26/05/2017
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Les échos du monde...

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Carnavale 16 janvier 2017
Le véhicule tanguait sur les voies express.

Slalomant entre les automobiles et divers autres obstacles d'un quotidien Carnavalais, le risque de percuter une âme malheureuse s'accentuait au fur et à mesure que les évènements nous accablaient.

Le nuage épais, cette couleur bleue indigo, remplaçante du blanc gris verdâtre, que nous trouvions à l'accoutumée aux bouches d'égouts de la taille d'un autocar... ce nuage avait englobé l'immense citadelle urbaine, rappelant à chacun les moyens démesurés nécessaires à la survie du Lion doré sur fond bleu.
Etrangement, les odeurs d'ordinaire nauséabondes de certains quartiers s'étaient estompées pour laisser place à une saveur douce, légèrement suave à l'arrière de la bouche.
Nous étions dés lors plus apaisés, comme dans un cocon où le bruit s'étouffe, où la lumière des phares est diffuse et où le halo des lampadaires n'est efficace que sous ceux-ci. Les papillons de nuit ne virevoltaient plus autour de ces derniers, comme happés et épargnés de la furie à laquelle nous allions faire face.

Les pavés lisses, autrefois brillants, ne reflétaient plus le ciel étoilé de fenêtres et passerelles illuminées. Le sol défilait sous mon pied droit, à vive allure, tandis que je bandais mes muscles à chaque virage et coups de volant afin d'éviter l'accident, et je gardais mon pied gauche solidement calé sur la marche arrière du camion. L'espace d'un instant, une famille, une mère avec son bébé dans les bras levant ses yeux hurluberlus vers nous, un conjoint ou mari empêtré avec les roues de la poussettes coincées entre la chaussée et le trottoir. Endimanchés, ils avaient sûrement été surpris par l'opacité accrue du nuage indigo s'étant engouffré dans ces niveaux intermédiaires.

Là, des automobiles et bicyclettes garées sur le bord de la route rappelaient que nous quittions les quartiers centraux de ces niveaux périurbains pour des zones résidentielles et bientôt commerciales et industrielles.
Le camion fonça à travers les voies des tramways ouvriers pour traverser ce que je devinais être la Place des Astronomes, où siégeait en son centre les ruines de plusieurs siècles du premier observatoire Carnavalais, transformé en musée à la gloire de la culture et de l'influence de Carnavale. Ma mère m'avait promis de le visiter. Elle n'avait eu assez d'argent que pour une seule personne et donc y avait pris de nombreux clichés photographiques que nous avions gardés sur la porte de la cellule de froid.
J'en souris malgré la situation ; tellement Carnavalais.
Mon père, quant à lui, n'aurait pas dépensé pour une entrée au musée, il aurait préféré souscrire des assurances supplémentaires qu'il aurait ajouté à la foultitude de dossiers et protections qu'il avait bâtis tout au long de sa vie : une fortune qui faisait jalouser de nombreux Carnavalais et qui lui avait valu maintes ennuis et pressions...

Bien que le nuage était épais, les bruits stridents et explosions furent distincts, comme des échos enveloppés de coton, de petits velours moelleux pour les tympans habitués au tonitruant de l'hyper-agglomération.
Je levais les yeux, le casque poli, de style Corinthien, bien ancré sur la tête. Le nuage s'illuminait par à-coups et laissait entrevoir pendant une fraction de seconde des formes comme figées par une lumière stroboscopique, l'aviation de la nation face à un déluge impensable. Les lumières se firent plus intenses à mesure que le ballet s'accélérait et comme aspiré par l'enfer, le nuage se dissipa par endroits par d'immenses flammes, explosions et incendies. Sur les hauteurs des étages supérieurs, comme une pluie de météorites touchant le toit du monde, l'atmosphère incandescente rappela à tous la fragilité du monde, de ce qui est et ne peut être pour toujours.

Les flammes gigantesques engouffraient des pans entiers de grattes ciels. Le nuage, aspiré par le feu, redonnait à Carnavale une vision de son panorama, de cette skyline si belle, dantesque que seuls les plus fous l'auraient imaginée. Les fenêtres explosaient. D'immenses pans de ces fabriques, aux cheminées de tailles démesurées, permettaient à la population de travailler un dur labeur au service des industries de la noblesse Carnavalaise. Travailler dans ces fabriques était un luxe à comparer aux industries lourdes des étages inférieurs ou bordant l'océan... L'air y était presque respirable grâce aux alizées et contre-alizées créées par les architectes de l'urbanisme et leurs grattes ciels innombrables formant remparts et la forêt d'acier et de brique de la cité.

Le camion prit une passerelle en colimaçon sans décélérer, faisant hurler un moteur donnant le meilleur de lui même.
Les confrères s'agrippaient, non pas à cause de la conduite d'urgence impliquant une potentielle sortie de route vers le vide, mais bien parce que nous nous rapprochions d'une fournaise que nous n'avions jamais vue auparavant. La chaleur se faisait de plus en grande et brûlait presque nos visages alors que nous étions encore fortement éloignés. Tout autour de nous, tandis que le camion montait en tournant autour d'une vaste tour résidentielle ouvrière aux murs suintant, la fournaise s'étendit de plus en plus, enserrant notre destin vers l'apothéose de l'enfer.

Le chef avait du ordonner de nous arrêter à cet étage, car le camion freina subitement et sans attendre des instructions, l'équipe sauta des marches et de l'habitacle pour organiser le déchargement des équipements et dérouler les nombreux tuyaux épais et plats de cette matière fibreuse ignifugée.
Sur chaque passerelle, la tuyauterie de Carnavale avait prévu des vannes immenses pour nos services. Et le débit d'eau était, grâce à l'ingénierie de nos aïeux, puissant, quelque soit l'étage ; un miracle d'infrastructure pour une ville encore aujourd'hui moquée pour ses déviances d'un quotidien dystopique.

Les incendies brillaient sur nos casques protégeant les tempes, le nez et les yeux de cette visière intégrée miroitante.


"N'oublie pas de bien tenir la lance. Elle peut te tuer avec la pression."

Mon confrère saisit l'embout de ses gros bras costauds et expérimentés et sans réfléchir, s'avança vers les premières flammes avançant au son des percussions et explosions tout autour. Je le collais et je tirais sur le tuyau lourd tel un serpent tropical pouvant englober un éléphant, calant mon pied et talon contre celui de mon goliath.

Il cria de prendre garde et fit un signe à l'équipe de débit que nous étions prêts.
L'eau s'infiltra avec force dans le serpent, le bandant presque instantanément et il fallut de peu pour que je ne décolle du sol. Le goliath avait bien maintenu la lance et une gerbe d'eau... une rivière s'extirpa de notre lance, suivie de trois autres similaires à nos côtés, les goliaths s'avançant de manière coordonnée.

Les flammes léchaient les pavés à travers les orifices des bâtiments dévastés, l'incandescence se propageant comme dans une profusion de papeteries.
La sueur, la chaleur, l'effort, l'acide lactique...

J'en oubliais d'avoir peur.


Jusqu'à ce que le hurlement de la mort et sa carapace sombre ne passe à travers les grattes ciels enflammés et ne s'abatte sur nous.

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