11/05/2017
16:20:18
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Bilan bilatéral Velsna-Grand Kah

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Bilan bilatéral Velsna-Grand Kah



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Il n'y a rien qui pouvait rivaliser avec la côte nord de la plaine velsnienne, du moins...d'après ses habitants. Ce qui portait le nom de "Chôra", qui désignait autrefois le territoire juridique où la ville de Velsna étendait son autorité propre, avait fini par s'accoler au nom de la région, qui avait été hérité des différentes vagues de peuplement que le pays avait traversé, avant de le supplanter dans les bouches de ses habitants, chez qui le temps avait son éternel travail de déformation progressive des noms de lieux, tout comme le -s de Velsna avait fini par remplacer le -z de "Velzna". Les choses changent lentement par ici, mais elles bougent de manière irrépressible comme partout ailleurs, que ce soit dans la linguistique comme exposé, dans la culture, dans les mœurs et dans les structures sociales que les Hommes adoptent, avant de les délaisser au profit d'autres, plus pratiques. C'est dans cette chôra qu'avait lieu ce qui s'apparentait à une banale rencontre entre plusieurs membres de l'aristocratie foncière velsnienne...enfin...pas précisément. En regardant au détail la terrasse de cette villa de campagne isolée, on pouvait observer des détails qui ne sautaient pas nécessairement aux yeux des non-avertis, mais dont les avisés et les malins pouvaient dessiner le contour d'autre chose. Il y a plusieurs choses qui distinguent une simple réunion de famille aisée d'un évènement plus important: le nombre de gardes du corps est une première chose, la surveillance discrète de membres des forces de l'ordre local aux bord des routes avoisinant la demeure en était une autre.

C'est ce décor champêtre qui avait été choisi pour accueillir ce que les membres du Gouvernement Communal appelèrent pudiquement et d'une façon tout à fait velsnienne un "bilan bilatéral", une dénomination commode pour éviter certains membres du Sénat quelque peu voyeurs de s'intéresser de trop près à ce dossier, pour la simple raison que les invités étaient d'une nature prompte à ranimer les peurs de certains conservateurs, à tort ou à raison. Des kah-tanais, rien que cela, ou plus précisément, la venue de celle qui avait été la principale interlocutrice entre les deux gouvernements, était attendue sur cette terrasse, qui si elle ferait pâlir le commun par ses fioritures et son luxe, ne paraissait pas un cadre si habituel que cela lorsqu'il s'agissait d’accueillir une rencontre internationale. Ce n'était pas la première fois que cette villa, propriété de la Maîtresse du Grand Commerce Julia Cavalli était utilisée à cette fin. Il y en eu d'autres, des "communistes" entre ces quatre murs. C'est dans la bibliothèque de cette même villa que s'était tenue à l'abri des regards la dernière entrevue entre Matteo Di Grassi et le non moins fameux secrétaire général de la Loduarie. Dans la mesure où beaucoup de membres de factions conservatrices ou même libérales ne faisaient pas de différence entre loduarien et kah tanais sur le plan politique, ce lieu s'était imposé de lui-même. Le lieu des rencontres dont on fait bien de ne pas parler.


Sans nul doute, la kah tanaise se souviendrait longtemps de la manière dont elle fut amenée jusqu'à ce lieu, au vu de l'apparence de ce qui fut son chauffeur. Non pas qu'il ne fut pas bien présentable ou à bord d'une voiture de fortune, au contraire, il était beau comme un astre, le veston de velours parfaitement sur mesure, lunettes de soleil et sourire en coin. Mais il avait davantage la démarche d'un voyou que d'un taxi. L'un de ces mêmes voyous qui sonnèrent à sa porte avec un téléviseur dans les bras. Franc jeu, il annonça la couleur d'entrée de jeu à Iccauthli avant de l'emmener dans la Chôra:

"Bonjour madame. C'est un plaisir. Ne vous en faites pas pour le "manque de protocole", je ne suis pas de la maison à vrai dire. Ils ont demandé à ce qu'on remplace les chauffeurs dédiés aux sénateurs, et qu'on fasse leur travail. Je vous en prie, montez."

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Entorse au protocole était un euphémisme, le jeune homme parlait beaucoup trop, et dans aucun monde il était chauffeur à plein temps...ou du moins pas pour des hommes politiques, ce qu'il dévoila sans que la communaliste ne lui demande.

"Alors...euh...madame...est-ce que le home cinéma était un bon cadeau ? Je dois vous avouer que chez nous, on a reçu carte blanche de la part de Monsieur Di Grassi. On devait lui rendre un service vous savez: donnant-donnant, vous savez ce que c'est. C'est comme pour ce soir. Mais même si vous n'avez pas aimé le cadeau...est-ce que cela vous dérangerait de lui dire une fois là bas que vous avez apprécié le geste ? C'est bon pour l'image de notre...entreprise. On est comme qui dirait des contractuels ce soir !"

Il a un rire nerveux, presque gêné.

" Bref, de notre coté on espère que vous apprécierez le séjour....Alors comme ça...vous êtes quelqu'un d'importante ? Pas vrai ? Je sais pas, je demande parce...pour tout vous dire je suis qu'un soldato moi...je fais ce qu'on me dit, et il y a que mon boss qui savait qu'on allait livrer une TV à...quelqu'un de votre stature quoi...je croyais que vous étiez juste une cliente de l'orga moi ! Mais bref, j'arrête de vous embêter...Dites: vous sentez pas comme cette caisse est confortable, on a vraiment aucune vibration: je l'ai eu à Rasken. Croyez moi, ils savent pas faire de musique mais ils ont des sacrées cylindrées...et je parle pas des filles hein ! Oups...excusez moi je m'emporte..."

bla bla bla bla...

Il eut beau dire qu'il "arrêterait", le jeune homme en fut bien incapable, et parla avec la kah tanaise durant tout le trajet...mais la plupart du temps, il causait tout seul. Impertinent peut-être, mal formé sans aucun doute, mais malpoli en aucun cas. Il prit la peine d'ouvrir la portière à la "politicienne" une fois la Steiner raskenoise garée dans la cour de cette villa rurale.

"Et voilà, nous sommes arrivés. Passez une agréable soirée, madame, et oubliez pas...pour le cadeau. Bonne soirée !"



Iccauthli fut ballotée du chauffeur vers le garde du corps qui campait devant l'entrée principale, et dont la différence de ton marquait le changement de monde, comme si la kah tanaise venait de passer brusquement de l'univers des voyous à celui de la politique, dont la frontière était ici très ténue: ils ne se mêlaient jamais, mais Actée venait de traverser un pont qui liait les deux mondes. On remplaça le "Bonjour madame" par un "Votre excellence, on vous attend sur la terrasse, permettez moi de vous accompagner.".

Il y avait dans le grand jardin des odeurs entremêlées, que l'on pouvait sentir bien avant d'apercevoir qui que ce soit: l'odeur du vin, de la viande braisée et des accompagnements, sur fond de senteurs champêtres absentes à Velsna: nous étions en février, et les semailles du printemps des champs environnants venaient d'être plantées. Ce n'était pas une rencontre comme une autre, c'est évident: Actée Iccauthli faisait irruption dans l'intime de la politique velsnienne, bien loin des marches du Sénat et des couloirs polisés. Ce n'était pas unique en soi: avant elle, un certain "Timonier loduarien" avait déjà pénétré ce cercle de confiance, si seulement on pouvait l'appeler ainsi.

Le comité d’accueil était déjà attablé: trois hommes et une femme, qui visiblement n'avaient pas attendu les invités pour débuter les préliminaires du repas. Lorsqu'on l'annonça, Di Grassi se leva le premier, droit comme un i, non sans avoir éponger le pourtour de sa bouche avec une serviette:
" Excellence Iccauthli. Nous attendions, c'est un véritable plaisir. Permettez moi de vous présenter dans l'ordre, Carlos Pasqual, Maître de la garde..."

L'homme en question avait un cigare au bec, et était de toute évidence le plus âgé de cette petite bande. Son sourire n'arrivait pas à faire oublier cette allure inquiétante, pire, cela le rendait plus angoissant encore...

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"...Ensuite, voici l'hôte de notre soirée, son excellence Maîtresse du Grand Commerce Julia Cavali..."

La poignée de main de cette quarantenaire aux cheveux teints, dont une certaine élégance et un attachement à l'image transparaissait, était décidément bien plus chaleureuse que celle de son compère.

"...Et voici Sergio Albirio, sénateur en son état."

Ce n'était pas un sénateur, c'était une montagne qui le faisait paraître davantage homme de main qu'homme politique. La voix rauque, grave, mais somme toute très courtoise. Le plus étonnant fut que parmi tous ceux là, il fut celui qui était assis le plus près de Di Grassi.

"Je vous en prie excellence, prenez place. Je pourrais vous charger de suite et parler de politique, mais soyons francs: nous mourrons de faim, alors nous piuvons tout à fait faire les deux en même temps. Vous aimez le polpo ala griglia ? Du poulpe frit, en somme."



Pour être tout à fait honnête, la première partie du repas qui suivit ne fut pas tout à fait centré sur "la politique": on jonglait en l'espace d'un instant d'un sujet à l'autre, sans souvent aller en profondeur des choses. Il y avait davantage d'anecdotes et de souvenirs que "d'affaires urgentes". Mais dans ce petit monde, la séparation en intime et politique était des plus floues, comme tout le reste ici. Iccauthli avait sans doute le sentiment que ce genre d’occurrence, ces discussions nocturnes en terrasse autour d'une table, était l'endroit où se décidait bien des choses, même si l'on devait subir les anecdotes de la guerre civile du Sénateurs Abiate. Les commentaires sur diverses figures fusaient, et il y avait toujours un silence gênant lorsque le nom de Scaela était prononcé: "Dans mes rêves, je le tue presque chaque nuit." , pouvait-on entendre murmurer du côté de la Maîtresse du Grand Commerce, tandis qu'Abiate, dés lors que la discussion se recentrait sur le sujet, temporisait par des anecdotes et des histoires cocasses, comme lors du jour du coup d'état, lorsqu'il tenta de s'échapper de la ville à la nage, mais qu'il fut mis en état d'arrestation par l'un des des partisans du "tyran".

" Ni une ni deux j'essaie de me faire la malle du Sénat mais vous devinerez jamais par qui je me fais arrêté: ce connard de sénateur Enrico... ses gorilles m'ont choppé. Enrico se plante devant moi, j'ai les yeux à moitié fermés à cause de la flotte. Il se ramène il me dit "Tu fais quoi là Albirio !". Je lui réponds juste "Je me baigne. J'ai pas le droit ?".

C'était le genre d'histoire à mettre sous le tapis les malaises et les tensions avec quelques rires. Rapidement, on passait ainsi d'histoires en histoires, bifurquant sur la visite du loduarien à Velsna durant la guerre civile, qu'Albirio ne se gêna pas e raconter à la place d'un Di Grassi plus réservé:

" C'était vers le début de la guerre civile, si je me souviens bien, et le secrétaire général nous avait donné rendez vous près d'un observatoire à la frontière. On était arrivés en costumes, très protocolaires, propres sur nous, vraiment impeccables. D coup on attend, on reste plantés là dix ou quinze minutes, et on fini par voir un hélico se pointer. Pas un hélico présidentiel ou un truc du genre non...un hélico militaire. Et on voit le loduarien: uniforme et camouflage intégral qui descend en rappel avec une corde, comme un agent secret. Je peux vous dire que vous auriez dû être là pour le voir, excellence Iccauthli !"


Lentement mais sûrement, les petites histoires laissent place à davantage de sérieux, malgré le fait que la bouteille de vin sur la table se vide progressivement, elle aussi, effort auquel seul Di Grassi ne participe pas, intrus parmi les buveurs avec son verre d'eau. L'heure tourne, et le premier sujet notable de la soirée fait subrepticement surface, non pas parce que quelqu'un a posé spécifiquement le sujet sur la table...mais parce que les histoires avaient été détournées le temps d'un instant sur l'Ouwanlinda, et sur Olinga, par Di Albirio, incontestablement l'animateur de la soirée, et dont Iccauthli pouvait commencer à deviner pourquoi il avait été amené ici en dépit de ne pas être un membre du gouvernement: il savait faire ce que Di Grassi ne savait pas faire, chauffer une salle. Carlos Pasqual y donna son sel le temps d'un instant, lui qui avait passé de longues minutes à scruter discrètement la kah tanaise:

"J'ai connu l'époque de la décolonisation. J'étais jeune, bien sûr, mais dans les années 80, on ne s'intéressait pas encore au "phénomène Ateh". Quand on y regarde de plus près, ce chef de guerre a conquis le pays en utilisant les mêmes méthodes que celles qu'on avait utilisé là bas pendant la conquête, mais il les a très habilement retourner contre tous ses ennemis. Il a fait comme tous les velsniens: il s'est constitué une clientèle pendant l'époque du régime des hatti, il a construit un réseau personnel, il s'est nourri de la détestation des hatti, et il a grandit comme cela..et puis au beau milieu de nul part...tac, raid de la voie Biaggi, et il devient une icône. Voir que les clovaniens et les sylvois jouent avec les nerfs d'un type comme ça, je trouve cela très inquiétant."

Di Grassi renchérit d'une forme d'admiration pudique pour l'homme, cette fois-ci clairement dans la direction d'Actée:
" C'est peut-être impertinent de le dire mais...pour être honnête, il ferait un très bon commandant velsnien. Le raid de la voie Biaggi était un exploit sans pareil au vu de ses moyens, un vrai petit miracle stratégique qui témoigne de grandes connaissances en guérilla. Si vous voulez mon avis...et c'est ce que j'ai déjà dit aux onédiens: sous-estimer cette personne est une grave erreur que tout le monde a fait avant eux, et ils ont tous fini par le payer. Le régime des hatti, celui des chefs de guerre Swouli, ce bon vieux Idi Amar...et maintenant les clovaniens et les sylvois. Ils tombent tous dans le panneau, c'est d'un amateurisme déconcertant dont Olinga profite systématiquement. Eux, ils voient un seigneur de guerre illettré et analphabète parlant à des crocos, mais il est bien plus que cela. Il ne sait pas lire, mais il est doté d'une indéniable intelligence tactique, doublé d'une personne à l'intelligence sociale remarquable. Il suffit de voir la vitesse à laquelle il a retourné l'opinion de l'intégralité de l'Afarée, ce même après avoir tué un chef d'état à coup de missile. Les clovaniens ont été extrêmement imprudents, et ils le paieront cher, c'est évident. Et si d'aventure ils débarquent en Ouwanlinda, ils n'en repartiront jamais, à coup sûr. En tout cas, il n'y a qu'une seule chose pire que de faire face à un idiot pensant pouvoir parler à des alligators: un homme intelligent pensant pouvoir parler à des alligators."

Matteo Di Grassi se tourna vers Iccauthli, tout en se servant de la carafe à nouveau. Visiblement, celui-ci était arrivé là où il voulait mener la conversation:
- Et vous excellence ? Au vu de la proximité assumée du Kah avec l'Ouwanlinda, je suppose que vous avez vos propres observations à nous faire. Nous sommes curieux: qu'en pensent les kah tanais ? De toute cette affaire afaréenne. Le continent a l'air à feu et à sang, mais je dois noter que les choses avancent plutôt bien pour vous: l'Antegrad demande à ses anciens partenaires de lever le camp, vos alliés du Gondo semblent sur le point d'entrer dans la capitale du pays... les choses ont l'air de prendre un tournant heureux. Non pas que nous apprécions particulièrement les communalistes, si je devais être honnête avec vous, pas plus que vous ne nous appréciez particulièrement...idéologiquement parlant, bien entendu. C'est chose naturelle, mais nous connaissons toutefois la grande pertinence de vos avis, et nous en prendront volontiers compte dans le cadre de nos relations en Afarée. Dans tous les cas, ce phénomène de Pacte afaréen de sécurité est fascinant à observer est sans conteste Azur, cette théocratie qui construit petit à petit son petit monde...


HRP: Vu le nombre de participants à la réunion et sa longueur prévue, je me permets de faire la liste des fonctions des persos pour te retrouver plus rapidement:
- Matteo Di Grassi: Maître de l'Arsenal et sénateur.
- Carlos Pasqual: Maître de la Garde et sénateur.
- Julia Cavalli: Maîtresse du Grand Commerce et sénateur.
- Sergio Albirio: Sénateur et proche collaborateur de Di Grassi.
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« Et c'est là que je lui ai dit, madame, que si les tomates de Velsna sont les meilleures du monde, ce n'est pas pour rien ! »

La voix du chauffeur, chaleureuse et envahissante, emplissait l'habitacle. La citoyenne Iccauthli hocha la tête avec un sourire qu'elle espérait convaincant. Mais ses pensées étaient ailleurs. Loin du chauffeur, loin même du gouvernement oligarchique de cette région et de son rapprochement inquiétant avec l'ONC. Les traits d’éternelle inquiète de la citoyenne, cette espèce de mécontentement boudeur et attentif qui mettait ses interlocuteurs sur leurs gardes et semblait faire craindre à tous une soudaine explosion d’agacement, cachaient cette fois des réflexions que l’on réserve généralement aux fins de carrière ou aux moments les plus désagréables.

Ce qui est cohérent, se dira-t-elle dans un bref moment de recul. Elle approchait de la fin de sa carrière, et la guerre menée par l’OND contre Carnavale lui avait imposée un certain nombre de moments des plus exécrables. De la volée de bois vert qui avait suivi les dernières déclarations communales aux interminables réunions d’un Comité de Volonté Public qui sentait que la situation pouvait bien lui échapper. Puis enfin il y avait le cas Rai "Itzel" Sukaretto. Fille d’empereur, égérie culturelle, commissaire huit heures par jour et casse-couille de compétition sur son temps libre.

Actée l’appréciait. L’appréciait très sincèrement et avec une force qui l’avait parfois un peu décontenancée. C’était aussi pour ça qu’elle lui laissait l’opportunité d’à ce point la fatiguer, et de la mettre dans des états d’inquiétude ou de colère que même les plus grosses crises qu’elle avait traversées à son poste lui avaient épargné. Ainsi, par exemple, elle avait été incapable de se calmer depuis que la citoyenne avait cru bon de l’appeler pour l’informer de son intention de se rendre à Carnavale. Sous les bombes. Pour y enlever un enfant (cloné) au sein de l’Hôtel Particulier servant de nid à ce qu’il restait de l’engeance nobiliaire impériale.

Une décision irraisonnable. Dangereuse. Une décision qu'Actée désapprouvait tout naturellement.

Elle avait bien tenté de pleinement mobiliser ce que les termes employés par ses amis avaient consacrés comme son « autisme », soit une formidable capacité de détachement, mais elle n’y était tout simplement pas arrivée. Et l’idée que son amitié formidable, en grande partie basée sur l’incompréhension, les conseils de mode et les petites vexation, pourrait prendre fin, l’idée que sa prochaine rencontre avec Rai pourrait avoir lieu dans une morgue, ou pire, dans une rue éventrée, petit tas de chair brisé et anonyme parmi d’autres, provoquait chez elle une très intense sensation de détresse. Un frisson glacial lui parcourut l'échine, et elle dut contracter les doigts sur ses genoux pour ne pas trembler. Elle voulait l’avoir, face à elle, et lui envoyer un coup de poing dans la gorge. Comme elle lui avait appris durant leur jeunesse. La mettre à terme et faire disparaître son sourire abruti de mange-merde, si fière d’avoir réussi à la consterner, une fois encore, et incapable de prendre le monde – sa propre vie – au sérieux.

Mais ça attendrait. Elle était à Velsna, et l’Union avait besoin d’elle. Alors elle fit un effort important et se concentra. Ses goûts discutables en termes d’amies, et plus généralement de femmes, n’étaient pas à l’ordre du jour et elle supposait que le romantisme kah-tanaise, dans toute son expression parfois grotesque, intéresserait assez peu son « ami » Velsnien et ses obligés.

« C’est très joli », commenta-t-elle finalement en portant son regard sur le paysage rural qui défilait derrière la vitre de la voiture. Elle trouva son ton encore un peu éteint, voir carrément absent, et se concentra. Elle était dans un pays de gens sanguins et extravertis. La froideur protocolaire que les kah-tanais réservé aux inconnus, ce tempérament rigide qui passait chez eux pour de la politesse, pourrait être mal interprété. Il fallait leur donner un gage, projeter un peu de cette chaleur humaine rayonnante qui ne manquait pas d’inonder toute situation sociale comptant plusieurs « citoyens ».

« En fait vous savez, ce n’est vraiment pas grave pour cette histoire de protocole. Tout est beaucoup plus détendu au Grand kah, alors votre façon de faire ne me dérange pas. »

Encore insuffisant. Elle sourit en continuant de l’écouter. Ce homme n’avait manifestement pas besoin d’aide pour parler. Il le faisait tout seul, au fil de sa pensée et avec une absence remarquable de réserve. Autant de qualité qu’elle jugeait tout à fait charmantes.

« C’est amusant », fit-elle enfin remarquer. « Je pensais que monsieur Di Grassi avait lui-même choisi le cadeau. Je trouvais l’image du sénateur fouillant un catalogue très amusante. Mais bon la copie du masque était déjà suffisamment personnelle. Et oui, le home cinéma était une bonne idée. Je ne manquerai pas de lui glisser. »

Elle descendit de la voiture en remerciant le conducteur d’un signe de tête, puis le salua d’un « Salut et fraternité ! » prononcé d’un ton léger. Elle portait une tenue d’été – le climat ici était remarquablement similaire à ce qu’on trouvait au nord du Grand Kah et elle n’en souffrait donc pas particulièrement. Pourtant, malgré les bottines, la chemise, la veste, elle se sentait nue. Son escorte diplomatique habituelle lui manquait.

C’est Velsna, rationalisa-t-elle avec une certaine lassitude. Ici la politique était affaire interpersonnelle. Évidemment qu’il n’était pas acquis pour ces gens qu’une représentante de son niveau ait besoin d’informations sur l’opinion des communes, de se concerter avec d’autres élus, qu’elle ne pouvait pas simplement mener sa barque sur la base de sa stature ou de son charisme personnel. C’était pourtant bien simple, Actée, pour toute son influence, ne disposait d’aucun réseau d’obligé au sens où l’entendraient les velsniens. Tout exercice strictement solitaire du pouvoir la mettait profondément mal à l’aise. De toute façon les institutions kah-tanaises rendaient l’exercice périlleux et difficilement réalisable.

Ce pourquoi elle avait pris le temps de préparer toutes les éventualités lors d’une énième réunion fleuve avec les comités de la Convention Générale. Elle devait s'assurer du soutien, ou au moins de la neutralité bienveillante, de Velsna dans le grand jeu international. Ainsi les deux joueurs devaient maintenant faire le compte de leurs cartes, et de ce qu'ils pouvaient en faire. Tout dépendrait de Di Grassi. Et pour cela n’était certes pas une plénipotentiaire, mais s’en rapprochait maintenant autant que le permettaient les structures de la démocratie directe.

En fait le seul lien qu’elle arrivait spontanément à tisser entre les pratiques du pouvoir qui allaient bientôt échanger, c’était le caractère amical du ton que l’on pouvait employer. Les kah-tanais se traitaient en égaux et en alliés. Ils se parlaient par conséquents en amis. Et ici, eh bien, c’était simplement un pilier du clientélisme. Tout cet état fonctionnait comme une Mafia. Enfin. Cette logique moins matérialiste qu’humaine avait été le terreau de l’alliance silencieuse entre la Grande République et l’Union, et elle se garderait bien de la critique.

Arrivée dans le jardin, elle constata qu’elle avait bien fait de ne pas apporter son attaché-case. Combiné à son look et à la scène, elle aurait eu la désagréable sensation d’être l’avocate d’une quelconque branche d’un syndicat du crime local ; Au moins, maintenant, elle passait plutôt pour la belle-fille métrosexuelle. Elle contint un ricanement et leva une main pour saluer l’assemblée.

« Excellence Di Grassi, merci de m’avoir invité. Le trajet était long mais très agréable, en partie grâce au chauffeur que vous m’avez envoyé. »

Son regard se porta brièvement sur Carlos Pasqual, dont elle décida d’ignorer tout ce qu’elle savait déjà sur le personnage. Quelque chose remontait en elle, depuis ses jeunes années, lorsqu’elle n’était qu’une étudiante en exil. Une haine farouche et bien documentée de la police. Qu’elle ravala tout en allant s’installer. La Maîtresse du grand Commerce et le sénateur Albirio – qu’elle n’arriva pas à qualifier autrement que Sergio, quelque chose dans le nom l’amusait – lui furent plus immédiatement sympathique.

Actée se révéla être une invitée tout à fait agréable. Il lui fallut quelques instants pour bien cerner la situation sociale et les codes implicites qui semblaient la caractériser, après quoi elle s’y adapta rapidement se révéla tout à fait capable de fournir son lot d’anecdotes et de plaisanteries. Encore que les siennes gardaient une certaine forme d’élégance et de complexité qui, en soi, ne détonnaient pas vraiment du caractère si particulier la citoyenne. La mention de Scaela lui imposa un bref silence, durant lequel elle chercha encore comment se positionner pour ne pas déteindre, puis émis sa propre anecdote, concernant la rencontre fatidique où le Grand Kah et Di Grassi avaient tout à la fois signés une coopération durant la guerre civile et – du reste, un pacte cinématographique. Elle ne fit aucune mention de la ville du sénateur, jugeant le sujet dangereux.

De la même manière, la rencontre avec Lorenzo lui arracha un rire un peu franc – plus encore que les autres, et remarquable en ça que son regard s’égara un instant en direction du sol, chargé d’une forme mal défini de regret.

« Mais oui, j’aurai dû être là ! Vous savez », avouera-t-elle enfin, « je vais vous faire une confidence : n’aie jamais rencontré le grand homme. Pas personnellement. Pourtant j’aurai vraiment aimé. Cela dit je crois que je lui aurai assez rapidement déplu. De toute façon l’Union et la Loduarie coopéraient moins souvent qu’elles ne se tiraient dessus. »

Elle haussa les épaules. Les résultats de ces fusillades, s’ils représentaient autant de drames humains et individuels regrettables, s’apparentaient aussi à des victoires stratégiques kah-tanaise. Au fond, la Loduarie avait jouée son rôle, et tout ce qu’elle aurait pu tirer de son secrétaire général c’était un amusement malsain. Mais tout de même…

La soirée avançait. Actée en était à son deuxième verre, et savait dors-et-déjà que ce dernier resterait plein jusqu’à la fin du repas. Elle ne buvait pas, ou plutôt très peu. Généralement pas convention sociale. La dernière fois que Di Grassi l’avait vu accepter un verre, c’était par politesse. Si ses fiches avaient détaillé le caractère ascétique de son hôte, alors elle l’aurait imité. Elle inclina la tête sur le côté, ce qui chez elle semblait témoigner d’un important degré de concentration, et acquiesça lorsque Carlos Pasqual commença son récit.

Globalement elle eu la nette sensation que les velsniens prenaient Ateh très au sérieux. Cela la surprenait très profondément. Le seigneur de guerre de l’Ouwanlinda avait son utilité, et était essentiel pour maintenir le pays en paix faute d’alternative crédible. Il avait aussi, c’était indéniable, un fort charisme personnel et une intelligence tactique remarquable. Pour le reste le Grand Kah n’aimait pas individualiser des concepts, et l’Ouwanlinda était un concept que l’on préférait juger indépendamment de son dictateur. Peut-être que cette approche avait fait manquer quelques subtilités aux fonctionnaires du Commissariat aux Affaires Extérieures. Peut-être au contraire qu’elle les avait prémunis d’une admiration déplacée de ce qui restait, au fond, un homme parmi d’autres.

Elle acquiesça à nouveau, et joignit les mains sur la table. Le goût du poulpe grillé lui restait en bouche comme une caresse épaisse et exotique. Jusque-là, la soirée avait été plutôt agréable, mais l
es chose sérieuses commençaient enfin.

« L’OND sous-estime ce qu’elle peut détruire. Et en y mettant suffisamment de force brute, elle peut presque tout détruire. »

L’art rhétorique kah-tanais aimait bien ces petits aphorismes essentialisant, d’autant plus lorsqu’ils visaient un élément ou concept dont on savait qu’il ne faisait pas l’unanimité. L’insulte – d’autant plus cinglante si elle était vraie – détendait l’auditoire et créait un climat propice à la bonne écoute.

« La mésaventure de Carnavale nous en dit long sur leur jugement, maintenant, et il est évident que pouvoir détruire quelque chose ou quelqu’un ne signifie pas pouvoir le faire sans souffrir. Ateh a cette formidable capacité à survivre. Il se rend trop dangereux à détruire pour qu’un adversaire sensé tente réellement l’aventure. Personnellement, j’ai beaucoup d’admiration pour les survivants. »

Elle rejeta la tête en arrière et fixa brièvement le col. Ses yeux suivirent un instant le vol bas des hirondelles.

« Pour moi le plus grand mystère est de savoir ce que veut Ateh. L’indépendance pour son pays, la vengeance de l’humiliation coloniale ? Il nous donne accès à son peuple et nous donne les moyens de l’aider. C’est une entente mutuellement profitable. Nous épargnons d’importants travaux à un régime qui n’aurait de toute façon pas les moyens de les mener. Nous sauvons des vies humaines et préparons le terrain à l’édification d’une société civile éduquée, en bonne santé, prospère. Derrière, le régime Olinga nous soutien directement ou indirectement dans nos efforts émancipateurs en Afarée. Est-ce qu’Ateh est aussi idéaliste que nous ? Est-ce que notre idéalisme lui est utile ? Est-ce vraiment important de le savoir ? Au fond qu’un chat soit blanc ou noir, il est un bon chat s’il attrape les souris. »

Elle eut un rire dénué de joie.

« Et à ce jour Ateh attrape de nombreuses souris. »

Son regard balaya un instant l'assemblée, jaugeant leur réaction.

« À vrai dire, l’Afarée est un continent faisant face à l’éternel défi de sa construction.. Que faire d’un continent où se trouvent le Churaynn impérialiste et brutal, l'Azur et ses conceptions ordonnées du panafaréisme, et le Faravan – qui se contente d’appliquer la ligne dure de l’OND – l'UC Sochacia, qui sont des amis sincères de la cause révolutionnaire, désormais Cramoisie ?

Tout porte à croire que la puissance dominante du continent est et restera Azur. Elle peut aisément obtenir le soutien de puissances extérieures, dont elle parle la langue et auprès desquelles elle s’est assurée de bonnes relations après une tournée diplomatique d’envergure. Avant l’implantation de Cramoisie, le Califat envisageait très sérieusement d’utiliser ses capacités balistiques pour brutaliser l’Ouwanlinda. Cette position a finalement été abandonnée afin de maintenir l’unité Afaréenne face à un danger extérieur.
 »

Elle fit une pause, tant pour laisser le poids de cette information s'installer, que pour ravaler une soudaine bouffée d'angoisse qui lui remontait. Carnavale. Rai est à Carnavale. Et là-bas, les missiles tombaient corps et bien. La citoyenne bu une petite gorgée d'eau.

« Cet élément et un bon microcosme du cynisme – ou de l’intelligence – de l’Azur. C’est peut-être, aussi, un beau succès pour l’Ouwanlinda même qui peut réintégrer la communauté des nations après ses tirs très vivement critiqués.

Le Grand Kah considère que l’Afarée est désormais dotée de ses propres pompiers. Il est impossible de savoir si la multiplication des incendies – Cramosie, Churaynn, empêchera l’Azur et ses alliés d’organiser un nouvel ordre continental et, pour être honnête, cette possibilité ne nous inquiète pas. Nous avons d’excellentes relations avec plusieurs pays du continent, comme je l’exprimais plus tôt. Des relations qu’un pays à la diplomatie arriviste, si bien menée qu’elle fut, ne pourrait facilement défaire. Pour nous il est simplement important de manœuvrer pour nous assurer que ce nouveau bloc Afaréen reste non-aligné en tant que tel. Ce qui est compliqué à assurer dès-lors que le Faravan y prend part, mais peut être obtenu en continuant de focaliser ses membres sur des crises diplomatiques, militaires, ou les revendications anti-coloniales qui animent une grande partie de la population du continent.
 »
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"C'est vrai ça, Matteo ? L'accord de partenariat culturel ? Je ne m'en souvenais même plus..."

Le Maître de la Garde Pasqual n'avait point l'air de se souvenir des précédents accords avec le Kah, peut-être par oubli de mémoire, mais aussi certainement car de tous les membres du Gouvernement communal, il était probablement le plus réservé à l'idée du rapprochement progressif avec le Kah. Aussi, il aimait à rappeler sa voix discordante, parfois par des moyens détournés moins grossiers que: "Ces communistes doivent être matés comme j'ai maté les syndicalistes du Groupe automobile Strama". Le sénateur Albirio lui répondit sur le ton de la plaisanterie:

"On se demande bien c'est quand la dernière fois que t'as posé les pieds dans un cinéma Carlos ! Mon père devait encore être au service militaire dans la Garde civique !"


La moquerie avait l'air d'être commune dans ce petit groupe, mais c'était une bravade qui paraissait structurer un ensemble, qui faisait partie d'un code commun qui signalait le fait que la kah tanaise était en train de percevoir l'intime de ces individus, qui d'ordinaire sont connus pour l'usage d'une rhétorique alambiquée sur les marches du Sénat. Ils font partie d'un groupe, et celui-ci est soudé, pas seulement par des intérêts de classe, mais par des aléas de l'existence.

Il ne fallait pas sous-estimer l'ampleur des transformations que la cité velsnienne avait connue ces dernières années, et ne pas penser que l'élite velsnienne était un bloc monolithique qui était demeuré inchangé par autant de morts. Au contraire, Actée n'était pas entrée dans un cercle de grands rhéteurs, de philosophes, et autres attributs pompeux qui étaient appropriés par ce que l'on nommait "l'aristocratie sénatoriale". Elle dinait parmi cette frange de la petite notabilité de province, dont Di Grassi n'était que le représentant le plus connu à l'étranger, et qui avait subtilisé le pouvoir à toutes les autres factions conservatrices, l'ancienne aristocratie fortunéenne comprise. Assurément, ce n'était pas autour de cette table qu'elle entendrait des récits d'une historiographie imbue d'elle même et méprisante: avant la guerre, Di Grassi était le seul sénateur parmi ce groupe, et il était avant tout soldat natif de la petite cité perdue de Strombola. Carlos Pasqual était un petit magistrat de Cerveteri, qui s'est rallié à Di Grassi durant son séjour forcé en Afarée. Julia Cavali était une avocate d'Umbra spécialisée dans le droit des étrangers, dont le mari a participé de manière notable à l'ouverture du port d'Umbra à l'armée di grassienne en 2014, avant d'être assassiné. Quant à Di Albirio, il était un ami d'enfance du Maître de l'Arsenal, qui le connaissait depuis la guerre de l'AIAN dans les années 1990, et qui avant 2015, était davantage homme de main que poète. Malgré les tensions, ils étaient donc comme les doigts de la main, proches par la force des choses.

Di Grassi ne tarissait pas d'éloges, certes timides, au propos du loduarien, dont le nom apparaissait et disparaissait subrepticement d'ici et de là, laissant paraître quelques pensées nébuleuses et non filtrées, sous-entendant autre chose:
" Son impulsivité et sa foi m'ont rendu jaloux, vous savez. Il n'était pas tant un bon stratège que cela, médiocre même, mais il a prouvé que l'effet de surprise et l'agressivité, si ces deux qualités sont bien utilisées, sont des atouts absolument indispensables quand on fait de la politique...et la guerre. Nous devrions apprendre tant de ses échecs que de ses réussites, cela nous sera utile pour la suite...oui, la suite..."

Pasqual, qui jusque là était plus volontiers observateur, recentra la conservation sur l'Afarée, sujet dont il ne caressa que l'écorce, comme pour dire que ce n'était pas là finalement l'affaire pour laquelle la kah tanaise était en face d'eux:
"On peut être admiratifs d'Olinga en effet, et de toutes les théocraties qui ont le désir d'être davantage que cela...dans tous les cas, ce sujet mérite une clarification de la position velsnienne sur ce continent, après tout...ce n'est pas que pour les fritures que nous sommes là. Un premier bon point pour nos relations est que la Grande République n'a que peu d'intérêts directs dans la région, pas même des accords commerciaux avec de potentiels partenaires. Donc...amusez vous avec Olinga, l'Antegrad ou qu'importe le nom du régime comme bon vous semble. Il est clair que nous ne nous focalisons en rien sur ce contient en ce moment, ce n'est pas là où selon nous, va se jouer les "points de friction" de ces prochains mois, du moins parmi ceux prompts à bouleverser l'échiquier..." Message secretInformation secrète réservée aux personnes autorisées

Encore un sous-entendu... Pasqual alternait entre des remarques de la sorte, et le verre de vin qu'il y avait devant lui, et qui était rempli, vidé, puis re-rempli. Di Grassi rebondit immédiatement:

"Nonobstant, je pense toutefois que nous avons tout intérêt à accorder nos violons sur le théâtre de la Manche Blanche et de l'Eurysie de l'est. Si nous ne sommes pas très regardants de ce qui se passe en Afarée, il va en revanche là de l'avenir de notre cité, un enjeu bien plus important, je vous l'accorde. Et bien entendu, comme si ce sujet n'était pas assez complexe comme cela, il y a en réalité bien des choses dont nous avons à discuter, trois en l’occurrence, mais qui sont toutes plus ou moins liées.

Évidemment, nous ne pourrions vous faire venir ici sans évoquer le cas de l'Eurysie centrale, dont nous avions déjà parlé. Vous devez sans doute, vous aussi, avoir eu des remontées d'informations concernant l'hyperactivité du gouvernement de la Confédération, et de cet État d'Hotsaline. Nous vous avions déjà fait part du fait qu'il était dans notre intérêt de ne pas voir une Mahrénie affaiblie, pour la simple raison que cela permettrait à ces slaves obsédés par les cheveux blonds de se projeter sur leur cible principale, qui se trouve être notre plus important fournisseur de pétrole, ainsi qu'un allié honnête. Les margoulins de Rasken ont bien sûr leurs défauts, et on ne peut pas tout avoir...comme cette fixette sur les grosses autos... mais leur existence provoque de fait un statut quo que nous apprécions particulièrement de voir entre eux et Hotsaline. Nous faisons actuellement notre possible pour voir cette situation perdurer, en encourageant par exemple Rasken a reconnaitre le référendum prochain du Grandebourg et à en accepter les résultats, mais cela ne pourra pas durer éternellement sans une Mahrénie solide, et vous vous doutez donc bien que nous avons accueillit la nouvelle du changement de gouvernement opéré récemment là-bas avec une grande inquiétude. Aussi, et pardonnez moi de vous le demander aussi directement devant votre assiette: est-ce que vous pensez, de votre avis, que dans le cadre de la militarisation massive d'Hotsaline, information corroborée par les commandes d'armes à nos alliés alguarenos, que la Mahrénie serait en mesure, à la fois politiquement et militairement, de faire face à d'éventuelles volontés expansionnistes de la part de la Confédération.

Vous allez peut-être penser que nous sommes catastrophistes, et que ce différend entre Rasken et Hotsaline s'arrêtera lorsque le problème du Gradenbourg sera réglé...mais nous avons toutes les raisons de penser que ce ne sera pas le cas. La Confédération ne s'arrêtera pas à cela, de notre avis, déjà rien que par les nouveaux visages au gouvernement de ce pays. Si en théorie les régiments raskenois et les tribunes velsniennes pourraient aisément les défaire, une guerre ouverte n'est jamais bonne pour les affaires, et notre gouvernement a justement été élu pour que les affaires tournent mieux qu'avant.

J'appréciais le chancelier Rossmann pour sa franchise et son "cap clair"...même si il n'avait que ce terme à la bouche, mais je place une confiance bien moindre envers ses remplaçants. Que pouvez vous donc nous dire sur eux, et sur leur attitude en cas d'un conflit et d'un agressivité accrue de ce gouvernement qui estime que mettre des femmes avenantes en avant dans leurs communications nous fera oublier leurs projets ?"



Le sénateur Albirio laissa échapper une réflexion:
" Ouais, cette "madame tiktok" au pouvoir là bas commence vraiment à nous irriter. On pourrait la faire assassiner, mais cela ne fera pas bon genre..."

"On avait dit qu'on laissait cette idée de côté pour l'instant, Franscesco... Il y a des solutions plus civilisées" rétorqua immédiatement la Maîtresse du Grand Commerce, mais qui semblait plus inquiet à l'idée que cela pouvait choquer la kah tanaise que dans la caractère immoral de ces paroles en elles mêmes. Di Grassi quant à lui, n'avait pas tiqué le moins du monde à l'évocation de cette éventualité. Il avait déjà rencontré l'intéressée, et en avait tiré depuis longtemps ses propres conclusions. Définitivement...Actée paraissait avoir fait son entrée dans l'intime de la politique velsnienne.

Ce dernier allait reprendre la parole lorsqu'une jeune femme fit irruption sur la terrasse, et se trouve bien penaude parmi toutes ces têtes qui faisaient la pluie et le beau temps. Elle tenait un enfant endormi dans les bras, pas plus de trois ans, tandis qu'une petite fille avait profité de la porte ouverte pour se glisser entre ses jambes.
- Madame Cavali, excusez moi, Patrizia voulait vous voir, vous et...
-...Tonton Matteo !
- reprit-elle immédiatement à la suite de la gouvernante. -
- Elle me fait la vie depuis une heure...
- Patrizia ! Je t'ai déjà dit que les grands avaient besoin d'espace ce soir.
- gronda sa mère, qui lui montra la porte du doigt -

La situation était quelque peu gênante: les quatre velsniens parlaient quelques secondes encore de faire tuer quelqu'un, que ce soit ou non sur le ton de la plaisanterie, avant de se retrouver en face de l'innocence...qu'à cela ne tienne, la suite de la discussion allait attendre quelques minutes, et le Maître de l'Arsenal tapota ses genoux par dépit:
" Ce n'est pas grave Julia, on ne va pas lui en vouloir d'être curieuse. J'ai gardé ta place, Patrizia..."

La fillette accourt jusqu'aux genoux du strombolain, n'attendant pas une seconde pour lui montrer ses "chefs d’œuvre":
- Qu'est-ce que c'est que ça ? Je crois les reconnaître mais...
- C'est toi et tonton Albirio en soldats.


Di Grassi retourne du doigt le dessin, avec ses deux bonhommes, l'un beaucoup plus gros que l'autre, vers le reste de l'audience qui esquisse un enthousiasme enfantin, auquel le sénateur Albirio ajoute son commentaire: "ça fait longtemps que je rentre plus dans cet uniforme !".

L'atmosphère se détend à nouveau en la présence de la gamine, qui pose une question an apparence innocente à la kah tanaise:
"Pourquoi t'as les cheveux courts ? Avec les cheveux jusqu'aux épaules, tu serais trop trop belle, comme moi !"

- Je pense que que tu dépasses les limites de tes prérogatives jeune dame.
- lui répondit Di Grassi, avant de la faire descendre de ses genoux, qui retourna se réfugier dans les bras de sa mère, avant de se voir consignée dans la villa -
- C'est dingue ce qu'elle ressemble à son père... - lâcha Albirio, qui attend de la voir partir - ...ce qu'ils grandissent vite. Quand on a débarqué à Umbra il y a trois ans, elle était pas plus haute que trois pommes.
- Oui, ils grandissent vite, peut-être trop vite parfois...
- fit remarquer le Maître de l'Arsenal dans son coin, les yeux fixant le fond de son verre d'eau - A coup sûr, elle deviendra quelqu'un.
- A propos de gamine, Matteo...T'as eu des nouvelles de Gina ?
- lui demanda Pasqual -
- Non...pas depuis qu'elle a rejoint cette bande de mercenaires... Je connais son commandant, il a combattu sous mes ordres à Hippo Reggia, j'ai toute confiance...même si elle est responsable de ses propres choix désormais. Ils grandissent trop vite... Mais revenons à nos moutons, nous n'avons pas envie d'endormir notre invitée avec nos histoires à dormir debout...
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Il existait un terme, dans la language politique kah-tanais, pour désigner ce genre de groupes. Un terme qui, s'il n'était pas intrinsèquement chargé d'un sens négatif, avait tout de même réussi à se doter d'un certain poids, l'histoire aidant. Le poids du complot, de la main-mise, de tout ce que le système politique kah-tanais observait avec méfiance, ou mépris.

Ce groupe, réalisa Actée, était une clique. Un parti moins forgé dans l'idéologie que dans les relations interpersonnelles. C'était le propre de toute aristocratie, fut-elle oligarchique, que de faire de la raison d’État la raison personnelle, et si les kah-tanais estimaient que la Raison devait animer l'âme politique, elle devait se souvenir qu'elle était en Eurysie. Un continent qui avait donné naissance aux Lumières sans pour autant en adopter les idées. Elle et ses hôtes venaient de mondes très différents. Pour autant elle appréciait, sincèrement, cette inclusion dans cet univers intime, définitivement étranger à ses codes politiques.

C'était étonnant. Étonnant d'imaginer qu'un tel pouvoir pouvait se structurer et se penser de façon complexe. Qu'un rapport humain aussi simple, aussi primaire, échappant à la haute rhétorique et à la philosophie politique, pouvait en somme contrôler un pays et lui imposer, par la force ou la méthode, une politique donnée. Une constante. Actée avait toujours trouvée les autocraties absurdes, et les démocraties imparfaites pire encore. Tropisme kah-tanais, elle le savait. Et tropisme personnel, aussi. Pour avoir passé les premières années de sa vie à l'étranger, elle ne se sentait chez elle nul part. Elle était cette éternelle aigrie, qui observait avec toute la hauteur de la méchanceté, et relevait minutieusement tout ce qui pourrait lui servir - souvent à blesser.

« Nous amuser avec Olinga. »

Elle acquiesça et afficha un sourire franc. Manifestement c'était surtout la formulation, qui l'amusait.

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Elle haussa tranquillement les épaules. Manifestement tout ceci ne la concernait que très superficiellement. Il y avait fort à parier qu'elle comptait simplement sur le mouvement panafaréen désormais à l’œuvre pour enfin sanctuariser le continent.

« Concernant la manche blanche, nous n'y avons qu'un seul intérêt, et il se nomme Kotios. La commune est indépendante et je doute que ses ambitions actuelles menacent celle de la Grande République. Quelques participations mercenaires à la sécurité des villes de la Dodécapole Fortunéenne, et la protection du commerce transcontinental avec l'Aleucie. Des enjeux très secondaires en somme.

Pour revenir à la question de la Mährenie, nous avons effectivement observé l'élection de la coalition avec une certaine inquiétude. Ses positions politiques et diplomatiques nous semblent globalement problématiques. Et si le Grand Kah ne souhaites pas ingérer dans les affaires de ses alliés, il existe irréfutablement un risque fasciste clairement identifié en Hostaline. Un risque menacera à terme Rasken, mais aussi nos amis Kaulthes, fussent-ils de la confédération ou de la Mährenie. En d'autres termes nous gardons un œil attentif sur la région.
 »

Elle fronça les sourcils. Manifestement le principe même d'alliés Alguarenos la répugnait très profondément, elle n'en dit cependant rien. Velsna avait trouvé les garants dont elle avait besoin, et n'avait pas pour autant délaissée l'Union. C'était une bonne chose. Il aurait été déplacé de se plaindre de cette coopération, surtout dans ce contexte. Elle coupa un large morceau de viande, le mis en bouche et mâcha un moment.

« La Mährenie », lâcha-t-elle finalement après avoir déglutit, « sera en mesure de tenir tête à une Hostaline assumant ses positions expansionnistes. Pas dans sa forme actuelle, évidemment. La coalition du centre et de la droite semble... Incohérente, et minée par les ambitions de ses trois leaders. Les plus modérés veulent préserver le statut quo et les plus radicaux, un alignement sur l'Hostaline. Ils visent à se détacher au maximum de toute coopération avec nous sans pour autant oser passer le cap, du fait d'une forte opposition populaire. Nous soupçonnons même la coalition de laisser se développer les violences fascistes - un problème régulier de la région - du fait qu'elle vise spécifiquement ses opposants politiques.

Cette situation ne peut pas tenir et, de fait, ne tiendra pas. Que ce soit par le biais de Lennard - je veux dire, le citoyen Rossmann - ou ou d'un de ses camarades, la situation changera. En attendant la garde communale locale est acquise au LiberalIntern.
 »

Elle était catégorique.

Quant à la proposition d'assassinat politique, elle ne semble pas particulièrement la surprendre. Ou bien les kah-tanais employaient aussi ce genre de méthode, ou bien Actée avait bien étudiée l'Histoire locale, ou bien la citoyenne Iccauthli était douée au poker. Tout au plus elle inclina la tête sur le côté, imperceptiblement, moins pour marquer sa surprise que pour relever la remarque.

L'apparition de la jeune fille fit cependant évoluer sa posture, et la citoyenne sembla légèrement se détendre. Elle n'était pas habituée au contact des enfants, mais avait quelques bases, inculquées de force par ceux de ses proches qui avaient eu l'idée de devenir parents, et la nature généralement communautaire du processus d'éducation au Grand Kah.

La citoyenne posa ses couverts, s'essuya la bouche et suivit la course de l'enfant du regard. "Tonton Matteo". Soudain il lui revint que son principal interlocuteur était un père de famille. Une idée qui avait quelque chose de profondément absurde. Elle fixa la petite Patrizia. Est-ce qu'elle deviendrait une nouvelle Gina Di Graci ? Est-ce que cette dernière s'était aussi installé sur les genoux du vieux soldat, fut un temps ?

Elle sourit, révélant une chaleur humaine tout à fait nouvelle. Une facette qui détonnait radicalement de l'amicalité étudiée et distinguée qu'elle avait arborée jusque-là. La remarque de l'enfant lui arracha même un petit rire. La petite ne devait pas être exposée aux images types de femmes kah-tanaises, ici.

« C'est vrai que ça te va bien ! Mais ma meilleure amie les a déjà très longs, je lui laisse le style. »

Fut un temps, ses propres cheveux arrivaient au niveau de ses hanches, et la meilleure amie en question les utilisaient pour produire des coupes parfois complexes, souvent ridicules. Elle les avait coupés pour ce soustraire à ce traitement et n’avait jamais vraiment changé depuis.

La kah-tanais se tournera vers les autres. La petite était partie, elle haussa les épaules, ne s'attendant pas nécessairement à aborder le sujet.

« Vous savez, ces histoires de familles n’ont rien de soporifiques. D’autant que je vais moi-même être mère dans les prochains jours. » Le commentaire lui sembla immédiatement absurde, d'autant plus qu'elle était une femme plutôt squelettique, il était impossible de manquer qu'elle n'était pas en ceinte. Elle se permit donc d'apporter quelques précisions salutaires. « Ma compagne a décidé d’adopter. »

Ce qui était en quelque sorte un mensonge, mais qui résumait bien la situation. Il aurait été inutile d'expliquer aux velsniens les subtilités parfois absconses des modèles relationnels amicaux, romantiques et spirituels au sein du Grand Kah. "Compagne" résumait peu ou prou ce qui était en somme une amitié jurée et privilégiée, pouvant même donner lieu à une reconnaissance légale. Cette compagne, donc, Rai Sukaretto, était présentement morte, ou en train d'enlever un enfant à Carnavale. Vraisemblablement il ne serait pas possible de l'empêcher de le garder, et en d'autres termes Actée devrait l'aider à élever une engeance impériale.

Une situation qu'elle acceptait pour le moment pour la simple et bonne raison qu'elle ne pouvait pas lutter contre. Elle s’émouvrait plus tard, en temps et en heure. Du reste accepter cette adoption surprise revenait à accepter la survie de la princesse rouge. Une alternative autrement préférable à sa mort. Elle avait trop de responsabilités pour vivre un deuil, surtout en ce moment. Elle frappa ses mains l’une contre l’autre et se redressa.

« Au fond nous faisons aussi ça pour eux. Nos enfants, je veux dire. Alors oui, revenons-en à ces sujets de fonds que nos merveilleuses positions nous astreignent à traiter. »

Elle n’avait jamais eu l’air aussi enjouée. La joie étant comme une étrangère sur son visage grave, l'expression n'était pas fondamentalement rassurante.
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"Adoption hein...Eh bien félicitations pour la naiss...l'adoption." fit un Albirio quelque peu maladroit dans ses formulations.


"Kotios...Ce n'est pas exactement ce que nous avions en tête en vous évoquant la Manche blanche..."


Le Maître de la Garde Pasqual, le plus vieux d'entre eux, faisait jongler son cigare encore éteint autour des doigts de sa main droite.

"...Kotios est une position extraordinaire en effet, un vrai petit promontoire rocheux d'où l'on peut voir beaucoup de choses, mais nous avons jamais perçu son existence comme une gêne aux affaires. Au contraire, le fait que cette cité-état existe nous arrange potentiellement, mais cela, nous y reviendrons plus tard. Vous pouvez nous le dire madame Iccauthli, vous pouvez nous parler du sujet achosien sans pudeur ici, nous en avons déjà connaissance."
("HRP: je pars du principe que l'entrevue actuelle se déroule bien après le sommet kah-Achos, et que celui ci s'est conclu par une garantie du Kah du pays celte, publique. Si ce n'est pas le cas, je laisse le soin aux joueurs intéressés de me corriger, et je modifierai)

Pasqual tourna son regard vers Di Grassi et Albirio. L'un était plus tendu que les deux autres, qui avaient l'air de réagir avec un flegme certain. Di Grassi mis du temps à réagir à la perche tendue du Maître de la Garde, s'amusant à faire "rouler" l'eau au fond de son verre. Il prit le temps de le reposer et de croiser ses mains sur la table. Il avait été relativement effacé durant toute une partie de la soirée, laissant à ses confrères et sa consœur le soin d'évoquer des sujets qui paraissaient loin de ses préoccupations. Afarée, Kotios... c'était comme si la pertinence des sujets faisait lentement crescendo au fur et à mesure que les bouteilles de vin du pays landrin se vidaient (principalement du fait de la présence du sénateur Albirio à table). Ce sujet en revanche, et personne ne fusse dupe autour de cette table, n'était pas comme les autres. Non seulement celui-ci s'exprimait vivement sur le plan politique, au sein de la cité, mais pour encore beaucoup d'autres, il prenait une dimension personnelle qui allait bien au delà d'un simple conflit historique entre deux pays. Là aussi, et comme Scaela, les "troubles" achosiens s'étaient infiltrés dans l'intime des citoyens de cette bonne ville, les avait affecté, avant de laisser ses séquelles... Sauf que le second sujet avait eu plus de huit siècles pour administrer son venin. La questions achosienne, quelque soit l'époque, quelque soit les acteurs, quelque soit les conditions matérielles existantes ressortait sous une variante ou une autre à intervalle régulier: au XIIIème siècle sous la forme d'un conflit à mort entre deux États aux ambitions contraires, au XVIème sous celle d'une lutte pour l'indépendance...tandis qu'au XXème siècle, elle s'était transformée progressivement, passant d'une guerre asymétrique et sans états, à une guerre des mots et des postures de principe. La plaie s'ouvrait, on lui faisait des points, et elle se rouvrait encore et encore. Achos était un traumatisme collectif d'une ampleur que l'on pourrait qualifier de "civilisationnelle" depuis 800 ans, depuis qu'un achosien, qui ne pensait certainement pas aux conséquences sur le moment, s'était retrouvé à 30km de la ville sur l'eau après avoir bien failli détruire Velsna en tant que corps civique...alors bien évidemment il était peu probable que cette discussion allait se montrer agréable pour qui que ce soit...mais il faut parfois traiter la douleur avec la douleur... Le sujet achosien, c'était peut-être ceux qui l'avaient subit qui pouvaient en parler le mieux, à l'instar du Maître de l'Arsenal, qui reprit sur le tard Carlos Pasqual.

" Je suis né en Achosie du nord pendant les troubles, vous savez. Vous serez surprise mais...les attentats à la bombe, on finit par s'y faire. Il y a...une sorte de "routine" qui s'installe, avec des rites et des habitudes: ne jamais s'approcher d'un sac laissé sur un banc, toujours ouvrir le capot de la voiture avant d'enclencher le démarreur, ne jamais sortir durant le couvre-feu... J'avais 17 ans quand on m'a envoyé en service militaire dans la Garde civique de Strombola. Se devait-être...en 1985. Je n'ai pas vraiment eu le choix, d'ailleurs je ne savais pas encore que j'allais faire carrière là dedans...je voulais être architecte à l'époque. On m'a simplement ordonné d'enfiler un uniforme et de m'entraîner à tirer sur des cibles qui ressemblaient à mes voisins, qui ressemblaient à tout le monde.

Croyez moi ou non...affronter Scaela...j'ai trouvé cela presque trop simple. C'était un personnage médiocre, un prince en plaqué or, qui compensait la grossièreté de ses manœuvres par un certain sens politique, je dois l'admettre. Lorsque des soldats de notre armée venaient vers moi pour se plaindre des combats à Hippo Reggia, c'est triste à dire, mais je me disais que cet affrontement était presque une forme de repos de l'esprit.

J'ai quitté l'Achosie du nord dés que j'ai pu, mes parents s'étaient ruinés pour m'inscrire à l'Académie navale de l'Arsenal, et j'avais eu la chance d'être repéré par un magistrat local qui m'avait proposé un mécénat. Mais je me suis juré d'y retourner un jour, pour essayer de mettre fin aux troubles, avec les moyens disponibles à mon échelle...et c'est ce qui est arrivé en 97.


Le sénateur Albirio ne se fit pas prier d'appuyer son compère avec un "Amen, et que Dame Fortune fasse durer les accords du dimanche des rameaux !" au détour de son verre de vin. (HRP: allusion au traité signé en 1997 entre Velsna et l'AIAN, marquant le désarmement et le démantèlement du groupe terroriste)


Albirio vous racontera certainement la même histoire que moi....il y était aussi. Désarmement de l'AIAN et amnistie générale contre un certain nombre de concessions..qui finalement vont de soit aujourd'hui: transformation de l'AIAN en parti politique légal, politique linguistique avantageuse pour les 20% d'achosophones de la région, indépendance de l'église achosienne... Un traité acceptable pour deux groupes qui ont eu bien trop de morts à compter.

Di Grassi se rehaussa de sa chaise, cette fois, cessant de faire balader son regard pour venir le coller à celui de la kah tanaise.

Ce que je veux vous dire avec cette histoire...c'est que votre gouvernement est entré dans champ de mines politique très instable que des démineurs velsniens parmi lesquels je figure ont mis des années à rendre plus sûr. Nous tenons à nous quérir auprès de vous, et nous assurer que vous ne causiez pas une explosion, que ce soit volontairement ou involontairement, en marchant sur l'une d'entre elles. L'île celtique est un endroit pour ainsi dire...spécial, peuplé de groupes à l'Histoire aussi attachante que tragique, mais qui ont...la rancœur facile, et un livre de rancunes sous l'oreiller en permanence. Ce que vous faites, ils ne l'oublieront jamais. Je sais de quoi je parle: je suis de là bas.

Voici où je veux en venir: à votre surprise peut-être, sachez que nous accueillons votre implication en île celtique comme quelque chose de...potentiellement positif.
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CEPENDANT...et sur son point, je voudrais revenir sur l'affaire du boycott et de la possible collusion avec une branche reformée de l'AIAN. Ce n'est pas par plaisir que nous avons passé accord avec un certain nombre de gouvernements concernant une interdiction d'export à Achos, ou par amour de la bravade. Jusqu'à ce que le droit fasse son office et que le gouvernement achosien soit lavé de tout soupçon de financement occulte, la position officielle velsnienne est la suivante...mais j'ai de bonnes nouvelles: nos deux gouvernements ont reprit contact pour tenter de faire aboutir cette enquête de façon concertée entre nos renseignements (HRP: allusion à une rencontre récente entre Achos et Velsna portant sur un accord de reprise des exports d'armes et d'une enquête anti-terroriste des suites d'un attentat sur le sol velsnien.)...et il ne sera bientôt plus utile d'exercer cet embargo, aussi j'estime que l'export d'armes du Kah vers Achos ne porte plus atteinte à ces accords..et qui sait, peut-être que les relations achoso-velsniennes pourraient aller en se réchauffant.

Cela étant dit, de notre point de vue désormais, le Kah est désormais entièrement garant du moindre des actes de la République d'Achos à l'international, de la moindre de ses incartades et de la maladresse maladive de sa classe politique. Les achosiens sont vos obligés, et c'est tout leur droit, en tant que peuple libre de signer de tels accords, auquel nous ne saurions nous opposer. Vous êtes mon égale, pas mon obligée, et je ne pourrais vous dicter quoi que ce soit. Mais avec les avantages viennent les responsabilités. L'île celtique est en paix actuellement, et notre objectif sera toujours et éternellement de faire en sorte que cela ne change jamais et sous aucune condition. Croyez moi que vous préféreriez ramper dans une rizière communaterrane que de vous retrouver avec une île celtique à feu et à sang. A ce titre, je me dois de vous le dire: la moindre arme kah tanaise retrouvée entre les mains d'un individu affilié à l'AIAN sur le sol velsnien, qu'importe si l'initiative est dépendante ou indépendante de votre volonté, constituera à lui seul un sérieux argument en faveur de la reconsidération de nos partenariats et alliances. Pardonnez moi de passer du temps sur ce sujet-ci, mais en politique, nos décisions et nos actes nous obligent parfois à cela, et il est de mon devoir personnel de m'assurer que la présence kah tanaise en île celtique soit productive pour chacun.


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Les points du sujet certainement le plus clivant de la soirée étaient posés: les kah tanais venaient probablement de toucher du doigt le serpent de mer le plus gênant de la politique internationale velsnienne, dont elle ne s'était toujours pas sortie après huit siècles. C'était davantage une série de conseils que d'avertissements pour ne pas se retrouver empêtré de la même manière que leurs homologues velsniens.

Le repas passant, le sénateur Albirio, commençant probablement à être bien amoché par la boisson, tape sur l'épaule de la Maîtresse du Grand Commerce: " Julia. Je sais pas quel traiteur t'as engagé mais c'est vraiment super. J'avais rarement mangé un pollo alla cacciatora pareil. Je me croirais revenu chez ma grand-mère. A part ça, je pense que tu devrais lui parler un peu de l'ONC à la dame. Ce serait pas juste. On l'harcèle de questions depuis le début de la soirée, regarde, son assiette est froide: ce serait bien de lui rendre un peu la pareille. ". Ce fut donc au tour de la sénatrice de susciter l'attention d'Iccauthli.

"Le sénateur Albirio a raison: transparence transparence... A première je suppose que vous vous êtes inquiétés de ce rapprochement à Axis Mundis...et l'inverse nous étonnerait. Combien de temps les océniens et les communalistes ont passé à se déchirer: 10 ans ?...

"Plutôt 20 ans, Julia.", corrigea Di Grassi par dessus son épaule.

...A ce titre il est évident que vous méritez des explications. Le rapprochement de notre gouvernement vers l'Organisation des nations commerçantes n'a pas été...naturel, ou automatique. Nous sommes partis du constat simple que la Grande République ne pouvait plus se permettre de rester en marge des grands systèmes d'alliances mondiaux, et que cela constituait une vulnérabilité évidente de toutes nos positions, un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre dans ce monde. Le problème étant...qu'il n'y avait pas beaucoup de choix disponibles...et encore moins des bons choix, dont le pire aurait certainement été de ne rien faire. L'OND et le Liberalintern nous étant exclus de fait pour des raisons politiques évidentes, l'UEE n'existant plus et le reste n'étant qu'une succession d'alliances locales et bancales, l'ONC paraissait donc la meilleure des options..
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