- « Bien, bien, tout ceci est fort bien… » répondit-il d’un air distrait. Il ne s’attendait pas à ce que les coalisés demandent la tenue de négociations pour tenter de résoudre cette situation de crise qui s’ammorcait. À vrai dire, il ne s’attendait pas à voir le B.N.E se montrer enclin à négocier. Venant de la part de régimes plus ou moins fascistes, le Marcinois imaginait des fous furieux ne jurant que par la supériorité raciale des Nordiques… Et au lieu de ça les membres du Bloc se montraient bien moins bornés que les Churayns. Ils acceptaient la tenue de négociation, se montraient même capable de céder (temporairement) sur certains points et de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour apaiser les tensions. Et face à cela, les États cosignataires du Protocole de Marcine passaient pour des sauvages. Certes ils conservaient les formes, émettaient une condamnation suivies de conséquences directes, avaient une fiche de route, maigre, mais louable. Ce n’était sans compter sur certains partenaires, un peu trop intransigeants, pas assez souples et bien trop enclins à l’usage de la violence. Si les Marcinois ne pouvaient nier que sans le Churaynn la mise sous blocus de la colonie du Grammatika ne serait qu’un projet qui se serait probablement perdu avec des tas d’autres plans… Ce sont ces derniers qui ont réussi à réveiller l’ardeur et la pugnacité des Marcinois, que plus d’un siècle de paix avait endormi. En quelques jours, ils avaient fait ce que beaucoup d’États confédérés voyaient comme une folie. Ils avaient levé une flotte. Mis en place une stratégie, mis en branle une imposante armada (par rapport à la flotte confédérale). Ils avaient failli faire la guerre pour leurs frères.
Pourtant, le Churaynn n’était pas exempts de reproches. Certes, son implication était capitale à la bonne tenue du projet. En revanche, certaines pratiques devaient être à tout prix oubliées si l’Empire Islamique souhaitait devenir une puissance régionale. Car ce n’est pas en usant et abusant de la violence, de la force balistique et du dikat que l’Empire pourrait tenter de trouver une crédibilité internationale. Pire encore, cela lui nuirait sur le long terme, les Sayyid pourraient s’attirer les foudres des mauvaises personnes. À trop jouer avec le feu, on finissait par se brûler. Pour les Marcinois, une publicité n’est pas l’objectif ultime. Ils sont braves, mais aussi pragmatiques. Ils préfèrent des petits pas solides plutot qu’une avancée fulgurante et une retraite encore plus prompte. Les Churayns collectionnaient les ennemis, même la République des Trois Nations les haïssaient ; alors que l’État eurysien était parfaitement fréquentable. Cette mise sous blocus trop brutale a joué contre le Churaynn, ils ont révélés leur jeu trop tôt et trop vite. Ils étaient au départ de parfaits inconnus, ils devenaient les ennemis publics numéro un pour bons nombre de chancelleries. Et lorsqu’il s’agissait de jouer aux gros muscles avec les grands, ils suffisaient d’un coup de pieds pour les renvoyer à la niche. Une puissance militaire en apparence effrayante, mais de facto inefficace. Une diplomatie agressive, qui ploie devant plus fort que soi. Et cette agressivité pouvait se retourner contre eux, et desservir dans un même temps la cause de la Coalition.
Que le Churaynn soit agressif face à des fascistes n’était un problème pour personne. Mais qu’il attaque le Haut État d’Altrecht alors que des négociations de paix allaient débuter, ça devenait une tout autre paire de manche. Pour le Sadr, le jeu s’annoncait serré. Marcine ne le lâchait pas, mais le Royaume se méfiait de l’étrange diplomate. Et ce dernier espérait même que le Churayn dévoile une partie de son jeu. Car le subite volte-face de l’Empire Islamique, la vengeance brutale qui succédait à l’holocauste d’Estham sonnait comme la preuve d’une certaine inconscience de la part des autorités de l’Empire au sein de la Confédération, même Floubou peine à apaiser la colère de ses supérieurs quant à une utilisation irrationnelle de la force. Le juste clairon de la vengeance arrivait au pire moment possible. « Qu’il tire un missile pour apprendre la courtoisie aux Altrechtois est tolérable ! Qu’il tire un missile alors que des négociations de paix allaient s’amorcer est une folie ! » Floubou repensait à la colère de Bassé en apprenant la nouvelle. Il se souvenait aussi du désarroi de Louis d’Antrania qui, voyait ce qu’il considérait comme « le centre du commerce antérinien » être « menacé » par l’inconscience d’un État. Et malheureusement pour Désiré, ces derniers n’avaient pas totalement tort et ils considéraient cette conférence comme une épreuve visant à tester les capacités du Sadr. S’il se montrait raisonnable, ou a minima ne menaçait pas ses interlocuteurs, Floubou pourrait plaider en la faveur du Churaynn pour l’établissement de relations diplomatiques plus poussées avec la puissance arabe. Mais pour Désiré il ne faisait aucun doutes que l’homme était parfaitement capable de se comporter comme un diplomate. Il n’avait pas oublié sa performance à Marcine, et espérait qu’il se montre tout aussi impitoyable en Utovie.
Et puis, lorsque son avion atterrit sur le tarmac de l’aéroport international d’Utovie, le Marcinois sentit son cœur se serré, les négociations allaient débuter. Et alors que les indépendantistes débarquaient, que les Rimauriens et les Menkelts se serraient les coudes. La Coalition restait assez désunie ; les Marcinois soutiendraient corps et âmes les indépendantistes, les Churayns leurs intérêts et les Finnejourils se rangeraient probablement du côté des indépendantistes avec les Antériens. Seulement, il ne s’agissait pas uniquement de résoudre ce que les sphères dirigeantes marcinoises nommaient dorénavant comme le « problème Garmflüßensteinois » mais aussi les tensions de plus en plus visibles entre l’Empire Islamique et le Bloc Eurysien. De cette manière, une double conférence débutait ; l’une pour le Grammatika, l’autre pour l’Altrecht et le Churaynn. Sous la supervision des autorités diplomatiques des Trois Nations. Floubou était persuadé que le B.N.E cherchait lui aussi à se débarrasser de cette épine dans le pied qui commençait à lui nuire et qui pourrait bien aggraver son cas face au reste du continent Afaréen.
Et alors que le Marcinois entrait dans la salle, que le représentant des Trois Nations débutait son discours et que les différents représentants prenaient des notes, ce dernier ne put s’empêcher de dire aux indépendantistes assis à côté de lui : - « Le grand jeu commence ».