
Le trajet bien au chaud était ponctué par le bruit des flaques traversées par la limousine. Si le personnel diplomatique était coquettement installé, ce n'était pas le cas des motards que l'on voyait dehors escorter le petit convoi. Avec adresse, ils bravaient les éléments et guidaient élégamment les autres usagers sur la route, les invitant avec cordialité et fermeté à se rabattre, ouvrir la voie ou céder le passage. Clarisse et Matilde tenaient des discussions assez classiques pour la forme tout en glissant quelques mots sur les échanges à venir. Sylva prenait très à cœur le sujet et souhaitait répondre aux intérêts mutuels, mais surtout, à un besoin de stabilité mondiale après les troubles auxquels avaient été confrontés le pays. Arrivé au palais des ambassades, élégant bâtiment en colombage, l'équipe diplomatique se précipita à l'intérieur. On ne rentra pas par la grande porte, mais par le garage. Non pas que la pluie l'en empêchait, puisqu'il y avait une accalmie, mais le sol restait particulièrement trempé et glissant, donc on évitait de répéter les mêmes risques qu'à la sortie de l'avion. Il n'était que seize heures quand l'équipe arriva, et pourtant, il semblait être deux heures plus tard tant le soleil semblait déjà se coucher, voiler par les épais nuages. On pouvait voir les malvinis voler dehors, ces oiseaux de mauvais présage, annonciateur d'une pluie qui allait redoubler. Oui, une onde tropicale approchait Sylva et on devait s'attendre à une grosse pluie.
Il y avait enfin un confort durable, un très joli salon de tout en bois sur sol au plafond. Les essences se superposaient pour proposer un dégradé agréable à l’œil, du plus sombre au plus clair à mesure qu'on regardait vers le haut. Et il y avait les grandes baies vitrées donnant sur les balcons, sur l'extérieur : la pluie reprenait et ruisselait sur le verre. Quelques jalousies étaient restées ouvertes pour laisser circuler l'air, un courant frais et agréable. Sur une belle table d'acajou ouvragé, trônaient différents fruits et boissons accessibles le long des discussions. Clarisse Jacquet prit les devants de la discussion :
"Excellences, c'est un honneur et un plaisir de vous recevoir pour discuter d'un sujet aussi important. Le temps que vous avez pris pour faire le déplacement témoigne de l'attention et crédit que vous accordez à ce que nous avons à dire, un intérêt que nous apprécions et tâcherons de justifier. Le cœur de ces discussions concernera les inquiétudes sylvoises vis-à-vis de la politique du missile de Drovolski, dans le sens où les engagements qu'elle implique auprès du Drovolski pourraient amener le pays dans des troubles contre ses propres intérêts, et conséquemment contre ceux de Sylva, évidemment. Nous comprenons tout à fait l'attachement mesolvardien pour sa souveraineté et sa méfiance à changer ainsi une loi aussi fondamentale sur demande d'une nation étrangère, amie ou non. Avant de détailler les solutions proposées par Sylva et dont vous avez déjà une vision d'ensemble, je souhaiterais vous inviter à récapituler l'histoire de cette politique du missile, comment elle a été proposée, approuvée, ses implications et surtout, la vision mesolvardienne sur un éventuel usage de cette politique. Par usage éventuel, nous pouvons prendre en exemple l'Altrecht (le nom fut involontairement écorché), dans l'hypothèse où les mésententes entre vos pays avaient persévéraient et que, selon ses lois, Drovolski n'avait eu aucun autre recours, mais bel et bien l'engagement de recourir à une frappe de missile, quelle aurait été la vision mesolvardienne avant, pendant et après ? Ce n'est nullement un jugement, évidemment, simplement une curiosité nécessaire pour mieux appréhender nos points de vue respectifs et les concilier dans le sens des intérêts communs et d'une prospérité internationale."
Tout en s'expliquant, elle fit quelques signes en direction de la table où étaient disposés les apéritifs, signe de ne pas hésiter à se servir tout en discutant. Elle prenait déjà un petit bout de melon tandis que Matilde l'imita avec un de pastèque. On trouvait aussi quelques tranches de goyaves, mangues ou encore de coco.