24/09/2017
22:25:21
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Discussion balistique et bancaire [Sylva - Drovolski]

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pluie

Avril, c'était la saison des pluies en Sylva. Il faisait froid (moins de 30°C donc) et humide avec des nuages permanents et des pluies régulières, parfois très intense. Comme chaque année, on en parlait à la radio comme un évènement exceptionnel, on était surpris que les quartiers inondables connaissent exactement les mêmes inondations que l'année précédente et on avait de nouvelles vidéos de bus roulant à travers des torrents. Pour autant, la vie continuait, et cela incluait la vie politique. L’atterrissage en avion avait de quoi être impressionnant, les bourrasques fouettant sur le côté tandis que la pluie ruisselait à grande vitesse de l'avant vers l'arrière de l'appareil. Un spectacle envoutant était visible depuis les hublots lorsque les trains touchèrent le sol. Étaient visibles les lumières des appareils alentours embrumées par la pluie. Si le temps ne se prêtait pas à un accueil en extérieur, les sylvois avaient décidé de le maintenir : un escalier d'embarquement avec une zone couverte fut raccordée à l'avion diplomatique et des petits chapiteaux déployés juste à la sortie où attendaient la ministre des Affaires étrangères, Matilde Boisderose, mais aussi Clarisse Jacquet, sa suppléante qui la remplaçait progressivement à ce poste. L'odeur du goudron mouillé embaumait l'air tandis que quelques gouttes de pluies étaient chassées par le vent. Un orchestre entonnait en même temps l'hymne mesolvardien. Le spectacle était vibrant, mêlant la musique au bruit des rafales et de la pluie. Après l'accueil d'usage, on ne s'attarda pas plus que nécessaire sous cet abri précaire et on invita l'empereur (ou plutôt son représentant) dans une limousine gouvernementale. L'intérieur était si confortable qu'il en appelait à la sieste : il y faisait bon, on était à l’abri de la pluie tout en ayant le loisir de la voir et entendre à travers les vitres, puis les sièges étaient très confortables.

Le trajet bien au chaud était ponctué par le bruit des flaques traversées par la limousine. Si le personnel diplomatique était coquettement installé, ce n'était pas le cas des motards que l'on voyait dehors escorter le petit convoi. Avec adresse, ils bravaient les éléments et guidaient élégamment les autres usagers sur la route, les invitant avec cordialité et fermeté à se rabattre, ouvrir la voie ou céder le passage. Clarisse et Matilde tenaient des discussions assez classiques pour la forme tout en glissant quelques mots sur les échanges à venir. Sylva prenait très à cœur le sujet et souhaitait répondre aux intérêts mutuels, mais surtout, à un besoin de stabilité mondiale après les troubles auxquels avaient été confrontés le pays. Arrivé au palais des ambassades, élégant bâtiment en colombage, l'équipe diplomatique se précipita à l'intérieur. On ne rentra pas par la grande porte, mais par le garage. Non pas que la pluie l'en empêchait, puisqu'il y avait une accalmie, mais le sol restait particulièrement trempé et glissant, donc on évitait de répéter les mêmes risques qu'à la sortie de l'avion. Il n'était que seize heures quand l'équipe arriva, et pourtant, il semblait être deux heures plus tard tant le soleil semblait déjà se coucher, voiler par les épais nuages. On pouvait voir les malvinis voler dehors, ces oiseaux de mauvais présage, annonciateur d'une pluie qui allait redoubler. Oui, une onde tropicale approchait Sylva et on devait s'attendre à une grosse pluie.

Il y avait enfin un confort durable, un très joli salon de tout en bois sur sol au plafond. Les essences se superposaient pour proposer un dégradé agréable à l’œil, du plus sombre au plus clair à mesure qu'on regardait vers le haut. Et il y avait les grandes baies vitrées donnant sur les balcons, sur l'extérieur : la pluie reprenait et ruisselait sur le verre. Quelques jalousies étaient restées ouvertes pour laisser circuler l'air, un courant frais et agréable. Sur une belle table d'acajou ouvragé, trônaient différents fruits et boissons accessibles le long des discussions. Clarisse Jacquet prit les devants de la discussion :

"Excellences, c'est un honneur et un plaisir de vous recevoir pour discuter d'un sujet aussi important. Le temps que vous avez pris pour faire le déplacement témoigne de l'attention et crédit que vous accordez à ce que nous avons à dire, un intérêt que nous apprécions et tâcherons de justifier. Le cœur de ces discussions concernera les inquiétudes sylvoises vis-à-vis de la politique du missile de Drovolski, dans le sens où les engagements qu'elle implique auprès du Drovolski pourraient amener le pays dans des troubles contre ses propres intérêts, et conséquemment contre ceux de Sylva, évidemment. Nous comprenons tout à fait l'attachement mesolvardien pour sa souveraineté et sa méfiance à changer ainsi une loi aussi fondamentale sur demande d'une nation étrangère, amie ou non. Avant de détailler les solutions proposées par Sylva et dont vous avez déjà une vision d'ensemble, je souhaiterais vous inviter à récapituler l'histoire de cette politique du missile, comment elle a été proposée, approuvée, ses implications et surtout, la vision mesolvardienne sur un éventuel usage de cette politique. Par usage éventuel, nous pouvons prendre en exemple l'Altrecht (le nom fut involontairement écorché), dans l'hypothèse où les mésententes entre vos pays avaient persévéraient et que, selon ses lois, Drovolski n'avait eu aucun autre recours, mais bel et bien l'engagement de recourir à une frappe de missile, quelle aurait été la vision mesolvardienne avant, pendant et après ? Ce n'est nullement un jugement, évidemment, simplement une curiosité nécessaire pour mieux appréhender nos points de vue respectifs et les concilier dans le sens des intérêts communs et d'une prospérité internationale."

Tout en s'expliquant, elle fit quelques signes en direction de la table où étaient disposés les apéritifs, signe de ne pas hésiter à se servir tout en discutant. Elle prenait déjà un petit bout de melon tandis que Matilde l'imita avec un de pastèque. On trouvait aussi quelques tranches de goyaves, mangues ou encore de coco.
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Les Mesolvardiens firent un beau voyage. Il était très agréable d’arriver dans un pays où l’on voyait enfin le soleil à travers le ciel. Ils avaient quitté un territoire gris, livide et monotone, pour atterrir dans un endroit coloré où même la pluie ne tuait pas. Grande fut leur surprise lorsqu’ils virent que les habitants sortaient leurs parapluies sans craindre de devoir demander : « Quel type d’acide tombe aujourd’hui ? ». Certains expliquèrent que l’eau n’était pas acide, mais pure. Les Mesolvardiens n’y crurent pas et déplièrent leurs parapluies “type A”, prévus pour les pluies les plus corrosives. Puis ils virent des militaires et du personnel en uniforme. La surprise fut grande : dans leur pays, où la musique est interdite, certains n’avaient jamais entendu d’hymnes militaires. Leur appareil de défense reposant principalement sur des missiles balistiques, beaucoup étaient peu familiers des défilés en fanfare.

Certains furent également très heureux de retrouver leurs partenaires Sylvois, alliés de longue date, très respectés sur les plans culturel et politique. Beaucoup de Mesolvardiens voyaient en Sylva un avenir plus prometteur que dans leur propre société, marquée par une croissance industrielle effrénée et une noblesse toute-puissante contrôlant les institutions. Les Mesolvardiens étaient venus surtout pour discuter des relations avec Sylva. Ils n’avaient pas l’intention de céder beaucoup concernant leurs missiles balistiques, mais ils voulaient renouveler les accords de coopération et rappeler que Mesolvardiens et Sylvois étaient des partenaires de longue date. Leur but était de consolider cette alliance dans les esprits, en la prolongeant vers l’avenir : industrie, politique et, peut-être un jour, culture pourraient les unir pour toujours.

Les Sylvois avaient disposé sur la table des mets aux couleurs surprenantes : parfois orange, parfois rouge, parfois vert, voire noir. Les Mesolvardiens se demandèrent si cela se mangeait vraiment.
Certains goûtèrent et s’exclamèrent :
« Oh ! Mais je connais, c’est un plat de luxe que certains nobles consomment ! On appelle ça un fruit. »
Un autre répondit :
« Pas du tout, c’est de la viande, regarde comme c’est rouge. »
Un troisième ajouta :
« Non, il me semble qu’on appelle ça une pastèque, une plante toxique. »

Le dauphin, représentant de son père ce jour-là, était mal à l’aise de voir ses diplomates incapables de reconnaître la botanique la plus élémentaire. C’était un signe flagrant de la pauvreté culturelle de leur pays, réduit à l’industrie. Le dauphin prit alors la parole avec une voix vive et assurée :

« Vous m’avez posé des questions sur nos missiles balistiques. Sachez qu’ils ne sont en aucun cas un instrument d’attaque, mais un moyen coercitif de défense. Le Drovolski n’a pas d’armée offensive : il ne fait que préserver son intégrité. Nous distinguons deux usages de notre armement :

Usage coercitif économique et diplomatique :
Si un État rompt un contrat ou bafoue nos accords, nous commençons par des représailles économiques et diplomatiques. Si ces mesures échouent, nous pouvons alors poser un ultimatum balistique, proportionné aux pertes subies. L’objectif n’est pas la conquête, mais la réparation des dommages infligés à nos intérêts.

Usage défensif :
Si un État s’attaque directement à notre souveraineté, nous pouvons utiliser nos missiles contre ses infrastructures militaires, voire civiles, afin de neutraliser sa capacité de nuire.

En aucun cas, nous n’utilisons nos missiles de manière unilatérale ou préventive. Nous ne déclarons pas une position nôtre par la seule menace. Cependant, nous devons reconnaître que notre politique peut sembler impériale. En cas d’embargo ou d’atteinte volontaire à nos intérêts vitaux, nous nous réservons le droit d’agir, même si l’agression n’est pas militaire directe. Enfin, dans un scénario extrême et purement spéculatif, si un État venait à menacer un allié ou un garant de bonne entente, nous pourrions envisager un soutien balistique. Mais cela dépendrait des circonstances et de la complexité de l’alliance, car nous privilégions toujours des moyens moins destructeurs. »
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Clarisse attendit que ses homologues répondirent. Le sujet était délicat puisqu'il demandait aux mésolvardiens de changer leur législation, un acte extrêmement important pour eux. Les faire concéder un tel effort demanderait une justification extrême qui répondrait à leurs intérêts, suffisamment pour passer outre cette importance symbolique.

« Je comprends parfaitement. En effet, le terme d'attaque n'était pas adapté et coercitif correspond davantage. J'aimerais que nous procédions ensemble à une petite réflexion, si vous le voulez bien. La doctrine balistique a un avantage : elle est éprouvée. Nombre de nations se sont déjà appliquées à l'éprouver à un degré ou un autre pour des résultats étonnement réguliers. Cela permet de se faire un retour d'expérience pour considérer de manière précise la pertinence de cette doctrine.

Le premier et le plus évident des exemples est évidemment Carnavale qui a basé l'intégralité de sa doctrine militaire sur des armes balistiques doublées d'armes de destruction massive. La Principauté annonce déjà développer de nouvelles armes plus terrifiantes encore avec des pathogènes mortels contagieux. Pour autant, cette doctrine n'a été utile qu'à un certain degré. Elle a même été utile uniquement quand elle n'était pas utilisée de par la peur qu'elle inspirait. Mais une fois le coup tiré, ce bloc dissuasif s'est évaporé et l'OND a immédiatement défait le pays et s'apprête à le faire renoncer définitivement à ses lubies meurtrières. Cette doctrine balistique n'a conséquemment servi que contre des menaces modérées dans une situation d'escalade réduite.

Vient ensuite l'exemple de l'Ouwanlinda et de ses frappes contre l'Antegrad (actuellement Anterie) suite à une frappe aérienne de la part de ce dernier. L'armement balistique a permis l'assassinat du dirigeant anterien, mais n'a fondamentalement pas suffit à dissuader le bombardement initiale de l'Antegrad. Pire, cette frappe balistique a antagonisé l'Ouwanlinda qui n'a eu que de maigres soutiens mollement assumés, contre un positionnement ferme favorable à l'Antegrad. Au bout du compte, cet arsenal de missile n'aura ni prévenu l'offensive anterienne, ni assumer un bon positionnement géopolitique et stratégique post-conflit.

Nous avons ensuite l'exemple de la Krésetchnie qui a frappé l'Altrecht, pour subir immédiatement une riposte du LiberalIntern. Là encore, cette doctrine n'a eu au final qu'un faible effet dissuasif et a davantage positionné dans une inconfortable posture la Krésetchnie, qui a été engagée dans une escalade non contrôlée par le LiberalIntern malgré la menace balistique.

Et enfin, viennent d'autres exemples plus mineurs depuis le Churaynn contre la République des Trois Nations ou encore l'Altrecht. Là encore, les effets sont peu significatifs.

Et on constate là une constante déconcertante : le potentiel dissuasif des missiles balistiques est au final très modéré dans une situation de tension élevée et ne s'applique qu'à des cas de figure où d'autres possibilités se seraient montrées aussi intéressante. En effet, dans un usage coercitif, le but premier est de contraindre un contractant à respecter ses engagements sous la menace balistique. L'objectif de la réparation ne saurait véritablement s'appliquer au sens premier. Un bombardement ne répare pas les torts de manière matérielle. Au mieux, il oblige à ne pas commettre le tort sous peine d'en payer le prix.
Je parle là uniquement de l'usage coercitif inscrit dans votre législation. La doctrine défensive militaire est quant à elle à la charge du Drovolski.

Pour en revenir à la question de l'usage coercitif de cette doctrine, le constat sylvois est fondamentalement le suivant : une telle politique de dissuasion fonctionnerait exclusivement dans certains cas de figure assez restreints. Il faut que le contractant soit suffisamment raisonnable et conscient des enjeux tout en étant incapable de se prémunir ou répondre à une menace balistique. Si le contractant en face de vous est suffisamment fou ou puissant pour estimer pouvoir rompre ses engagements malgré la menace balistique, cette doctrine perd alors tout son intérêt. Et si réciproquement, il est assez raisonnable et peu puissant pour se plier à l'injonction et répondre à ses engagements, des moyens différents auraient suffi.
Le problème est que, tel qu'illustré avec l'exemple de Carnavale, la pression balistique la plus extrême n'est pas absolue et condamne à la mise au ban dès lors que son usage se fait.

En se basant sur cette analyse, le Duché de Sylva considère que des alternatives intelligentes répondant aux besoins du Drovolski plus efficacement existe. L'usage d'armes balistique contre un acteur peu fiable sur ces engagements le passerait automatiquement de coupable à victime et isolerait de manière dommageable le Drovolski. Mais l'usage d'outils économique dans un monde fortement mondialisé avec un niveau de confort de vie nécessitant des chaînes de production complexes et décentralisées offrent des recours bien plus coercitifs qu'une menace balistique.
Un pays peu fiable sur ses engagements perd en crédibilité, décourageant de futurs partenariats et échanges avec lui. En établissant un cadre formalisant les usages lors de l'établissement de ces contrats, nous pourrions imposer par l'usage une norme, un standard à respecter. Les nations qui ne respectent pas ces normes ne répondent alors plus aux attentes pour convenir des contrats et ne pourraient plus établir de relations de confiance avec d'autres acteurs.

En combinant l'influence économique, médiatique et diplomatique de Sylva (avec par exemple l'OND) et du Drovolski, il serait possible de normaliser ces attentes. Les propositions bancaires mésolvardiennes en ce sens sont déjà un premier pas très favorable en établissant un processus clair et cohérente qui s’intégrerait parfaitement dans les logiques de marchés mondialisés.

Pour résumer la proposition sylvoise, nous considérons que la menace balistique n'est que trop peu efficace pour contraindre les contractant à tenir leurs engagements, tout en ayant des conséquences néfastes. À la place, il serait plus intéressant de normaliser à l'internationale les processus et cadres proposés par le Drovolski pour que les nations violant leurs engagements soient à la place soumise à un isolement économique bien plus coercitif que la menace balistique et bien moins risqué pour le Drovolski. Ajoutons à cela qu'une application de concert de ces normes par nos deux nations consolideraient les relations déjà solidement établies entre nous en établissant un cadre commun toujours plus favorable aux échanges entre nos nations, mais également à des systèmes intégrant d'autres puissances étrangères à nos coopérations. »
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Les Mesolvardiens écoutaient attentivement l’exposé de Clarisse, à la fois circonspecte et attentive quant au bon déroulement des sujets abordés, qu’il s’agisse des missiles eux-mêmes ou de leurs usages. Les magistrats étaient heureux de constater que Sylva n’évoquait ni le volume ni la puissance de feu, mais uniquement les modalités d’emploi. C’était là une faveur faite au Drovolski, qu’ils appréciaient grandement. Mais aucun ne le fit savoir : peut-être pensaient-ils que le remerciement était implicite. Le dauphin répondit de façon concise :

« Il me semble que vous oubliez d’évoquer le passé de ma région. En son temps, le Centron a visé une centrale nucléaire en Loduarie, provoquant des effets immédiats et une réaction mondiale extrêmement violente. Et malgré l’issue de cet événement, cela montre que, même par une petite action, le feu balistique demeure un moyen de négociation. Personne ne dit qu’il faut ne s’en remettre qu’à cela pour négocier.

Notre politique coercitive repose sur trois étapes : un avertissement, un ultimatum, puis une réponse. Vous rappellerez que certains pays ne voudront pas entendre raison avant le moment irréparable. Mais sachez que si le feu balistique n’est pas suffisant, je ne vois pas comment une coercition économique pourrait l’être davantage. Ainsi, échanger un moyen incertain contre un moyen faible ne nous paraît pas opportun.

Cela dit, vous soulignez que l’usage de missiles balistiques pourrait classer le Drovolski comme un pays hostile aux yeux du monde. C’est sans doute un argument valable. Mais rappelons que si nous en arrivons là, c’est qu’un pays aura refusé d’honorer ses engagements contractuels. Pour une discatocratie, c’est insupportable : cela revient à déshonorer les principes mêmes de l’État de droit. Cette attaque au cœur des valeurs du Drovolski, impactant également son économie, serait réputée insupportable. Mais vous avez raison : en cas d’activation, rien ne serait véritablement résolu.

Nous reconnaissons néanmoins la nécessité de disposer d’un argument de plus plutôt que d’un de moins. Soit en ajoutant une étape supplémentaire à notre politique de coercition, soit en puisant dans nos alliances et dans notre poids industriel et commercial les moyens de faire entendre raison à une puissance défaillante vis-à-vis de ses engagements. Ce n’est qu’en ultime recours que la menace balistique devrait être envisagée. Rappelons que la définition d’« ultime » renvoie à un impact entraînant un dommage civil considéré comme irréversible. On peut entendre par là, par exemple, un pays coupant l’approvisionnement en eau de la capitale : un tel manquement à ses engagements contractuels s’entendrait alors comme une véritable déclaration de guerre. Et j’espère que vous le comprendrez.

Nous sommes prêts à mieux encadrer ce cadre d’ultimatum, en échange d’un cadre normatif plus solide et plus puissant, comme vous l’évoquez. Et, si cela vous convient, à mettre à disposition une partie de notre arsenal balistique pour pallier d’éventuelles défaillances en Sylva.

Ce que nous cherchons à expliquer, c’est que l’usage des missiles ne serait envisagé que si le manquement contractuel induisait des dommages irréversibles, susceptibles d’être assimilés à une guerre hybride ou directe. Il nous paraît donc souhaitable de rédiger un nouveau cadre, conformément à votre exposé. »
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Clarisse hocha la tête au gré des arguments avancés par ses homologues. La tâche n'était pas aisée, mais ils étaient au moins ouverts à la discussion. Le sujet était toutefois épineux et les mésolvardiens utilisaient une rhétorique dont ils avaient le secret, nécessitant de réfléchir avec d'autant plus d'attention.

"L'exemple du Centron est intéressant. Je suppose que vous parliez de Translavya, lorsqu'elle a bombardé la Loduarie ? Vous constaterez que ces deux pays ont fait usage de moyens balistiques pour intimider l'autre et que, même lorsqu'il a été question de frapper une centrale nucléaire, cela n'a pas suffi à dissuader. La frappe translave n'a pas dissuadé l'invasion loduarienne et n'a elle-même pas été dissuadée par la frappe loduarienne depuis l'Oblast de Zladingrad. On notera que la Translavya a été envahie sans délais après cela et que la Loduarie a été chassée par le Pharois et OND de l'Oblast de Zladingrad à cause de ses gesticulations. Ce n'est là pas un exemple très probant pour vanter l'usage des missiles balistiques.

Je note un point : vous évoquez que ces missiles sont pensés pour servir en ultime recours face à une menace existentielle. Si l'exemple d'un blocus sur l'eau potable entre dans cette définition, ce n'est pas le cas d'autres exemples. J'ai à l'esprit les mésententes entre le Drovolski et l'Altrecht sur la question nucléaire. Dans les situations où la sécurité et même l'existence du Drovolski était mise en danger, la Ligue de Velcal pourrait être mobilisée et vous pourriez même compter sur un appui du Duché de Sylva, de par l'importante dépendance industrielle que nous entretenons auprès de vous. Intégrer l'usage de missile dans ce cas de figure serait cohérent aussi puisqu'il s'agit d'une situation de guerre. Mais on parle là de situation à un degré d'escalade élevée. Bloquer l'apport de ressources vitales ou violer la souveraineté mésolvardienne peut entrer dans ces critères, mais une simple rupture ne saurait le justifier.

Une réponse économique permise par l'établissement d'un cadre normalisé et internationalisé permettrait, comme nous le disions, une réponse plus adaptée et serait un motif pour Sylva d'approuver les propositions en ce sens du Drovolski. Nous avons déjà là un axe de réflexion : Considérant que la problématique est le caractère en apparence hostile et instable d'une telle doctrine, qui plus est inefficace comme témoigné mainte fois par le passé, il suffira de réaffirmer qu'une telle doctrine ne s'applique qu'en situation réellement critique où l'intégrité du Drovolski est menacée au point de justifier une intervention aussi radicale, parallèlement à une convocation de la Ligue de Velcal. Et dans les cas où une intervention armée est injustifiée par un degré d'escalade trop bas, mais qu'une sanction ferme doit être prise, nous pouvons alors appliquer le cadre proposé par le Drovolski pour justifier une sanction groupée et un isolement envers le pays ciblé."

Elle prit un morceau d'ananas avant de reprendre.

"Par rapport à vos doutes sur les capacités de coercition du Duché sur le plan économique, nous disposons d'un potentiel déjà démontré. Les industriels d'Agouti sont bien parvenus à commercialiser des véhicules électriques à Rasken, royaume du pétrole. Nos agriculteurs ont réussi à détaxer le sucre sylvois en Tanska. Nous avons également réussi, encore une fois au détriment de Rasken, à assurer un partenariat avec les industries pétrolières de Caribena. Tout cela est dû à l'ensemble des leviers d'influence du Duché, incluant les services de Lobbying d'Ambre Consultation. En intégrant dans ce dispositif de réponse les relations du Duché, nous pourrions fédérer un nombre important d'acteurs pour sanctionner et isoler une nation contrevenant à ses engagements, sous motif qu'elle deviendrait indigne de confiance pour en établir de nouveaux. Je parle là d'exemples très concrets allant au-delà de la molle condamnation médiatique. Je peux même vous proposer un exercice de pensé : proposez une nation qui pourrait hypothétiquement rompre unilatéralement ses engagements avec le Drovolski et je fournirais une liste de moyens d'actions bien concrets pour y répondre sans devoir intervenir à un degré d'escalade élevé. Si j'arrive à vous convaincre avec cet exemple des éléments concrets qu'offre une coercition sylvoise et de leur supériorité sur une réponse balistique systématique, alors vous conviendrez qu'il s'agit d'une alternative pertinente, n'est-ce pas ?"
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Le sujet de discussion
Le sujet de discussion



Les Mesolvardiens étaient surpris de voir ces gens manger ce bout de gélatine jaune et, avant de répondre, ils ouvrirent grand les yeux et demandèrent :

Pourquoi mangez-vous une bougie ? Vous avez l'air d'aimer, en plus. C'est une tradition chez vous ?

D'un air peu ragoûtant, beaucoup se demandaient ce qu'était cet « ananas » : une décoration, un comestible, une tradition ? Trop de questions pour un geste qui pourtant était simple. Le Dauphin reprit la tête de la délégation, dissipa les doutes de ses contemporains et testa à son tour l'ananas ! Il avait l'air peureux et plein de doute, mais il fit un sourire et dit discrètement à son ministre : « J'ai plein d'aphtes, l'ananas ça donne des aphtes, n'en mangez pas, on cherche à nous empoisonner. » C'est là un triste dessin : par un simple geste, les Syvois venaient sans le vouloir de terrifier les nobles de Mesolvarde. Ils vivent dans un pays de toxiques et de polluants, et sont donc légitimement terrorisés à l'idée de s'empoisonner (une peur risible quand on connaît leurs habitudes de vie). Les visages se fermèrent et l'on comprit que les Mesolvardiens n'allaient pas coopérer aussi bien que prévu ; comme quoi, un petit geste peut avoir des implications politiques importantes quand on discute avec des gens dont la culture est très éloignée; une leçon de diplomatie.

Le Dauphin prit un ton assez sérieux et répondit d'une manière surprenante mais peut-être logique :

Je comprends votre conviction de nous convaincre de négocier par des armes économiques plutôt que balistiques, mais je ne peux pas ignorer que, chez vous, c'est l'OND qui parle, et qu'en promouvant cela vous ne cherchez pas simplement à désarmer votre possible nouvelle conquête. Vous avez mal interprété l'exemple que nous avions pris ; je veux dire par là que, sans ces missiles, la Translavya n'aurait jamais pu négocier aussi longtemps et que, malgré cela, l'OND n'a conquis qu'une faible fraction de son territoire. Nous estimons que, sans ses missiles, la Translavya n'aurait pas pu négocier et aurait fini sous la domination totale de l'OND, et c'est un scénario que nous voulons absolument éviter.

Le Drovolski n'a pas vocation à se soumettre à l'impérialisme occidental et nous n'admettrons pas que cela se fasse par l'intermédiaire d'alliés comme vous. Car il n'y a pas de doute : Sylva est un partenaire de choix; pardon, Sylva est LE partenaire de choix de Mesolvarde; et dans nos discussions usuelles nous vous dissocions de l'OND. Mais ici nous ne pouvons pas ignorer ce fait et nous sommes au regret de vous demander de nous montrer que votre intérêt à nous convaincre de limiter le positionnement de nos vecteurs balistiques n'est pas la volonté de l'OND plutôt que la vôtre.

Ne me parlez pas de complotisme : l'OND est une organisation intégrée et nous ne pouvons pas ignorer ce fait. Je veux savoir quels sont les intérêts que Sylva aurait dans cette affaire, et si ce n'est pas, en définitive, l'OND qui le demande par votre intermédiaire; car l'OND sait que Mesolvarde écoute toujours le Bourg des Mahoganys. Je ne veux toutefois pas que vous voyiez dans cette demande une perte de confiance : nous vous estimons et nous plaçons beaucoup d'espoir dans nos relations, mais la naïveté n'est pas permise à la tête d'un pays.

En effet, vous voulez nous convaincre que ce moyen est peu efficace et à limiter au cas de guerre. Mais même un moyen complémentaire peu efficace peut toujours trouver son utilité ; pourquoi vouloir se l'interdire ? Mesolvarde est même prête à vous couvrir par son arsenale. Nous ne comprenons pas comment un allié comme vous peut refuser une telle proposition, sauf à être lui-même sous l'influence de l'OND. En cela, nous acceptons d'employer davantage de moyens de coercition économique selon vos modalités, mais pour les pauvres et les récalcitrants ou ceux attachés à détruire les valeurs mesolvardiennes, nous ne pouvons pas admettre de ne pas montrer au monde que ces questions ne sont pas neutres pour nous.

Je veux dire par là que ridiculiser le Droit ou le nucléaire par des artifices et des provocations n'est pas admissible. L'Altrech a fait les deux en même temps et Mesolvarde n'est pas impassible. Réfuter la hiérarchie des normes et interdire l'énergie nucléaire est un sacrilège irrévérencieux au plus haut point : cela porte atteinte à la stabilité même de notre construction politique, c'est une offense profondément dangereuse pour notre stabilité ! Un réacteur a été confisqué et mis dans une position dangereuse susceptible de compromettre la sûreté de l'installation et donc les compétences du LHV ! Vous imaginez : si, sans nos missiles, l'Altrech avait conduit un de nos réacteurs à la perte par des artifices légaux ridicules ?! Nous ne pouvons pas l'admettre !

Toutefois, nous sommes prêts à vous entendre et nous voyons d'un bon œil la création d'une organisation de normalisation autour de nos outils Mondus et de votre pouvoir d'influence, moyen pour nos États de normer le monde sous des conventions stables permettant le commerce et la domination économique qui en découle, moyen pour les nations puissantes de définir les lois pour les plus faibles. Mais comment ne pas avoir peur d'un conflit entre grandes puissances ? Le Kha n'a peut-être pas la même définition que Sylva et je refuse que notre entente conduise à des conflits chez vous. Ce serait la démonstration de l'inefficacité de cette idée. Ce faisant, si nous allons dans cette direction, je veux que cette organisation se limite dans un premier temps à l'économie, au cadre judiciaire et à la reconnaissance des États. Les débats toujours enflammés autour de l'armement et des territoires colonisés nous sont trop complexes à maîtriser pour Mesolvarde.

Que dites-vous ? Voulez-vous de cette idée ? Acceptez-vous d'unir nos pouvoirs de négociation dans une organisation internationale, et de mieux cadrer les missiles mesolvardiens sans pour autant s'en interdire l'usage, en échange d'une garantie de soutien balistique de Sylva ?


Il glissa le plan d'un des sous-marins de Mesolvarde et des côtes syvoises, affichant sur son visage l'expression du « c'est possible ».


Sylva
C'est possible et rien que pour vous
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De tous les imprévus que pouvait susciter l'ananas, on ne pensait pas qu'il puisse être confondu pour des bougies. L'atmosphère semblant impactée par cette incongrue incompréhension, c'est avec professionnalisme que les majordomes s’exécutèrent pour remplacer les fruits inquiétants pour un aliment plus conventionnel : des galettes de manioc en forme de... galette.

galette
La galette prise directement à un vendeur ambulant.

On avait également hésité à des chips de banane ou patate douce, mais l'on craignait que leur apparence ne surprenne les invités, faisant opter pour un produit à l'apparence industrielle dans un rassurant paquet de plastique. Espérant que cela fasse l'affaire, Clarisse poursuivit :

« L'exemple de la Translavya est très intéressant, mais il semble y avoir une confusion. Si l'OND et Galouèse n'ont occupé qu'une fraction minoritaire, le reste l'a été par la Loduarie. L'intégralité du pays a été envahie malgré les missiles balistiques. Ces derniers n'ont en rien dissuadé ou ralenti, mais au contraire entraîné l'escalade et l'impossibilité politique pour le dictateur Lorenzo de faire marche arrière. C'est pourquoi nous avons maintenant une fraction libérale et une autre communiste quand, originellement, le pays était... heu... »

« Une espèce d'organisation avec un penchant fasciste bien trop prononcé » répondit un conseiller.

« Voilà, mais la Translavya originale n'est plus et a été fracturé en deux morceaux sous occupation pour y bâtir des modèles plus sains, ça et quelques enjeux géopolitiques évidemment. Laissez la Loduarie étendre librement son empire sans aucune opposition était inenvisageable. »

Puis vint la fameuse proposition, ce « C'est possible » digne d'une lettre d'amour qui en fit presque rougir Clarisse. Non pas qu'elle tenait à cœur de bombarder un voisin et déclencher une guerre avec un pays frontalier, non, mais que les mésolvardiens étaient maintenant prêts à faire une alliance militaire aussi approfondie. C'étaient décidément des alliés précieux.

« Hm... alors. Pour en revenir à l'impact des manquements de l'Altrecht sur ses engagements, j'ai bien trop confiance en la résilience mésolvardienne pour croire qu'un semblant de menace fragilisante ait pu être appliqué à ses institutions et à son fonctionnement simplement parce que l'Altrecht a renoncé à son contrat unilatéralement. Nulle remise en cause du savoir-faire mésolvardien aurait pu être émise suite à cet événement puisqu'il s'agit de la responsabilité altrechtoise d'avoir empêché le LHV d'accomplir ses responsabilités. Oh, je ne minimise aucunement la gravité de l'action altrechtoise, évidemment. La rupture des ententes quand il est question de la charge d'un élément aussi délicat qu'un BENO-10 n'est pas à prendre à la légère et l'Altrecht aurait entièrement pu être tenu pour responsable d'une mise en danger étendue de la région. Mais une réponse balistique n'aurait pas minimisé ce risque, mais l'aurait au contraire catalysé.

Ceci dit, votre proposition d'encadrer sans interdire l'usage des armes balistiques est positive et Sylva l'accueil avec joie. La question est de définir de manière cohérente et précise les conditions qui légitiment l'emploi de cet armement. Le Duché serait tenté de dire que ladite condition d'emploi serait la même que n'importe quelle autre arme et s'inscrirait dans les mêmes logiques : garantir l'intégrité d'un pays et dissuader une agression. Si nous parvenons à nous entendre pour que l'usage de l'arsenal balistique soit conditionné par une nécessité vitale d'autodéfense ou de soutiens à un allié agressé voir en neutralisation d'une menace armée avérée, et que cet usage soit évité tant que des recours diplomatiques et économiques sont possibles. Factuellement, cette définition pourrait même s'avérer tout aussi limitante que la législation actuelle mésolvardienne mais prendrait le soin de distinctement caractériser à quel degré de menace on autorise une intervention armée. Appliquer une sanction économique qui ne met pas en péril la survie d'une nation ne justifierait pas une escalade par exemple. La fin du transit de l'eau potable pourrait être qualifié d'atteinte à la survie de l'État en portant directement atteinte à un besoin vital des populations de Drovolski, par exemple. Mais l'interruption de l'activité de Tomato Corps, quand bien même elle aurait des retombés économiques, ne constituerait pas un acte suffisamment grave pour légitimer une intervention armée, qu'elle soit balistique ou non. Ce serait plutôt l'intervention de moyens de coercition économiques qui aurait du sens.

Concernant la mutualisation de nos moyens balistiques... Sylva et le Drovolski sont alliés depuis suffisamment de temps pour que notre entente s'étende sur un accord de défense mutuel. Si le Drovolski était attaqué, nous serions prêts à mobiliser notre groupe aéronaval et notre arsenal balistique. Et si Sylva est agressée, nous accepterions votre appui balistique. Par ailleurs, je ne peux que concéder à votre remarque sur l'OND. Les intérêts de l'OND sont ceux de Sylva et réciproquement. Nous ne pouvons nier que cette attention à l'encadrement de l'emploi des moyens militaires fasse suite à la catastrophe d'Estham. Pour conclure :

– Sylva est d'accord pour établir un accord de défense mutuel sur le plan militaire et économiques avec le Drovolski.
– Cette défense militaire doit s'appliquer en cas de menace militaire ou existentielle selon les exemples précédents, critère qui encadre l'ensemble de l'appareil militaire, incluant l'arsenal balistique.
– Cette défense économique prendra la forme de sanctions économiques et s'appuiera sur le cadre proposé par Ecomondus avec le soutien de Sylva pour internationaliser ces normes économiques, législatives et de reconnaissance des États souverains. »
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