Posté le : 02 oct. 2025 à 10:03:41
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Almirante souriait aimablement à cet exubérant milliardaire. Avant même qu’il ne prononce un seul mot elle ne put s’empêcher de penser que ce dernier était le profil type de l’actionnaire arrogant ayant fait fortune non pas grâce à son travail mais à sa chance. Un excentrique, un parvenu même. Un homme qui préférait prouver par un bling bling déplaisant et méprisable sa fortune. Elle espérait qu’il aurait tout de même des choses qui en valaient la peine à dire. Car pour l’heure, elle avait tout autres choses à faire ; trouver des financements, réduire l’influence des partis « chrétiens-démocrates » ayant choisis une « voie alternative » tout en rappelant à ses électeurs que la droite modérée, traditionnelle, chrétienne et conservatrice était encore une possibilité. Même en interne elle devait à tout prix écarter Pissedieu. Son emploi du temps, en somme, était tout aussi chargé que le dos d’une mule. Seulement, elle avait le mérite d’être une bête de travail, et négocier des accords particulièrement palpitants et qui promettaient d’être intellectuellement stimulants sur le bien fondé d’une usine aviaire près d’une petite ville bourgeoise, elle espérait au moins que ce petit bourgeois allait lui proposer autre chose, elle avait des préoccupations, pour l’heure, plus importantes…
Non pas qu’elle méprisait les riches, elle admirait ces derniers, eux seuls produisaient de la richesse, eux seuls pouvaient faire tenir les dépenses de l’État, eux seuls étaient dignes des honneurs qu’on leur réservait. Comparé à ces arrogants hauts-fonctionnaires qui considéraient que la magie des affaires méritait d’être remplacée par la joie des accords secrets entre fainéants et parasites, des merveilleuses trahisons aux fantastiques pièges, tout était bon pour gagner dans ce monde d’élites amorales et cyniques. Les entrepreneurs réussissaient grâce à une idée de départ ; les hauts-fonctionnaires grâce à de richissimes parents pour devenir des apparatchiks d’une oligarchie corrompue par des républicains et des réformateurs incompétents ou vendus. Tragique constat qui n’enlevait rien au pratique. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres. Ces Excellences, députés ou sénateurs, représentants du peuple représentaient surtout les entrepreneurs qui voyaient en la cité de la Baie un eldorado moderne à prendre d’assaut. Les canons et les fusils remplacés par les liasses de billets, l’exploitation légale se substituant aux massacres. Almirante le savait, l’État messaliotte était pourri jusqu’à la moelle, il était maintenant obligé de se prostituer aux oligarques icamiens, aux magnats d’Antrania et aux élites wanmiriennes. Celle qui dominait le commerce leucytaléen durant le Moyen-Âge, se voyait devenir le laquais de ses anciens esclaves ; la Sérénissime règne en maître incontestée sur la mer alors que l’ogre antérinien lâche ses dogues affamés. L’État messaliotte avait failli. Et avec cet échec monumental, ce n’était plus uniquement son honneur qu’il venait de perdre, mais aussi sa souveraineté en ouvrant maladroitement la boîte de Pandore.
Et son amour immodéré pour sa patrie l’empêche de pouvoir assister à ce dépecage sauvage sans pouvoir rien faire. Et elle est intimement persuadée que seul le Conservatisme chrétien, libéral et social, pourra changer la situation. Et son mandat en tant que maire d’Ayx, s’il n’est pas exempt de critiques, a été plutot positif. Les grandes firmes s’installent, la croissance revient et les classes bourgeoises et ouvrières sont satisfaites. Même les Blêmes considèrent la ville comme un lieu de culture. La croissance reprends et les activités bénéfiques à l’élévation de l’Homme croissent avec. Pourtant, malgré les bons résultats d’Ayx, sa maire refuse de la laisser sombrer dans une brutalité libérale sans ordre, sans cadre et sans limites. La morale et l’éthique avant tout, le respect des Enseignements du Christ n’est pas une option à cocher. Et des arrêtés municipaux allant dans ce sens furent promulgués par ailleurs, des pressions sur les industriels peu scrupuleux furent exercées, l’État, même failli doit continuer à être respecter. Difficile équilibre entre les valeurs intransigeantes et les faits. Le respect fondamental du aux institutions se voyant bafoué par l’ignoble déchéance de ces dernières, mises en respect par une parvenue icamienne. Cruelle ironie pour un ancien empire colonial, n’est-ce pas ?
Puis les salutations du magnats du San Youté lui parurent vides, son esprit vagabondait, réfléchissait, se perdait en considération diverses… Alors qu’il attendait probablement une réponse, la cheffe du P.C.D croyait qu’il allait continuer. Et rien. Une simple banalité. Elle avait vu plus accrocheur comme entrée en matière. Elle espérait au moins qu’il avait un véritable plan en tête, et qu’il n’allait pas se borner à lui faire un exposé détaillé de son installation agricole, ou du moins qu’il en fasse un complet qui prendrait en compte les répercussions politiques et économiques… Sinon, autant prendre le café et vider un ballon de vin antérinien… Mais si c’était au contraire une stratégie visant à gagner plus en épuisant d’entrée son interlocuteur, en se montrant avare en paroles et en détails, le poussant à avancer en terrain inconnu, c’était mal connaître cette femme. Comme beaucoup de ses semblables, elle était patiente, très patiente même, que ce soit devant Pissedieu ou ses rivaux. Alors, calmement elle fit simplement ;
- « La vue est merveilleuse n’est-ce pas ? La beauté de nos paysages n’est plus à prouver, nous avons inspiré les plus grands écrivains et les plus brillants artistes, après tout… »