
Quiconque a déjà parcouru la terre ferme de l'île Mère de Régallia, là où a vu le jour la Cité de Fortuna perchée sur sa Lagune, n'a pas pu passer à côté de l'imposant gardien qui veille sur celle ci depuis l'intérieur des terres, s'élevant fièrement et contemplant l'horizon depuis les monts rocheux en offrant un regard protecteur aux fils de Dame Fortune et quiconque en quête de son voile de bienveillance.
Le Polémarque veillant sur l'horizon.
Tel est le nom de l'oeuvre à l'origine, mais les gens tendent à simplifier en ne gardant que l'appellation du "Polémarque" à la bouche, toujours le mentionnant avec une certaine déférence, voir même de l'admiration avec une touche de fascination. Chose peu étonnante en réalité quand l'on connait la teneur de ce qui est associé à ce nom. De fait, c'est tout un mythe, une légende, une saga qu'incarne la simple évocation dudit Polémarque, figure mystique et nébuleuse du Roman National Fortunéen dirons certains, de son Histoire avec un grand H affirmeront d'autres, un éternel débat entre deux visions qui a encore lieu à ce jour.
La version hautement romancée veut que le Polémarque fut le Strategos d'une grande cité antique du monde grec, situé non loin de l'ancienne Novir dans l'actuelle Cérulie, la Cité dont le nom s'est perdu dans l'oubli vit ses armées se faire terrasser sur les champs d'honneurs, ses hoplites jeunes fougueux comme grisonnants vétérans fauchés comme du blé à égale mesure et laissant les murs pourtant haut et puissant bien dégarnis. Lorsque les armes de sièges s'élevèrent et que le tonnerre de Zeus tomba sur la plaine, sonnant le début de la fin, le Polémarque su que le vent avait tourné. Pour la survie de la Cité, et la liberté de ses citoyens il n'y avait qu'une seule option alors que celle la ville serait certainement perdue d'ici le coucher du Soleil, la fuite, aussi vite que Poséidon daignait l'accorder sur son domaine. Ainsi d'un commun accord ses dernières troupes d'élites acceptèrent d'accomplir l'ultime sacrifice, afin d'offrir le temps précieux nécessaire afin de d'offrir la salvation au peuple.
Lorsque les rames des trirèmes commencèrent à battre frénétiquement les eaux salés de la Leucytalée, d'imposantes volutes de fumée s'élevaient déjà des faubourgs et une masse mauvaise se pressait vers l'Acropole où les bannières flottaient encore avec défiance. Ils disparurent avec l'horizon, de même que la vision de la cité désormais en flamme, seule les colonnes noires de fumée assombrissant les cieux et s'éclipsant à vue d'oeil alors que l'astre solaire déclinait. Le Polémarque mena la flotte d'une main de faire à travers mille et une péripétie, traversant le monde des hellènes de part en part, rencontrant des mythes fantasques comme des légendes bien humaines, traversant in fine au terme d'un long voyage les Colonnes d'Héraclès, le Détroit de Leucytalée, filant toujours vers les confins du monde en quête d'une terre promise, suivant au loin la bonne étoile de la Fatum, Dame Fortune personnifiée rayonnant de mille feu, proclamée à travers une prophétie d'un oracle.
Mais le bord du monde ne se montra jamais, ce fut finalement une terre, vierge et immaculée, où des vergers sauvages et de la terre fertile se tenaient exempt de toute main humaine. La terre promise, la nouvelle patrie du Polémarque où une lagune foisonnante de merveilles océaniques siégeait, cerclée par une bande terre protégée par de puissantes montagnes. La prophétie de l'Oracle, la récompense des tribulations. Là où s'éleva la nouvelle Cité, la nouvelle Patrie, la future Cité qui sombre, Fortuna la fille favorite de la Fatum.
Cette Histoire est extrêmement populaire au sein des Fortunéens de métropole et surtout ceux à ascendance helléniques ainsi que les conservateurs, notamment la faction des Héritiers, qui régulièrement cite ce mythe, ayant ramené ce dernier dans le débat public comme un simili de culte politique, la preuve de la vertu de l'ascendance, les Exilés s'étant relevés de la quasi annihilation. La force de la volonté, la détermination, la persévérance. Autant de qualités, de symboles, qui servent un discours très orienté, frayant avec le nationalisme. Le mythe fondateur fait fondation cimentée de la concorde et de la fierté.
Et pourtant...
Le schisme demeure entre ceux qui vénèrent et ceux qui doute, et ces derniers le font à raison, après tout ils ont étudié l'histoire, les écrits, les héritages. Ils savent ce qu'il en est réellement. En tout état de cause le Mythe est ce qu'il est, un Mythe. La réalité est bien différente des fantasmes des nationalistes et des rêveurs romantiques qui s'imaginent une destinée manifeste, si certes le Fatum a joué un rôle considérable assurément dans la fondation de la Cité, l'ascendance des Fortunéens est bien loin de cette vision de survivants qui envers et contre tout ont subsisté malgré la disparition de leur cité. Quoique... C'est pourtant le cas partiellement, des survivants. Oui. D'une Cité ? Non.
Car en réalité les premiers Fortunéens s'ils étaient des grecs n'étaient nullement natif d'une seule cité, mais de multiples horizons, villes, villages, temples isolés et ainsi de suite. Car ils venaient de tous les horizons, rassemblés sous les voiles sombres et l'idéal de la liberté sur la base de la Piraterie. Le Polémarque n'était ni plus ni moins qu'un vulgaire capitaine Pirate improvisé amiral d'une flotte de forbans et de coupes jarrets, hoplites désoeuvrés s'étant tournés vers le brigandage, enfants des rues cherchant une échappatoire à la misère, marins désabusés désirant richesses faciles et ainsi de suite. Aucune gloire, pas même de la fierté, seulement une vision particulière de la liberté.
Et tout ces gens, tout ces pirates. Oh leur fuite était elle bien réelle, c'était là l'une des seules vérités du mythe, mais ils ne fuyaient pas une cité en flamme, mais bien la fureur du Monde Grec, après avoir fait le vol de trop, le meurtre de trop. Il y avait peu de choses qui pouvaient permettre d'unir autour d'une même cause des villes qui si elles appartenaient culturellement au même monde, se méfiaient les unes des autres et se faisaient régulièrement la guerre, l'assassinat fourbe et vil d'un explorateur reconnu et adoré de tous en était un. Lorsque les flottes combinées de multiples ligues commencèrent à les envoyer par le fond un par un, les pirates par instinct de survie commencèrent à courir, à l'ouest, toujours plus loin, toujours plus vite, priant Poséidon et Dame Fortune qu'ils leur accorde la miséricorde.
Et ils faillirent bien tous y passer, si ce n'était pas pour le destin qui se manifesta à l'orée des détroits, sous les colonnes d'Hercules. Ils étaient sur le point d'être rattrapés par l'ire du monde grec. Et si ce n'était pas pour cette tempête aussi soudaine que violente, qui coupa net l'élan des poursuivants, la flotte du "Polémarque" n'aurait plus été en ce jour. Au contraire, ils furent perdu, ballotés par les vagues déchaînés et les bourrasques capricieuses jusqu'à ce que les coques elles mêmes se brisent sur des récifs lointains et que les corps et les âmes soient recrachés par la mer sur une plage embrumée où des silhouettes obscures et hirsutes se tenaient.
Car les Fortunéens ne sont pas seulement d'ascendance grecque. L'île Mère avait dans le temps ses propres habitants et ces derniers dans leur bonté, sauvèrent de la noyade, de la famine et de divers autres dangers les pirates échoués, n'étant guère au fait de ce qui les avaient amenés ici, la barrière de la langue faisant l'effet. Pour autant, le traumatisme de l'ire des Hellènes avait été un remède radicale à la vilénie de ces gens. La peur les avait changé. Et c'est du destin, de l'union improbable de ces étranges amenés par la mère et des locaux qui commencèrent à vivre ensemble, jusqu'à se mélanger et devenir indiscernable les uns des autres, créant de facto un nouveau peuple. Les premiers Fortunéens.
Rien à voir avec l'histoire fantasmée de la gloire et de la fierté. D'ailleurs, les Historiens on des sources très crédibles, pour démentir cela, des fouilles archéologiques et d'anciens textes gravés à même les tablettes ou inscrits sur de très vieux parchemins préservés avec soin au fil des âges corroborent la chose de manière indéniable. Mais quand est-il de la Statue alors ? Car celle ci est bien réelle, tout de marbre construite, s'élevant au dessus de la Lagune depuis des siècles.
Et bien celle ci est bien moins vieille que l'on pourrait le croire, en réalité si le mythe soutient qu'elle a été élevée dans les années qui suivirent l'arrivée des "exilés", bien avant la naissance du Christ, il n'en est rien. C'est une oeuvre qui remonte au XViem siècle et qui est née d'un financement massif de plusieurs familles Patriciennes auprès de tailleurs de pierres afin de commémorer la victoire finale sur la Sublime République de Léndra, l'éternelle rivale de la Sérénissime Fortuna, à la fin de la troisième guerre du Ponent qui vit la chute définitive de la cité leucytaléenne. La figure du Polémarque était employée à l'époque comme un simili de héraut de Dame Fortune, un symbole de la Fatum et de la destinée du guerrier, lui bâtir une grade statue faisant office de Colosse et surplombant la lagune était une manière de rendre hommage au Saint Patron de Fortuna, la Dame elle même. Et, afin de commémorer la victoire, celle ci fut taillée à partir de pierres extraites de la ville démantelée de Léandra fin d'inscrire à jamais dans l'histoire l'humiliation de la Cité. Une façon mesquine de moquer les vaincus. Toujours est-il que la Statue, achevée à l'aube du XVIem est bien vite devenue un lieu de culte et de pèlerinage pour les soldats et surtout les officiers et amiraux avant de partir à la guerre ou en expédition, déposant des offrandes à l'attention de Dame Fortune en demandant la clémence de la fatum et que les grands dessein de la Dame leur soient favorables.
C'est aussi sans doute l'une des sources de cette... Mauvaise interprétation du côté religieux des lieux qui a été à postériori été récupéré et réinterprété dans le narratif des conservateurs et nationalistes Fortunéens à partir du XXe siècle et qui tiens encore à ce jour, causant des débats de sourd entre historien et adeptes du roman national sur ce sujet.