28/06/2017
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[Menkelt / Grand Kah] Un ami qui vous veut du bien

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Citoyennes Styx Notario et Kisa Ixchet.

La voix, précise et à peine audible par-dessus le vrombissement de la cabine pressurisée, égrenait le briefing.

« Menkelt. Membre du Bloc Nationaliste Eurysien. »

Kisa Ixchet ferma les yeux un instant. Le nom seul suffisait à la crisper. Saint Empire Menkelt. Chaque mot était une insulte. Empire, cet écho de l'oppression qu'ils avaient combattue. Saint, cette prétention à une légitimité divine qui niait la volonté du peuple. Comment le Grand Kah, nation entièrement vouée à l’émancipation, pouvait-il ne serait-ce qu’envisager une discussion avec son antithèse la plus fondamentale ?

« Une nation qui considère la “tradition” comme un bien immanent et supérieur, et dont l’idéologie est opposée à tout progrès des conditions de vie et d’émancipation des individus. »

Sa collègue conclut la tirade par un soupir théâtral. Kisa sentit le regard amusé de la Citoyenne Styx Notario sur elle. Bien sûr que Styx s'en amusait. L’une, Kisa, représentait le Commissariat aux Affaires Éducatives et à la Santé, croyant sincèrement à la paix et à la coopération des peuples. L’autre, Styx, dirigeait la Sûreté – les services secrets. Une ultra-radicale qui avait orchestré la chute de nations entières et pour qui la fin justifiait tous les moyens. L’une trouvait l'idée même de parlementer avec des fascistes immondes. L’autre y voyait une opportunité.

Et la raison d’État, cette logique froide qui n'est jamais celle des hommes, les avait placées côte à côte dans cet avion.

Kisa se tourna vers le hublot, observant le tapis de nuages immaculé. En principe, une telle rencontre n'aurait jamais dû avoir lieu. On aurait pu supposer, et cela aurait été raisonnable, que le Saint Empire serait carbonisé par la flamme de leur révolte au premier contact. On aurait pu supposer que l'Union n'approcherait une telle nation que pour l'incendier, pour accomplir sa mission historique. Leurs ennemis ne les appelaient-ils pas l'Empire Rouge ? Rouge du sang de la bourgeoisie, rouge des étendards syndicaux. Une libération à marche forcée, lasse d'attendre que l'Histoire suive son cours.

Styx rompit le silence. « Et quelle remarque doit suivre ce petit résumé de qui sont nos hôtes ?
Je n’ai pas de remarque à formuler », répondit Kisa, sa voix plus neutre qu'elle ne l'aurait voulu.

Tout avait déjà été discuté. Les raisons, la logique, les enjeux. La ligne des modérés et des pragmatiques l'avait emporté. Celle qui prétendait que le Grand Kah avait les yeux sur des objectifs infiniment lointains, et que le temps jouait en sa faveur. Une ligne mise à mal par les récents échecs face à l'OND, mais qui, pour l'heure, tenait bon.

Kisa haussa lentement les épaules.

« Nous serons mal reçus.
C’est sûr.
Et ils vont nous demander des comptes pour l’Altrecht.
Et Achos ! ajouta Styx avec une pointe de malice.
Et Achos, c’est vrai. »

Kisa pivota enfin vers Styx et la jaugea. L'autre femme était rayonnante, pour autant que la plus obscure des citoyennes de l’Union puisse jamais être associée au vocabulaire de la lumière. Un petit sourire flottait sur ses lèvres.

« Et ça semble te faire plaisir.
Pas particulièrement. Mais c’est excitant, non ?
C’est une opportunité, oui. Excitant, je ne sais pas. Je ne suis pas... »
Elle laissa sa phrase en suspens. Styx, elle, n'avait pas de ces pudeurs.

« De toute façon, nous avons assez d’ennemis comme ça. Les décérébrés de l’OND, les castrés de Nazum Oriental, les néonationalistes Afaréens… Ils ont collectivement compris que la Fin de l’Histoire était loin d’être acquise, et que nous continuions d’être son moteur. »

Elle leva les mains, comme pour clore une discussion qu'elle venait à peine d'ouvrir. Kisa lui posa une main sur l'épaule.

« C’est la diplomatie poussée par les vôtres qui nous a mis dans cette situation.
Mais pas du tout. Les radicaux adorent la paix.
Je reconnais que vous êtes assez cyniques pour être efficaces. Au fond, vous n’êtes qu’une bande de sociopathes hautement fonctionnels.
Tu sais, je pense que tu ne devrais pas chercher à psychologiser nos comportements. »

Styx lui sourit de toutes ses dents. Kisa haussa un sourcil.

« Pardon ?
En tant que membre du comité à qui est échu la charge de l’éducation et de la santé, tu ne devrais pas stigmatiser les individus neuroatypiques en associant des pathologies à des comportements qui te déplaisent.
Je voulais dire que vous manquez d’empathie et d’honnêteté.
Tu vois, c’est exactement de ça que je parle ! Tu sais très bien que notre comité compte une personne qui est sur ce spectre. C’est très désobligeant de ta part.
Je… » Kisa secoua la tête, prise à son propre jeu. Un sourire malgré elle. « Eh bien ma foi. Je te présente mes excuses.
Bravo, ma fille.
Et maintenant, camarade, que dirais-tu que nous sortions ? Menkelt nous attend.
Kisa, tu lis dans mes pensées. »

Non, et heureusement pour tout le monde, pensa simplement la citoyenne Kisa en se levant pour se diriger vers l'avant de l'avion diplomatique.
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