août 2017
Si l’on observe la ville depuis une hauteur environnante, on y verrait comme une pieuvre de béton, s’agrippant dans toutes les directions au terrain auquel elle a accès. Mais si l’on observe bien, au pied de la forêt de minarets, ce sont d’autres bêtes qui prennent leurs aises. En effet, les pachas – ces officiers mamelouks – ayant pris le pouvoir, cherchent désespérément un moyen de sauver cet empire, qui a difficilement traversé les siècles de maladie. Sa survie ressemble davantage à un miracle divin qu’à un exploit politique.
Les pachas ont pris le contrôle de l’empire en son nom. L’ancien calife, Abdullah Sarranid, a été évincé du pouvoir alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Il faut reconnaître que ses prédécesseurs se sont acharnés à rendre la dynastie impopulaire, à coups de sabre et de faste démesuré. Abdullah est encore jeune, et son appétit de pouvoir commence à lui tirailler les entrailles. Pourtant, il n’est pas fou et sait pertinemment que, dans l’état actuel des choses, il ne pourrait ni reprendre le pouvoir ni s’y maintenir. Il réunit autour de lui ses fidèles et tente malgré tout de naviguer dans les eaux tumultueuses du alnahr alsiyasiu (le « fleuve politique », expression sarranide désignant le monde politique poussé par l’Histoire).
Aujourd’hui, ce sont donc les pachas qui tiennent l’empire. À la suite du coup d’État, le corps des mamelouks s’est retrouvé déchiré par d’innombrables combats internes. Une succession de coups d’État s’est ensuivie, comme une mise en abîme politique sans fin. Cette spirale a pris fin avec la prise de pouvoir de trois pachas : Osman Pacha, Ismet Pacha et Huseyin Pacha. À eux trois, ils ont réussi l’exploit de trouver un équilibre, permettant à l’empire de connaître un répit de stabilité.
Osman Pacha est un ancien général mamelouk au charisme indéniable. Il a d’abord pris ses distances avec le coup d’État, mais l’appel du pouvoir a su trouver les mots pour convaincre un homme qui a passé sa vie à commander. Misé en avant par la propagande, il est aujourd’hui l’architecte et le visage de la tentative de modernisation du pays. On le voit bien plus volontiers sur des affiches que dans des bains de foule : si l’homme est attiré par le pouvoir, la paranoïa le retient. Il ne sort de son cercle sécurisé que très rarement, et seulement si la nécessité l’exige.
Huseyin Pacha contrôle les services de renseignement de l’empire. Personne ne serait surpris, en se retournant, de croiser un œil ou une oreille du pacha. On dit que son ombre recouvre tout l’empire : où que vous soyez, s’il le veut, il vous jouera le tour de son choix.
Le dernier du trio, Ismet Pacha, est au pouvoir pour s’assurer qu’un seul cauchemar ne se réalise pas : le démantèlement de l’empire. Obsédé par cette peur, il garde un œil sur les minorités et cherche toujours à les contrôler. Il est loin d’être aussi paranoïaque qu’Osman, mais il est extrêmement prudent.
Car un empire, c’est aussi une mosaïque de peuples. Bien que les Sarranides représentent 63 % de la population, les 37 % restants n’ont eu que très peu de mots à dire dans l’histoire de l’empire. Avec la modernisation, ils espèrent bien gagner en influence, et pourquoi pas obtenir leur indépendance ?
Au milieu de tout cela, une rumeur court dans le chaos de Hassanopolis : on dit que les trois pachas rédigent une constitution. Certains tenteront sans doute d’y jouer des coudes pour s’assurer une part de pouvoir.
