
Si la Cité aux 100 Jardins – comme on surnommait parfois Heon Kuang – faisait généralement forte impression aux étrangers, elle devait bien finalement assez familière à quiconque avait habité ou visité la mégalopole de la Baie des baleines, tout en restant sensiblement moins étendue. Un maillage d’immenses tours, grands espaces verts, centres historiques et canaux médiévaux qui formaient, ensemble, un certain idéal type de cité moderne : surpeuplée, bien administrée et organisée, ouverte aux échanges internationaux. Heon Kuang était l’une des principales interface entre le socialisme appliqué au sein de l’Union et le capitalisme triomphant dans le reste du monde.
Le trajet qui suivit fut une immersion dans la singularité de Heon-Kuang. Les véhicules électriques du gouvernement glissèrent en silence sur des artères impeccables, serpentant entre les tours de verre des consortiums internationaux, les bâtiments administratifs au style brutaliste assumé et les vestiges colorés de l'architecture du vieux royaume d'Ishimura. Des slogans révolutionnaires peints sur les murs cohabitaient avec les enseignes lumineuses des places financières, et les manifestations publiques, musicales, politiques, qui émaillaient chaque espace vert. Une citadelle de la révolution déguisée en place forte du commerce mondial. Enfin, ils arrivèrent à l'Administration du Commissariat aux Exclaves, un grand bâtiment néoclassique où se discutaient en principe les affaires liées aux communes extra-patltoterranes de la Confédération. On les y guida, jusqu’à une salle de réunion préparée pour l’occasion.
Elle offrait une vue imprenable sur la baie, où les porte-conteneurs des Keiretsus croisaient les jonques traditionnelles. Un unique dirigeable de la Garde Communale survolait l’océan, se dirigeant sans doute vers Alpeh, principal port militaire de l’Union, dont l’activité était frénétique depuis que les relations s’étaient tendues avec le régime fasciste du Fujiwa.
La table de réunion, un long bloc de bois clair poli, faisait face à cette vue. Trois figures kah-tanaises y étaient déjà installés, attendant la délégation. Au centre, le commissaire aux exclaves, Shao Kai Yuhan, un natif de la ville dont la droiture militaire se lisait autant dans sa posture que dans ses manières directes. À sa droite, l'architecte de ce rapprochement, la citoyenne Actée Iccauhtli. Elle souriait. À sa gauche, la citoyenne Sasha Melenko, jeune et brillante représentante de l'Assemblée Communale Générale de Heon-Kuang.
Après les salutations d'usage, le Commissaire Yuhan prit la parole, son ton mesuré contrastait grandement avec l'effervescence de la cité qui s'étendait autour d'eux.
« Salut et Fraternité, chers camarades ! Au nom du Comité de Volonté Publique et des communes de l'Union, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à Heon-Kuang. J'espère que notre charmante petite ville vous aura fait bonne impression. Elle est certes du Nazum, mais vous aurez probablement constaté que son cœur bat au rythme de la révolution paltoterrane. Nous avons l'honneur de nous considérer comme un pont. Un pont entre les cultures, un pont entre les histoires, et aujourd’hui, nous l'espérons, entre nos deux nations. »
Il lança un regard à Actée, qui acquiesça et pris la parole.
« Depuis votre Grand Réveil, l'Union observe votre cheminement avec un intérêt dépassant la simple vieille diplomatique. Votre gouvernance par cercles résonne grandement avec notre propre idéal communaliste. Dans un monde encore dominé par les hiérarchies et les centres de pouvoir opaques, nous sommes ensemble la preuve qu'une autre voie est possible. »
Elle posa ses mains sur la table.
« Votre délégation d'observateurs, de retour de vos terres, nous a rapporté la vitalité et la sincérité de votre modèle. Leurs conclusions confirment notre première intuition : nos peuples sont destinés à s'entendre. Ce pourquoi nous souhaitons désormais aller au-delà de l'observation et de l'admiration mutuelle. Nous vous avons conviés pour jeter les bases de ce rapprochement géostratégique que nous avions déjà évoqué à l'écrit.
Ainsi nous aimerions entendre vos perspectives, comprendre vos ambitions, vos besoins, et vos craintes. Ensuite, nous pourrons explorer ensemble les voies concrètes d'une coopération durable, qu'elle soit économique, scientifique, culturelle, et, si vous le jugez pertinent, dans le domaine de la défense de nos souverainetés respectives. Nous aimerions aussi vous soumettre la proposition d’intégrer l’Internationale Libertaire, une organisation entièrement dédiée à la coopération des pays qui, comme nous, ont fait le choix de la démocratie véritable.
Nous vous écoutons. »

Pour information Heon Kuang se trouve, eh bien, ici.