
Hypothèse actuellement défendue en Sylva sur les flux migratoires préhistoriques.
Emma Deshaies, responsable de projet, et Aline Dutoit, assistante de gestion.
– Pourquoi avoir envoyé Sorbetière I au CPN ? Ce n'est même pas sur les flux migratoires supposés.
– Cette carte n'est pas exactement à jour, mais on suppose que des flux auraient arrivant du Scintillant ou de l'Afarée auraient pu poursuivre par l'est, passer par le pôle Sud ou que sais-je. Cela permettra de confirmer s'il y a eu passage, ou affirmer qu'il n'y a au contraire aucune trace. Bon, concernant Sorbetière II, il faut récapituler les moyens mis en place.
– On a eu confirmation du Shuharri ?
– Non, mais on l'aura probablement, ils sont ouverts à ce genre de négociation. Et avoir un dossier en béton déjà préparé avec l'ensemble des composants disponibles, cela consolidera une approbation. Bon, du coup, on a quatre groupes de prêts ?
– Trois seulement, un de terrain pour le carottage et scan échographique, une deuxième de laboratoire pour l'analyse des éléments récupérés et un dernier de soutien technique.
– Et l'équipe de drones ?
– Aucune confirmation pour le moment... Et pourquoi on aurait besoin d'eux ? Qu'est-ce qu'on va trouver depuis le ciel ?
– Ah, ça, rien du tout. C'est un programme de Chloé Boisderose, la fille de la Duchesse. Depuis que ça s'active au Parlement pour dénoncer le népotisme, elle panique. Elle a déjà vu sa sœur, Matilde, se faire progressivement remplacer au ministère des Affaires étrangères, elle doit sentir que ce sera bientôt son tour. Du coup, elle s'accroche comme elle peut en multipliant les projets où s'impliquer : l'aviation militaire, le projet de drone supersonique, et maintenant cette expédition archéologique. Tout le monde sait que son projet de cartographie, s'il sera très intéressant pour avoir des relevés topographiques, ne permettra aucunement de relever des empreintes humaines ou traces de camps enfouis sous la glace. Mais hé, elle fait jouer du peu de relations qu'il lui reste pour forcer.
– Mais ça marche comment ?
– Les drones sont équipés de trois équipements de ce que j'ai compris. D'abord un radar de suivis de terrain pour faire une analyse topographique de surface, ensuite un lidar pour une analyse en profondeur, et enfin un magnétomètre pour relever des anomalies. Tu veux le plus drôle ? On ne sait même pas si les drones marcheront sous de telles températures. On va probablement passer six mois à les rafistoler pour enfin voler, pis, on verra que ce sont ses lidars et spectromagnétomètres qui ne fonctionneront pas.
– Mais elle veut voir quoi avec un lidar qu'on ne verra pas avec un radar ?
– Comme en forêt, exactement comme en forêt. Sauf qu'à la place de la canopée, on a une couche de glace. En gros, il faut envoyer une pulsation lumineuse et décortiquer sur la durée les photons qui retournent. Les premiers photons à revenir sont naturellement ceux qui frappent la glace. Ils sont nombreux avec un écho moindre. Ce qui compte, ce sont ceux qui reviennent après, qui ont pris le temps de traverser la couche de glace, se réfléchir sur le sol et faire le chemin en sens inverse. Ils arrivent en dernier et à moindre intensité. Si tu es capable d'analyser le retour lumineux avec suffisamment de précision, tu peux clairement distinguer les derniers photons à revenir ainsi que les informations qu'ils rapportent du sol. Et si tu multiplies les pulsations sur la durée et dans l'espace et que tu as suffisamment de récepteurs pour capter les retours, tu finis par accumuler assez d'informations pour avoir une cartographie du sol sous la glace. Enfin, en théorie. Cela a été expérimenté en forêt, mais pas sur des glaciers à ma connaissance. Et de toute manière, on ne verra pas des empreintes de pas vieilles de vingt millénaires avec ça, même les vestiges de camps seront masqués. Mais hé, madame Chloé fera peut-être une découverte assez importante pour se faire mousser médiatiquement et compliquer son exclusion.
– J'ai rien compris à ton explication des lidars, mais je te crois. Et ses magnétomètres ?
– Mais ce n'est pas compli... bon. Pour ses magnétomètres, alors là, aucune idée de ce qu'elle veut faire avec ça. Je suppose que c'est un prétexte pour chercher autre chose : du pétrole, des minerais, que ce soit dans un but industriel ou simplement scientifique. Je te dis, elle veut un CV en or à agiter au Parlement pour justifier sa place ! Bon, poursuivons, les équipes bactériologiques là, elles sont comment ?
– Elle est plutôt solide, on a une généticienne de renom, deux microbiologistes et trois assistants de laboratoire. Si avec ça on ne trouve rien, c'est qu'il n'y a rien.
– On, trouver ne sera pas le problème, c'est savoir ce qu'on trouve qui sera compliqué. Ne faits pas cette tête de débile ! Je t'explique, on va trouver des bactéries, forcément, il y en a partout où la vie est possible, passages d'humains ou pas. On espère pouvoir reconnaitre une bactérie intestinale témoignant d'une présence humaine, mais si on cherche un machin vieux de vingt millénaires, il ne ressemblera surement pas à ce qu'on connait de nos jours. Il faudrait en réalité croiser ces observations le long des chemins migratoires supposés, histoire d'avoir une chronologie de l'évolution de ces bactéries pour déterminer un tracé et peut-être faire la liaison avec des bactéries “humaines”. Là, les chercheurs vont surtout devoir analyser des morceaux d'ADN pigés dans la glace et essayer de déterminer à quoi cela appartenait.
– Mais pourquoi spécifiquement des bactéries intestinales ?
– Pas spécifiquement ça, mais on s'attend à surtout trouver ça. Les humains ont surement davantage semé d'excréments que de cadavre et les traces d'ADN humaines directement laissés sur le sol seront, après autant de temps, surement trop diffuses. De toute manière, il faudra recouper tout cela avec l'ensemble des informations que l'on aura sur les différentes expéditions.
– Et les échographes ?
– Oh, c'est juste pour scanner le terrain sous une couche de glace, exactement comme un sonar. Tu provoques une pulsation sonore sur la surface de glace, elle se propage et rebondit contre le sol puis tu écoutes les échos. Les gars pensent trouver des empreintes comme ça, mais c'est du niveau des lidars niveau chance de succès.
– Seule l'équipe bactériologique pourra réussir à t'entendre.
– Non, c'est plutôt que c'est celle avec le plus de chances de succès et c'est bien pour ça que, caprice de Chloé ou pas. Allez, et les véhicules ?
– On regarde pour en commander ou louer directement aux Shuh. Ce serait plus simple que de demander aux fabricants sylvois de s'en charger. D'ailleurs, je pense que pour l'équipe de soutien techniquement, on devrait uniquement avoir des Shuh qui s'y connaissent. On ne trouve vraiment pas beaucoup de sylvois volontaires avec une solide expérience en milieu glaciaire. Les candidats vont juste geler sur pieds.
– Hmm... Je te fais confiance sur ça, mais occupes t'en alors, il me faudra un dossier au plus tôt. Lorsqu'on aura les réponses des Shuh, j'adore leur nom haha, ça fait “chou”. Bref, quand on aura leur réponse, je te passerai les coordonnées des responsables avec qui on sera en relation et tu pourras préparer ça. Du coup pour le matériel de carottage, pareil, on prend Shuh ?
– Ce serait mieux, oui. C'est essentiellement le matériel de laboratoire, tout le tsointsoin de microscopes et autres appareils de séquençage d'ADN qu'on fera venir de Sylva.
– Parfait. Rappelle-moi combien de beau monde cela nous fera ?
– Pour l'équipe de terrain, une dizaine d'expéditionnaires, une quinzaine de laborantin dans le deuxième groupe, puis entre dix et vingt personnes pour le groupe de soutien technique. Par contre, les filles du SAS n'ont rien confirmé, mais s'ils viennent, on aura une bonne cinquantaine de techniciens en tout genre.
– Cinquante ?! Ils ne peuvent pas faire plus petit ?!
– Pas avec dix dro...
– Dix drones ?!? Mais pourquoi autant ?
– Bah, pour leur lidar, il faut multiplier les observateurs, tu l'as dit toi-même.
– Attends, mais tu parles de gros drones, genre des avions, ou des petits ?
– Heu... je ne sais pas, elles m'ont dit dix drones, mais je crois qu'elles ne sont pas décidées elle-même. Chloé leur fout la pression pour sortir un truc vite, les équipes du SAS ne bossent pas comme ça généralement, c'est par étape qu'elles sortent leurs trucs. Mais les drones avec des radars seront forcément gros. Le reste, aucune idée, peut être des gros drones émetteurs pour les lidars et des petits pour les récepteurs ?
– Quel enfer, tout ça pour un programme politique. Bon... qu'importe. Les équipes du SAS sont bien autofinancées hein ?
– Oui, au moins elles ne mangeront pas notre budget. Les universités n'ont pas non plus des fonds illimités à nous donner et on prévoit entre quatre et onze expéditions.
– Bon ben c'est déjà ça, que Chloé dépense cent milliards dans ses jouets du moment qu'elle ne nous gêne pas.
– Par contre... elle insiste pour acheminer en veux-tu en voilà des hélicoptères sur place.
– ... Comment ça ?
– Les équipes du SAS m'ont parlé d'une dizaine d'hélicoptères et au moins trois avions militaires impliqués pour ce tintamarre.
– Mais... bon allez qu'elles se démerdent. Elles devront leurs conneries pendant qu'on ira chercher nos bactéries de caca. On avait d'autres points à aborder ?
– Pas à ma connaissance.