11/05/2017
23:14:12
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[Lermandie/Grand Kah] Un, deux, peut-être trois siècles.

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L'air qui accueillit la délégation lermandienne sur le tarmac de l’aéroport international n'avait rien de la morsure sèche que les cartes climatiques laissaient présager pour un hiver paltoterran. La proximité du Lac lui donnait un caractère plus doux, chargé des effluves de la terre mouillée et de l’infatigable photosynthèse des jardins flottant qui ceinturaient la métropole. Le ciel, d'un gris perle élégant, diffusait une lumière douce et égale, comme un réflecteur de studio photographique dont le sujet serait moins les traits d’un mannequin que les angles anciens des pyramides qu’on devinait au centre du lac.

Rai Sukaretto avait observé la descente de l’avion, suivant sa silhouette métallique percer la chape nuageuse et s’orienter vers la piste. Comme à chaque fois, elle se prenait d’une espèce de fascination enfantine pour la technologie et ses miracles. Un avion allait se poser sur une piste d’aéroport, et ces mots seuls témoignaient de l’immense complexité de la société technologique moderne. Combien d’hommes et femmes avaient travaillé pour rassembler et assembler les composants de cette machine ? Combien d’idées géniales, de siècles de recherche, combien de génie humain pour soulever plusieurs tonnes d’alliages, de composants électroniques, de tapis de sol synthétique, pour lui faire traverser un continent et une mer, et pour l’amener ici ? Le moindre objet du quotidien pouvait amener à des questionnements similaires, et elle savait par exemple qu’une part conséquente de la montre qu’elle avait au poignet avait des origines lointaines. Tout ça était, au fond, d’une artificialité parfaitement réjouissante. Elle frotta ses mains l’une contre l’autre, et se pencha vers la citoyenne Meredith.

« C’est génial, quand même. »

La «Voix de Kotios», comme on la surnommait encore, lui lança un regard en coin et brisa brièvement son masque de quiétude pour lui offrir un sourire amusé.

« De recevoir les capitalistes au cœur même de notre Révolution ?
Pas ça, non. »

Seulement elle devait bien avouer que son petit cœur de radicale trouvait la situation des plus amusantes. Il y avait une ironie terrible à recevoir une nation que l’Union considérait au mieux comme une « oligarchie d’affaire » - catégorie regroupant tout régime prétendument démocratique où le pouvoir économique était conservé aux mains d’une caste d’héritiers. Une ironie que les radicaux avaient apprise à accepter, bon gré mal gré. Il fallait des alliés contre la Réaction. C’était d’ailleurs là que le côté comique apparaissait au grand jour. C’était une subversion magnifique ! Dans le monde libéral, la gauche était obligée de faire la cours à ce « centre libéral » pour s’opposer au fascisme. Quand bien même le fascisme servait les mêmes desseins et intérêts finaux que le libéralisme, ce dernier travaillait avec plus de méthode, d’intelligence, et de lenteur. En bref on imposait à la gauche de choisir le poison lent plutôt que la mort brutale.

Sur la scène internationale, le Grand Kah s’entourait de libéraux qui cherchaient son soutien pour lutter contre la Réaction.

Rai sourit et plongea ses mains dans les poches de son élégant manteau rouge. Construction provocatrice inspirée de la noblesse nazumis et des styles néo-schiz’ en vogue. La délégation étrangère descendait de son avion, et la fanfare de la Garde Communale commença cette sympathique petite marche militaire qui leur servait d’hymne.

La vérité c’est qu’elle ne les méprisait pas. Le communalisme était un humanisme, et c’était pour ça qu’il ne cherchait pas à imposer la révolution à des peuples qui, eux-même, ne se sentaient pas fondamentalement oppressés. Le Kah croyait en sa victoire finale, et il avait toute l’Histoire pour se faire. Les lermandiens étaient les produits d’un système, et ne voyaient sans doute pas le monde selon un spectre matérialiste permettant de pleinement le comprendre. La nature profondément privilégiée de leurs oligarques devait même échapper à ces derniers. Ils naviguaient dans le noir. L’important c’est que ces types étaient des êtres humains, et qu’on pouvait parler avec eux. Pour le reste...

D’ici un, deux, peut-être trois siècles, le poids de ses contradictions écraserait le système capitaliste. La lermandie se libérerait de ses entraves. Le Grand Kah, pour sa part, n’avait qu’à rendre l’hypothèse souhaitable pour son peuple : il guidait par l’exemple, et par la perfection pure de sa démocratie et de son système. Il n’était pas utile de mépriser ceux qui, à terme, seraient effacer par l’Histoire. Et Rai, du reste, aimait simplement les étrangers. Sa Xénophilie était peut-être sa seule qualité humaine pleinement identifiée.

Meredith approcha la délégation et offrit quelques politesses d’usage. Des salutations formulées dans un français parfait et d’un ton très courtois. Elle sourit, acquiesça à une remarque, puis indiqua une direction située à l’oppose des lignes noires et rouges de gardes communaux.

« Si vous voulez bien me suivre. »

Rai pris la relève. Véritable papillon sociale, elle s’enquit de tout : la qualité du voyage, les premières impressions sur Lac-Rouge, « C’est la première fois que vous venez au Grand Kah ? Je suis sûre que nous pourrions vous accueillir quelques jours de plus si vous voulez profiter de cette occasion. » Puis soudainement, et sans que son ton ne change radicalement, « Vous savez, j’ai réfléchi à cette histoire de Satellites. L’Union a son propre réseau. Très performant. Et à ce jour personne n’a osé le hacker. Il en va de même pour nos routes commerciales. Nous avons un itinéraire Eurysie - Aleucie, Saint-Marquise Kotios si vous voulez tout savoir. Il est protégé par nos amis de l’Armada Noire et j’attends encore de voir qui oserait s’en prendre à nous. Bref. Maintenant que vous êtes ici, autant vous le dire : les communes seraient sans doute très ouvertes à un partenariat sur ces questions.
Citoyenne. »

Meredith lui posa une main sur l’épaule et la fixa. Le contraste entre les deux femmes ne pouvait pas apparaître plus frappant. La Voix de Kotios, figure tutélaire du Pragmatisme politique qui dominait actuellement la convention, était une blanche aux cheveux courts et à l’air grave. Elle portait un long manteau noir et considérait chaque chose avec l’énergie tranquille d’une universitaire. Rai, elle, était bigarrée, électrique, dispersée. Une asiatique à la coupe asymétrique, moins à sa place ici que sur la scène d’un concert de néo-punk. Au fond, elles offraient un bon panorama de ce qu’était le Grand Kah. Rai sourit.

« Meredith ?
Je propose que nous gardions ce genre de discussions pour un lieu plus adapté à leur tenue.
Ah, oui, très bonne idée. »

Un regard en coin aux aleuciens, elle haussa les sourcils et sourit de plus belle, et on fit entrer tout le monde dans des berlines électriques.

Vu du ciel, Lac-Rouge pouvait ressembler à un circuit imprimé posé au milieu du fameux Lac-Rouge. Un assemblage agencé de formes dorées et vertes, séparé par des canaux et des routes droites sur lesquelles ne circulaient pour ainsi pas ou peu de véhicules individuels. Plus ou loin, on pouvait apercevoir la digue qui séparait l’eau salée et l’eau pure du lac, et sur les pourtours du Lac, des agglomérations qui formaient la zone métropolitaine étendue. C’était là que se trouvait l’aéroport. Dans les faits, la capitale du Grand Kah ne pouvait pas s’étendre sur ses bases mêmes, des îles artificielles construites dès l’époque pré-coloniale au milieu du lac, sans assécher ce dernier. L’urbanisme de la capitale confédérale était ainsi d’autant plus atypique. Le trajet en berline confirma tout ce que les lermandiens avaient pu lire ou deviner sur la ville : c’était un espace très clairement pensé pour un autre système que le leur. On y trouvait aucun panneau publicitaire, mais des affichages publiques, couverts d’actualités locales, de synthèses politiques, d’extraits d’œuvres artistiques. Les quartiers étaient divisés par des espaces verts, des canaux, des potagers flottant - là encore une tradition précoloniale - et reliés entre-eux par un ensemble de monorails, trams et de routes peu empruntées. Les façades des bâtiments formaient un impressionnant palimpseste historique et l’on pouvait deviner les racines nahuatl, les réhabilitations coloniales puis révolutionnaires, les ajouts modernes...

Pour le reste on devinait encore la nature impériale du plan de base de la capitale. La route que prit la délégation pour quitter les berges du lac et rejoindre la ville continuait ainsi en ligne droite, se transformant en avenue qui avançait jusqu’à la silhouette de plus en plus distinctes de la Temple du Sang. Très impressionnante pyramide duale, au sommet de laquelle s’était érigés les plus grands empires de la région, et avaient chuté ses derniers monarques. Des étapes largement documentées et immortalisées dans une pop-cultures kah-tanaise avide de mise en scène. La guerre des trois royaumes, les romances des prêtres et des impératrices, l’exécution finale du Daïmio colonial Burujoa...

Plus récemment, c’était au sommet de cette immense structure que l’on avait exécuté les « synarchistes », un groupe terroriste qui avait tenté d’organiser un complot contre l’État. Après eux, des leaders de la Communaterra. La justice de l’Union était notoirement tournées vers la réhabilitation, mais exprimait une cruauté surprenante à l’égard des ennemis politiques incurables. Les berlines débouchèrent enfin au sein de la Commune Spéciale d’Axis Mundis, ville dans la ville et capitale de la Confédération, et s’arrêtèrent devant l’Ancien Palais du Daïmio Colonial , devenu siège du Comité de Volonté Publique. Au centre de la place se trouvait une immense statue de l’ancien monarque, laissée là par défis. Elle était couverte de tracts, d’affiches, de tags et de banderoles. Un groupe de jeune était installé sur son socle, l’un d’entre-eux semblait donner un discours à un petit amas d’étudiants.

Le palais, pour sa part, était d’une impeccable propreté. Son corps central était un exemple austère du néoclassicisme colonial Nazumi, une architecture conçue pour projeter un pouvoir vertical et inaccessible. De hautes colonnades sans ornement, une symétrie rigide, des murs de pierre grise presque aveugles. Un ensemble respirant la discipline martiale, une certaine distance aristocratique largement mitigée par les ailes modernes du bâtiment. De vastes blocs de béton brut, percés de fenêtres en bandeaux horizontaux et de puits de lumière, interconnectées par un ensemble de passerelles de verre fumé et d'acier brossé relient ces nouvelles structures au palais originel. L’ensemble était élégamment intégré à un grand jardon public aboutissant, au loin, sur la Chambre Hyperstructure ou siégeaient les Affaires étrangères de la confédération, et peint de motifs rouges et bleus traditionnels nahuatls. Une petite foule de curieux se tenaient prêts à accueillir les étrangers, lançant quelques « Salut et Fraternité ! » ainsi que des slogans qui, s’ils étaient fortement idéologisés, sonnaient surtout comme des appels à l’amitié universelle. Rai leva une main à l’adresse de la foule et lacha quelque chose en japonais, qui semblait faire réagir positivement les citoyens.

« Le monde sera un jardin », traduisit-elle avec un sourire.
« Les citoyens de Lac-Rouge vous saluent », conclut simplement Meredith.

Ils franchirent le seuil de l’ancien palais, ce qui revenait un peu à passer une membrane acoustique. Le tumulte diffus de la place, les slogans des étudiants assemblés au pied du Shogun profané, le murmure collectif des curieux, tout s'évanouit, remplacé par le silence feutré et réverbérant des grands volumes de pierre. L'air, soudain, se fit plus dense, plus frais.

Le grand hall était un espace de décompression idéologique, un vide calculé où la verticalité écrasante de l'architecture impériale avait été purgée de ses symboles. La hauteur vertigineuse du plafond, les colonnes massives qui s'élançaient vers les fresques restaurées de la voûte, on y devinait encore le langage de l’intimidation, repeuplé d’un semblant de chaleur humaine. Les tentures, les portraits et les emblèmes du pouvoir colonial avaient été décrochés. Aux murs nus, des œuvres d'art abstrait aux dimensions monumentales répondaient à d'immenses calligraphies reprenant des extraits de la Charte Confédérale.

« Le pouvoir se mettait en scène ici », reprit Meredith, sa voix trouvant un écho contenu dans l'immense espace. « Chaque réception, chaque audience était une performance destinée à affirmer une hiérarchie tant concrète que symbolique. Nous avons conservé le théâtre, mais nous avons changé la pièce, si je puis dire. » Elle fit un geste en direction d’un petit groupe de civils qui passait à l’opposé de la délégation. « D’ailleurs c’est un espace est commun, maintenant. Un lieu de passage vers les commissariats et les salles de la Convention, toutes nos séances sont publiques. »

Elle désigna un pan de mur où des graffitis rageurs, tracés au charbon lors de la prise du palais en 92, avaient été méticuleusement préservés sous une épaisse plaque de verre, transformant le cri d'insurrection en artefact muséal.

« Nous avons toujours su institutionnaliser la rupture. » Elle lança un regard en coin à Rai, avant de hausser les épaules. « C'est l'un de nos paradoxes fondateurs. »

Le groupe s'enfonça dans un dédale de couloirs éclairés par la lumière chaleureuse du soleil. Les hautes portes en bois massif laqué, vestiges de l'opulence coloniale, s'ouvraient désormais par reconnaissance biométrique. Des fonctionnaires en tenues diverses traversaient les galeries, des tablettes de données sous le bras. Le murmure de leurs conversations techniques composait une bande son feutré.

Ils arrivèrent enfin devant une porte coulissante, presque dissimulée, dont le bois clair contrastait avec la pierre blanche environnante. Elle s'ouvrit sans bruit sur un espace qui rompait radicalement avec l'austérité minérale du reste du palais.

La pièce dégageait une chaleur inattendue, diffuse. L'air y était chargé de l'odeur discrète de bois de cèdre, de terre humide et de thé infusé. Une moitié de l'espace était un salon sobre, avec des divans bas et des coussins de sol disposés autour d'une table en bois brut. L'autre moitié, séparée par une simple différence de niveau du plancher, était un jardin sec de sable blanc ratissé, ponctué de quelques roches sombres et lisses et d'un unique bonsaï tourmenté. Le mur du fond était une paroi de verre s'ouvrant sur une cour intérieure isolée où le murmure d'une petite fontaine en bambou composait l'unique fond sonore.

Meredith indiqua à ses invités de s’installer, et s’occupa elle-même de servir le thé. Puis elle s’assit à son tour.

« Le reste du comité ne pouvait pas être présent, soyez assuré que nous parlons au nom du groupe.
 Maintenant », conclu Rai, « vous voulez peut-être commencer ? »
La venue d’une délégation lermandienne dans une nation aussi singulière que les Communes Unies du Grand Kah pourrait sembler inhabituelle. Pourtant, elle s’inscrit dans une logique de diplomatie pragmatique.
La République de Lermandie a choisi de prendre l’initiative du contact, afin d’éviter tout malentendu ou incident diplomatique. Certes, elle reconnaît la puissance militaire du Grand Kah, positionnée stratégiquement aux abords de l’Aleucie, sans doute en réaction à une forme de pression diplomatique internationale, mais sa présence ici est avant tout motivée par des intérêts économiques et stratégiques.


Après tout, pourquoi ignorer un éléphant dans la pièce en préférant discuter avec des souris dans un salon de thé ?

Il est vrai que certains observateurs soupçonnent les autorités kah-tanaises de vouloir influencer le débat public en Lermandie. Toutefois, la République de Lermandie n’est plus un régime néolibéral depuis les années 1930.
Depuis cette époque, les différents gouvernements ont progressivement renforcé le rôle de l’État dans le secteur privé, notamment en encadrant les grandes fortunes qui se croyaient intouchables. Ce processus, étalé sur plus d’un demi-siècle, visait à protéger les populations les plus modestes et la classe moyenne, tout en maximisant les bénéfices nationaux.
Aujourd’hui, l’économie lermandienne est quasi entièrement contrôlée par l’État, dans un modèle que l’on pourrait qualifier de capitalisme d’État démocratique. Cela n’a pas empêché la Lermandie de bâtir des relations solides et durables avec des régimes libéraux, comme la Grande République de Westalia.
Tant que les dirigeants lermandiens ne cherchent pas à détourner le système à des fins personnelles, un détournement surveillé par les administrations publiques, les syndicats et divers contre-pouvoirs, le risque d’insurrection politique ou économique reste faible, voir négligeable.


S330-500
Le S330-500 en vol pour une démonstration

L’avion présidentiel, un S330-500 de conception lermandienne, atterrit sur le tarmac de l’Aéroport International de Lac-Rouge. Après son stationnement, le Président Michel Duval et sa délégation furent accueillis en grande pompe, accompagnés d’un orchestre militaire jouant l’hymne national lermandien.

Hymne officiel de la République de Lermandie

Accompagné de sa délégation, le Président Duval suivit Madame Meredith vers le lieu des discussions diplomatiques. Il répondit à quelques questions informelles, notamment sur le fait que ce n’était pas sa première visite dans le pays, une remarque polie qui témoignait de l’expertise d’un certain Rai dans l’accueil des délégations étrangères.
Le Président nota également le terme “Armada Noire”, qui ne semblait pas particulièrement rassurant, mais observa que le Grand Kah disposait d’un réseau de satellites de communication. La manière dont Meredith recadra Rai fit sourire Duval, qui accepta cette forme de dialogue informel, y voyant une complicité humaine entre les deux interlocuteurs, une attitude familière chez les Lermandiens entre collègues.



En entrant dans l’ancien palais où se tiendraient les échanges, le Président Duval prêta attention à la présentation de Meredith sur le prestige du bâtiment. Dès qu’il pénétra dans la salle de réunion, il nota l’odeur discrète de bois de cèdre, de terre humide et de thé infusé. L’ambiance lui rappela la ferme de ses grands-parents, à ceci près que l’on y buvait du café, et non du thé.

Michel Duval: "Eh bien, Madame Meredith, je tiens d’abord à vous remercier pour votre accueil. C’est un honneur de pouvoir discuter de sujets diplomatiques avec une représentante d’une nation aussi singulière que la vôtre.
J’aimerais commencer par évoquer la posture diplomatique générale des Communes Unies du Grand Kah. En effet, la diplomatie lermandienne a été quelque peu surprise par la position de votre pays concernant le conflit entre l’OND et la Principauté de Carnaval, sachant que la Lermandie est alliée à plusieurs membres de l’OND. Je ne demande qu’à être rassuré puisque je ne souhaite qu'éviter un possible conflit entre nos deux pays.
Par ailleurs, la République de Lermandie souhaiterait connaître votre position vis-à-vis de la Fédération de Stérus ainsi que de l’Union et Empire des Cités d’Akaltie. Il ne s’agit bien sûr que d’une question liée à ma curiosité personnelle.

Sur le plan économique, mon gouvernement souhaiterait explorer les opportunités d’échanges commerciaux entre nos deux nations. Je suis convaincu qu’un partenariat équitable dans ce domaine serait une excellente base pour renforcer nos liens bilatéraux.
Enfin, pourriez-vous m’en dire davantage sur vos satellites et votre programme spatial ? Il pourrait y avoir des perspectives de coopération, notamment si la Lermandie venait à se retirer officiellement de l’ASNA."

Le Président Duval hésita un petit moment pour poser cette fameuse question. Après tout, la République de Lermandie ne connait que trop mal le pays de son interlocutrice.

Michel Duval: "Une dernière question, si vous me le permettez.
Que représente exactement l’Armada Noire ? S’agit-il d’une organisation militaire non étatique ?"
On pouvait dire ce qu'on voulait sur les Aleuciens - et en bonne anthropologue, Meredith avait son lot de choses à dire − mais elle n'en avait encore jamais rencontré qui ne soit pas à minima parfaitement cordial. Les peuples de ce continent avaient redéfini les standards de la formalité avec une efficacité redoutable, transmise aux autres cultures mondiales par le biais du monde des affaires et de sa culture à la fois détendue et nécessairement très officielle.

D'un autre côté, Mereidht n'avait jamais été personnellement confronté au consul Pandoro. Cet homme lui aurait fait l'effet d'un regrettable contre-argument.

Duval, pour sa part, avant sans doute eu à traiter avec les services diplomatiques de la Fédération, et il ne faisait aucun doute que l'expérience avait dû être des plus intenses. L'espace d'un instant, elle se prit à se demander l'impression que le Grand Kah pourrait laisser à ses visiteurs.

« Le Grand Kah échange avec toutes les nations le désirant : l'honneur est pour nous, il est toujours agréable de recevoir la visite de nations mieux intégrées dans l'ordre culturel international. »

Participant à l'hégémonie capitaliste, en somme. Mais prononcé avec toute la diplomatie. Après tout c'était vrai : quel grand honneur, pour une pragmatique, de voir la Révolution faite machine de guerre intégrée à la société des nations ? À côté d'elle, Rai rebondit sur ses propos avec toute l'agilité qu'exigeait ce genre de rencontre.

« Et c'est très justement pour ça que nous avons entendu Carnavale ! Ou plutôt, le nouveau gouvernement de la Principauté, et les quelques intérêts qu'il arrive à fédérer autour de lui, au milieu du chaos et des ruines qu'ont laissés la noblesse dans leur sillage… »

Elle semblait réellement heurtée. Meredith toussota.

« La citoyenne a fréquemment visité Carnavale, avant la guerre.
– Des histoires familiales », précisa-t-elle sans entrer dans les détails. « Au delà de ce lien personnel nous observons la principauté depuis, eh bien, très longtemps maintenant. Jusqu'à peu c'était l'antithèse totale de notre Confédération, et une cible prioritaire pour nos services secrets. Nous avions parfaitement analysé la nature dangereuse du régime et avions profité de son cynisme pour acquérir l'autorisation d'installer une base militaire sur ses rives. Cette base nous servait en fait de plateforme de lancement pour des opérations d'intelligence qui devaient, à terme, préparer une série d'actions coup de poing. Nous souhaitions faire tomber le régime sans le provoquer militairement..
– Autant vous dire que la guerre en cours a mis un terme à ces ambitions.
– Nous avons peut-être été trop subtiles », hasarda Rai. Sa collègue haussa un sourcil.
« Bref. Nous n'approuvons pas les méthodes de l'OND, que nous considérons brutales et dangereuses. Nous considérons que si notre mode opératoire avait été adopté, alors la destruction d'Etham par la Principauté n'aurait pas eu lieu, celle-là étant à nos yeux une conséquence de la menace que faisait peser l'OND sur les projets religieux de l'ancien gouvernement de Carnavale en Afarée. On ne demande pas à des fanatiques religieux de trahir leurs grands projets sans s'attendre à une réponse des plus absolues. De plus, toute la culture politique de l'ancienne noblesse tournait autour du sacrifice, du suicide, et de la destruction. Provoquer une guerre d'annihilation était une conséquence prévisible. C'est une analyse qui fait dire au Duché de Sylva que nous accusons l'Empire du Nord d'être responsable de ce qui lui est arrivé. Ce n'est pas le cas, naturellement. Mais ce désastre était prévisible, et nous sommes sidérés de voir que l'OND ne l'a pas envisagé. »

Elle pencha la tête sur le côté.

« Cette incompréhension a pu faire naître au sein de certaines chancelleries un narratif selon lequel l'Union souhaitait en fait soutenir la Principauté de Carnavale. C'est tout inexact. Nous nous apprêtions à décapiter le régime, et trouvons l'opération de l'OND disproportionnée, violente et accompagnée d'une rhétorique des plus inquiétantes.

Notre posture diplomatique générale vis-à-vis de Carnavale est actuellement la suivante : l'OND a combattue - et gagnée - contre un régime infâme. Il faut maintenant prendre acte du changement de régime et travailler avec ce dernier dans le respect nécessaire à la création d'un ordre pacifié, basé sur l'amitié des peuples. La noblesse s'est entre-tuée, il faut immédiatement tendre la main au peuple. Nous menons actuellement une intervention humanitaire en compagnie de pays aussi divers que la Gallouèse, Marcine, les Quatre Vallées, les peuples dérivants du Shuharri, l'Achosie, l'Illirée, le Negara Strana. Et nous mènerons s'il le faut une opération d'interposition pour que le conflit amène à une solution négociée, et par à l'humiliation et la destruction programmée du peuple de Carnavale, à peine libéré de ses nobles.
 »

Elle lança un regard en coin à Rai, qui s’était redressée.

« Concernant les rumeurs d’adhésion de Carnavale au Grand Kah : elles sont fondées. C’est encore en débat, chez nous, et nous devons discuter des discussions avec le Régime. Mais ceux qui trouvent ça révoltant devraient peut-être réaliser que Carnavale sera plus stable que jamais si elle travaille avec le Grand Kah. Je ne sais pas ce que les étrangers trouvent de si terrible à cette idée. Ils craignent peut-être que nous interrompions leur vengeance sanguinaire ? Les militaires sont des brutes, je ne sais pas ce qui les motive.
– Vraisemblablement », tempéra Meredith, « ils pensent que Carnavale représentera encore un risque pour eux, et que nous permettront à la principauté de provoquer un second holocauste d’Estham. C’est... Vexant. Mais je suis sûre que nous pourrions leur démontrer que le Grand Kah représente une garantie suffisante. Peut-être même que certains pays non-alignés tels que le vôtre pourrait s’associer à nos efforts humanitaires et surveiller nos initiatives sur place pour assurer au monde et aux inquiets de l’OND que nous avons les intentions les plus naïves et humanistes que l’on puisse s’imaginer ? Nous avons déjà proposé à Westalia de nous rejoindre sur le plan humanitaire, mais la vérité est que nous allons avoir besoin d’une médiation internationale.

L’OND refuse purement et simplement de nous entendre, il semble que nous soyons définitivement catalogués comme des ennemis, pour les diplomates des pays membres de cette organisation. Au moins par association au peuple de Carnavale que nous souhaitons préserver des bombes.
 »

Rai soupira.

« Un tel degré de haine mais dépasse un peu. Mais après tout ce n'est pas notre capitale qui a été rasée à l'arme chimique. »

Elle fit la moue et passa à autre chose.

« Vous évoquiez l'Akaltie ? Pour vous répondre ce sont, eh bien, de bons amis. Nous coopérons sur certaines questions culturelles et protégeons leurs Commonwealths d'outre-mer. Au delà de ça nous ne nous sommes jamais pleinement alignés sur le plan diplomatique et politique. Nous savons que nos amis des Cités ont d'excellentes relations avec le régime Stérusien, par exemple. Hors nous nous apprêtons à passer un certain nombre de sanctions économiques en soutien à nos alliés Westalien et Wanmirien. Autant vous dire que nous n'avons pas vraiment la Fédération à la bonne.
– L'aspect économique, eh bien nous l'avions un peu évoqué plus tôt : nous ne sommes pas un pays de commerçant mais c'est vrai que certaines de nos coopératives sont devenues d'importants groupes économiques, et nos industries ont besoin de toute la matière première disponible. Nous pourrions envisager un certain nombre d’abattements douaniers, des tarifs préférentiels pour permettre à vos sociétés de participer à la bourse internationale de Heon Kuang - la première place boursière du Nazum, si j'en crois les derniers rapports du commissariat à la Planification ?
– C'est bien ça !
– Hm. Et comme je le disais, participer aux routes commerciales que nous avons ouverts entre l'Aleucie et l'Eurysie. L'Armada noire de Kotios – nos partenaires locaux – sont, eh bien... À l'origine c'est un mouvement révolutionnaire local. Et je suppose que cela faisait d’eux un mouvement militaire non-étatique. » Un mouvement pirate anarchiste, pour être exact, mais il était inutile d’affoler son interlocuteur. « Mais le temps à passé. Si le nom est resté, il s’agit désormais il s’agit de la flotte de la Commune de Kotios, une petite nation membre de l’Internationale Libertaire. Ce sont d’excellents marins. Les voies commerciales qu’ils défendent sont aussi connectées avec nos investissements en Eurysie du Sud, où nous avons fait construire des dizaines de ports, entrepôts, routes, rails de train via les Fonds Tommorow. »

Elle marque un temps.

« Concernant notre programme spatial, il comporte deux bases de lancement – une en Afarée et une au nord du Paltoterra. Nous avons surtout été actifs avant les années 80 mais nous avons complètement modernisé les installations depuis 2010. Nous avons des constellations de satellites civiles, d’observation, militaire… Ce n’est jamais le programme d’un pays, même riche. Mais certaines de nos coopératives sont ouvertes à une clientèle étrangère, et nos laboratoires sont plus qu’ouverts à des coopérations scientifiques. De là à laisser vos programmes profiter de nos installations il n’y a qu’un pas qu’un simple traité pourrait permettre de franchir. »
Le Président Duval nota que la diplomatie kah-tanaise se révélait… ambitieuse. En effet, la diplomatie lermandienne avait bien compris que les Communes Unies du Grand Kah reposent sur un régime politique proche de l’anarchisme social, un cran au-dessus des régimes communistes où l’État refuse toute liberté, sauf celle de se taire et de se soumettre, à ses administrés.
Le fait que le Grand Kah entretienne des relations diplomatiques avec la Principauté de Carnaval, un État entièrement absorbé et sous l'emprise du secteur privé, confirme sa volonté de dialoguer avec tous les régimes, même ceux en complète opposition idéologique.


Michel Duval: "Vous savez ce qu’on dit en diplomatie lermandienne ? La guerre est la dernière option, à envisager uniquement lorsque toutes les solutions diplomatiques ont échoué.
C’est pourquoi, malgré notre tradition militaire, aucun soldat ne souhaite réellement faire la guerre. Une guerre signifie des morts, des familles endeuillées, des destructions… Mais cela ne veut pas dire que nos forces ne doivent pas se préparer à faire face à des actes hostiles. Qui veut la paix prépare la guerre.

De notre point de vue, au vu des informations recueillies par nos services, l’Empire du Nord a eu raison de répliquer face à la Principauté de Carnaval, tant que la réponse reste proportionnée, peu importe les justifications absurdes avancées par Carnaval. Après tou, un conflit diplomatique pour un simple siège au Saint-Siège, suivi d’un bombardement d’un édifice religieux causant une vingtaine de victimes, alors que l’Empire du Nord est un État laïque… c’est irresponsable et absurde.

Quant à votre méthode diplomatique, fondée sur l’infiltration et le renseignement, elle peut effectivement limiter les pertes civiles. Mais au vu du comportement de la Principauté de Carnaval, si votre subterfuge venait à être découvert, votre capitale aurait pu bien connaître le sort d’Estham. Mais fort heureusement, enfin je crois, la Principauté de Carnaval semble avoir épuiser toute son arsenal d'arme de destruction massive.

Bien entendu, l’OND a remporté une victoire contre la Principauté de Carnaval, une victoire attendue, car il faut être déraisonnablement téméraire pour s’attaquer à la plus puissante alliance militaire du globe auquel l'Empire du Nord en fait partie. Et encore, l'Empire du Nord est associer à l'ASEA, une alliance auquel la République de Lermandie est membre. Mais bon, je suis relativement décu de quelques membres qui semble faire le minimum concernant la Principauté de Carnaval.

Mais la question demeure : les populations civiles doivent-elles payer le prix des décisions de dirigeants non élus démocratiquement ? Personnellement, je pense que non. Ces populations doivent être soutenues dans la reconstruction de leur société civile, pour qu’elle devienne, je l’espère, une démocratie pleine et entière.

Je comprends la frustration de votre gouvernement vis-à-vis de l’OND. Notre propre expérience avec le Royaume de Teyla, notamment sa diplomatie envers la Fédération de Stérus, nous a laissé perplexes. Est-ce de l’arrogance ? De l’incompétence ? Je ne saurais le dire.
Mais ce qui est certain, c’est que le mépris affiché par l’OND envers notre nation via le Royaume de Teyal, qualifiée, je pense, de “rebelle coloniale”, a largement refroidi notre volonté de candidater. Et pourtant, peu importe le regard que l’OND porte sur votre régime, votre nation existe, et elle dispose d’une force militaire crédible. Donc l’OND devra s’y faire.

Quoi qu’il en soit, je ne suis pas opposé à ce que la République de Lermandie encadre vos opérations humanitaires, sous prétexte de surveillance, ou de protection. Après tout, mon gouvernement souhaite intervenir sur le terrain au coté de l'Empire du Nord pour neutraliser toute menace carnavalaise et protéger les populations civiles et ainsi présérvé la stabilité mondiale.
Et si l’OND souhaite préserver son image de défenseur des droits de l’Homme et de la démocratie, elle devrait accepter votre intervention humanitaire, en coordination avec les opérations militaires en cours sur le territoire carnavalais."

Le Président Duval évoqua également le passé colonial de la Lermandie sous domination du Royaume de Teyla, et souligna l’ironie du fait que certains pays membres de l’OND, bien qu’ayant ratifié les droits de l’Homme, pourraient refuser une aide humanitaire — alors même que la République de Lermandie ne l’a pas encore ratifiée officiellement.

Michel Duval: "Concernant l’Union et Empire des Cités d’Akaltie, je prends note de vos bonnes relations, tout en reconnaissant que la Confédération du Grand Kah reconnait que la Fédération de Stérus reste un acteur profondément perturbateur.

Pour la République de Lermandie, bien qu’Akaltie soit un allié via l’ASEA, sa diplomatie manque de discrétion et attire l’attention de nombreux acteurs internationaux. Le cas du Saint Empire de Karty, récemment devenu République de Karty, et le conflit Everia-Akaltie illustrent parfaitement notre reproche : une diplomatie de déstabilisation inutile.
Le gouvernement akaltien n’a pas approuvé notre rapprochement avec Karty, pourtant motivé par les manœuvres hostiles de Stérus mais aussi une volonté de la recherche de la paix, à défault, par la dissuasion. Si Stérus ignore les appels de Karty, son ancien allié, pour résoudre le différend avec Akaltie, alors la République de Lermandie est prête à intervenir diplomatiquement pour résoudre ou geler le conflit Everia-Akaltie, ce qui nous permettrait de gagner deux alliés d’un seul coup. Et ça été mis en pratique avec une grande victoire diplomatique contre la Fédération de Sterus.

Sur le plan économique, je pense qu’il existe une véritable opportunité de coopération. La République de Lermandie pourrait encourager certaines entreprises à s’implanter dans votre pays, tout en accueillant les vôtres.
Nous sommes également disposés à commercer des matières premières, des produits manufacturés, ainsi que des services spécialisés.
Concernant la liaison commerciale entre Aleucie (via Saint-Marquise) et Eurysie, une route maritime est déjà fréquentée par CML-CGM, mais je pense qu’un renforcement de la sécurité de cette voie serait judicieux."

Le Président Duval nota l’hésitation et le manque d’informations concernant l’Armada Noire. Bien qu’il ait légèrement froncé les sourcils, il n’insista pas. Il envisagea toutefois de mandater l’Agence de la Sécurité Extérieure (A.S.E.), spécialisée dans le renseignement international, pour enquêter sur le sujet.

Michel Duval: "Il serait tout à fait envisageable qu’une compagnie d’affrètement kah-tanaise s’associe à CML-CGM pour accroître sa présence à l’international, comme l’a fait la Fédération de Yukanaslavie. Après tout, il n’y a pas de “petit profil”, si je puis dire.

Enfin, concernant votre programme spatial, je note cette opportunité avec intérêt. Je devrai bien sûr en discuter avec les membres de mon gouvernement, notamment pour envisager l’utilisation temporaire de vos satellites.
Mais en ce qui concerne la coopération scientifique, je n’y vois aucun inconvénient."
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