
Sochacia Ustyae Cliar
La voiture ralentit à l’angle de la grande avenue, et j’aperçois déjà la façade du ministère. Les colonnes de pierre semblent plus hautes que dans mes souvenirs, comme si elles avaient été dressées exprès pour intimider ceux qui s’y aventurent. J’ajuste ma cravate machinalement, mes mains sont sèches, je sens la tension courir dans mes épaules. Sur les marches, quelques agents de sécurité me saluent d’un geste sec. Je réponds d’un hochement de tête. A l’intérieur, l’air est frais, presque froid. Une odeur légère de cire flotte dans le hall, mêlée à celle du café qu’un fonctionnaire a dû déposer trop vite sur son bureau. Mes pas résonnent sur le marbre, et je sens les regards se tourner vers moi. Je suis en avance, chose rare depuis mon élection. Les représentants kartiens n’arriveront pas avant vingt bonnes minutes. Je me dirige vers le salon d’attente réservé aux chefs de délégation : les fauteuils sont recouverts de cuir sombre, sur la table basse un plateau d’argent attend garni de verres à pied et d’une carafe d’eau claire. Dans quelques minutes, le bruit des talons, des portefeuilles claqués sur la table, et des phrases calibrées viendront remplir l’espace. Mais pour l’instant, il n’y a que moi, le tic-tac discret d’une horloge, et l’ombre grandissante du rendez-vous.
Assis enfin, les mains jointes, je fixe un instant le verre d’eau posé devant moi. Sa surface immobile me rappelle la fragilité de ce que je viens chercher ici : une simple vibration suffirait à troubler l’équilibre comme dans nos relations avec Karty. Ce que j’espèr, ce n’est pas un miracle. Je ne m’attends pas à effacer en une poignée de main des mois d’incompréhension, de méfiance, parfois même de colère. Mais je veux au moins poser la première pierre d’un nouveau pont. J’aimerais que, derrière leurs regards prudents, ils puissent voir l’homme avant le titre. Que la Sochacia Ustyae Cliar qu’ils ont connue ne soit pas seulement un souvenir figé, mais une nation capable d’évoluer, de tendre la main sans arrière-pensée. J'espère un dialogue honnête, sans masques excessifs, où chaque mot serait un pas vers quelque chose de solide. Pas une alliance par intérêt pur, comme on signe parfois sur un coin de table, mais une relation capable de résister aux vents, même aux tempêtes.
La porte s’ouvre doucement, laissant passer une bouffée d’air plus chaud que celui du salon. Plusieurs silhouettes apparaissent, droites, attentives, le regard déjà en train de sonder la pièce. Je me lève immédiatement, lisse ma veste d’un geste presque imperceptible, et avance de deux pas. « Mesdames, Messieurs, bienvenue à Sochacia Ustyae Cliar. Cela fait longtemps… trop longtemps, dirai-je, que nos chemins ne se sont pas croisés. Et je souhaite également vous présenter les plus sincères excuses de l'ensemble du gouvernement loclenasque pour le retard qu'à pris cette rencontre à se faire. Ne doutez point sur le fait que nous prenons cette rencontre aussi serieuse qu'elle le demande. »
Je tends la main au premier d’entre eux, avec ce léger sourire qui doit dire à la fois je vous respecte et je vous attends depuis longtemps. « J’espère que cette journée marquera non pas un simple échange protocolaire, mais le début d’un dialogue que nous aurions dû reprendre depuis longtemps. »