Posté le : 07 sep. 2025 à 21:18:30
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La Commissaire nota quelques points dans ses notes. Comme elle s'y attendait, les Altrechtois ont une expérience...limitée de ce que doit être la Révolution, surtout quand celle-ci a une volonté internationaliste. Le pacifisme déclaré de l'Altrecht déplaisait fortement aux Estaliens, et ça se voyait sur la tête de la plupart des dignitaires estaliens de la délégation, bien que la Commissaire restait complètement de marbre, se contentant d'acquiescer et de rester impassible. Ce pacifisme déclaré n'était pas un problème au sens idéologique du terme car bien que les Estaliens soient des militaristes assumés, ce militarisme et cette propension à entrer activement dans le conflit armé n'est pas un idéal à atteindre mais un moyen au service de l'idéologie. Pour faire bref, dans le courant libertaire, les Estaliens sont la représentation iconique du dicton : la fin justifie les moyens. C'est une vision qui paraît très radicale au premier abord, autant pour les anti-communistes que pour les camarades du monde libertaire, mais elle est empreinte d'une logique de confrontation avant tout et surtout d'une vision du monde pragmatique : les Etats capitalistes et réactionnaires refuseront toujours par eux-mêmes de déléguer le pouvoir à leurs peuples, c'est dans leur nature même. Aucune révolution ne s'est faite sans violence et l'Altrecht elle-même en est un formidable exemple. Or, les Etats du XXIe siècle sont à ce jour surpuissants par rapport à leurs peuples, leurs moments de faiblesse sont très rares et lorsque ces derniers se déclenchent, rares sont les peuples qui ont la lucidité d'en profiter pour frapper le pouvoir central et acquérir enfin sa liberté de l'oppression du système. Le capitalisme est encore plus vicieux puisqu'il se nourrit des crises qu'il provoque et du dissensus produit par d'autres franges politiques comme l'extrême gauche dont les fondements sont dissous dans une forme de protestation molle, pacifique et institutionnelle qui finit par perdre ses principes de base que sont la démocratie directe, le socialisme, l'anticapitalisme et la lutte des classes. Il ne s'agit donc pas d'imposer aux peuples une idéologique quelconque mais de leur ouvrir la voie pour parvenir à la Révolution ; les idées sont une chose mais leur réalisation en est une autre et les Estaliens comprennent que s'ils souhaitent faire advenir un jour une véritable société anarchiste, les frontières doivent disparaître, les Etats également. Or, l'Etat ne souhaite pas disparaître volontairement, il se battra et usera de ses larbins lobotomisés par la propagande pour y parvenir. La compassion pacifiste des Altrechtois pour leurs ennemis idéologiques n'est donc pas la bienvenue pour les Estaliens mais passons ces différences car l'Altrecht, malgré sa bonne volonté de ne pas apparaître comme un pays agressif, oublie que les apparences d'agressivité ou de passivité n'importent que peu pour ses voisins qui seront à l'aise d'opprimer d'autres peuples et à étendre leur influence en sachant pertinemment que l'Altrecht ne bougera pas le petit doigt. Aucun anarchiste de conviction ne souhaite la guerre, mais chacun sait aussi que c'est une nécessité malgré tout, car l'ennemi, lui, n'hésite pas à prendre les armes pour défendre ses idées, aussi nauséabondes soient-elles. Volkiava devait maintenant retranscrire cette logique de réalisme révolutionnaire en des termes plus...diplomatiques, auprès de ses camarades altrechtois :
"Je comprends votre logique pacifiste, camarades et sachez que c'est tout à votre honneur de défendre des idéaux aussi nobles que la paix. Cela étant dit, je pense que cette vision très idéaliste de la politique étrangère altrechtoise constitue sûrement le principal point de divergence entre vous et nous. Vous considérez que la seule manière d'étendre la Révolution est de projeter une société idéale aux autres peuples pour les inciter à se rebeller contre leurs oppresseurs et à embrasser les idéaux libertaires. Cependant, je pense que vous oubliez une chose, camarades : les Etats capitalistes et réactionnaires refuseront tout bonnement notre vision du monde libertaire si aucune pression ne leur est faite. L'Histoire est faite de rapports de force, dès lors que deux groupes opposés cherche à avoir une influence sur l'autre, un rapport de force s'établit instinctivement, c'est dans la nature même de l'Homme. Je comprends votre logique, que j'ai tendance à énoncer comme la stratégie du phare, mais cette stratégie n'est qu'un bouclier. La Révolution nécessite à la fois un bouclier et une épée. C'est ce que l'Estalie a fait : elle a construit une économie robuste, s'est industrialisée à très grande vitesse, a augmenté durablement le niveau de vie de sa population et l'a protégé contre les menaces contre-révolutionnaires à ses frontières. Il suffit de voir l'état de l'Estalie il y a cinq ans pour se rendre compte du progrès fulgurant de notre Fédération. Pourtant, cet état de fait n'est qu'un bouclier, un moyen de protéger les peuples de la Fédération. Cependant, l'épée de la Révolution ne consiste pas à juste bâtir chez nous car la propagande aura toujours un meilleur effet que toutes les merveilles que l'Homme peut construire en pays libertaire, l'esprit humain est facilement malléable, d'autant plus quand il est inclus dans une foule. L'épée de la Révolution réside donc ailleurs et compte tenu de l'essence même des Etats, coercitifs et violents contre toute menace institutionnelle, il faut répondre également par la violence. Personne en Estalie n'aime la guerre, sachez-le. Mais nous savons tous que c'est une nécessité, l'esprit internationaliste de notre Fédération nous incite à ne pas abandonner nos frères et soeurs du genre humain opprimés, nous ne dormirons jamais sur nos deux oreilles tant qu'il existera encore des petits groupes d'élites opprimant leur propre peuple par simple appât du gain ou du pouvoir.
Karnaukhov, le second de la Commissaire et représentant du Congrès International des Travailleurs, profite de la fin de l'aparté idéologique de sa collègue pour reprendre la main sur les questions d'ordre pratique.
- Bien que nous ayons des divergences sur ces quelques points, sachez que l'Estalie n'est pas là pour imposer ses vues à l'Altrecht d'une quelconque manière que ce soit, l'Altrecht reste un pays souverain avec sa propre politique étrangère, nous nous attendons seulement à ce que nos camarades respectent les accords qu'ils consentent à signer, rien de plus.
- Cela étant dit, camarades, nous sommes heureux d'entendre que vous êtes prêts à coopérer pleinement avec la Fédération dans un cadre défensif. Actuellement, l'Estalie peut consentir à établir des bases militaires terrestres et aériennes sur votre sol tant que cela sera nécessaire pour votre défense, jusqu'à que l'Altrecht sera en capacité de se défendre seul face aux menaces extérieures. Quant aux bases navales, comme vous le savez, l'Estalie est une nation enclavée, elle n'a pas accès à la mer et de ce fait, je ne suis pas sûre que cela sera d'une utilité quelconque que l'Estalie dispose de bases navales, surtout si c'est à titre temporaire sur quelques années. En effet, on ne construit pas une flotte dans des chantiers navals et dans des bases navales que l'on sait pertinemment comme temporaires, une flotte se construit et se conserve sur le long terme. A moins de rendre ces bases permanentes, je n'en vois pas l'utilité. Cela étant dit, comme je vous l'ai dit, si l'Estalie consent à déployer des unités militaires, terrestres ou aériennes, chez vous, la Fédération souhaite également soutenir vos efforts d'autonomisation économique et militaire. Comme vous le savez peut-être, l'Estalie participe activement aux réformes de l'Armée Communale de la Kaulthie et nous pensons qu'en l'état de vos forces armées actuelles et de la future présence estalienne sur votre sol, il serait d'intérêt public que l'Estalie participe également aux réformes de votre armée. Ces réformes comprennent évidemment des réformes structurelles, logistiques et stratégiques mais aussi du ravitaillement. L'Armée Rouge dispose de certains stocks qu'elle peut fournir gratuitement aux forces armées alliées. Bien sûr, compte tenu de la restructuration de nos propres forces cette année, certains équipements ne pourront vous être garantis pour l'instant mais sachez que tout équipement qui vous sera fourni vous sera transmis à titre purement gratuit, il est absurde que notre Fédération vous facture votre propre protection, surtout quand le modèle productif estalien est structurellement en surproduction constante. Enfin, pour ce qui est de l'aspect commercial, nous ne vous jetons pas la pierre en ce qui concerne vos accords avec les Velsniens, nous espérons seulement que Velsna ne vous rendra pas dépendants sur le plan économique, cela irait à l'encontre de la finalité même des accords que nous négocions ici même qui consistent à vous donner toutes les cartes en main."