29/01/2018
02:18:00
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Démarrage de l'Acte I (Dodécapole): La plus vieille des démocraties (Apamée - Compagnie des blêmes - Armada noire - Bérêts rouges)

Démarrage de l'Acte I (Dodécapole): La plus vieille des démocraties
Les appaméens appellent à l'aide



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La colline des juges, où la rencontre a lieu en plein air et à la belle étoile



"J'ai toujours aimé les étoiles...

L'homme à la barbe, cinquantenaire mais que l'on pourrait confondre avec un vieil homme, lève les yeux au ciel. La voûte céleste est parsemée de petits points lumineux, disposés de façon anarchique, mais que les anciens ont classé et ranger conformément à leurs croyances. La pollution lumineuse est moindre ici, au surplomb de cette colline, qu'en bas, dans la ville basse d'Apamée. Cela a toujours participer à rendre cet endroit particulier. On pourrait presque penser que le temps s'arrête dans cet endroit où les hommes politiques du Forum des citoyens d'Apamée discutent des affaires graves et importantes, le plus souvent à la faveur de la nuit. La "Colline des juges" porte bien son nom, assurément. Bien qu'elle soit moins en usage qu'auparavant, elle demeure un lieu important de la vie politique de la fière ville d'Apamée. C'est ici qu'autrefois, on votait la guerre et la paix par tous les citoyens.

La modernité des "démocraties à l'eurysienne" a rattrapé depuis les appaméens, qui se sont résolus à séparer la vie civile de la vie politique par des réunions dans du bâti monumental, comme tout le monde qui entend se draper dans du prestige et une symbolique du pouvoir, qui ne sert au fond qu'à se croire inatteignable par les masses. Fabrizio Psistrati, celui que l'on a nommé Premier des citoyens, qui n'est dans les faits rien de plus qu'un modérateur de débats public, en a conscience, et il maudit les palais et hémicycles pour rejoindre, dans la fraicheur de la nuit ce lieu public: l'air y est plus pur, et la démocratie véritable, celle du discours, du dialogue, de la dispute...cette démocratie n'a point besoin de murs pour la retenir. Il n'est point utile de la cacher à tous. Les apaméens ne sont pas des adriens, qui réservent le pouvoir à l'élite intellectuelle, pas plus qu'ils ne sont velsniens, qui réservent le pouvoir à l'argent et aux vieillards, et encore moins aux volterrans, qui l'abandonnent à un seul et même homme.

C'est dans cet esprit qu'il a convié les chefs des différentes troupes armées qui ont promis, la plupart du temps contre bon salaire, à le rejoindre ce soir là, sous les étoiles. Et puisque nous sommes à Apamée, il est futile de penser que pareille réunion puisse rester secrète bien longtemps. C'est Pisistrati lui-même qui a notifié nombre de ses compatriotes de ce qui allait se jouer en cette nuit noire sur la colline des juges. Et beaucoup ont répondu à l'appel: ils sont nombreux, très nombreux à s'agglutiner autour de la modeste estrade, tous debout, peut-être des centaines. Non seulement des habitués de l'Assemblée des citoyens, mais des têtes beaucoup moins assidues. Des riches et des pauvres.

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La même mais avec des fringues modernes et des smartphones

Au centre du cercle se tenait non seulement Psisitrati, mais les chefs de guerre convoqués par les apaméens. Il y avait tout d'abord la dernière arrivante en date, Tanya von Degurechaff, mais dont le groupe des bérets rouges du pays des margoulins, avaient déjà une grande réputation dans le monde fortunéen depuis la guerre civile velsnienne. A ses côtés, Khorijin Amarsanaa, meneuse d'une compagnie franche kotioite qui était relativement familière de la région, accompagnée d'un charismatique Evert De Clercq. Pour finir, leur présence a été complétée par l'arrivée tardive des sœurs Dalca, impitoyables meneuses d'un groupe de mercenaires blêmes au service de Mirinegratz. Lorsque tout ce monde eut été réuni, Patrizio Psistrati sortit des rangs de ses concitoyens pour prendre la parole:

" Mes concitoyens. Si je vous est fait venir ici, ce n'est pas pour vous causer le dérangement, mais pour vous tenir au fait de choses. De choses graves qui pourraient affecter notre cité, et contre lesquelles nous avons été insensibles jusqu'ici. Plusieurs d'entre vous m'ont rapporté vos inquiétudes. Nos voisins de Porto Rosso et de Nuevo Fortuna sont désormais en guerre, les uns contre les autres. Ces derniers, deux cités amies d'Apamée, nous avait solicité afin de départager leurs querelles frontalières, mais nous avons échoué. Nous avons échoue à leur prodiguer les conseils qu'il aurait été nécessaire de formuler cet instant. Cette guerre, si elle ne nous concerne pas directement, est d'une grande gravité pour notre ville. Non seulement parce que ce sont deux de nos alliés qui s'entretuent, mais également parce qu'ils le font à la lisière même de notre frontière.

Concitoyens, vous le savez et en avez conscience. La guerre est chose aussi terrible à faire qu'à subir, mais je pense, en vous convoquant, qu'il est nécessaire de vous rappeler que celle là en particulier est d'une gravité sans nom pour nous. Les alliances se font et se défont, et elles sont motivées par les avantages en argent ou en nature de chacun. En échouant à arbitrer ce conflit, nous avons fait perdre de sa valeur à notre parole, nous avons rendu le fait d'être un peuple ami d'Apamée moins attrayant. Et par là même, nous avons ouvert la voie à de possibles changements d'alliances qui concernent nos voisins les plus proches, ceux qui cohabitent avec nous, sur le territoire de notre péninsule. Car en voyant qu'Apamée ne prend pas partie, que pensez vous que l'une d'entre elles, de Porto Rosso ou de Nuevo Fortuna fera ? Elle cherchera un nouveau protecteur de leurs intérêts. Et qui, en Dodécapole se fera un plaisir de les aider ? Volterra, et son très fantasque chef, Salvatore Lograno, à n'en point douter.

Aussi, mes concitoyens: mes frères et mes sœurs. Je sollicite votre sagesse en présence de nos amis ici présents, ceux qui porteront nos couleurs: que devons nous faire ? Devons nous continuer d'arborer la neutralité, en tentant de tendre la main encore une fois, à l'un et à l'autre ? Ou devons nous prendre une décision, de qui mérite notre soutien entre ces deux cités ? J'écouterai les conseils de tous: du plus riche au plus pauvre, du plus vieux au plus jeune d'entre vous, car de décision, il faut dans tous les cas la prendre sans tarder, sans quoi, je puis vous prédire que ce ne seront pas une, mais deux villes alliées du tyran volterran qui seront bientôt sur notre seuil. Y-a t-il un homme ou une femme qui puisse m'aider parmi vous ?"


Les mots de Pisistrati frappèrent durement l'audience. Certains apaméens, bien évidemment, étaient encore dans le déni, et n'imaginaient pas un instant devoir s'intéresser à ce qui était de prime abord les affaires de deux cités étrangères, quand bien même elles étaient à leurs frontières. D'autres, ceux qui travaillaient et vivaient de part et d'autre de la frontière, avaient quant à eux déjà leur avis sur la question. L'une d'entre elles s'avança à son tour parmi ses pairs. Une femme du bel âge, habillée coquettement, qui donna de sa voix:

"Pisistrati. Tu as raison. Nous devons faire quelque chose. J'ai toujours réprouvé la violence, j'ai toujours enseigné les bonnes manières, que ce soit à mes enfants ou à mes collègues de travail. J'ai toujours privilégier la parole et l'échange. Mais ce que je sais, c'est que l'on ne peut pas échanger avec une homme tel que Salvatore Lograno. Depuis des mois, il nous insulte et nous nargue depuis l'autre côté de la mer. Il se prépare, fourbit ses armes et ne s'en cache même pas. Il ne daigne même plus respecter nos zones de pêche respectives, malgré les accords qui par le passé liaient nos cités. Il "tweet" encore et toujours, sur la manière dont il s'enrichit, comme un brigand ! Et il serait intolérable qu'on le laissa faire encore un instant, et qu'on le laissa s'installer à nos portes, avec de nouveaux amis. Aussi, je propose que nous accordions encore une audience à Porto Rosso et à Nuevo Fortuna. Nous devons les ramener à la raison par les mots, mais pas par les armes !"

A cette tirade succéda des paroles, beaucoup plus courtes venant de la foule, balancées en l'air, mais dont le poids fut indéniable:
"Ces deux villes se haissent ! Il est trop tard pour cela: nous devons mobiliser l'armée et l'envoyer sur place. Imposer la paix par la force si nécessaire ! Lograno ne négocie pas, avec qui que ce soit: il viendra et il nous tuera tous si nous ne faisons rien !"

A partir de là, une cacophonie envahit l'assemblée. De ci et de là, on entendit de plus en plus de pets de l'esprit, et de moins en moins de propos construits:
" En quoi ce sont nos problèmes ? Que Porto Rosso et Nuevo Fortuna se fassent la guerre, ce ne sont pas nos affaires !"

" Nous pourrions acheter l'un et l'autre avec des pots de vins...Les velsniens le font et ça marche après tout..."

"Envoyez leur les margoulins pour écraser les deux villes !"



Psisitrati, qui s'était appuyé sur un rocher, leva les mains pour faire calmer la foule.
" Mes concitoyens. Moins de mots et davantage de reflexion, voulez vous...Voyons ce que nos partenaires ont à dire. Excellences..."

Il se tourna vers les mercenaires, en l'attente de conseils avisés (c'est vous mdr).

Retour au charbon

Colonel Tanya von Degurechaff

Cela faisait maintenant presque 4 ans que Tanya, maintenant colonel des Bérets Rouges, avait quitté Velsna et pourtant elle avait l’impression d’y retourner sans pour autant y être réellement. Velsna, la Dodécapole, même racine, même culture, langage similaire et architecture semblable : tout lui rappelait le pays velsnien, mais il n’en était rien, et elle le savait. Cela faisait quelque temps que la Dodécapole était devenue une poudrière, n’attendant qu’une étincelle pour s’embraser ; cela ressemblait à une guerre civile en devenir, quoi de plus banal. En effet, quoi de plus banal pour l’Eurysie, mais la Dodécapole était un cas à part, car ce n’était pas un seul bloc comme les autres pays, mais une multitude de cités-États disposant chacune de leur libre arbitre et potentiellement de leur force militaire. C’est dans cette poudrière que les Bérets Rouges étaient à nouveau engagés ; elles ne savaient pas quel genre de contrat avait été passé, mais au fond elles s’en fichaient, leurs ordres étaient simples : défendre la cité-état d’Apamée, et elles comptaient bien s’y tenir. Ce n’est pas pour autant qu’elles ne réfléchissaient pas à la situation. Et cette situation, la colonel Tanya von Degurechaff en avait des migraines à force d’essayer de la comprendre ; la situation qu’elle avait connue à Velsna était déjà très complexe à bien des égards, mais ce n’était en rien comparable à la Dodécapole. Fatiguée par toutes ces réflexions, elle sortit du bâtiment dans lequel le QG provisoire des Bérets Rouges avait été installé pour prendre l’air et en profiter pour s’allumer une cigarette.

Tanya von Degurechaff – Quelle situation de merde, pourquoi je me fais du mal comme ça à essayer de comprendre, moi ?

XXXX – Quelque chose vous tracasse, colonel von Degurechaff ?

Tanya von Degurechaff – Ah c’est toi, Saxer. Tu n’es pas... je te croyais en patrouille. Ce n’est pas que ça me tracasse, c’est juste que j’essaye de comprendre cette putain de Dodécapole ; déjà qu’à Velsna c’était compliqué, là je pige que dalle.

Andre Saxer – Je vous comprends.

Tanya von Degurechaff – Et toi, tu en penses quoi ?

Andre Saxer – Vous savez qu’on n’est pas là pour réfléchir au pourquoi du comment du conflit.

Tanya von Degurechaff – Bien, je vais reformuler, lieutenant-colonel Andre Saxer : moi, votre supérieure, le colonel Tanya von Degurechaff, vous demande d’expliquer votre point de vue sur la Dodécapole.

Andre Saxer – Soupir... je ne sais pas si je suis plus avancé que vous. La Dodécapole est pour le moins unique du point de vue politique : c’est comme si, à Rasken, on ne gardait que les quatre ou cinq plus grandes villes et que tout le reste disparaissait, mais qu’en plus chaque ville prenait plus ou moins son indépendance. Vue de l’extérieur, Rasken existerait, mais de l’intérieur, beaucoup moins ; chaque ville ferait ce qu’elle veut et serait libre d’avoir un dictateur comme Lograno, par exemple. Non vraiment, c’est un bordel sans nom et je suis même certain qu’une partie des dodécaliotes ne savent eux-mêmes pas comment ça fonctionne.

Tanya von Degurechaff – Ouais, tu n’es pas plus avancé que moi à ce que je vois.

Andre Saxer – Je vous l’ai dit, c’est un coup à se flinguer les neurones, ce déploiement. D’habitude j’aime bien comprendre les enjeux, mais là, ça fait un moment que j’ai déclaré forfait.

Tanya von Degurechaff – J’aimerais faire de même, mais malheureusement je ne peux pas : je suis la commandante en chef de ce déploiement et je dois comprendre la situation si je veux mener à bien ma mission.

Andre Saxer – Je vous souhaite bonne chance, dans ce cas. Moi je retourne en patrouille ; n’oubliez pas que ce soir vous avez rendez-vous à la Colline des Juges.

Tanya von Degurechaff – T’inquiète, j’ai pas oublié.

Le lieutenant-colonel Saxer venait de repartir, laissant le colonel von Degurechaff seule dans ses pensées. La journée se déroula sans problème ; même si la guerre n’allait pas tarder à toquer à leur porte, elle n’était pas encore là pour autant. À la nuit tombée, celle-ci se dirigea vers la Colline des Juges où Pisistrati les avait convoqués, elle et ses nouveaux camarades mercenaires, mais également une grande partie du monde politique d’Apamée. Le débat commença calmement, Pisistrati expliquant la situation avec la plus grande clarté, mais une fois qu’il eut fini, cela se transforma rapidement en un brouhaha incompréhensible. Imposant le silence et reprenant le contrôle de la discussion, Pisistrati demanda alors l’avis des mercenaires qui allaient combattre pour la cité ; de tous ces mercenaires, ce fut le colonel von Degurechaff qui prit la parole en première.

Tanya von Degurechaff – Ma réponse dépendra fortement de si vous posez la question au colonel des Bérets Rouges que je suis ou à la personne qu’il y a derrière, excellence Psisitrati. Si c’est au colonel que vous vous adressez, ma réponse est la suivante : nous sommes des mercenaires, des Bérets Rouges ; notre rôle n’est pas de nous immiscer dans la politique interne de la Dodécapole, notre rôle, c’est d’être vos soldats. Donnez-nous les ordres et si ceux-ci ne vont pas à l’encontre de notre code d’honneur, nous nous exécuterons, c’est aussi simple que cela.

En revanche, si vous vous adressez à la personne derrière le grade de colonel, alors ma réponse sera plus nuancée. Je n’ai aucune prétention à dire que je comprends parfaitement le fonctionnement interne de la Dodécapole, mais de ce que je comprends, la situation est la suivante : deux cités précédemment alliées à celle d’Apamée se livrent la guerre suite à des désaccords et à l’échec de médiations. À partir de là, plusieurs scénarios s’offrent à nous ; j’ai entendu quelqu’un proposer de nous envoyer imposer la paix par la force, c’est une solution, cependant, suite à cela, nous pouvons dire adieu à toute alliance avec l’une ou l’autre, voire, dans le pire des cas, les deux demanderont assistance à Lograno. Dans le cas où l’on arrive à stopper le conflit par la force, nous ne pourrions pas simplement partir : il faudrait maintenir une garnison sur place, garnison qui ne sera pas disponible pour défendre Apamée.

Une autre possibilité serait de ne rien faire, mais si nous faisons cela, quel que soit le gagnant, la cité victorieuse nous tiendra assurément pour fautifs de ne pas avoir agi en sa faveur et la cité perdante nous tiendra pour responsables de sa défaite. Dans ce scénario, nous nous retrouvons également sans allié frontalier et possiblement avec des alliés de Lograno à nos frontières.

À l’opposé, nous pouvons essayer d’intervenir en tant que médiateur dans ce conflit : dans le meilleur des cas nous réussissons et nous gagnons alors deux alliés. Dans le cas où nous échouons, les deux cités ne nous considéreront plus comme alliés, mais je ne pense pas qu’elles nous considéreront comme des ennemies, car même si nous avons échoué, elles ne pourront pas dire que nous n’avons rien fait pour tenter d’arrêter ce conflit.

Enfin, le choix le plus pragmatique à mon sens, en mettant de côté toute considération pour les alliances passées, serait de définir, parmi les deux cités, celle qui nous sera la plus bénéfique par la suite et de nous engager à ses côtés dans ce conflit. Cela reviendrait à attaquer un ancien allié, mais cela nous garantirait également que l’une des deux cités reste notre alliée.

Je ne dis pas qu’il faut choisir une solution ou une autre, je me contente ici de présenter les options que j’entrevois pour le futur. Comme je vous l’ai dit précédemment, je suis une mercenaire : mon rôle, c’est d’exécuter les ordres, pas de faire pencher la balance (politiquement parlant) d’un côté ou de l’autre.
"Donc selon vous, Colonel...il faudrait donc fatalement finir par prendre une décision, si je vous comprends bien ? Choisir un parti au risque de perdre l'un d'entre eux plutôt que de perdre les deux... "


Le citoyen Pisistrati s'appuya contre une colonne soutenant un petit porche couvert en plein milieu de la place. Il ne dit rien, et se tourne vers la foule qui s'était pressée autour des intéressés. Le patriarche fit un tour sur lui-même, contemplant les regards et les expressions de satisfaction comme de frustration aux propositions des raskenois, avant de finalement répondre à Degurechaff.

"Détrompez vous, bérets rouges. Nous sommes ouverts à tous les conseils, en particulier de ceux qui sont payés pour la sécurité de cette ville. Après tout, étant donné le commerce qu'entretiennent nos deux nations, et bien que vous soyez des privés et des "armes sans nation", je pense que vos mots auront leur importance dans ce débat. Nous avons bien des savants, de grands commerçants, mais nous avons peu de soldats tels que vous. Si je puis me permettre, le gens de Porto Rosso, au sens strict du terme et sans prendre en compte des critères moraux, seraient les meilleurs partis à prendre. Ils disposent de nombreux avantages: leur force est légèrement plus grande que celle de leurs voisins, ils disposent d'une économie solide, et sont des alliés fidèles. A contrario, il y a des déjà des rumeurs qui veulent que Nuevo Fortuna serait déjà en contact avec Salvatore Lograno... Mais pour le moment, je n’émettrais aucun avis sur vos préférences, en matière de plan d'action, car c'est au peuple d'Apamée d'en décider. Alors laissons les parler."

L'apaméen se retourna alors vers ses compatriotes, et plusieurs voix sortirent du rang, et s'élevèrent suffisamment pour être entendues par tous:

"Les raskenois ont raison ! Il va nous falloir faire un choix, sans quoi les deux villes se retourneront contre nous, et nous reprocherons de n'avoir rien fait ! On ne peut pas rester sans rien faire, parce qu'il ne faut pas nous leurrer: Lograno occupera le terrain d'une manière ou d'une autre, directement ou indirectement. Il sera là, dans notre dos ! Et il attendra le bon moment pour sonner ses nouveaux alliés ! Envoyons l'armée soutenir Porto Rosso !"

Immédiatement, une voix féminine retoqua les mots bien cocardiers prononcés par son compatriote:

"Foutaises ! Pourquoi enverrions nous l'armée immédiatement ? N'avons nous vraiment rien d'autre à tenter ? Avons nous vraiment tout essayé avant d'en venir à cette extrémité ? Non, je m'y oppose ! Nous pouvons encore convaincre Porto Rosso et Nuevo Fortuna de se mettre à la table des négociations ! C'est encore possible, j'en suis certaine ! Et réservons l'armée pour le cas où toutes les autres solutions ne seraient d'aucun secours. "

La foule sur la Coline des juges était clairement divisée, comme pour presque toutes les questions qui se posaient à elle, mais la dirigeante des bérets verts paraissait avoir recentré le débat et éclipser certains avis qui se manifestaient beaucoup moins, parmi les chuchotements et les murmures. Si bien qu'il y avait désormais une grande indécision entre partisans d'une intervention directe et ceux d'une médiation de la dernière chance. Quant à ceux qui veulent imposer la paix par la force des armes aux deux cités sans distinction, ils paraissent désormais plus silencieux.

A nouveau, Pisistrati se tourne vers les dirigeants des différents groupes mercenaires:
" Ce débat est riche en possibilités et en solutions. Vous devriez vous féliciter de faire vivre la démocratie. Mais j'aimerais entendre vos autres confrères à ce sujet. Vous autres, kotioites et blêmes, je voudrais vous entendre avec la même verve que les bérets rouges à ce sujet...Qu'avez vous à dire au peuple d'Apamée ?"
La guerre est une affaire de Tromperie



Apamée, Nuevo Fortuna et Porto Rosse. La Triade infernale de la péninsule de l'est du détroit occidental de manche blanche, trois cités pour une bande de terres éparse, dont deux qui se détestaient cordialement via une haine viscérale dont les sources se perdaient dans le temps et impliquaient assurément des générations et des générations entières d'ancêtres et autres prédécesseurs qui avaient dû se causer bien des tords allant du vol d'ânes dans une ferme à une escroquerie quelconque sur la place du marché de l'une des deux cités en passant par quelques déplacements à la nuit tombée de bordures marquant les frontières de quelques centimètres plus loin. Autant d'absurdités qui faisaient le sel des relations d'individu à individu, des petites affaires s'étant accumulées à tel point que les relations étaient viscéralement empoisonnées à l'arsenic.

Si ce n'était pas pour la grande soeur Apamée et un tant sois peu de stabilité qu'un Hégémon en place apportait quand bien même il ne faisait pas grand chose, cela ferait belle lurettes que les deux enfants terribles se seraient entretuées à nouveau, ceci dit cela aurait eut le mérite de fertiliser les sols des chants durablement. Mais voilà, l'Hégémon ne servait plus de rien comme garde-fou, et Apamée avait cette fois ci foiré en beauté son affaire et comme toujours les conséquences des choix douteux et des actions malvenues rattrapaient leurs auteurs avec des issus ne pouvant pas advenir à un pire timing comme si Dame Fortune elle même avait décider de se moquer de la faille béante laissée ouverte et mal dissimulée...

Oh... Elle devait bien rire cette divinité fantasque si elle existait. C'était une certitude. Peut être même avait-elle joué un rôle tant le destin semblait s'acharner et les coups de théâtre advenir les uns après les autres. Et malgré tout, Apamée demeurait fidèle à elle même, son sang et son âme, ses citoyens, continuaient de débattre et de discuter sur la colline habituelle, sous les étoiles là sur cette agora à la Rhêmienne où les adeptes de la rhétoriques d'antan conversaient de leurs problèmes. La question que tout le monde se posait toutefois sans jamais l'admettre officiellement était fort simple, cette réunion allait-elle voir naître un miracle ou une "solution" à moitié réchauffée qui se contenterait de colmater pauvrement la plaie béante comme les fois auparavant jusqu'à ce que celle ci ne s'ouvre encore plus et cette fois ci, peut être pour la dernière fois...

De toute évidence, les citoyens avaient tous leurs avis sur la question et à défaut d'avoir de la réflexion ils avaient du panache et des émotions, l'on ne pouvait pas leur enlever ça. Visages et faciès dissimulés sous les masques, les châles et les voiles, les aviateurs des Contrées de Blême et de Polkême murmuraient dans leurs langues exotiques quelques commentaires à chaque intervention, eux aussi avaient des avis différents et parfois assez explicites sur cette représentation de démocratie la plus pure qui soit, ricanement et scepticisme étaient de la partie, mais in fine l'on se gardait bien d'émettre quelques propos trop désobligeant sait-on jamais que quelqu'un ait fait des études de la langue. C'était la règle la plus essentielle des Grandes Compagnies, l'on évitait le manque de respect trop flagrant à l'égard des employeurs, et si l'on en faisait, gare à ne pas se faire prendre. Pour autant, dans la masse des aviateurs, les soeurs Dalca et "La Technicienne" qui n'était autre que la pilote de l'AWAC dit "Dame Blanche" demeuraient silencieuses sous leurs voiles, ladite technicienne étant en réalité trop affairée à surveiller l'appareil informatique et notamment l'écran qui affichait de la friture et émettait de faibles grésillements comme si rien ne captait.


L'écran en question

Pendant un instant l'on aurait pu croire que les grésillements en question gagnaient quelques décibels lorsque les Raskenois commencèrent à évoquer leurs idées. Enfin, plutôt lorsque la représentante des bérets rouges si l'on pouvait la nommer ainsi exposa ses avis. En tant que tel elle était claire et honnête, d'emblée prévenant le vieux Pisistrati que qu'importe la finalité de la décision, elle et ses hommes exécuteraient les ordres... Quand aux avis, ceux ci étaient simples, extrêmement simples. Mais avaient le mérite d'être réaliste et d'une certaine manière pragmatique, considérant les potentielles issus et les avantages et inconvénients liés aux approches. Comme l'on pouvait s'y attendre, le choix le plus "logique"était d'ailleurs préconisé, prendre parti et écraser l'une des deux cités pour le compte de l'autre. Petits risques, petits gains comme l'on tendait à dire. Mais au moins les gains étaient à peu près sûr d'être sécurisés, enfin sauf si il y avait quelques surprises...

L'assemblée citoyenne elle, était encore plus divisée après cette intervention, certains agréant purement à la finalité visant à prendre parti, d'autres soutenant qu'il était possible de... Faire mieux. Par la voie de la diplomatie. Naïfs. Lorsque l'on se tourna finalement vers les Blêmes afin de leur demander leur avis, un léger son strident émana de l'écran tandis que la Technicienne appuyait sur un bouton sur le clavier informatique. Finalement, une voix d'une douceur insoupçonnée en émana.


??? - << Prendre parti est par le fait la solution de facilité qui permet de certifier de manière claire le déroulement de la pièce de théâtre qui va se jouer. Un allié pour un ennemi. Un vendu pour un acquis. Pour autant, est ce que ce sera là une campagne aisée ? Les rumeurs sont les rumeurs, mais elles reflètent souvent une facette de la réalité étant déjà en cours ou pouvant advenir. Un lésé dans une affaire n'aura aucune hésitation à pactiser avec l'ennemi de ses ennemis. Prenez le parti de Porto Rosso et Nuevo Fortuna ouvrira immédiatement ses portes à Lograno et ses séides dans l'heure afin de se défendre, l'inverse marchera aussi ceci dit, et le "Protecteur de Volterra" deviendra alors le Protecteur des opprimés par la Tyrannie des puissants, non pas que l'intéressé le soit réellement ou qu'il se soucie du sort des deux cités... Mais les on-dit, les rumeurs et le bruit qui va se répandre le cas échéant accentueront le doute et feront croire comme étant la réalité aux autres cités ce qui n'est finalement que mirage.

C'est là le problème avec les démonstration de force, la chose apparaît comme facile, et le résultat clair. Jusqu'à ce que un peu de temps passe et que l'on se rende compte que même le plus petit battement d'aile d'un papillon a eut des conséquences bien plus grandes que l'on ne le croyait. >>


Dans le même temps que les paroles étaient prononcées, l'image de l'écran évoluait, un amas bleuâtre se tordant et devenant plus clair et coloré à mesure que les secondes passait, un petit effet technique volontaire selon toute vraisemblance qui culmina finalement avec une image d'une netteté absolue où l'interlocutrice se révéla être avec certitude la patronne de la Grande Compagnie du Pays des Blêmes et des Polks, Luminita Vil Drake, qui engoncée dans un confortable fauteuil dans ses quartiers d'Arca Hiddenheim à Mirinegratz, léger sourire comme seule partie "visible" de son visage tandis que son voile d'ébène dissimulait le reste, entendait bien chapeauter ses subordonnées même à distance.

Luminita Vil Drake

Luminita Vil Drake - << Monsieur Pisistrati... Connaissez vous le conte du Blême et du Polk aux confins du monde qui s'opposèrent durant un hiver particulièrement rude pour une souche de bois mort ? C'est une histoire classique que l'on raconte aux enfants comme aux adultes, où deux ennemis mortels manquèrent plus d'une fois de s'entretuer, tout cela pour une souche afin d'alimenter un feu essentiel à la survie de la famille de chacun durant l'époque où les neiges éternelles engloutissent la terre entière. L'histoire en elle même est lyrique et tragique, mais je gage que l'heure n'est pas à vous la raconter tel que cela devrait l'être. En revanche, vos concitoyens devraient savoir qu'à la fin, le Blême et le Polk meurent tout deux... Non pas de l'Hiver, ni même l'un de l'autre, mais d'un Tatar les ayant occis tout deux afin de faire main basse sur la souche lui même. >>

Elle marqua alors une pause afin de laisser le temps à tous et chacun de saisir le sens de ses mots, sait-on jamais que quelqu'un perçoive le sens du conte.

Luminita Vil Drake - << C'est là une très vielle histoire, que l'on érige en modèle auprès des communautés de Blêmes et de Polks afin de leur rappeler qu'elles sont d'une certaine manière deux peuplades fraternelles et qu'il ne convient pas qu'elle se fassent du tord mutuellement. Oh bien évidemment, c'est là un outil de propagande issu des esprits malades de Volvoda mais là n'est pas le sujet. La morale quand bien même elle a été instrumentalisée depuis demeure pleine de sens, à savoir que si l'on passe son temps à se quereller avec quelqu'un, un troisième parti externe viendra nous causer du tord à nous et notre ennemi héréditaire... Vous voyez peut être alors où je veux en venir Monsieur Pisistrati...

Plusieurs de vos concitoyens pensent encore possible de résonner les deux villes qui se livrent à un affrontement fratricide pour... Des miettes. Mais à leurs yeux ces miettes valent le monde. Aucune ne l'abandonnera sans coup férir, que ce soit par fierté ou pour tout autre raison. Et cette fois ci, avec le facteur Lograno en orbite, elles ont des portes de sortie si elles ne sont pas satisfaites de l'issue qui sera décidée. Et je puis vous assurer qu'aucune de ces portes ne sera au goût d'Apamée... Les lésés tendent à se vauter dans la fourberie afin de distribuer du venin serpentin en guise de vengeance après tout.

En sachant cela une médiation est-elle encore possible ? Sans doutes pas. Le blessure est cette fois trop profonde, et in fine, vous risquez au mieux d'arriver au postulat pragmatique des Margoulins à savoir s'aligner sur une cité car l'autre cherchera à défendre ce qu'elle considère comme son droit légitime, retour à la case départ donc, ou au pire, les deux vous critiqueront pour votre position digne d'un Akaltien et Apamée deviendra malgré elle un Tatar. Alina, Rodica. Que fait-on aux Tatars au pays ? >>


Alina Dalca - << Nous les pendons haut et court vivants et laissons leurs dépouilles aux quatre vent sept jours et sept nuits durant tandis que les corbeaux et les rapaces se repaissent de leur chaire pour donner l'exemple.

Rodica Dalca - << Nous les enfermons dans des sacs que nous jetons ensuite dans un lac avec des pierres afin que leurs esprits rejoignent directement les enfers. >>


Luminita Vil Drake - << Précisément. Tout le monde déteste les Tatars de là d'où nous venons. Blêmes comme Polks. Il n'y a rien de mieux pour rassembler autour d'une même cause que la présence de Tatar non loin. Aussi Monsieur Pisistrati... Si en l'état Porto Rosso et Nuevo Fortuna n'entendent pas dialoguer à nouveau tant que les choses seront... "Statiques". Que se passerait-il si d'aventure, les deux cités voyaient naître dans leur jardin un Tatar, ou même l'ombre d'un Tatar ? Afin de fédérer deux ennemis mortels, il n'y a qu'une seule solution testée, éprouvée et définitivement efficace. Si d'aventure Apamée souhaite une issue "Diplomatique" à cet épineux problème afin de sécuriser ses arrières, alors afin de maximiser ses chances, il va falloir trouver un Tatar aux deux cités turbulentes.

Une menace commune tend à supplanter tout problème autre lorsqu'elle se dévoile, et il est alors possible de faire raisonner deux êtres se détestant cordialement pendant un temps. Or c'est ce dont vous avez je pense cruellement besoin en l'état. Peu importe que cette menace soit réelle ou non, elle peut être crée de toute pièce tant que l'illusion est là. Mais au vue de la situation, il ne serait pas improbable qu'elle existe réellement et soit... Déjà là. Après tout ces rumeurs comme quoi Nuevo Fortuna tendrait à pencher vers Lograno, voilà qui est fort convénient. Un Timing remarquable si j'ose dire. Comme si quelques uns jouaient avec afin... D'incliner vos choix. >>


Ce n'était jamais une coïncidence lorsque ce genre d'informations non vérifiées commençaient à sortir de nul part, les rumeurs étaient dangereuses, très dangereuses, elles tordaient la vérité et devenaient difficilement contrôlable une fois lâchée dans la nature, mais cela ne voulait pas dire pour autant qu'on ne pouvait pas influer sur le cour du fleuve l'emportant. Car même si elle était indomptable, une rumeur demeurait un outil dont l'on pouvait se servir.


Luminita Vil Drake - << Si j'étais Lograno, je ne laisserai passer sous aucun prétexte une occasion pareille de semer le trouble dans l'arrière cour de mon principal rival. Il y a fort à parier que ce dernier est déjà à pied d'oeuvre ou le sera sous peu. A partir de là... Ma foi, la vérité peut être malléable et sujet à interprétation. Cela dépend de l'imagination des gens. La guerre n'est pas seulement une affaire de bombes ou de puissance de feu, ni même de nombres. Très souvent, c'est une affaire de tromperie, un jeu joué de manière bien plus efficace depuis les ombres et pouvant couter à quiconque se fait manipuler, des ressources précieuses.

Dans le pire des cas, il y aura toujours l'option de s'en revenir à la solution de simplicité. La question que tout le monde se pose désormais serait plutôt de savoir si tous ceux souhaitant encore une issue "Idéale" où réaligner les deux cités serait possible, seraient joueurs ? Car cela sera un sacré pari. Mais comme l'on dit... A gros risques, immenses récompenses. >>


Et ainsi termina Luminita sur ses conseils, laissa la suite à d'autres.
Le peuple d'Apamée paraissait pendu aux lèvres des blêmes, et plus encore celles de Luminita Vil Drake. Celle-ci avait captivé, au vu de sa verve, une part importante de l'auditoire. Ceux qui au départ étaient d'accord avec la fatalité de devoir aller prendre le parti d'une des deux cités parurent d'avoir été confortés dans leur véillété de mobiliser l'armée, et de partir faire la guerre, tandis que les sceptiques et les partisans de la modération se retrouvaient désormais bien silencieux, et en proie aux paradoxes que la situation actuelle imposait à leurs errements. Sous les voix raskenoises et blêmes, il semblait bien que le parti de la paix n'eut été condamné au retrait sur lui-même.

Au contraire, le parti de la guerre semblait gonfler de plus en plus, et les excitations ont laissé la place à des applaudissements nourris lorsque Vil Drake termina son monologue. Lograno: ce nom était sur toutes les lèvres et dans tous les esprits, et la perspective de le voir débarquer dans la péninsule paraissait l'emporter sur toutes les autres considérations, quand bien même c'eut été plus moral d'agir par l'inverse. La moralité a laissé la place à la nécessité au cours de ces derniers échanges, et la survie d'Apamée valait que l'on ignore la raison, au moins le temps du soubresaut guerrier de Volterra.

" La blême avec un masque bizarre a raison !"


La question n'était plus tant s'il fallait faire la guerre ou la paix, qu'à l'identité de deux à qui il fallait livrer combat. Vil Drake avait laissé ouvert plusieurs pistes au fil de son argumentation, pistes sur lesquels certains apaméens n'hésitaient pas à s'aventurer. Pisitrati s'était reposé sur son rocher, laissant la parole à plus fougueux que lui à l'instant, parmi lesquels un citoyen à la langue bien pendue s'avança. Si les mercenaires, selon toute évidence, ne le connaissaient pas, les citoyens d'Apamée, eux, pouvaient reconnaitre ce visage juvénile et ce sourire parfait d'entre tous: un dénommé Mario de Cardia. Citoyen modèle de bonne famille, faisant partie d'une lignée d'armateurs: une condition sociale d'origine qui laissait entrevoir ses aspirations au sujet de l'étranger. Indéniablement, il prenait la parole en faveur du parti de la guerre, mais vers qui allait-il diriger la fureur du peuple ?

" Citoyens. Je dois d'abord remercier Fabrizio Pisitrati de nous avoir tous réunis ici. Pisistrati, je ne connais point de parole plus sage que la tienne ici, mais il faut le reconnaître: ces barbares touchent un point. De toute évidence, rester assis nous condamnera dans tous les cas, et tenter de recoller les morceaux avec les cités du nord semble voué à l’échec. SAUF SI...sauf si en effet, nous trouvions de quoi occuper nos alliés se détestant si bien... Là encore, la blême a raison sur ce point: si Porto Rosso et Nuevo Fortuna se haïssent, alors il nous faut trouver un objet focalisant sur lui une colère plus grande encore, ou bien une entreprise d'une telle audace, qui génère tant de gains financiers et politiques, que celles ci seront contraintes de s'avouer à elles mêmes que leur lutte est vaine, et qu'elle ne vaut pas de mourir pour elle. Et il se trouve, citoyens, que je pense avoir une piste qui pourrait détourner l'énergie des jeunes hommes et des jeunes femmes de nos rivages, et d'exercer leur quête de gloire en d'autres lieux.

Pour cela, il nous faut regarder par delà la mer, armer des navires, et partir en quête d'une cible facile, une cible dont personne ne nous reprochera qu'elle soit tombée entre nos mains. Une cible, qui malgré sa faible importance, relève d'une importance symbolique qui sera utile à note cité, si un jour, Apamée veut reprendre son rôle d'hégémon au sein de notre ligue. Cortonna, citoyens, je dis que Cortonna, et non Porto Rosso ou Nuevo Fortuna sont la clé de notre prospérité"


Le pavé était lancé: attaquer une autre cité délibérément dans le but de calmer les tensions au sein de la péninsule ?

"Qui parmi les cités soeurs daignerait bouger le petit doigt pour une ville isolationniste, pourrie par l’archaïsme, isolée de toutes les routes commerciales, et dont la seule légitimité tient à l'attachement de vieilles reliques et babioles catholanes ? Cortonna assaille tout le monde, à tout instant de son statut d'évêché de la confédération, et pourtant elle ne daigne jamais participer à sa vie politique. Elle ne daigne jamais se monter aux congrès dodécaliotes, car nous connaissons tous la nature de ce régime théocratique que tout le monde honnit. Alors oui, je le dis: c'est dans l'interêt de notre cité que le gouvernement de Cortonna "change", et que ce reliquat symbolique fasse un choix: ou le parti d'Apamée, ou le renversement. Se soumettre ou se démettre, il n'y a point d'alternative.

Nous avons les navires, nous avons les soldats. Alors pourquoi ne cessons nous pas nos querelles insulaires pour avancer nos pions là où il faut qu'ils soient, et pas occupés à régler des querelles futiles, que nous pourrions nous à fait calmer si tous les yeux, ceux d'Apamée, ceux de Nuevo Fortuna, et ceux de Porto Rosso, se braquaient sur elle. Excellences citoyens et étrangers, qu'en dites vous ?"


Les mots du jeune armateur trouvaient écho auprès des citoyens les plus virulents parmi la foule. En tenant compte des mots successifs des raskenois, puis des blêmes, et enfin de cet armateur qui sans nul doute, se faisait déjà un plaisir de constater ses gains financiers futurs grâce au conflit, toute une partie du public scandait désormais:

"La guerre ! La guerre pour Cortonna !"


Même Pisistrati avait bien du mal à faire entendre sa voix exigeant silence dans ce vacarme enthousiaste, tandis que l'autre partie de l'auditoire, ceux qui ne voyaient d'autre conflit que celui de la péninsule, avait encore quelques réserves. On pouvait entendre certains clamer aut et en fort en guise de protestation:

"Personne n'aime les missionnaires armés ! Réglons déjà nos affaires avant de régler celles des autres !"


Si les partisans de la paix étaient murés dans le silence, maintenant, c'était là deux visions de la guerre qui s'affrontaient désormais, celle d'une assistance à l'une des deux autres villes de la péninsule apaméenne, ou les partisans d'une grandiloquente aventure à Cortonna dont la blême avait éveillé l'interêt, et que Mario de Cardia avait repris avec un enthousiasme sans limites (et probablement en lien avec ses propres gains à venir hein...). Si une expédition vers Cortonna pouvait fédérer les trois cités autour d'un but commun, il paraissait évident qu'il s'agissait là d'une entreprise risquée...

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Pisistrati


Face à la véhémence des débats, celui qui jusque là s'était volontairement mis en retrait, et avait laissé la parole à plus jeune et impétueux que lui, sentit que le moment était peut-être venu de recadrer le débat. Ce dernier se tourna vers les étrangers, et plus particulièrement le cortège blême dont Vil Drake figurait à sa tête. Le vieil homme, toujours prompt à rappeler les bienfaits de la modération, tenta d'en venir à l'argument de l'expérience de ces militaires de métier qu'étaient les mercenaires sur les propos aventureux du citoyen Mario:
" Mes citoyens. Il a été des paroles fort audacieuses à nos oreilles, et je dois l'admettre, la perspective de détourner l'attention des malheurs de la péninsule et les reporter sur une cité honnie est séduisante. Mais ne nous méprenons pas: si action aventureuse il y a, je vous prie de croire que des frissons parcourront le dos des autres cités, qui seront moins bien disposées à notre égard, et ce même si Cortonna venait à tomber dans nos mains. Une si petite ville vaut-elle la peine d'autant de risque ? Ces gens ont-il à payer leurs fautes, et les nôtres avec ? Madame Vol Drake l'a rappelé assez justement: Salvatore Lograno reste la source de toutes nos plaies, et non Volterra. Vous, madame, vous parlez de tromperie et de ruse: que nous faudrait-il dans la présente situation, pour que les deux cités de Nuevo Fortuna et de Porto Rosso comprennent qui est leur véritable ennemi ? A cette question;, j'ajouterai qu'il nous tarde d'avoir l'avis de votre consœur kotioide."
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Khatan rêve. Elle imagine a société idéale. Au-delà des effluves elle la voit. Démocratie. démos. Peuple. Démoncratie ? Khatan n'est pas quelqu'un de très malin. Elle s'en fout. Personne n'est plus malin qu'un coup de botte dans la gueule. Un. Deux. Trois. Ils en redemandent. Quatre cinq six. Le nez craque. La peau s'ouvre comme celle d'une pêche trop mûre. Le sang dégorge par grosses traînées. Traînées. Comme la merde qu'elle vient de fracasser, plus haut, dans la rue. Personne n'est plus malin que ça. Encore, encore, elle marche sur la gorge, écoute le gargouillis, ce soupir crade. Le gazouillis d'un oiseau rare. Puis elle sourit, et plonge une main sous sa ceinture. C'était il y a une heure.

Khorijin Amarsanaa aimait la violence. Elle l'aimait comme on aime une amante. Une passion charnelle et dévorante. Un besoin physique, ressenti dans ses tripes, comme une plaie béante. Elle voulait la sentir contre sa peau, l’embrasser, la plaquer contre un mur et la battre, à mort, en chantant son nom. Et de toutes les violences, toutes les horreurs, il n’en existait pas de plus pure et complète que la guerre. Guerre ! Ce grand jeu de la nature, rassemblant tous les autres en son sein, imité encore et encore. Guerre qu’aimaient les vieillards par les yeux de leur jeunesse, qu’aimait la jeunesse par la lorgnette de ses illusions. Guerre, guerre. Elle avait soif de guerre. Et tout, dans ce pays maudit, ce pays cupide, ce pays de chair écorchée, d’espoirs brisés, ramenait à la guerre. Elle souriait. Depuis le début des débats, elle souriait.

Ils parlaient et s’écoutaient parler. Cela, cependant, elle ne l’aimait pas. Elle se demanda quel goût avait la peau du marchand de navire, l’envisagea nu, accroché à un mur, un sceau de fer forgé sous les pieds. Goutte à goutte de son sang, ses hurlements mués en pleurs. Et combien de temps faudrait-il, une fois sa langue enfoncée dans sa gorge, pour que la blême s’étouffe ? Ses gargouillements porteraient-ils en eux ce accent de morgue et d’étranger ? Cette impression de faire de si belles phrases, quand celles-là cachaient à peine la vacuité de son propos ?

Elle rit, un petit rire cristallin. Ce n'était pas très sérieux, évidemment. S'il était agréable de rêver du meilleurs, et que ces pensées électrifiaient son corps, elle ne pouvait pas sérieusement envisager leur meurtre. Pas encore, en tout cas. Et il y avait mieux à faire, dans ce pays, que le meurtre et la violence. Comme partout ailleurs. Elle l'avait appris auprès de son équipage, et des précédents. C'était ce que répétait le capitaine. Lui seul donnait un sens à sa violence. Il prétendait qu'on pouvait faire mieux. Qu'on pouvait faire plus grand. La Dodécapole était le pays où le mercenaire devenait fait de légende. Et elle, elle serait légendaire.

Khatan secoua la tête et fit un geste de main à l'adresse de Pisistrati, lequel venait de lui donner la parole et n'avait pour l'heure obtenu qu'un rire comme réponse.

« C’est très gentil à toi de me donner la parole, citoyen, mais je suis la voix de mon maître. Et contrairement à certaines ici, mon maître est à mes côtés. Il parlera comme celui qui ira au combat et saignera pour toute Apamée. Il est ici parce qu’il a foi dans ton combat, citoyen, et dans celui de tes amis. Il parlera aussi parce qu’il a des choses à perdre, à commencer par sa vie, mais plus important, par sa réputation. »

Elle haussa les épaules. En fait, elle trouvait la façon qu'avaient les velsniens de parler tout simplement exécrable. Elle décida de lâcher l'affaire.

« C'est mon capitaine qui parlera. »

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Le capitaine en question se tenait par-terre, fumant une longue cigarette roulée. Il leva une main, distraitement, comme pour remercier sa seconde, et se releva dans un geste lent et mesuré. Il fit claquer sa langue contre son palais.

Evert De Clercq était un pirate Kotioïte. L'anarchisme aidant, il n'existait aucun chef, là-bas, qui ne soit pas un peu tribun, ou populiste. Il avait appris à parler, et se sentait chez lui dans cette assemblée de tous et toutes, de chacun et chacune. Collection d'individualité attendant un consensus, ou une voix forte pour la porter. Il frappa ses mains l'une contre l'autre et retira ses gants, son regard parcourant l'assemblée. Il tira sur sa cigarette, l'écrasa contre le talon de sa botte.

La rhétorique des blêmes était totalement inaudible. Il était temps de donner au Forum des mots qu'il pouvait entendre.

« J'ai bien écouté ce que mes pairs ont eu à dire, bien réfléchi à la teneur de leurs propos. Mes amis, écoutez-moi donc, car j'ai encore à parler.

Avant toute chose rappelez-vous de qui je suis. Je suis un homme de guerre. Je vais vous parler en tant que tel. Je n’ai pas lu sur la guerre. Je n’ai pas écrit sur la guerre. Je l’ai vécu. Je n’ai pas profité d’elle en commettant quelque racket, je n’ai pas profité d’elle en ordonnant que l’on parte mourir pour moi. J’ai profité d’elle en combattant pour ce que je crois juste. Je viens de Kotios la libre. Savez-vous qui j'ai combattu pour elle ?
 »

Son regard tranquille s’immobilisa sur le citoyen Mario. Il acquiesça.

« Les tyrans. Les hommes injustes. Les puissants qui veulent que les gens comme vous et moi crèvent dans la mine et dans l’usine, et n’aient jamais un mot à dire sur la gestion de la cité. Et si je suis ici en homme de guerre, je ne suis pas ici en lame à vendre. On me paie, car il faut que mes hommes mangent. On me paie car il en va de l’honneur de ma flotte. Mais nous combattons pour vous parce que vous êtes, de toute la Dodécapole, l’unique exception. La seule ville où les hommes sont véritablement libres. J’ai tué au nom de ce mot, Liberté. Je suis ici pour recommencer. »

Il fit quelque pas pour aller se placer près du centre du forum. Khatan l’avait rejoint, se tenant désormais sur sa droite. Le citoyen Éon continua.

« J’entends ici parler de guerre. De tromperie. De manipulation. J’entends ici dire qu’il y aurait des raisons d’attaquer une cité de la Dodécapole, des raisons de l’écraser pour assurer notre survie. Pourquoi ? Parce qu’il ne serait plus possible de faire s’entendre nos voisins. Parce qu’Apamée a, une fois seulement, manquée à son devoir de médiation.

Devons-nous, à cause d'un seul manquement, abandonner tout ce qu'Apamée représente et nous jeter dans le même purin que ce porc de Lograno ?

Que l’on mécoute. J'ai beaucoup de respect pour mes pairs mercenaires. Et ce que je vais dire, je le dis avec ce respect : ils ne sont pas des gens de la mer. Ils ne sont pas des gens du commerce, ils ne sont pas des gens de la Manche Blanche. Peut-être estiment-ils qu'il faut utiliser ici les solutions expérimentées ailleurs. Mais c'est faux. Dame Fortune est-elle la Gardienne des Blêmes ? Non, pas plus qu'elle n'est celle des germains, des slaves, des nazumis. Elle est la Gardienne du peuple de Fortuna, de Velsna, de ces mers immenses où nous voguons. J'ai vogué pour le Pharois, j'ai vogué pour Kotios. Je ne suis peut-être pas l'un des vôtres, mais j'ai observé assez de votre pays pour l'admirer, et pour admirer ce qu'il peut être.

Et il peut être bien plus que ces solutions, bien plus que la précipitation de la guerre. Nous avons encore le choix d'être Grands, d'être ce qu'Apamée a pour mission d'être. Un échec, et nous abandonnerions tout ? Un échec, une médiation ratée, et il faudrait nous jeter dans la mêlée ? Nous abaisser à devenir comme eux ? Allons, allons.

Nous pouvons encore faire venir les représentant de Nuevo Fortuna et du Port Rouge. Notre parole à portée. Elle peut encore porter. Pensez-vous qu’ils ignorent que Lograno est un risque ? Qu’il n’y a plus d’Hégémon claire ? Pensez-vous qu’ils ignorent que toute la Dodécapole va s’embraser ? Ils ont peur. Ils paniquent. Ils manquent de vision et combattent pour assurer leur survie. Nous pouvons représenter la survie. Nous pouvons encore leur tendre la main, et par l’amitié ou la contrainte, forger des liens plus forts, assurer la paix, et protéger la Péninsule des ambitions du Tyran.

Oui, l’heure de la guerre viendra, ça je n’en ai aucun doute. Mais pas contre ceux qui ne le méritent pas. Mort à nos ennemis, mort aux ennemis des hommes libres. Et que tous ceux qui veulent vivre se joignent à nous.

Voilà ma position.
 »
Tanya avait fini d’exposer sa pensée, à savoir ne rien faire, négocier ou prendre le parti de l’une des deux cités étant au bord de la confrontation directe. Son intervention, même si les possibilités évoquées étaient pour le moins simplistes, avait au moins l’avantage d’être pragmatique avec les informations à disposition ; de plus, cela avait éliminé d’emblée la possibilité défendue par certains d’imposer la paix par la force aux deux cités. Ayant terminé son intervention, elle retourna s’asseoir à l’endroit où elle se trouvait précédemment ; cependant, le débat n’était pas fini, loin de là. Suite à cela, il ne portait alors plus sur la marche à suivre, mais sur la question de savoir s’il fallait ou non prendre le parti de l’une des deux cités, enfin ça c’était avant que les Blêmes, au travers de leur chef Luminita Vil Drake, ne prennent la parole.

Un ennemi commun, voilà ce qu’ils proposaient : réunir les deux cités qui se détestent grâce à l’intérêt supérieur d’affronter cet ennemi commun. On ne pouvait que difficilement donner tort à Vil Drake car, au fil de l’histoire, cet ennemi avait toujours réussi à rallier même des peuples se détestant au plus haut point. Enfin, pour être plus précis, cet ennemi a toujours réussi à rallier, mais dans un premier temps ; une fois neutralisé, les deux peuples s’étant alliés à contre-cœur retourneront à leur animosité d’antan. Cela peut même se produire avant, lorsque cet ennemi est suffisamment affaibli pour ne plus être considéré comme tel. Pour le dire autrement, agiter la carte de l’ennemi commun pouvait apporter la paix dans un premier temps, mais se révéler à double tranchant dans le futur : c’était là ce que pensait la colonel des Béret Rouge Tanya von Degurechaff. Même si elle n’était pas d’accord avec ce que disait la Blême, elle avait au moins le mérite d’être cohérente en pointant du doigt le plus logique, à savoir Lograno, chose que l’on ne pouvait pas dire de l’apaméen qui prit la parole après. Quand l’apaméen Mario de Cardia eut fini de présenter son plan, une seule pensée envahit Tanya : Mais il est con ou quoi ? Enfin ça, ce fut après avoir failli s’étouffer avec la fumée de la cigarette qu’elle s’était allumée après son intervention tant les dires de Cardia l’avaient surprise. Voulant prendre la parole immédiatement, elle se ravisa finalement quand Pisistrati demanda d’abord l’avis de la partie kotioïde.

Ce que proposait le capitaine kotioïde était… étonnamment humaniste : prioriser le dialogue plutôt que les armes, tenter une dernière fois de recoller les morceaux entre les deux cités et ainsi sécuriser deux alliés plutôt qu’un. En soi, c’était là l’une des possibilités évoquées par Tanya un peu plus tôt, alors cela ne la dérangea pas plus que ça, contrairement aux propos de Cardia. Quand le silence revint, alors toujours assise, elle prit la parole.

Tanya


Tanya von Degurechaff – Désigner un ennemi commun pour temporairement enterrer la hache de guerre est effectivement un moyen efficace de faire cesser les hostilités entre deux parties, cependant, cela ne dure qu’un temps et ne fonctionne qu’à condition que les deux parties le reconnaissent comme tel. Et pardonnez-moi, monsieur Cardia, mais je pense que c’est précisément sur ce point que vous visez à côté. Comme je l’ai dit, pour que l’ennemi commun fonctionne, il faut qu’il soit reconnu comme tel par tout le monde. Or, pour que l’ennemi commun soit reconnu comme tel, il faut qu’il représente une menace, et je ne pense pas que Cortonna en représente une : vous l’avez dit vous-même, Cortonna est une ville isolationniste qui n’interagit que rarement avec le reste de la Dodécapole. Mais au-delà de ça, admettons que votre plan marche et que Cortonna soit reconnue comme l’ennemi commun de Porto Rosso et Nuevo Fortuna, qu’est-ce qu’on fait après ? L’objectif de l’ennemi commun, c’est de faire taire les animosités un temps. Or, une fois Cortonna sous notre contrôle, Lograno lui sera toujours là et rira en voyant que nous avons gâché nos ressources sur une cité sans importance. Envahir Cortonna serait même à mon sens pire que ne rien faire, car comme je l’ai dit précédemment, envahir c’est bien, garder le contrôle c’est mieux : il nous faudrait donc laisser une garnison sur place. Le seul ennemi commun qui nous serait utile, c’est Lograno à mon sens. De plus, cette cité ne nous apporterait que peu d’avantages stratégiques dans cette guerre qui pointe le bout de son nez ; le seul que l’on pourrait mentionner (et encore) est qu’elle se trouve plus proche d’environ quarante km de Voltera, que ne l’est Apamée.

Pour ce qui est de l’intervention du capitaine Clercq, je partage également son avis : même si au début j’ai avancé qu’à mon sens le choix le plus pragmatique serait de choisir une cité, il s’agit de la finalité ; rien n’empêche d’essayer de discuter une dernière fois. De plus, si nous partons sur la voie de l’ennemi commun, il nous faudra forcément réunir Porto Rosso et Nuevo Fortuna autour de la même table pour en discuter, engager une médiation entre les deux cités est donc, pour moi inévitable que l’on parte sur l’ennemi commun ou que l’on tente de régler leur différent.
Von Degurechaff et De Clercq avaient parlé. La question était donc de savoir si leurs mots avaient eu un effet quelconque sur la plèbe. Le fait deux des représentants des trois groupes chargés de défendre la ville aient opté pour une solution que qu'aucun qualifierait de sage paraît avoir eu un effet indéniable sur la foule apaméenne. Fabrizio Pisistrati, s'il pouvait remercier les étrangers à cet instant, l'aurait probablement fait. Lui qui était en minorité parmi les siens, sa position était appuyée par des "gens du métier", et il était fort à parier que sans la participation des mercenaires à ce débat, celui-ci aurait eu bien plus de mal à contenir les élans cocardiers des gens d'Apamée. Celui-ci dit un signe de main en direction de De Clercq:

" Capitaine. Je vous remercie: vos mots sont dignes de louange, pas seulement dans le fond, mais également dans la forme. Peut-être pourriez vous vous reconvertir dans la rhétorique une fois vieux..."

Celui-ci se tourna en direction de l'armateur, cette-fois ci avec l'assurance de ne pas être seul:
" Vois tu, Mario. Ecoute donc ceux dont c'est là le métier: je suis de leur avis, et je pense que nous n'avons pas encore usé d'assez de cartes dans notre jeu. Toi, et d'autres de mes concitoyens, vous parlez comme si les gens de Porto Rosso et de Nuevo Fortuna n'étaient pour nous que des étrangers et des barbares. Ce n'est pas le cas: beaucoup d'entre nous vivons des deux côtés de la frontière. Certains d'entre nous travaillent là bas, ou leurs habitants travaillent ici. D'autres ont même un pie de chaque côté, et leurs familles sont des deux bords. Nous devons tenter de relancer une dernière fois les deux patries, ne serait-ce que parce que c'est la chose la plus morale à faire, et parce que nous devons en avoir conscience. Une guerre est chose lente et laborieuse, qui coûte tant en vies humaines qu'en argent. Nous ne sommes pas une tyrannie d'Eurysie de l'est. Nous ne sommes pas non plus une grande puissance: nous n'avons pas le loisir de mobiliser des ressources et des citoyens à sacrifier, encore moins pour ce qui peut être réglé par les mots, et lorsqu'un loup frappe à notre porte.

Nous n'avons qu'un seul adversaire déclaré: il se languit de notre malheur de l'autre côté de la mer, et son nom est Salvatore Lograno. Lorsqu'il parle, lorsqu'il agit, lorsqu'il pense, chacune de ses actions est tournée vers un seul but, qu'il ne s'est pas privé d'afficher lors des derniers jeux confédéraux, pas plus tard que l'année dernière: cet aventurier qui s'est improvisé prince n'a qu'une seule vocation, l'accumulation incontrôlée de tout ce qu'il peut conquérir. Porto Rosso et Nuevo Fortuna ne mérite pas nos armées de citoyens, mais Volterra, c'est elle qui est la cause de nos maux, ou du moins, qui est à l'origine du seul mal dont je suis certain que le remède sera douloureux. "



C'était au tour du parti de la guerre de se murer dans le silence, et à ces gens de réfléchir à leurs propos. Le parti de la paix paraît avoir repris du poil de la bête, et on peut entendre leurs voix s'élever à nouveau dans les airs, au dessus de toute cette masse qui campe sur cette colline. Fabrizio Pisistrati:
- Citoyens, je pense que l'heure du choix est venue. Basée sur ce que tous ici ont eu à dire, plusieurs motions vont êtres mises à l'étude, et nous voterons, conformément à la tradition, à la majorité. La première de ces motions portera sur un appel à une médiation de la dernière chance avec les cités de Porto Rosso et de Nuevo Fortuna. Le seconde, sur l'interêt, comme l'ont dit nos invités blêmes, à la mobilisation de nos moyens dans le cadre d'une campagne de propagande juste à l'encontre de Lograno au travers de toute la Dodécapole. La troisième sur une expédition à l'encontre de la cité de Cortonna, et une dernière sur le bien fondé d'une campagne de réarmement de notre patrie. Je vous prie donc d'apporter à chacun les jetons de vote.


Parmi la foule, des enfants portant de grands sacs distribuent tous ceux qui le veulent deux jetons: un blanc et un noir. Certains apaméens, déjà certains de leur choix, ne se gênent pas pour ne prendre qu'un jeton. La procédure, compte tenu du nombre de participants, était laborieuse: c'était là ce qui, en monde fortunéen et en Dodécapole, se rapprochait le plus d'une forme archaïque de démocratie directe (même si à vrai dire, le système apaméen était légèrement plus complexe que cela). Une fois la distribution faite, le processus inverse s'enclencha, et les jetons retournèrent dans les sacs, ceux du choix des citoyens. Le processus se répété autant de fois qu'il y eu de motions. On pouvait déjà voir certaines dynamiques se dessiner: le premier vote, au vu des jetons se trouvant encore entre les mains, devait être très serré, peur-être se jouant à quelques voix. Les autres en revanche, avaient rencontré une opinion plus tranchée.

Le moment arriva: il eut été irrespirable lorsque les citoyens se chargeant du recomptage étalant à la vue de tous, les jetons sur des tables dressées pour l'occasion, séparant les blancs et les noirs avec la plus grande des minuties. Finalement Pisitrati annonça à voix haute:
- Il a été décidé par notre communauté citoyenne l'adoption de la motion relative à l'envoi d'une médiation auprès de Porto Rosso et Apamée, à 1981 voix contre 1877 voix. De même qu'il a été décidé de confirmer la deuxième et la dernière motion. La troisième motion portant sur une expédition militaire à Cortonna a été refusée dans sa majorité absolue. Nous avons enfin une ligne de conduite, je vous remercie, mes compatriotes.


La foule commença à se disperser parmi les moins attentifs aux choses de la politique, tandis que ceux du parti de la guerre restèrent plus longtemps que les autres plantés sur leurs estrades, les pieds dans le sol et ravalant une déception bien visible sur les corps. Fabrizio Pisistrati rejoint quant à lui les représentants des groupes de mercenaires, pour leur toucher mot:
- Messieurs et mesdames. Vous êtes des soldats, certes, mais aujourd'hui, ce sont vos mots qui m'ont sauvé d'une situation fâcheuse. Maintenant que les idées les plus superflues sont écartées, pourquoi n'irions pas planifier le sauvetage des habitants de Porto Rosso et Nuevo Fortuna, eux qui n'ont pas été aussi capables que nous dans le contrôle de leurs penchants violents. Nous avons beaucoup à faire, et si nous avons calmer nos propres cocardiers, Salvatore Lograno, lui, n'a pas l'habitude de prendre de pause.

Fin de la préparation de l'acte I



Effets RP:
- Les citoyens d'Apamée se sont engagés dans la demande d'une médiation de la dernière chance entre Porto Rosso et Nuevo Fortuna, encouragés par les joueurs (La rencontre qui vient portera sur la tenue de ces accords)
- Les citoyens d'Apamée se sont refusés à une politique d'expansion agressive en guise de réponse à Lograno.
- Les citoyens d'Apamée semblent avoir pris conscience du danger que constitue Lograno, et sont désormais entièrement focalisés sur sa personne.
- La position de Fabrizio Pisistrati et du parti de la paix a été renforcée par les joueurs.
- Apamée s'engage sur une campagne d'armement (le parti de la guerre est assez puissant pour avoir influencé cette décision).


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