C’est un espoir. Une promesse.

- Une promesse Philippe ?

Elle s’est rapprochée, elle lui passe la main dans le dos dans un geste tendre, sans doute pour l’encourager à parler. Le docteur semble ne pas s’en apercevoir.

- Savez-vous depuis combien de temps nous greffons des organes ?

La question surprend Améthyste.

- Quelques décennies j’imagine ?

- Plus d’un siècle, Améthyste. Davantage encore, si l’on en croit les historiens. 1905, première greffe de cornée par le docteur Edouardam Zéphyr, sur un enfant aveugle. Une réussite. 1906, Mathieurysie Taboulé réalise la première greffe de rein sur une humaine, ici même, à Bourg-Léon. Un échec, mais qui ouvre la voie et nous en apprend beaucoup sur les rejets. A partir du Chaos, les essais se multiplient. 1942, en un an plus d'une cinquantaine de greffes de reins, des échecs encore mais chacun d'entre eux tient plus longtemps que le précédent. Dans la foulée, nous expérimentons. Des greffes de têtes de chiens, elles survivent plusieurs semaines. 1944, c’est la première greffe de rein réussie, sur des jumeaux. A partir de là tout s’accélère : foie, cœur, poumons, moelle épinière. Vous sauriez cela si vous aviez étudié à l’Académie ou simplement l'histoire de Bourg-Léon.

Améthyste fait mine de s’intéresser mais ne parvient pas à ravaler un bâillement.

- Je ne suis pas une de vos élèves, Philippe, cela ne répond pas vraiment à ma question…

- Aujourd’hui nous sommes capables de greffer presque tous les organes, sauf un : le cerveau. Imaginez, déplacer votre esprit dans un autre corps, plus jeune, plus vigoureux, reprendre une vie depuis le début.

- Mon corps est déjà jeune et vigoureux. C’est pour ça que vous vous êtes cloné, Philippe ? Pour avoir un corps dans lequel transplanter votre cerveau ?

- Le rejet est imputable à l’incompatibilité des corps. Dans la plupart des cas, ce n’est pas un drame, il suffit de procéder à une autre greffe, Carnavale ne manque pas d’organes à transplanter. Mais dans le cas du cerveau, il n’y a pas le droit à l’erreur, ce n’est pas un organe étranger qu’on se greffe, c’est nous, l’organe étranger. En cas de rejet, c’est la mort assuré.

- Alors vous vous êtes dit que si vous disposiez d’un corps exactement similaire au votre, le risque de rejet serait moins grand, c’est cela ?

- Oui. Voici le cadeau de Blaise Dalyoha à l’humanité : la vie éternelle. S’affranchir des limites de la chair, changer de véhicule autant de fois que nécessaire.

Améthyste a une moue boudeuse.

- Moi qui pensais que vous vouliez un fils à votre image pour reprendre votre héritage… en fait vous l’élevez dans le but de lui voler son corps. Est-il seulement informé de vos plans ?

Philippe Géminéon se tourne pour lui jeter un regard en biais.

- Vous me faites une leçon de morale ?

Améthyste rit.

- Pas du tout ! Faites-moi signe quand vous aurez fait le changement. Ce nouveau corps… il n’est pas mal du tout, et avec votre esprit, Philippe, vous n’êtes pas loin de créer un homme parfait.

Elle lui adresse un clin d’œil avant de prendre la route des jardins.
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