11/05/2017
22:54:42
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[RECONSTRUCTION] Après l'orage.

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Récit de la reconstruction d'Estham, de la gestion de la crise, de la vie des civils, des décisions politiques et sécuritaires ainsi que de la restructuration de l'Empire après l'holocauste.




« L’humanité véritable ne réside pas dans la simple appartenance à l’espèce, mais dans le refus farouche d’en trahir l’idéal ;
car ce n’est qu’en tenant tête à la mort sans céder à la haine,
en affrontant la guerre sans renoncer à la justice, que nous devenons dignes du nom d’êtres humains.
Toute civilisation se mesure non à la force de ses armes, mais à la grandeur de sa compassion face à l’irreprésentable. »

— Sa Majesté Impériale, allocution du 25 décembre 2016




SOMMAIRE :


> Création par décret d'un Conseil de Régence Salutaire > Récit d'un secouriste
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IMPORTANT⚠ attention, récit pouvant heurter la sensibilité ⚠

Éclipse

Récit du secouriste Léon M., 3e groupe NRBC, unité Aurore-12, jour +1 après le bombardement


Je me souviendrais toute ma vie du moment exact où j’ai vu l’orphelinat pour la première fois.

Il était 06h30 passé, il me semble. L’aube s’était levée sur une ville qui ne respirait plus, il y a de ça peu de temps. C'était Noël. Le ciel n’était pas bleu, ni gris, ni noir. Il aurait dû être saturé de flocons de neige. Mais en lieu et place des flocons de neige féériques qui faisaient rêver toutes les générations d'un peuple, qui rassemblaient des familles pour faire des bonhommes de neiges ou encore de batailles de boule de neige, c'était une bataille de boules de feu, de gaz, de fer et des bonhommes en uniformes qui emplissaient le monde. Les familles ne seraient pas rassemblées pour manger, chanter ou s'embrasser en testant les cadeaux, elles seraient rassemblées sur des listes. Des listes froides et interminables, s'allongeant un peu plus chaque minute. Des listes de noms, de chiffres, de nombres. Ces listes sans humanité. Ces statistiques. Elles seraient rassemblées dans des "sachets en plastique" pour le dire de manière... imagée. Elles seraient rassemblées dans des cimetières. Du moins si nous parvenions à les identifier tous. L'air, qu'on aurait voulu voir saturé de flocons duveteux, était jaune sale, saturé par les particules issues des agents chimiques, des débris, des explosions, des incendies, toujours en suspension. L’air avait un goût métallique et lourd, qu’aucun masque ne peut vraiment faire disparaître. Peut-être n'était-ce que mon esprit qu'il l'imaginait. L'horreur était telle que l'on ne pouvait plus se fier vraiment à ses sens et à sa perception. C'était l'air ou l'illusion du genre d'air qui vous reste dans les sinus pendant des jours, comme si la guerre avait décidé de s’imprimer en vous, cellule par cellule et occuper tout votre être jusqu'à ce que l'horreur du massacre soit une partie de vous, jusqu'à ce que ces centaines de milliers de morts fassent partie de votre acide désoxyribonucléique.

On avançait à pied, moi ainsi que plusieurs autres secouristes. Les véhicules étaient restés à 500 mètres, confinement chimique, j'imagine. Et nous avions besoin de marcher. Tous avions la nausée, mais le fait de rester dans une voiture rendait tout cela encore pire. Nous avions besoin de voir, de ressentir cette ville, notre capitale. On pouvait ressentir sa douleur, comme si la capitale était un être vivant agonisant. La ville était plongée dans un silence macabre, pesant, assourdissant, et pourtant... Pourtant, je ne sais pas si le traumatisme nous jouait des tours, si l'horreur nous faisait danser avec la raison au bord du vide et si le souffle de la folie, similaire aux souffles de l'explosion des missiles, se répandant en nous et pénétrant notre être jusqu'au plus profond, poignardant nos barrières mentales, visuelles, tout pour se frayer un chemin jusqu'au centre de notre existence, ne nous faisait pas entendre des cris. Des cris glaçants, déchirants, sans fin. Pourtant, je dirais que quatre-vingt-dix-neuf pour cent des êtres encore présents dans la capitale était mort, et que parmi les équipes de secouristes déjà présentes, personnes ne parlait vraiment, hormis le bruit des radios. Et nous entendions ces cris qui nous glaçaient le sang et hérissaient nos poils. J'avais la chair de poule. D'une part à cause de l'holocauste qui s'étendait devant moi. D'autre part, car j'avais peur que la folie ne trouve une fissure en moi et m'habite complètement dès que mon esprit finira pat être saturé d'images traumatiques. On progressait lentement, marchant un pas après l’autre, comme si le sol pouvait se dérober à tout moment et nous engloutir. En y pensant, cela n'augmenterait que de peu le bilan des victimes finalement.

Et là, nous l'avons vu. L’orphelinat se dressait au bout d’une avenue bordée d’arbres à l'allure morte. Pas explosé. Juste… vidé. Les feuilles étaient tombées. La façade, elle, avait tenu. L’attaque de Carnavale n’avait pas cherché à faire tomber les murs. Ils avaient visé les gens. Ils avaient visé la vie. Cet orphelinat était une vieille bâtisse en pierre claire du XVIIe siècle, disposant de trois étages, toiture effondrée par endroits. Un obus avait ouvert un coin du bâtiment comme on ouvre une vulgaire boîte de conserve. Des volets pendaient. Un drap taché flottait depuis le balcon d’un dortoir du dernier étage. Du sang ? Peut-être.

On est entrés par la porte principale. Elle tenait à peine sur ses gonds. Il n’y avait aucun bruit, même pas celui des mouches. Juste ce silence épais, comme du goudron, qu’on entend dans les chambres funéraires, mais en plus dérangeant, plus morbide. Ici, on aurait dû entendre des rires, des pleurs, du bruit, un vacarme de vie. Mais rien. Absolument rien. Peut-être plus vivant, paradoxalement, parce qu’on sait que ce qu’il reste ici a souffert.

Dès le vestibule, la première chose qui m’a frappé, c’était la peau. Sur le mur de gauche, une traînée gris rosé, poisseuse et faite de matière visiblement organique — un enfant, probablement, qui avait glissé contre le plâtre en vomissant ses poumons et qui, en tentant de s'accrochant et sous le coup des contractions musculaires, avait déchiré une partie de lui. Ses mains ? Ses bras ? Son visage ? La réponse se trouvera sûrement sur un cadavre. À côté, des empreintes de mains minuscules, griffées à même le mur, comme pour s’arracher à l’étouffement. Certaines avaient laissé des marques de sang marron-noir, épaissi, séché.

Les VX tuent en bloquant les signaux nerveux. Les victimes convulsent, bavent, s’étouffent dans leur propre corps. Les plus jeunes n’ont aucune chance.

Et effectivement, plus loin au sol, un cadavre d'enfant présenté sur son menton et ses avant-bras, des marques importantes. De la chaire et de la peau avaient été arrachées. J'étais presque sur que c'était cela sur le mur.

Un couloir partait à droite. Je me suis engagé seul dans l’aile nord. Les murs d'ici étaient peints en jaune pâle, avec des dessins d’enfants — des soleils maladroits, des maisons, des bonshommes bâtons, des animaux. L’un d’eux était un lion violet. Sa crinière avait brûlée et le reste de la peluche était noircie. Une bougie était brisé non loin. J’ai dû l’enjamber. Dans la première pièce, ce qui restait du réfectoire, j’ai compté douze corps. Tous assis. Tous figés dans des postures improbables. Une fillette, peut-être six ans, avait le torse penché sur la table, le front contre son assiette, des restes de nourriture tachant son haut vert pâle. Elle avait mordu la porcelaine si fort que deux dents étaient restées incrustées dans le bord et qu'une tâche séchée partiellement mais encore poisseuse de sang s'étendait en dessous depuis ses petites lèvres aux teintes bleues.

À côté d'elle, un garçon était allongé au sol, une jambe encore sur le banc, les doigts crispés sur sa propre gorge parsemée de marques de strangulations et d'ongles qui n'étaient pourtant pas à l'origine de son décès malheureusement. Ses yeux étaient ouverts. Un regard d’effroi total. Pas de fermeture. Pas de paix. Juste une terreur brute, comme si sa dernière pensée avait été un cri muet. Sa bouche était légèrement entrouverte.

J’ai avancé dans les cuisines. Les flammes avaient léché l’endroit. Un incendie s'était déclaré durant le bombardement, peu étonnant mais légèrement contenu par le manque d’oxygène. Trois corps d’adultes. Deux femmes, un homme. Des cuisiniers. L’un d’eux s’était effondré sur un plan de travail, la main encore tendue vers un extincteur. Il n’avait jamais eu le temps de le décrocher. Une autre s'était heurtée à la hotte en métal et avait certainement eu la chance d'être assommée. L'autre s'était tout simplement effondré, le visage contre un meuble. Le premier et ce dernier corps avait été brûlé et consumé partiellement par l'incendie.

Je suis sorti, j’ai rejoint les escaliers. Le VX descend, par gravité. Les étages supérieurs sont parfois moins contaminés. Mes espoirs se dissipèrent hélas bien plus vite que le gaz. La mort n’a pas épargné plus haut. Les marches étaient couvertes de poussière, de débris, de morceaux d’os calcinés. À l’étage, les dortoirs. Le premier que j’ai visité, c’était celui des 8–10 ans. Douze lits superposés. Des couettes aux motifs d’animaux. Des draps trempés de sueur issu des réactions à l'agent. Ou de vomi. Ou des deux. Du sang peut-être aussi.
Quinze enfants, dont sept entassés sous un seul lit. Comme s’ils s’étaient cachés, espérant peut-être qu'en ne voyant pas la mort arriver, elle ne les verrait pas non plus et elle passerait son chemin. Les plus chanceux n’ont même pas eu le temps de suffoquer. Certains sont morts en moins de cinq minutes. D’autres ont agonisé pendant des dizaines. J'ai vu à côté d'une petite fille des traits. Je ne sais pas si elle comptait les minutes, je ne sais pas si elle comptait les morts, je ne sais pas ce que cela signifiait. Mais sur une planche de son lit elle avait graver une quarantaine de traits. Dans un autre lit, un garçon était recroquevillé en position fœtale. Sa cage thoracique avait implosé sous la pression interne. Il avait mordu sa propre langue, s'étouffant de son propre sang en partie j'imagine. Le morceau gisait à côté de sa bouche. Il tenait un dessin dans la main. Un soleil. Encore un. Carnavale, après avoir illuminé la nuit dans son golfe, avait éclipsé des centaines de petits Soleil.

J’ai vomi dans mon masque. Pas de panique. Il y a un sac interne pour ça. Mais j’ai vomi. J’ai suffoqué à mon tour. Pendant un instant j'aurai aimé mourir moi aussi. Et pendant que je reprenais mon souffle, j’ai entendu la voix du lieutenant sur la radio :

— Aile Est. Crèche. Moins de cinq ans. Beaucoup de morts. Tous liquéfiés. Nécessité prélèvement ADN pour identification. Poursuite de l'exploration.

Liquéfiés.

Ce mot m’a transpercé. On ne devrait jamais l’utiliser pour parler d’enfants. Même si il était une métaphore, je ne pouvais pas empêcher mon esprit d'imaginer ces corps de tout petits enfants, sans vie... Je suis allé à l’infirmerie. On y avait ramené ceux qui avaient convulsé en dernier. Les rares survivants qui auraient des séquelles pour toujours. Une génération marquée à jamais. Deux garçons, jumeaux peut-être, étaient morts l’un contre l’autre. Leurs visages avaient fondu dans cette partie de l'infirmerie alors qu'un incendie avait du partir d'un endroit tiers. Cela avait brûlé leur derme, leur conjonctive, leur œsophage. Leurs petites mains étaient enchevêtrées, dépourvues de chair par endroit. Un réflexe d’amour au bord du néant. Je vous jure que j'ai essayé... j'ai essayé de retenir mes larmes. Mais c'est au-delà de l'humain.

Et puis il y avait les survivants. En vérité, à l'intérieur, ils sont peut-être encore plus morts que les cadavres qui jonchent cet établissement et chaque rue de la capitale. Huit, au total, quand l’unité a terminé le comptage. Tous dans un état terrible. Parmi eux, une fillette de trois ans. Yeux fixes. Pupilles bloquées. Elle respirait encore, mais son cerveau était parti. Un état végétatif, définitif selon moi. C'était peut-être mieux ainsi... Aurait-elle un jour réussi à formuler ce qu'elle a vu, ressenti ? Si jeune et pourtant plus proche de la mort que moi. Ses parents étaient morts ailleurs. On ne saura jamais si elle les a appelés, si elle a hurlé leur nom, si elle les avait oublié dans ces sombres instants ou si le gaz l'en empêchait. Peut-être n'aura t-elle que peu de souvenirs d'eux. J'ai à nouveau la nausée lorsque je me fais la réflexion qu'avec un peu de chance, elle n'était pas trop attachée. Je me dégoûte, mais que puis-je dire d'autre ? Existe-t-il des mots humains à la hauteur de ça ?

L’unité de décontamination a scellé le périmètre. À la sortie, on a écrit en lettres rouges sur le mur :

https://i.postimg.cc/Y9PkrN6b/Capture-d-cran-2025-07-29-224912.png

Personne n’a protesté. Même le capitaine a gardé le silence. Après tout, c'était vrai. Il y avait tant de choses à écrire. Si peu de mots à la hauteur. Nous sommes resté là, quelques instants. Quelques secondes, une minute, peut-être plus ? Je n'en sais. Mais nous sommes resté en silence devant ces lettres. Aucun hommage n'eût été suffisant.

Nous avons ramené les corps dans des sacs plastiques. Ces putains de sacs plastiques. Certains étaient trop endommagés. Ils ont été transportés en conteneurs hermétiques, comme des déchets toxiques. J'ai envie de chialer. Ce n’étaient pas des déchets bordel... C’étaient nos enfants.

Je suis rentré au camp à 18h12. Je n’ai pas mangé. Je n’ai pas dormi. J’ai griffonné ce rapport, mes mains tremblant encore, encore sale avec l'odeur, le goût et la vue de la mort qui me collaient.

Je veux que vous sachiez.
Je veux que le monde sache.

Carnavale a tué des enfants.
Et je jure sur leurs corps que justice sera faite.
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