L’ancien palais d’Al-Walemir, proche de la plage, fut jadis un lieu de solitude pour les membres exilés de la famille impériale – ceux que la cour rejetait ou dont les agissements étaient considérés comme louches. Il fut la résidence du neveu de l’Empereur Marwan III, surnommé « le Silencieux », banni du palais pour avoir songé à la république. Il avait été considéré par tous comme un déchet. Mais, parce qu’il faisait partie de la famille impériale, on l’amena près de la mer, dans ce palais. Car à travers l’une des chambres, on apercevait l’océan. Comme si l’Empire nous tournait le dos, et que notre seul espoir était d’aller au-delà de la mer.
Ironie de l’histoire : c’est dans ce même palais que naquit, plusieurs générations plus tard, le Parlement Impérial, le nouveau cœur du pouvoir impérial.
Walemir, capitale du pays jadis reléguée à une importance mineure, s’est depuis transformée en symbole. Le choix de cette ville n’a rien d’anodin : elle se trouve au milieu de la Grande Province (du moins à ses frontières maritimes). Elle représente à elle seule les quatre grandes régions : Sudéiss, Maqdur, Yuthipista et la Grande Province.
C’est à Walemir que s’abrite l’un des plus grands ports de l’histoire du monde. Il permit au Churaynn d’asservir l’actuel Maqdur ainsi que Yuthipista – deux régions autrefois appartenant à de grandes civilisations. C’est dans ce port que transitaient d’innombrables marchandises, apportant prospérité à tout l’Empire : les épices et les tissus de Yuthipista, les pierres précieuses de Maqdur, tout arrivait à Walemir. On venait de partout. Les marins s’arrêtaient là avant la traversée de l’isthme, ou après cet effort, car de nombreux barbares s’y abritaient. Alors, on y fabriquait aussi des armes, de tout genre, pour se défendre.
Le Palais Impérial, nom donné au bâtiment depuis sa reconversion, conserve de ses origines impériales. Passée la triple porte de cèdre, gravée des armoiries désormais obsolètes de la dynastie Sayyid, le visiteur est saisi par la gravité silencieuse des lieux. L’odeur du marbre ciré, des tentures épaisses et du cuir ancien imprègne l’air. Le parquet, noir et verni, résonne sous les pas des élus. Le Palais est ancien – à chaque pas, on entend des grincements.
Le grand hall d’entrée, vaste allée rectangulaire soutenue par huit colonnes de pierre bleue, mène à une rampe monumentale gravée d’inscriptions en arabe. Au sommet de l’escalier, deux lourdes portes. Cette salle circulaire, jadis salle du trône secondaire, a été transformée en chambre des délibérations parlementaires. Le trône a été retiré ; à sa place se dresse désormais une estrade circulaire surélevée, où siègent les membres du bureau parlementaire.
Autour de l’estrade, en gradins, s’élèvent les quatre sections régionales. Chaque groupe est assis par région d’origine :
à l’est, les représentants de Sudéiss, vêtus sobrement et arborant souvent des symboles républicains ;
au nord, ceux de Maqdur, reconnaissables à leur keffieh sombre et à leur ton grave – ils ne sourient jamais ;
au sud, les députés de Yuthipista, dont certains siègent encore en kurta, signe de fidélité à leur base populaire ;
à l’ouest, les députés de la Grande Province, souvent habillés avec prestance, parlant un langage très soutenu, en costards hors de prix – sans parler de leur cortège tapageur lorsqu’ils arrivent au Parlement. Tout doit montrer qu’ils sont plus influents, plus riches que les autres.
La disposition circulaire de la salle a été pensée pour qu’aucun ne domine – ni estrade impériale, ni tribune surélevée. Le plafond, haut d’une dizaine de mètres, est une coupole ornée de vitraux colorés représentant les saisons de l’Empire, symboles du renouvellement cyclique du pouvoir. À midi, un rayon de lumière traverse la salle et éclaire le centre de la présidence.
Un système sophistiqué de microphones et d’écrans discrets a été intégré, afin que chaque prise de parole soit enregistrée, archivée et consultable par tout citoyen dans les Archives Nationales. L’intérieur est climatisé, pour permettre aux députés de réfléchir sans souffrir de la chaleur ni du froid. Mais malgré cette modernité, chaque centimètre du bâtiment garde la mémoire de ce qu’il fut : un lieu de pouvoir héréditaire, désormais rendu au peuple.
À l’étage inférieur, un long couloir mène aux bureaux des commissions. Chaque commission – Défense, Économie, Justice, Énergie, Affaires sociales, Diplomatie – dispose de sa propre salle circulaire avec bibliothèque attenante. Ces pièces sont tenues au silence : c’est là que s’écrivent les lois, que s’examinent les décrets, que s’analysent les dépenses. Les couloirs qui les relient sont gardés par des sentinelles non armées, choisies pour leur neutralité politique. Ce sont des agents de la Haute Instance Impériale de Coordination (HIIC), omniprésents mais rarement visibles.
Au sous-sol, un ancien couloir d’évacuation impérial a été transformé en voie sécurisée pour les services d’urgence et les délégations étrangères. C’est également par là que passe le Sadr Impérial lorsqu’il doit comparaître devant le Parlement. Un petit escalier secret, vestige des temps anciens, le conduit dans une salle d’attente garnie des textes fondateurs de l’Empire.
Enfin, un petit sanctuaire a été conservé intact à l’extrémité ouest du bâtiment : c’est l’ancienne salle de prière impériale. Elle a été nettoyée, et reste aujourd’hui un lieu de recueillement pour les députés. Aucun symbole n’y est affiché. Mais c’est plutôt à l’entrée du Parlement, gravée en grand dans le bois ancien, qu’on trouve cette inscription, destinée à chaque député :
« Gouverner, c’est servir sans attendre de retour. »