Posté le : 05 oct. 2025 à 13:58:43
Modifié le : 05 oct. 2025 à 14:06:37
6155
Elora appliqua une dernière touche de fond de teint sur le visage du Premier ministre ; bien que celui-ci fût relativement jeune, un peu de maquillage n'était jamais de trop avant une allocution télévisée. C'était bien sa chance que la Loduarie s'effondrât, et toute la stabilité eurysienne avec, à peine quelques jours après qu'il eut pris la gouvernance de cette petite nation qu'était l'Illirée. Si seulement Lyonnars avait tenu face à la traîtrise, si seulement le Secrétaire Général avait survécu pour garder les rênes de la puissance eurycommuniste dans sa poigne de fer ; alors les choses eurent été différentes, alors peut-être que Carnavale eut gardé ses missiles dans l'enfer de ses souterrains, que l'Hotsaline eut hésité avant d'anéantir le semblant de forces aériennes en la possession de l'Altrecht. Une si grande balance à l'équilibrage faussée par la mort d'un homme, par une unique balle sortie d'un fusil. Sans elle, tout eut été différent. Il fit un geste de la main ; sans désinvolture particulière, il cultivait l'image d'un homme humble, pas d'un patron. "Merci, Elora, c'est parfait."
La maquilleuse lui sourit tandis qu'elle commençait de remballer les maigres effets de sa trousse, elle était bientôt partie — laissant Veychter seul dans son bureau. Il resta quelques instants à songer à ce qu'il allait dire, compulsant ses notes posées à plat sous ses yeux. Cela fait, il appela doucement avant qu'une petite équipe de télévision entrât depuis l'antichambre, attendant là tantôt le signal du chef d'Etat. Ils entrèrent vitement, déployant quelques caméras dans l'espace relativement large de la pièce. Un homme d'une trentaine d'années, les cheveux châtains plaqués en longues mèches tout autour de ses oreilles et sur le haut de son front — formant comme une petite huppe, apporta un ensemble de micros à pas pressés vers le meuble même du bureau ministériel. Il eut tôt fait de les disposer sur la surface de bois plein, tous orientés pour capter la parole du Premier ministre. Cependant que Veychter se préparait à prendre la parole, quelques techniciens et vidéastes s'échinaient à parachever les réglages des caméras ; tout devait être parfait pour la télévision nationale. Sur le mur dans le dos du chef d'Etat demeuraient ostensiblement deux épées, croisées et nettes de nettoyage ; elles étaient là en vérité bien avant que Veychter ne prît gîte en ce bureau, Valandil les y avait placé en son temps. L'une était du style sombre propre aux lames que les empereurs valinoréens portaient traditionnellement au côté, mais la seconde était plus droite et plus massive —, son pommeau arborant un écusson loduarien. Les techniciens reculèrent, tout était en place pour permettre au chef d'Etat de donner son discours. Il inspira une longue goulée d'air, puis il était en direct.
— "Illiréennes et Illiréens, camarades,
Avant hier la nation fasciste d'Hotsaline bombardait sans vergognes l'Altrecht si peu de temps après que cette dernière s'est libérée du joug d'un régime corrompu et illégitime qui exploitait le peuple aux profits de quelques élites religieuses aussi fourbes qu'elles étaient menteuses. De cette ingérence grave, et irresponsable, contre la sûreté du peuple altrechtois, mais aussi contre la stabilité de l'Eurysie Centrale toute entière ; des nations amies des travailleurs ont su apporter une réponse satisfaisante, avec la verve connue aux défenseurs du peuple. Le régime nationaliste de Troytsiv pensait mettre hors d'état de nuire le pays d'Altrecht, qui n'avait pourtant aucune velléité belliqueuse ; mais c'est son sépulcre que l'Hotsaline demande à sceller sur elle. Voyez comme elle en a enfoncé le premier clou sur son cercueil, par quelques missiles contre une nation neutre. Depuis trop longtemps l'Hotsaline est un vecteur déstabilisateur de sa région, n'hésitant jamais à menacer et à agir contre ses voisins plus faibles. On voyait au Gradenbourg comment ses services extérieurs ont retourné l'opinion publique et contraint sa classe politique à une fusion dans laquelle le peuple gardenbourgeois n'avait aucun intérêt, pas plus que les minorités de l'Autorité Provisoire qui doivent maintenant craindre l'épuration ethnique."
Le Premier ministre marqua une courte pause, les yeux rivés sur la caméra centrale. Il ménageait tant son effet que son souffle, au commencement d'un discours qui ne devait pas s'arrêter dans les minutes qui suivaient.
"Quand les missiles se mettent à tomber sur un peuple pacifique et libre, alors il est du devoir de toute nation amie des travailleurs de prendre sa défense. Il y a quelques bourgeois pour argüer qu'une nation ne devrait pas intervenir sans pacte de défense avec la nation agressée ; mais je dois dire que c'est bien dans leurs intérêts de demander aux travailleurs de baisser la tête face à l'injuste sinistre de ses camarades. Mais l'Illirée ne baisse pas la tête face à la mort d'innocents, et elle a su trouvé sur cette Terre quelques nations avec le même courage pour permettre la vie des innocents.
C'est pourquoi hier au soir l'État-major de l'Armée Illiréenne lançait, avec le plein soutien de mon gouvernement, une opération militaire spéciale dans le ciel hotsalien ; avec le soutien des forces armées du Grand Kah et de l'Estalie. Les fascistes pouvaient alors tirer dans la foule puis renter chez eux, à l'abri des connivences impérialistes et bourgeoises. Mais c'est aujourd'hui l'époque où cela cesse, les Armées Rouges Coalisées ne s'arrêteront pas jusqu'à ce que l'Hotsaline soit désarmée et renvoyée au banc des nations. Mais l'Illirée n'est pas belliqueuse, elle est prête pour toute médiation ou négociations qui sauraient mettre un terme à la boucherie d'Eurysie Centrale durablement. Il est triste de constater que tout le monde n'est pas de cet avis, allant jusqu'à dynamiter toute tentative de négociations. Camarades, je vous en prie, applaudissez la valeureuse nation teylaise prête à mettre en danger son confort bourgeois pour la protection de quelques fascistes de l'autre côté du continent. Bien que l'Hotsaline soit l'agresseur clairement identifié, Teyla a décider d'activer son accord de défense avec cette dernière ; agissant ainsi hors de leur cadre sacré de traités. Il n'y a rien qui justifie l'intervention de Manticore dans le conflit, aucun civil hotsalien n'ayant été pris pour cible et toute les précautions ayant été prises pour garantir la sûreté du personnel militaire teylais en Hotsaline. Cette action irresponsable ajoute de l'huile sur un brasier déjà brûlant, au point que la diplomatie de l'OND elle-même s'en désolidarise et la condamne même."
Veychter bu quelques gorgées de son verre d'eau ; la gorge revitalisée, il reprit.
"L'Illirée sera toujours du côté de ceux qui souffrent le joug cruel de leurs oppresseurs. Nous n'aurons de cesse que d'apporter notre contribution à la libération des peuples du monde tant qu'il y aura un tyran pour éveiller notre courroux, un bourgeois pour soumettre ses semblables. Parce que l'avenir, camarades, c'est le socialisme mondial ou la mort des travailleurs. Nous avons choisi notre camp, et nous espérons que tout un chacun choisira le bon. Il y aura, un jour, un seul drapeau pour flotter sur Tirgon, Manticore, Lyonnars, Axis Mundi, ou Agartha : le drapeau rouge des travailleurs unis et libérés."