nouveau pacte pour nouveau monde
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Le PDG-Protecteur Camille Printempérie et Son Excellence Bartholoméon de Petipont reçoivent depuis une semaine les représentants de la Kabalie génocidée, ex-territoire des Trois Lune, Nouvelle Carnavale, désert rouge de CRAMOISIE©. Le monde a été brutalement transformé par l'agent CRAMOISI et par la Principauté de Carnavale : s'en lamenter n'y changera rien, il faut aller de l'avant. Errer des années dans un désert empoisonné, corrompu par une science qui nous dépasse n'est pas une solution. L'exode n'est pas une solution. Le pays qui était le notre a disparu, les dunes de mon père et de ma mère ont été soufflées par un puissant vent rouge tiré depuis une nation lointaine. En CRAMOISIE© j'ai découvert la violence absolue de Carnavale, et elle m'a fasciné.
Petipont nous a dit que le temps du sable et des chameaux était irrémédiablement révolu. Nos bêtes meurent faute d'eau non-contaminée et de plantes à manger. Nous avons besoin des vaccins. Mais surtout nous avons besoin des voitures, des avions de chasse, de ces grands missiles qu'ils érigent au cœur du désert. Nous aussi nous désirons acquérir la toute puissance. L'archevêque athée nous a tendu la main. Il dit que nous appartenons à la même humanité, que nous aussi nous pouvons être des anges. Être des dieux sur cette terre. Il nous promet la gloire, la grandeur et l'émancipation.
Certains lui ont tourné le dos, préférant l'exode ou la mort à cette vie nouvelle qu'ils jugent corrompue. Ils se lamentent sur les ruines de ce désert qu'ils ont parcouru comme leurs pères avant eux. Mais le désert a changé de couleur et les dunes de leurs ancêtres ont été soufflées par la puissante explosion... En une salve de missiles ils ont réduit à néant mille ans de pistes, d'oasis et de contes. Certains les haïssent pour ça. Moi je veux devenir comme eux. Je ne me satisfait pas des étoiles brillantes et d'enseigner à mon fils les gestes de mon père. Je ne me satisfait pas des contes ressassés, des poésies qui n'ont pour elles que leur histoire. Je suis un homme nouveau, le désert rouge m'a changé, Carnavale m'a changé. Elle a détruit tout ce que je connaissais, a balayé mon histoire et mon identité. Elle a tué mon Dieu, et le sien aussi, si j'ai bien compris ce que nous a expliqué l'archevêque.
Mais au lieu de me laisser mourir, elle me tend la main. Je peux être l'homme que je désire être, tout est possible, Carnavale en a fait la démonstration, tout est possible car je suis un homme. Un homme fait du même bois et du même sang que ces blancs venus du ciel. Je peux être comme eux, parmi eux, avec eux. Je serai un dieu moi aussi, et j'emmerde ceux qui n'ont pas la soif de vivre, de créer et de détruire. J'emmerde la Kabalie qui est déjà morte et qu'il est inutile de pleurer. J'emmerde le passé quand je vois avec quelle dérision il a été rasé. S'il est possible de détruire mon peuple et mon histoire avec une telle simplicité, alors peut-être qu'il est temps de passer à autre chose.
J'étais Kabalien.
Je serai Carnavalais.

J’ai visité les jardins de CRAMOISIE©. Je n’ai jamais rien vu d’aussi étrange et d’aussi beau à la fois. On m’a dit qu’à Carnavale, les jardins étaient encore plus beaux que ça. Ils m’ont eu avec leurs jardins. Moi qui connaissait le sable et les oasis, j’ai découvert l’herbe grasse, les fleurs délirantes et les fontaines en escalier. J’ai trempé mes mains dans l’eau qui chante et les bassins décorés. Il y avait des fontaines dans mon ancien pays, celui qu’on appelle Kabalie, mais celles de Carnavale sont d’un autre genre. Les robinets ouvrent sur du vin et du miel, l’eau a un goût de citron et un parfum de rose. Bartholoméon de Petipont est un homme patient et consciencieux. Il m’explique que nous pouvons obtenir ces odeurs et ce goût grâce à des additifs, ces petites substances que l’on verse dans ses plats pour rendre leur saveur cent fois supérieure à tout ce que j’ai déjà mangé.
Dans les salons de Salem-Aleykoum, j’ai découvert des architectures et des arts dont on ne m’avait jamais parlé. J’ai placé des petits papiers buvards sur ma langue et tous mes sens se sont éveillés. Mon corps s'est révélé à moi dans des possibilités retenues jusque-là enchaînées. Je voyais des couleurs qui autrefois m’étaient dissimulées, dans les zones d’ombre de mon spectre visuel. Chaque souffle de vent était la caresse d’une femme, chaque son sonnait comme une musique céleste. Des blanches se sont offertes à moi et le sexe avec elles étaient si bon et si simple que toutes les femmes que j’ai connu avant elles me semblent à bien y repenser d’une fadeur désespérante. Carnavale a fait de moi un autre homme, elle a transformé mon regard et ma perception du monde. Désormais, je marche sur Terre comme un Ange et plus comme un simple mortel.
Si les Anges de celui qu’on appelle Allah sont descendus sur Terre guider les hommes, d’anges je n’ai jamais vu l’aile. Mais j’ai vu les Carnavalais. J’ai vu leurs pupilles se dilater et se rétracter, hypersensibles à la lumière, qui les rend semblables à de grands fauves. J’ai vu l’armature de métal dont certains s’équipent et qui les fait avancer à grandes enjambées là où me sens désormais ramper à côté d’eux. J’ai vu les merveilles de leur science et de leur médecine, je les ai vu guérir ma mère comme ils ont foudroyé mon père de leurs vapeurs chimiques. Carnavale décide de qui vit et qui meurt, elle donne la mort et donne la vie, exactement comme prétendait le faire mon Dieu poussiéreux, celui qu’on nomme Allah. Celui-là est sûrement mort dans le désert rouge, je ne l’ai jamais vu accomplir le quart des miracles qu’accomplissent chaque jour les Carnavalais. Mais eux, contrairement à Allah, ne me demandent pas de me soumettre. Ils me proposent de m’élever comme eux.
Plus jamais je ne courberai le dos en prière. Plus jamais je ne réciterai les sourates mensongères. Plus jamais je n’implorerai la miséricorde d’un autre que moi. Je suis dieu parmi les dieux, je donnerai la vie et la mort, je donnerai le feu. Bartholoméon de Petipont m’a instruit du mythe de Prométhée. J’ai entendu parler de cet homme qui n’existe pas en Islam, ce voleur de feu qui défia Dieu pour éclairer les hommes. Je comprends mieux désormais quelle prison fut ce désert qui m’a vu naitre, et qu’elle libération fut la venue de Carnavale. Le feu rouge qui souffla les dunes de mon enfance est la flamme prométhéenne qui apporta aux hommes l’émancipation. A mon tour, non pas fidèle soumis mais ange de la libération, j’apporterai le feu aux hommes.
Allah est mort. L’Islam, fidèle à son nom, ne m’a apporté que la soumission.
Mais leurs menaces ne m'atteignent plus car j'ai déjà connu et ne crains plus l’enfer.
Et je crie : Ave Lucifer.