
Quand le calme précède la tempête…
Seulement, il y avait l’Antegrad et le Churaynn, deux états pratiquement autocratiques et très probablement engagés dans la décolonisation pour des raisons biens trop pragmatiques, et qui chercheraient probablement à faire du petit état un tributaire ou un client de leur puissance, un chien qu’ils pourraient garder en laisse et qui rongerait bien docilement les os qu’ils leur laisseraient… Au moins, il fallait prier pour qu’eux aussi, à défaut d’obtenir ce qu’ils souhaitent, pourraient avoir des exigences moindres, qui conviendraient à tout le monde. Et au pire, s’il fallait convaincre les séparatistes, il saurait se montrer persuasif. Seulement, il avait l’infime espoir de voir les churayns et les antériens se comporter de manière raisonnables, et ne pas les voir s’entre-tuer pour un oui ou pour un non… Même si la proximité entre les deux états n’est pas à prouver, quelques désaccords stratégiques pouvaient faire sauter les plus belles alliances… Seulement il craignait qu’ils se montrent intraitables et qu’ils réclament l’intégralité du gâteau. « Au moins, si les Azuréens sont bornés, ils sont honnêtes dans leur combat… » se disait intérieurement Floubou, qui savait tout aussi bien que la classe politique marcinoise que la montée en tension avec l’Azur est une erreur qu’il fallait corriger lors de la prochaine rencontre qui aurait lieu entre la Confédération, représentée par le Royaume et le Califat…
Heureusement, il lui restait les indépendantistes, qu’il commençait à apprécier. Ces hommes n’avaient pas l’air complètement fous, ils avaient la même vision que les Marcinois sur le sujet, c’est à dire une décolonisation qui se fasse « proprement » sans massacres ou tensions inter-ethniques qui feraient de cet état un nouveau brasier qui enflammerait une fois de plus le continent. Ils étaient pragmatiques, n’adulaient pas leurs héros, les voyaient comme des partenaires stratégiques et non comme des sauveurs à vénérer et à supplier. Ils avaient l’air de savoir ce qu’il leur faut, des armes, un soutien diplomatique. Bref, des hommes lucides qui seraient des partenaires privilégiés pour Marcine… Et qui pourraient même être appelé à jouer un rôle dans cette partie de l’Afarée face à Cramoisie qui connaissait des revirements pour le moins… intéressants. Mais tout cela se voyait dans le temps long, et il fallait pour bien commencer préserver la souveraineté de cette petite colonie tout en jouant sur un potentiel compromis avec le Churaynn, et en espérant qu’ils sauraient êtres raisonnables, ou au moins discrets dans leurs revendications.
Car si Marcine a lancé cette rencontre, c’est avant tout pour parler de l’avenir. Le Grammarnazistein est faible, 10 milles hommes tout dont probablement un dixième dans sa colonie, petit millier d’hommes qui pourraient être aisément contrôlés et arrêtés par les rebelles. Mais après, ce n’était pas dit que le revanchisme prenne le dessus, et que le nouvel État se perde en purges ethniques pour se débarrasser des traîtres d’hier, amenant nécessairement les vautours qui pourraient y voir un excellent moyen d’y imposer leurs agendas politiques, leurs intérêts ou leurs candidats… Que de possibilités s’offriraient pour eux, tandis que l’Afarée fermerait là encore les yeux… Mais les Marcinois savaient pertinemment que ce n’est pas car l’on dit « maître » en arabe que l’on est plus heureux que si l’on dit « maître » en allemand. Et le Churaynn correspondait parfaitement à ces états impérialistes qui se font passer pour les héros de la décolonisation alors qu’au fond, ce les préoccupait n’était ni les civils les États, mais les futurs vassaux qu’ils obtiendraient et qui se soumettraient. Cela les Marcinois le savait, mais ils ne pouvaient se permettre d’affirmer de but en blanc que les Churayns étaient impérialistes, il fallait simplement trouver le moyen de les pousser à affirmer leurs revendications et à réussir à les mener sur des chantiers plus consensuels qui éviteraient bien des morts… Seulement, Désiré ne savait pas comment arriver à ses objectifs, d’autant plus lorsque Bolila est maintenant en train de s’empêtrer dans un débat juridique s’acharnant sur un flou constitutionnel qui va ramener une certaine animation à Marcine, qui n’en manque pas depuis le début de la Confédéralisation il y a de cela deux ans…
Mais déjà les hélicoptères et les avions atterrissaient tandis que la Garde Royale se mettait en marche pour accueillir les nouveaux arrivants. Les uniformes verts et les épaulettes dorées ainsi que les rubans rougeâtres qui caractérisaient l’étendard Marcinois. Et tandis que les berlines noires traversaient la Capitale sans trop éveiller l’attention, les motards escortant ces dernières affirmant que ce sont quelques représentants confédérés qui avaient été retenus à Antrania qui venaient siéger aux Chambres Confédérales pour les six prochains mois, et que le palais royal ne communiquait rien de particulier quant aux étranges arrivants… Et mis à part une vedette s’amarrant au Port Royal, rien de particulier attira l’attention des Marcinois, peu de monde savaient qui étaient les invités, et personne ne se posait réellement la question… Ainsi, lorsque les représentants arrivèrent, seuls une dizaine de militaires les accueillirent au pas de l’oie et présentèrent leurs sabres, tandis que le Premier Ministre, le Roi et le Ministre des Affaires Étrangères étaient occupés à préparer un dossier solide pour le présenter devant la Chambre et le Congrès Confédéral. Il était seul, et en s’asseyant il fit :
- « Bonjour Excellence, comme vous pouvez vous en douter, je suis Désiré Floubou, le chargé aux affaires afaréennes. Je n’userai pas ma salive en critiquant la situation au Grammarnazistein, ni en élucubrations inutiles. L’objectif est d’être clair et précis, et tout prévoir, y compris pour l’après, ou ce qui suivra l’indépendance de la colonie. Mais au lieu de nous perdre, nous devons procéder efficacement. En premier nous avons tous un objectif commun ; l’indépendance de ce petit État, reste à savoir comment ?
L’Excellence représentant les Monarcho-indépendantistes réclame des armes, dans ce cas-ci, que voulez-vous ? Sachez que Marcine n’aura aucun mal à puiser dans les stocks de la Confédération pour vous équiper, tout comme les États ici présents sont prêts à vous fournir matériels et vivres, nos flottes peuvent être à votre disposition pour empêcher le ravitaillement des troupes coloniales, voire même le soutien de leurs nouveaux amis du B.N.E ! Quant à vous Excellences, n’hésitez pas à proposer des solutions qui nous éviteraient d’arriver à de telles extrémités.
Je pensais en effet que le Grammarnzi serait prêt à céder à nos exigences si nous avions de quoi leur faire peur. Je pensais notamment à la menace d’invasion de la Métropole par les troupes confédérales, quelques exercices conjoints avec Karty étant un excellent moyen de les horrifier. Ou tout simplement en pratiquant une diplomatie agressive qui permettrait de rappeler à la Métropole qu’elle ne pourra jamais reprendre sa colonie… Enfin de multiples moyens s’offrent à nous. En revanche, j’aimerai que le missile balistique ne soit pas considéré comme une option viable. Derdendemdes n’a que Dix-sept milles habitants, et une frappe sur la localité serait dévastatrice, notamment pour les civils. Voyez-vous ? L’objectif est de priorisé la décolonisation par la pression diplomatique, pas par les armes. Évidemment, si le grammar-nazi s’y oppose, alors un plan B est à envisager, et sera cette fois-ci bien moins conciliants vis-à-vis du gouvernement de Weinel. Naturellement, ce ne sont que des propositions, et le décisionnaire final devrait être, à mon sens, les indépendantistes locaux. »
Après cette entrée en matière expéditive, le Marcinois avait opté pour une stratégie assez agressive, un flot de paroles permettant de s’imposer assez vite dans la conversation, et de quoi déboussoler ses potentiels rivaux. Puis il continua :
« Ensuite, je pense qu’il est nécessaire de mettre en commun nos renseignements sur le grammarnazistein, et permettre par là une coopération optimale. Je pense aussi que l’on devrait nous avertir mutuellement lorsque l’on tente une quelconque opération dans la région, et surtout attendre l’accord des indépendantistes locaux. C’est sur ces principes initiaux que devrait être basé notre collaboration mutuelle et le protocole qui en ressortira. Qu’en pensez-vous Excellences ? »